Un point final à notre quête

Les braises du feu de la veille étaient encore rouges quand je me réveillai. La nuit avait été douce, et je me surpris à ne pas avoir spécialement froid. Il était encore tôt, le soleil n’était pas levé, mais il me restait une bonne trotte avant d’arriver à Thanor, alors autant se lever. Je pris le temps de faire griller des œufs et réchauffer le peu de café qu’il me restait, avant de repartir, le ventre plein. J’avais décidé de voyager léger à dos de bélier, aussi, je ne mettrais pas bien longtemps avant de rejoindre la cité.

Le voyage s’était passé sans encombres, et j’avais eu grand besoin d’être seul ces quelques jours. Tant de choses me prenaient la tête à Kirgan, il fallait que je m’évade un peu, et Thordril m’en offrait l’opportunité ! J’avais laissé les affaires à Breet et à Dailor, qui nous avait rejoint à la fin du mois. J’avais toute confiance en la fougue de la jeunesse de ma fille associée à l’expérience de l’ancien. Le clan était entre de bonnes mains, nul doute que tout se passerait bien.

Quelques jours avant, j’avais demandé à Jnordil de me précéder, avec le mogarium. Il avait pour mission de le donner au jeune forgeron pour qu’il puisse commencer à forger le médaillon, avec des instructions assez précises sur ce que je souhaitais. Je l’avais croisé sur la route alors qu’il retournait à Kirgan, me confirmant qu’il avait bien rempli sa tâche. Après un échange rapide, nous étions reparti chacun de notre côté. Pour ma part, j’avais pris une bourse pleine de pièces d’or, bien assez pour payer ses services, et régler quelques choses qui devaient me prendre un peu de temps là-bas.

Lorsque je passais les portes de la cité, je suivis les indications que Thordril m’avait données par courrier. « Suivre les plus hautes fumées de Thanor. » Ça ne devrait pas être bien compliqué. Je redécouvrais la ville avec plaisir, je ne l’avais pas visitée depuis bien longtemps. Elle aussi avait beaucoup changé. Lorsque j’arrivais devant les forges, je fus stupéfait. Quelle splendeur ! Elles étaient aussi hautes que celles de Kirgan. Peut-être plus encore. Je sentis dans mon ventre une fierté que je ressentais de plus en plus souvent ces dernières ennéades. Le peuple du Zagazorn était toujours capable de grandes choses, et il le prouvait à chaque instant.

Une jeune Dawi m’interrompit dans ma contemplation et me héla. Elle me guida dans les forges à la rencontre de Thordril, qui m’accueillit à bras ouverts. Nous discutâmes quelques minutes entre nous avant de décider de filer droit à l’auberge, dans un endroit un peu moins public, où le gérant nous avait réservé une table un peu à l’écart. Nous nous sommes assis face à face et avons commandé un pichet à partager.

« Eh bien, Thordril, ça me fait bien plaisir de te revoir. J’espère que tout se passe bien pour toi ! Tu as pu reprendre une vie un peu plus normale après ce long voyage ? »

Je lui souris franchement, rassuré de le voir en si bonne forme. Après tout, il avait vécu les mêmes traumatismes que moi, dans ces montagnes froides. Ma discussion avec le roi, quelques ennéades plus tôt, m’avait quelque peu rassuré, mais les mêmes questions se répétaient dans ma tête. Et mes pensées étaient toujours dirigées vers Mogar. Le temple m’avait fait un effet qui semblait permanent. Je devrais probablement me tourner vers un prêtre pour discuter de tout cela, mais je n’en connaissais aucun. Et de toute façon, cela pouvait encore attendre.

L’auberge était fortement confortable. Le feu dans l’âtre brûlait doucement et réchauffait les visages et les cœurs. Il n’y avait pas grand monde, aussi les discussions se faisaient à voix basse, et il n’y avait pas besoin de crier pour se faire entendre. Une atmosphère légère pour une discussion qui l’était tout autant accompagnait une bière bien fraîche, parfaite pour ce moment de la journée. Et puis, notre petit espace à l’écart était plus calme encore. J’accueillais cette pause et ce repos avec plaisir, j’avais à tout prix besoin de me changer les idées après ce voyage en solitaire.

Thordril semblait donc bien en forme. Sur son visage, on pouvait lire un soupçon d’ennui et de fatigue. Après tout, il avait été au four pendant de longues journées. L’effort de guerre décrété par Harald avait usé toute la nation. Son arrêt était bienvenu, mais beaucoup semblait étrangement démunis à présents, et presque ennuyés de n’avoir rien à faire. Il fallait reprendre un rythme de vie plus normal, et trouver quoi faire de ses dix doigts. Je fis un sourire compatissant à mon ami et lui tendis ma chope pour trinquer.

« Cet effort de guerre nous aura usé du début à la fin, et même maintenant, nous en ressentons encore les effets. Je ne peux malheureusement pas t’aider pour cela, quoique... » Je me grattai la barbe et me laissai aller contre le dossier de ma chaise. « Mon clan pourrait probablement profiter d’un réapprovisionnement de pioches et d’outils de minage. Après tout, notre matériel commence à dater. Je regarderai ça de retour à Kirgan. Si c’est bien le cas, ça devrait vous occuper quelque temps ! »

Je réfléchis ensuite à ma réponse à sa question. Depuis que la Main-Ferme s’était étendue à Kirgan, j’en avais eu, des choses à faire ! Entre les contrats de consultation, les négociations de partage de tunnels et de profits, et le déménagement, il n’y avait pas de quoi s’ennuyer. Tout prenait toutefois place tranquillement, et le rythme de croisière semblait à portée de main.

« Ma foi, ça se passe plutôt bien. Nous n’avons pas rencontré de problème dans les galeries, et les clans de mineurs de la capitale nous ont accueilli avec respect et bienveillance. La politique de partage de notre roi porte ses fruits, et c’est une bonne nouvelle. En quoi consistent mes journées, tu disais ? Je gratte beaucoup, beaucoup de papier, et je m’efforce à rester calme quand j’ai un Dawi trop têtu en face de moi. Je négocie, je traite, je résous des problèmes, et j’en crée parfois… Bref, comme tu peux l’imaginer, je n’ai pas le temps de m’ennuyer ! En plus de ça, mon fils prépare son départ pour Lante, il va rejoindre les fantassins lourds de l’armée, et j’ai un petit pincement au cœur à l’idée de ne pas le revoir avant longtemps. »

J’eus un soupir qui en disait long. Celui du parent qui devait s’efforcer à laisser sa progéniture aller de l’avant.

« Enfin, je ne vais pas t’ennuyer avec mes histoires de famille, j’imagine que tu as ton lot de problèmes de ton côté ! »