Clor d'Beannaighil zhah doerin

Panahos, sixième ennéade de Favrius, an dix-huitième : XI

A la surface, la voûte céleste devait encore être drapée de son manteau d'ébène, et illuminée de myriades de flammèches vacillantes. Il n'était pas encore l'heure... Sornmyr ne pouvait rien y faire, il ne parviendrait pas à se rendormir. Son Clor d'Beannaighil approchait, or chaque seconde paraissait s'écouler en une lancinante éternité, dans cette attente insomniaque...

Ayant quitté sa chambre, et écumant dorénavant les rues passantes, à la recherche d'une quelconque distraction, le tout fraîchement centenaire fulminait de se retrouver ainsi acculé par sa propre impuissance. Il ne savait réellement s'il appréhendait cette ultime cérémonie, ou si au contraire il crevait d'ainsi avoir à patienter...

A toute heure, la Cité d'Elda se voyait animée de badauds arpentant les allées et ruelles labyrinthiques du Puy, de roturiers et de forçats trimant à l'ouvrage, de processions vouées à quelque sombre culte et de patrouilles plus ou moins intenses, selon les quartiers, le tout formant un va-et-vient pérenne. Or, ce ne fut point en ce flot perpétuel que Sornmyr parvint à soulager ses tourments.

L'enveloppe de calme et de froideur du Lac fut, lui, d'un fort grand réconfort. Contre toute attente, ce fut immergé en ces eaux sombres que le ferrailleur se sentit au mieux, transi, grelottant jusqu'aux os, et le corps luttant pour évoluer. Depuis sa prime noyade, dans la jungle inhospitalière couvrant les flancs du volcan, il n'avait eu de cesse de s'entraîner, mensuellement, au point de ne plus trop étonner les passants, faisant occasionnellement partie du paysage. Pour autant, il n'avait éveillé aucun adepte, et si l'on tolérait ses baignades, les regards réprobateurs et les remarques cinglantes demeuraient monnaie courante.

Seules présences éthérées, nageant à bonne distance de l'Ilythiiri, quelques poissons, dénués de la moindre pigmentation, paressaient, trop rarement inquiétés pour se sentir menacés. Comme hors du monde, et bien que le corps contrit par la morsure glacée de l'onde noire, Sornmyr savourait cet échappatoire, moment privilégié, ou il pouvait se retrouver seul face à lui-même, brève accalmie dans la tempête qu'était son existence.

D'ors et déjà, flotter n'était plus un ennui, et pourtant cet exploit n'était survenu que tardivement, clouant l'elfe noir sur la rive du Lac des années durant... L'absence de professeur y fut pour beaucoup, avant que le l'Eldéen ne ravale sa fierté et ses aprioris, et n'interroge les esclaves. Après tout, s'il était toujours de ce monde, c'était bien grâce à une humaine, sachant pour sa part nager...

Les progrès furent alors notables, et nombreux. Quant à l'aptitude à se maintenir à la surface, comme pour la prise de réflexes de respiration, et enfin quant à la célérité du nageur. Or, les leçons furent de courte durée, et le mercenaire congédia la domestique sitôt les bases maîtrisées, refusant la bonne entente qui poignait entre les deux êtres.

Sornmyr ne pouvait s'accorder l'erreur de s'encanailler de la sorte. Pas après tant d'e sueur et de sang versés pour s'extraire de la bourbe de la Basse-Fausse. Encore si jeune, aux yeux de ses pairs, il ne pouvait se permettre une telle menace de discrédit.

Il était temps... Ressourcé, les idées plus claires, le ferrailleur, sortit des eaux, frigorifié, dans son plus simple appareil, et alla récupérer ses effets, dissimulés dans une fine crevasse. La Chambre d’Épreuve l'attendait...