La grande délégation naine

Premier jour de la quatrième ennéade de Verimios
XVIIIème année du cycle XI

Quelques ennéades étaient passées et le vieil archimage n'avait pas trainé. Il avait ébranlé la cité pour qu'elle ne s'engouffre pas dans le néant. C'était dans sa nature propre et profonde : une intense et puissante joie de vivre que Nakor voulait communicative voire contagieuse. Après un horrible combat et la guerre, la cité pouvait se refermer sur elle-même ou décider de s'en sortir. Avec l'aide de ses magiciens, de la sympathie que le peuple lui accordait et la bonne volonté de ce Royaume de nouveau uni derrière une même idée, une même bannière, une même envie, la cité se relevait doucement. Le travail avait été priorisé. Les malades étaient soignés et pris en charge, toutes les mains disponibles étaient mises à contribution. Les hommes et les femmes au champ, au nettoyage de la cité et à la pêche. La planification était gérée de main de maître par le Roi Régent et autour de lui son conseil doucement élargi à quelques représentants de confiances de la cité. Le chef des armées, en coulisse le maître de l'espionnage, le grand argentier choisi parmi les représentants de la chambre du commerce et évidemment, les magiciens de l'Aurore qui avait droit de conseil auprès du régent. Les sensibilités de chacun étaient pour le moment éteintes car après la guerre, chacun faisait confiance au vieux fou. Il fallait que cela dure le plus longtemps possible pour qu'ensuite, très doucement, les manœuvres politiques fassent leur œuvre et que chacun trouve sa place dans le nouveau Royaume de Naélis.

Un nouveau protagoniste entrait en scène aujourd'hui. L'aide promise par les nains étaient en route. Harald, grand roi sous la montagne avait nommé un ambassadeur du peuple nain et l'avait envoyé sur place avec un contingent dont Nakor ignorait réellement l'ampleur. Viendrait-il seul avec une petite délégation ou viendraient-ils déjà avec une armée de nains aptes à assurer que tout commence au plus vite si le tarif demandait était supportable par les finances à venir de la cité. Dans tous les cas ils viendraient au moins bâtir leur comptoir de commerce comme convenu. Le secrétaire humain de Nakor lui demanda une dernière fois

"Mais enfin Maître, êtes-vous bien certain qu'il convient de faire ainsi?
- Je vous l'ai déjà dit mille fois Jean, il y a deux possibilités : on reçoit ses visiteurs en prétendu position de domination de par son soi-disant rang social et on reste alors bien au chaud dans son palais assis sur son trône froid ou alors on vient à la rencontre de ses amis pour leur signifier à quel point nous sommes heureux de les recevoir.
- J'entends ... mais enfin ... vous êtes le Roi!
- Oui, un Roi qui ne va pas se jeter au cou de son visiteur mais qui va venir à sa rencontre. En plus je ne suis pas Roi mais Roi Régent et enfin, par-dessus tout, je suis Nakor. J'agis ainsi depuis plus de six cents ans et ce n'est pas maintenant que cela va changer. Je suis proche des gens et du peuple, c'est ainsi que je gouverne la cité et je n'ai pas envie de me cacher de cela Jean. Ai-je plus d'effets à démontrer aux nains qui viennent me trouver ou aux gens du Royaume?"

Cela cloua le bec de Jean qui n'avait pas pensé à ce que les habitants de la cité pourraient penser de Nakor. Il démontrait encore que le pouvoir ne lui été pas monté à la tête, qu'il régnait mais dans le but d'aider la cité, rien de plus. La barbe au vent et le chapeau bien mis, le sorcier avançait d'un pas tranquille vers l'entrée du port. Il avait demandé à ce que le chemin soit nettoyé, que les gens qui n'avaient rien à y faire soit envoyé ailleurs et que derrière lui, quelques personnages importants l’accompagnent. Ce fut le général en chef des armées qui pris la parole

"Majesté, le bateau n'est pas encore en vue, nous allons être à l'avance.
- Le ciel est clair, le soleil fait doucement son œuvre, nous profitons donc d'un beau moment, quel est le problème?
- Un Roi n'attend pas Majesté.
- Vous faites trop de fixation sur ... ho bonjour Adeline, quel plaisir, comment allez-vous? Ha très bien! Merci pour ce que vous faite ... oui vous vous fixez trop sur ce qu'il peut m'arriver. Faites-moi confiance. Un magicien n'est jamais en retard mon ami."

Et alors qu'il continuait sa route, Alfirin, son secrétaire elfe dit tout haut

" Voilà le navire nain à quelques encablures, comme prévu par le message reçu.
- Qu'était-je en train de dire hein?"

Et le temps qu'ils arrivent au port, chacun pu se mettre en place, proprement, bien droit et tenir son rang. Ce n'était pas qu'un seul navire qui arrivait mais plusieurs! Et au-devant de tous, le navire amiral de la délégation avec l'ambassadeur à son port. Le vieillard ne put retenir un petit rire

"Allez allez mes enfants, rentrez le ventre. Le dos bien droit! Là! Comme ça là!"

Et il continua de glousser ce qui eut l'effet de détendre un peu l'atmosphère. Le navire principal arrivait sur le port et les ordres étaient lancés par les marins nains. Nakor était là, au milieu du chemin, son conseil derrière lui en ligne et derrière encore quelques gardes. Son vieux bâton à la main, sa bague de régent au doigt, il attendait que s'approche l'ambassadeur nain et qu'ils fassent ensemble, route jusqu'au palais ou directement dans la cité pour visiter le futur chantier. Il savait que les nains étaient des gens directs, qui allaient droit au but et que les protocoles sans fins n'étaient pas leur politique préférée. Qui donc serait ce nain, quelle serait sa considération de la lointaine Naélis, ils le sauraient tous bientôt!

Le mois de Bàrkios avait été un mois des plus animés pour le peuple du Nord. Il y avait bien des années qu’une telle agitation n’avait plus été vue, partagée, ressentie, vécue. A dire vrai, même les fameuses reprises de la cité d’Almis ne mobilisèrent point autant de ressources, de guerriers, d’artisans et d’efforts combinés. Une telle mobilisation du royaume n’avait plus été vue depuis avant le Voile, l’Ire de Mogar.

Du conseil des couronnes qui s’était tenu au cœur de Kirgan, une grande, très grande décision fut prise : les nains viendraient en aide à Naélis. Harald, Grand-Roi du Zagazorn, avait consenti à envoyer tout un contingent d’artisans nains pour aider à la reconstruction de la cité et du royaume. En plus de cette main d’œuvre, des soldats seraient enviés pour protéger le contingent nain, des commerçants pour équiper et animer le comptoir commercial qui allait être construit, des architectes, des ingénieurs, des érudits et… Un ambassadeur : Ragnär Œil-Griffe.

Le vénérable Gromtrommi du clan Œil-Griffe était un nain que d’aucun qualifierait d’exception. Ingénieur qualifié, il avait participé à tous les enjeux de Thanor et du Zagazorn de ces dernières décennies. Il avait même travaillé avec le très talentueux Morek Tête-de-Fer sur le fameux projet des voies souterraines, l’Ungordrinin. Dawi fier et fort, son nom avait été recommandé à Harald lui-même, lequel eut tôt fait de le placer à la tête de toute cette opération. C’était là un immense honneur pour ce nain qui considère qu’une mission devait être menée à bien envers et contre – presque – tout. Voyager aussi loin satisfaisait également une curiosité permanente. Scientifique, la plupart du temps, cette curiosité demeurait aussi parfois tout à fait personnelle. Il n’en démontra rien, mais ce trajet avait été revigorant pour la vieille barbe.

A la tête d’une véritable flotte, Ragnär était le premier Nain du Zagazorn à poser le pied sur le sol Naélisien. Premier d’une cohorte d’environs 150 représentants du peuple du Nord, tous possédant un domaine d’expertise que leurs clans maitrisent depuis des siècles, parfois des cycles. Il y avait des bâtisseurs, pour reconstruire les murs, les demeures, les fortifications et les ponts ; des terrassiers pour les routes et les voies pavées ; des forgerons qui transformeront le fer et l’acier en autant d’outils que nécessaires ; des érudits et des runistes, des architectes et des ingénieurs, des commerçants et, évidemment, une ribambelle de brasseurs et de taverniers, car il fallait pouvoir nourrir tout ce beau monde !

Descendant d’un navire imposant, une cohorte le suivit bien vite. Ils étaient tous des membres de son conseil, son « état-major », comme on pourrait le penser. Un général en opération extérieure, un général à la tête de toute une armée, et un général… A besoin d’un état-major.

S’avançant face à ceux qui les attendaient, les torses bombés, les mines fières et hautes, Ragnär se démarqua de sa cohorte, prenant les devants, tel le chef qu’il était. Ses yeux durs réhaussés de sourcils broussailleux à la blancheur éclatante dévisageaient tous ces nouveaux visages qui s’offraient à lui. Il avait pensé à ce moment depuis 5 ennéades maintenant, et il était enfin en place. Il n’était plus seulement l’ancien de son clan, il était un Nain mandaté par la couronne, responsable d’un des plus grands enjeux du royaume. De mémoire de nains, jamais un Dawi n’avait été aussi loin dans le Sud, sur ordre royal.

Lorsqu’il se présenta, il frappa avec force sa poitrine droite de son avant-bras gauche, et il inclina légèrement sa tête. Point trop, car il était un nain, et il n’était point celui qui avait besoin d’aide, mais celui qui l’offrait. S’incliner plus bas aurait été honteux, d’une certaine manière. Il dévisagea une dernière fois toute l’assemblée, passant sa pogne gauche de sorte de passer l’entièreté de sa barbe au fil de ses doigts, puis, il prit la aprole :
« Baruk ! » Dit-il d’une voix forte et rauque, comme si, en guise de langue, c’était un roc qui se mouvait pour articuler. Son accent était horrible, les consones étant coupées au couteau, hachées, rendant parfois certains mots difficilement compréhensibles. « Je suis Ragnär Œil-Griffe, envoyé par le Grand-Roi Harald. Qui est en charge ici ? »

Il fallait se mettre au travail le plus rapidement possible.

Le défilé de navires était impressionnant : il devait y avoir au moins une centaine de nains qui arrivaient fraichement du Zagazorn. Harald émettait-il ainsi le signal que le nécessaire serait fait pour que le prix soit acceptable par les deux parties? Sans doute ! Un fier nain barbu et broussailleux sortit le premier du navire amiral et s'avança avec ses conseillers derrière lui. Il s'inclina assez légèrement et pour répondre à cette inclinaison en tant que seigneur régent, le vieux fou s'inclina un brin plus légèrement. Un mouvement presque imperceptible mais pas tendu. Le nain se présenta comme représentant du clan Oeil-Griffe mais semblait n'avoir aucune idée de qui était devant lui. Cela amusa intérieurement Nakor qui trouvait les nains, décidément absolument appréciables car directs. Il s'avança donc d'encore un pas et pris la parole

"Je suis celui en charge ici"

Puis, sans prévenir, le sorcier passa en langue naine qu'il maitrisait à la perfection dans un accent de Kirgan évidemment où il avait appris pendant des décennies au contact des nains

"Je me nomme Nakor, Roi Régent de Naélis et Ongrumthrong de l'ancien Grand-Roi Hardrek Poing-de-Fer. Je suis ravi de vous recevoir et au travers vous, je remercie Harald d'avoir tenu parole aussi rapidement. Cette délégation semble fournie plus que je ne l'imaginais mais c'est une bonne chose car ... et bien ... nous allons avoir du travail. Je vous propose de continuer à faire connaissance en se rendant directement au cœur du chantier qui vous attend."

Se tournant doucement il invita d'un geste clair, le nain à observer toute la cité et d'avancer à ses côtés.

"Comme vous pouvez le voir, nous avons fait place propre pour votre arrivée afin que vous puissiez déjà mieux voir la place que nous accordons au comptoir nain à construire. Nos hommes aideront à décharger vos cargaisons si le besoin s'en fait sentir. Mais là ne sera pas le cœur de votre chantier ... si tenté que nous trouvions un accord acceptable!"

Nakor fit, avec ses doigts un geste signifiant clairement qu'il parlait d'argent. Le vieux fou se mit alors à glousser avant de se mettre en marche

"La cité a été attaquée principalement par la porte nord. Les drows ont ensuite été au maximum guidés vers des zones de la ville qui avaient été préparés pour cela. Depuis la fin de la guerre, les gens de la cité aidés par mes magiciens et moi-même ont entrepris de nettoyer au plus la zone. Cependant nous avons dû quadriller la cité. Trop été à faire au départ alors que nous devions reloger nos gens. L'objectif a été de fournir de nouveau un toit et des murs au peuple dans un plan en deux étapes. Nettoyer une partie de la cité pour reloger rapidement. Reconstruire correctement tout le reste et quand cela sera terminé, transformer ces habitations rapides et massives en entrepôts ou casernes."

Nakor accompagnait son discours en langue dawi par beaucoup de mouvements de mains. Il était sorcier depuis tellement longtemps qu'il ne s'en rendait plus compte mais il aimait donner naissance à ses propos aussi par l'imaginaire et le mouvement du corps. Il englobait, striait, dessinait des lignes dans l'espaces devant lui.

"J'aimerai que l'architecture globale de la cité reste naélisienne. Votre savoir en fortification sera précieux mais sans le dénaturer pour autant afin d'y laisser son identité. Une identité nouvelle qui évoluera avec votre ouvrage mais je pense que vous comprenez l'idée. Ha, voilà quelques-uns de mes mages qui se sont attaqués à une autre partie en ruine de la ville."

Il y avait là des ouvriers qui s'étaient écartés et des mages de la terre qui tentaient de déplacer une importante masse de débris. L'objectif était de rendre le sol plat le plus possible avant de rebâtir les fondations. Le Roi Régent ouvrit donc grand les bras et se tut en espérant que le nain apprécierait le spectacle. Sauf qu'en lançant leur sortilège, les trois mages de la terre n'étaient pas assez coordonnés et l'un des mages, en se mouvant, manqua un pas et tomba au sol. Les deux autres poussèrent un cri pour alerter les ouvriers trop proches de cette énorme masse. Nakor avait déjà réagi et avait balancé son bras droit vers l'avant, main ouverte comme les serres d'un aigle. Une masse considérable d'énergie magique se projeta autour de la roche qui se trouvait en l'air et qui aurait écrasé des ouvriers s'il n'avait pas été là. La rapidité et la puissance d'un archimage était la seule capable d'intervenir ainsi. Le sorcier maintint la roche à deux mètres au-dessus du sol, son bras étant tendu comme lors d'un effort physique violent.

"Eloignez-vous donc de là pauvres fous!"

Les ouvriers réagirent enfin et le sorcier pu alors lâcher son pouvoir magique. La roche vint s'écraser au sol en faisant vibrer tous les environs accompagnée d'un nuage de poussière. Il émergea de là un Roi mécontent, qui hochait de la tête de la gauche vers la droite et vis-versa.

"Halalalala ... comme vous pouvez le voir Ragnär, ma vigilance doit être constante et mes gens dans leur ensemble, ont encore beaucoup à apprendre. Enfin ... finalement, n'avons-nous pas tous encore des choses à apprendre?"

Et il se mit à rire quelques secondes à gorge déployée avant d'aboyer sur les mages et les ouvriers en langue humaine.

"Retournez au travail crétins! Et faîtes un peu attention les uns aux autres ! Personne n'est infaillible, ne l'oubliez jamais ! Je ne serai pas toujours là."

Les hommes face au Roi Régent n'en menèrent pas large et se confondirent en excuses et en remerciements. Ce dernier agita sa main pour leur dire de partir maintenant. Il se tourna ensuite vers l'ambassadeur et lança comme si rien de tout cela ne venait de se produire

"Quel est votre premier avis sur la situation globale et que voudriez-vous voir exactement?"

Nakor savait accueillir ses visiteurs, cela, on ne pouvait pas lui enlever !

Les premières informations obtenues par Ragnär le surprirent plus qu’il ne voudrait réellement l’admettre. Mais un petit rictus trahissait sa surprise et sa curiosité piquée au vif : son visage se pencha légèrement sur le côté. Il se pencha encore plus lorsqu’il entendit le vieil humain parler un Khazalide parfait, et se présenter comme un ami de feu le Grand-Roi Hardrek. Tant de surprises… Le vieux nain devrait donc faire attention à ce qu’il dirait, et à ce que les autres pourraient dire. Il y a au moins une personne ici qui peut les comprendre.

Toutefois, le travail commença sans attendre, et par une visite de la cité. Ni une ni deux, Ragnär acquiesça aux propos de Nakor, et fit venir à ses côtés l’ensemble de ses conseillers. Par d’ingénieux systèmes, ils purent prendre toutes les notes possibles. Tenu par une lanière de cuir autour du coup, et par deux petits bipieds de bois se plaçant sur de petits renforts de fer placés spécifiquement sur leurs vêtements, les nains se déplaçaient avec une tablette portative sur laquelle il pouvait placer leurs vélins, et écrire toutes les informations qu’ils pouvaient sans jamais cesser de marcher.

Chacun avait un rôle à tenir. Les architectes croquaient l’architecture locale, les quartiers, et leurs utilités avant la guerre. Les ingénieurs prévoyaient déjà les contraintes liées aux terrains, aux destructions, ou aux améliorations. Les artisans commençaient à estimer les besoins en matières premières, en pierres de tailles et de constructions. Ragnar était le seul à avancer en tête, les mains dans le dos, le regard irisé.

L’épisode du sauvetage magique réalisé en deux temps même pas un seul mouvement provoqua quelques levées de sourcils. Les Nains n’étaient point étrangers à la magie, mais cette façon de l’exécuter était tout à fait nouvelle. La magie des nains se passait via les runes, la Scriberune, la Graverune ou la Scellerune – aussi appelée Forgerune. L’exprimer comme l’avait fait Nakor était donc tout à fait nouveau, et impressionnant. Il y avait des runistes aussi puissants que Nakor, en termes de panels de sorts, et de puissance de sort, comme Yggdar Frappe-Rune par exemple, un des nouveaux archirunistes du Zagazorn. Mais sa magie, il devait l’enfermer dans des runes qu’il forgeait au cœur d’un métal. Il ne pouvait point la manipuler aussi aisément que Nakor venait de le faire.

La question de l’archimage fit sortir Ragnär de sa torpeur curieuse et interrogative. Réfléchissant une seconde, il fit signe à l’Archimage d’attendre, et se retourna vers ses conseillers. Aussitôt, tel un ballet exécuté au millimètre près, tous se concentrèrent autour de lui, montrant les résultats de leurs croquis, de leurs calculs, de leurs statistiques. Un regard extérieur ne verrait qu’un fatras désorganisé, un conglomérat anarchique d’informations chaotiques. Mais le vieil Œil-Griffe, lui, avait le regard acéré et l’habitude du maître d’œuvre et chef d’orchestre.
« Qu’avons-nous mes amis ? » Demanda Ragnär, en Khazalide, conscient que tout ceci devait rester privé et uniquement ouvert à la connaissance linguistique du dirigeant de ces lieux.
« Les travaux de terrassements sont une bonne chose. » Commença l’ingénieur accompagné d’un thane d’un clan de terrassier, et d’un autre, d’un clan de bâtisseur. « Ces Umgis ont réussis à aplanir une grande partie des surfaces de chantiers. Nous devrons réaliser quelques relevés topographiques et géologiques, et géomorphologiques. Nous pourrons déterminer les matériaux des fondations, la profondeur de pelletage, et l’utilité des futurs quartiers. Je suggère également des relevés de même sorte dans les régions aux topographies différentes. Connaître les sols de cette région nous permettra de connaître leur histoire, et donc, d’anticiper leur futur. Et aussi, nous pourront connaître les mouvements telluriques et les prévenir, et construire en connaissance de cause. Nous aurons aussi besoin de connaître leurs architectures militaires. Pas seulement par curiosité : si nous reconstruisons, même en gardant l’identité architecturale des Naélisiens, nos ajouts risqueront de déstructurer les constructions préexistantes. Une nouvelle chaîne faite d’un vieux maillon sur deux ne sera pas aussi fiable qu’une chaîne faite à 100% de nouveaux matériaux. S’il faut faire du nouveau avec de l’ancien, il faut mettre l’ancien aux nouvelles normes. » Conclut l’ingénieur, avant de déposer sa plume sur son bureau portatif.
« Vous avez raison maître. Vos prérogatives doivent être notées. Il nous faut une liste des objectifs à satisfaire avant de commencer tout chantier. A qui le tour ? » Rajouta alors Ragnär, avant de refaire un tour de table.
« L’architecture locale est unique et très différente de la nôtre. Respecter leur identité sera faisable, mais nos artisans construisent selon nos dessins depuis des cycles. Il va falloir arrondir les angles maître Ambassadeur. Une réunion avec les maîtres architectes de cette contrée doit être notre priorité. » Précisa le conseiller architecte.
« Bien, j’en fais mon affaire personnelle. A toi mon ami. » Renchérit Ragnär donnant la parole à un autre membre du conseil.
« Le port est en bon état, les machineries sont d’une technologie adéquate, et la place ne manque pas. Nous pourrons convertir quelques bâtiments selon nos standards, et faire de ce lieu un comptoir commercial de qualité. Toutefois, nous avons observé un besoin d’amélioration de quelques technologies portuaires : surélever un navire trop lourd, bastingages de décharges, tourets de portage. Nos artisans forgerons auront du pain sur la planche. » Informa le conseiller responsable du futur comptoir commercial.[/b]
« Ce comptoir est une priorité, améliorez ce qui devra être améliorez, et innovez quand vous le pourrez. Je compte sur vous. » Il se retourna, et fit un pas en direction de Nakor qui avait dû trouver tout cela à la fois intéressant et cocasse. « Maître Nakor, j’ai tenu conseil avec mes conseillers. Les travaux vont être difficiles, et très conséquents. Votre identité sera préservée, mais vous savez sans aucun doute mieux que le commun de vos gens, que notre architecture et notre ingénierie surpasse celles des Umgis. Nous ne pourrons pas faire du neuf, et du mieux, avec de l’ancien et du dépassé. Votre architecture devra s’adapter, sans perdre son identité, bien-sûr. J’ai besoin d’une réunion avec vos maîtres architectes et bâtisseurs, ainsi qu’avec vos conseillers militaires. La reconstruction des murailles, ponts et forteresses nécessitera une mise en commun des informations. Mes conseillers veulent également réaliser des relevés géologiques et géomorphologiques, et des tracés topographiques de la ville, et de votre royaume, dans le but de comprendre le fonctionnement tellurique et construire de manière pérenne au travers des cycles. Est-ce que ces termes vous semblent correctes ? »

Ragnär avait suivi le roi régent avec agilité et curiosité. Il écoutait beaucoup, il regardait bien plus encore. Par nature, les nains étaient des bâtisseurs inlassables et un tel chantier devait leur donner autant de sueurs froides que d'envies. Il y avait beaucoup à faire avec des zones fragilisées et d'autres qui avaient été totalement épargnées. Marier les deux ne serait pas chose aisée cependant Naélis ne devait pas devenir un Kirgan de seconde main. Le vieux fou espérait donc que cette demande serait entendue parmi tout le reste. Le petit épisode de l'intervention magique ne fit pas spécialement trembler Nakor mais il put ensuite sortir l'ambassadeur dawi de son silence. Il y eut alors un balai surprenant pleins de petits nains qui semblaient, de loin, glousser et vibrer autour de leur chef. Ils parlaient vites, presque les uns sur les autres. Nakor qui se tenait un peu plus loin observait avec beaucoup d'intérêt, un léger sourire derrière sa barbe et décida de, tout de même, laisser les ingénieurs discuter entre eux sans espionner leurs propos. Il se retourna donc vers le chantier et lança quelques ordres. Il eut le temps d'attraper par le bras un jeune ouvrier tout transpirant mais avec un grand sourire sur les lèvres lui aussi.

"Et bien jeune homme, vous travaillez avec les muscles mais aussi avec le cœur ! C'est très bien.
- Ho oui Majesté, je suis heureux de voir que petit à petit, on nettoie la cité du passage des drows. Bientôt, ce lieu reviendra à la vie et ... comment dire ... ben ... je suis heureux de vous savoir ici avec nous."

Et le jeune homme ria un peu en se frottant l'arrière du crâne. L'archimage hocha la tête, les yeux grands ouverts

"C'est plutôt moi qui suis heureux de voir, au sein du peuple naélisien, des jeunes gens aussi formidables et qui travaillent pour le bien commun. Ho, Ragnär revient, je vous laisse.
- Merci Majesté".

Et le jeune gaillard retourna au travail alors que le nain présenta une situation nette du chantier à venir. Le Roi écouta avec une attention sincère et poussée les arguments de l'ambassadeur. Il se passait la main gauche le long de sa barbe, signe qu'il réfléchissait à chaque mot. Lorsque Ragnär termina, il y eu un silence de plusieurs secondes. Nakor respira longuement et pris la parole, en se tournant vers la mer qu'on voyait au loin puis vers la plaine par laquelle les drows avaient attaqué.

"Harald m'a fait parvenir des nains de grande valeur. Les relevés topographiques sont d'un intérêt auquel je n'avais même pas pensé. Je comprends leur nécessité oui. Vous avez carte blanche là-dessus. Je vais préparer aussi une réunion du conseil afin que vous puissiez discuter avec le général en chef des armées Naélisiennes. Il est le mieux placer pour répondre à vos questions. Enfin pour le dernier point, l'architecture globale pourra subir quelques nouveautés. Après tout, mon peuple vient de subir une attaque très lourde. Ils ne veulent donc pas forcément se raccrocher à un passé difficile et pleins de souvenirs trop frais. Il faut faire place nette. Je souhaiterai simplement que mes gens puissent retrouver dans leur futurs habitations un semblant de leur vie d'avant. Trop de nouveautés déstabiliseraient le moral du Royaume. Je note que vous avez saisi l'idée globale. Je compte donc sur vous, en échange, pour obtenir de vos scribes des plans précis de ce que cela pourrait donner. Il faut une vision d'ensemble et une vision d'avenir aux gens pour garder sur leurs visages, le sourire de ce jeune homme là-bas. Vous le voyez Ragnär? Il a le cœur gonflé de bonheur car il sait que ses efforts vous ramener la vie dans son plus simple appareil au cœur de la cité et donc au cœur des gens. Le chantier relève d'une importance capitale sur plusieurs points ... et je sais que ce n'est pas à un chef de clan nain que je vais apprendre cela."

Nakor planta un regard sincère dans celui de l'ambassadeur avant de sourire d'une oreille à l'autre. Les nains allaient contribuer à aider un autre peuple bien plus que simplement sur le plan de quelques briques et de murs. Ils allaient contribuer à ramener la vie, la joie, le bien-être au sein de Naélis. Une nouvelle alliance voyait lentement le jour et les nains, qui se réouvraient au monde, allaient ici créer un pont puissant avec le petit peuple de Naélis. Nakor lança une dernière remarque

"J'ai cependant cru comprendre que lorsque le travail commencera, les nains préfèreront travailler seuls? Souhaitez-vous finalement l'aide des humains ou répartiront nous les humains dans un quartier et les nains dans leur ensemble sur le reste du chantier?"

Nakor, en tant que jeune roi régent, s'intéressait aussi aux forces vives de la cité en elle-même. Il fallait que les Naélisiens participent à la reconstruction de leur ville sinon, tout le monde finirait par penser que la ville avait été vendu et été devenu naine.

Ragnär était satisfait. Le vieux Gromtrommi était taillé dans le roc le plus solide et le plus résistant des montagnes du Septentrion. Sa parole, au sein de son clan mais aussi en dehors, prévalait sur celle de bons nombres de Dawis. Mais le roc avait su se polir au fur et à mesure des années d’existence. Accueillant la connaissance, apprenant de ses expériences, il était – et c’était suffisamment dichotomique pour le noter ici – capable de se remettre en question, tout comme il était capable de camper sévèrement sur ses positions.

Lorsqu’il était tourné vers ses ouailles, l’ambassadeur et futur responsable du comptoir commercial du Zagazorn en Naélis, avait pu zyeuter le magnifique ballet qui se jouait à quelques pas de là. Il vouait les navires nains, battant pavillon du Zagazorn, se mettre en fil indienne, attendant d’obtenir une place pour décharger leurs précieuses cargaisons. Des nains descendaient par dizaines, troquant volontiers leurs épaisses fourrures pour des liquettes plus légères, face au temps chaud de cette partie du continent. Avec eux, ils déchargeaient tentures et chapiteaux, tables et pupitres, fourrures et vêtements, car ils étaient un peu plus de 150 Dawis à débarquer aujourd’hui. Plusieurs soldats avaient fait le chemin, des fantassins Lantais dont un peloton d’infanterie lourde. Protégés par d’épaisses armures de plates, des bottes au heaume, portant de larges et lourds boucliers derrière lesquels ils pouvaient se protéger, maniant de grandes haches d’armes, de lourds marteaux de guerres ou de longues épées naines, ils avaient pour rôle la protection de l’ambassadeur et des conseillers durant tout le temps des travaux.

Les outils ne tarderaient point à être également déchargés, tout comme les matériaux des forgerons et autres artisans. Les nains avaient ceci d’insupportable – pour le commun des autres races entendons-nous – qu’ils refusaient de travailler avec autre chose que leurs propres outils, leurs propres matériaux, selon leurs propres règles… Et sans distiller la moindre connaissance à qui que ce soit n’étant point un fier représentant du peuple des montagnes.

L’ambassadeur acquiesça donc face aux propos de Nakor. Il était satisfait, d’une certaine manière, de voir que le vieillard avait l’esprit encore vif. Le fait qu’il n’ait point besoin de négocier ces premiers termes du travail, et qu’il n’ait ni à répéter les informations, ni à s’expliquer pour être respecté, lui plaisait en tout point. Dans son esprit germa alors l’espoir du travail bien fait, et du travail respecté.
« L’identité architecturale de votre royaume sera préservée. Mais, si je puis illustrer mon propos, là où certaines de vos formes architecturales étaient frêles et petites, ou circulaire et ovales, les nouvelles seront résolument plus hautes, avec plus de côtés et d’arrêtes que de circonférence… Si vous voyez ce que je veux dire. Une architecture plus brute, avec moins de fioritures. Du moins, en l’extérieur ! L’intérieur des demeures, des palais, des coursives et des fortifications, restera à la discrétion de vos gens. Les mots du Groman-Rik ont été clairs à ce propos : Naélis doit demeurer Naélis.

Il acheva sa phrase par une légère inclinaison de la tête, et une légère rotation, signe de respect, mais d’un respect mêlé d’égalité. Il voulait toujours voir son vis-à-vis lorsqu’il fit ce geste, d’où la légère inclinaison sur le côté. La seconde question du Roi régent, vint le titiller un peu plus. Là aussi, les ordres – et les ordres tacites que partagent tous les nains sans pour autant les exprimer ni n’avoir à les marteler – étaient clairs : le savoir des nains ne devait appartenir qu’aux nains. Mais une autre indication avait été prise en compte par le souverain sous la montagne : à quoi bon faire de l’excellent travail, si les ouvriers Umgis ne se montraient point capable de l’entretenir, ou mieux, de l’utiliser ?
« Nous œuvreront ensemble, selon des protocoles que nous établirons. Les groupes d’études seront composés de nains et d’humains, car, jusqu’à preuve du contraire, ces terres sont les vôtres, et qui mieux qu’un natif pour décrire et orienter des recherches topographiques. Les études architecturales se feront également par l’association naine et humaine. Les chantiers grossiers, comme ceux de terrassement par exemple, se feront également de manière collective. Toutefois, la présence ouvrière humaine devra être diminuer dès lors qu’il s’agira d’œuvres précises, ou connus ou maîtrisés seulement des nains. Je pense notamment aux forteresses, au pont levis, et aux améliorations portuaires. Ces travaux-ci seront réalisés par les nains. Mais… Car il y avait un « mais », mais un « mais » constructif cette fois-ci et preuve d’une bonne fois véritable. « Nous assurerons personnellement la formation d’artisans humains, afin que ceux-ci puissent se montrer digne de l’entretien des chantiers et des œuvres, et de leur utilisation. A quoi bon bâtir de l’excellence, si personne ne peut la manœuvrer ensuite. » Ajouta un Ragnär à l’œil scintillant d’une intelligence vive et quelque peu maline, mais à l’intérêt sans cesse renouvelé à mesure qu’il réfléchissait à ce qui allait être réalisé ici. Ses yeux s’écarquillèrent soudain, et son index droit se leva, toisant les cieux, comme s’il s’agissait à lui seul d’un sceptre de Roi, d’une preuve d’autorité. « Nous allons devoir nous établir au centre du chantier. Nous avons ce qu’il faut : tentures, chapiteaux, nous pourront sécuriser et établir des quartiers généraux très confortables. Nous allons également quadriller la cité, et votre royaume, en le morcelant en parcelles en forme de quadrilatères. Pour la cité, des « carrés » seront découpés de sorte qu’un quadrilatère fasse exactement dix toises par dix toises. Pour le reste du royaume, cette échelle passera à cent toises par cent toises, car nous n’auront pas besoin d’une précision au dixième. Aussi, une cartographie à l’échelle au dixième sera réalisée, ainsi que des maquettes. Là encore, nous auront besoin de vos érudits et de vos architectes. Et, bien-sûr, ces maquettes et ces plans seront consultables par vos soins, et vos gens, en tout temps et en toute heure. Je pense sans me tromper que cette phase d’étude, de cartographie, d’échantillonnage et de planification au fusain et au vélin, nous demandera un mois entier. C’est long, j’en conviens, mais nous pourront alors établir nos besoins de la manière la plus précise possible, que ceux-ci soient en matières premières, en consommable, en métaux, ou même en renfort. Et, bien-sûr, la tarification n’en sera que plus précise. Êtes-vous toujours d’accord avec ceci maître Nakor ? »

Nakor avait déjà saisi, avant même le début des explications de Ragnär, ce que les nains entendaient par modifications légères mais nécessaires. Il voyait mal le roi Harald implanter par l'intermédiaire de ses nains, des éléments architecturaux spécifiquement dawis aussi loin dans le sud. Kirgan sortait lentement de son exil auto-instauré après le désastre du Voile, ce n'était donc pas pour répandre partout sur Miradelphia les secrets nains. Il était largement trop tôt pour cela. Il fallait cependant que le peuple de Naélis entende de la bouche du roi actuel, aussi régent soit-il, qu'il défendait la propriété même de sa cité. Il y avait pleins d'autres raisons que Nakor avait déjà évoqué. Ainsi, il ne fit qu'hocher la tête à plusieurs reprises pendant que Ragnär développait ses idées de modifications.

"Tout cela me semble être en parfait accord avec ce que chacun de nos deux peuples attend."

Et il s'inclina aussi, sa longue barbe s'approchant dangereusement du sol mais sans jamais le toucher évidemment. C'est lorsqu'ils parlèrent du déroulement du chantier dans son ensemble que le vieillard ouvrit grands les yeux avant de sourire d'une oreille à l'autre lorsque certains propos furent tenus. L'archimage se saisit donc du petit moment de silence de l'ambassadeur nain, après qu'il ait parlé de formation, pour glisser, en gloussant presque de plaisir amusé

"Ainsi, à force de le marteler dans le monde depuis plus de six cent ans, mes idées finiraient-elles enfin par être entendues?"

Et il continua de rire doucement. Cette réponse pourrait sembler énigmatique pour Ragnär, mais Nakor avait passé presque chaque jour de sa très longue vie, six cent trente-huit ans, à diffuser l'union et le partage entre les peuples. Il espérait que chacun puisse trouver la force de dépasser son origine propre et qu'il puisse voir les qualités qui se trouvent au sein des autres. Il y avait de nombreuses mauvaises personnes et ce, dans chaque peuple, mais il y avait aussi beaucoup de bonnes personnes, méritantes au cœur des différentes régions de ce vaste monde. Qu'ici, en ce jour, les nains finissent d'eux-mêmes par inviter les humains à apprendre quelques petites choses sur leur technologie, c'était phénoménal. Cela redonnait assez d'énergie au vieux magicien pour au moins un millénaire ! Le nain avait poursuivi ses explications et il eut le droit, à la fin de son discours, à une fantastique bourrade. Nakor envoya sa main gauche sur l'épaule droite de Ragnär comme le ferait un ami avec un autre. Le Roi Régent passait souvent pour une vieille momie décrépie mais en réalité, la force du choc devrait même étonner un roc comme l'ambassadeur nain. D'aucun racontait que lorsque Nakor frappait de plein nerf sa lourde table en bois massif, cette dernière fléchissait et menaçait de craquer. Cette force était-elle magique? Personne ne le savait mais cela étonnait toujours. Au moment même où la main du seigneur de Naélis frappa l'épaule de son nouvel ami, il lança

"Mon cher ami ! Bien sûr que je suis d'accord. Vous ne pouvez pas démontrer meilleure maitrise de votre art qu'en me tenant ces propos. J'y ai réfléchis longuement avant que vos navires n'approchent de la cité. Nous avons nombres d'érudits au sein du Royaume, nous avons des cartes précises des environs qui pourraient vous servir. Cependant ... au travers des cartes, vous ne connaîtriez pas la ville ni la région correctement. Je pense que votre peuple a particulièrement besoin d'être au contact direct des choses. Il est donc préférable que vous étudiez et dressez vous-mêmes vos propres plans. Je convoquerai évidemment nos cartographes royaux et les maitres architectes du palais. Ils sont à la pointe de nos techniques de constructions et devraient donc pouvoir vous suivre et vous comprendre."

Et puis soudain, comme lui-même intrigué, Nakor fronça les sourcils et se fit silencieux. Il prit le temps de réfléchir quelques instants avant de dire

"Nous avions prévu de vous recevoir dans une aile spécifique du palais. Il y a une chambre confortable pour vous et vos conseillers les plus proches. Je peux cependant comprendre que vous souhaitiez être au plus proche de vos gens. Vous avez donc toute liberté pour vous installer dans la cité. Si vous souhaitez être logé au palais, vous pouvez aussi me le faire savoir. De notre côté, nous ferons au mieux pour vous fournir de quoi vous nourrir et boire ... afin de compenser un peu la tarification due."

Et le vieux roi régent se mit à rire ouvertement et avec légèreté. Effectivement, il n'avait pas forcément été prévu de financer aussi un mois de présence d'une aussi grande quantité de petits nains avant que les travaux ne démarrent. Et un nain pouvait consommer des quantités impressionnantes de vivres en peu de temps. Il fallait donc ménager autant la chèvre que le chou. Le grand argentier avait le front rempli de sueur depuis l'arrivée des nains et pensait en revu, dans sa tête, des chiffres qui tournaient en rond. Nakor laissait cela de côté pour le moment.

Les sourcils broussailleux couleur de neige du vénérable ancien se froncèrent soudainement et avec force lorsque les propos du magicien se firent curieux. Que martelait-il depuis si longtemps ? Comment se pouvait-il qu’un être humain, un simple Umgi puisse vivre si longtemps, plus longtemps que le plus vieux des nains ayant vécu au travers des cycles ?

Toutefois ces sourcils se réhaussèrent à mesure que le vieux thaumaturge distillait des informations qui intéressaient au plus haut point le vénérable ancien. Ainsi donc, le souverain Régent de ces terres proposait sans détour ni négociation aucune, que les nains fassent eux-mêmes le tour des terres au complet, afin de faire leurs relevés, leurs mesures, leurs estimations et leurs plans à eux, selon leurs langages et leurs termes. Cela nécessiterait donc sans aucun doute un troisième niveau d’estimation, plus large encore que celui de dix toises et celui de cent toises.
« Très bien ! Vous avez raison, nous devons voir de nos yeux ce que nous avons à connaître. Nous devrons donc réaliser un troisième niveau de cartographie aux dimensions de 1000 toises, afin de pouvoir obtenir trois plans de précisions. Ce sera chose plus aisée. »

L’aspect financier de l’intervention Naine arracha un sourire en coin au vieil ingénieur. Alors, qu’importe la race, qu’importe le royaume, qu’importe la ruine ou la destruction, l’opulence ou la richesse, tout tourne autour du tintement de ces piécettes d’or et d’argent que l’on s’échange à grands renforts de négociations. Le fait qu’aujourd’hui l’histoire s’écrive en lettres de runes, n’y changerait en réalité pas grand-chose. Le Royaume du Zagazorn intervient jusqu’aussi loin dans le Sud, non point pas bienveillance, ou par altruisme, mais par intérêt. L’intérêt de voir cette terre Humaine, détruite par l’Engeance Drow, et toujours menacée par elle, devenir un bouclier pour le lointain Zagazorn, et pour la très proche Anaëh, qu’une entente cordiale et de confiance lie depuis peu – entre les Nains et les Elfes. L’intérêt aussi d’avoir des yeux et des oreilles en cette partie du continent qui, malgré elle, se trouve au cœur d’un jeu à l’échiquier bien plus grand que d’aucun en saurait croire, et autrement plus complexe encore. Et plus sanglant, aussi.

L’intérêt aussi de placer Naélis dans une dette envers le Zagazorn. Point une dette ayant pour but d’assujettir cette terre, non. Les nains du Nord sont en tout points différents de ceux d’Ithri’Vaan, ce genre de jeux de pouvoirs n’intéressant point le Grand-Roi Harald. Mais posséder une pogne forte et ferme sur cette partie du monde, suffisamment pour éviter de voir ladite partie, ledit royaume de Naélis, partir dans une direction préjudiciable, voilà qui est tout à fait agréable pour le Grand Nord. Par le biais de cette dette, les Nains pourront avoir un levier de poids si, un jour, les Naélisiens devaient basculer dans le mauvais camp, ou tenter quoi que ce soit contre les Nains et les Elfes.
« Je logerais avec mes conseillers, dans le chapiteaux que nous ne tarderons point à monter. Il est important pour nous les nains de demeurer égaux, et de mériter nos places. Toutefois, afin de garantir la sécurité de nos travaux, et leur sauvegarde, une salle de votre palais ne serait point de trop. Ainsi à l’abri des intempéries, et des regards inquisiteurs, nous pourront avancer en sécurité. Et ne vous inquiétez point pour la tarification de tout cela ! Notre prix sera juste. Et si nous travaillons bien, peut-être qu’au lieu d’un mois complet, nous n’aurons besoin que de 7 ennéades ! Mais nous devrons nous mettre au travail dès demain sans faute ! »

Le Roi Régent de Naélis acquiesça puisqu'il était forcément d'accord avec Ragnär, ce dernier étant lui-même d'accord avec Nakor ! Il fallait que les nains aient une connaissance réelle et totale du terrain avant de pouvoir penser définitivement le projet dans son ensemble. Ils parlèrent enfin de logement et de condition de vie. Le vieux sorcier avança de nouveau vers ses conseillers tout en invitant le nain à le suivre. Il lâcha une dernière phrase en langue naine

"Je vais repasser en langue commune pour donner définitivement les ordres à mes conseillers. Il ne faudra pas trop m'en vouloir si jamais je ne suis pas présent sur le chantier ou lorsque vous aurez besoin de moi. Tant que je le peux, je viendrai aider au terrassement et à la fin du déblaiement des zones en ruine. Ma présence inspire les jeunes sorciers et plait au peuple. Cependant il y a énormément à faire pour gérer une cité, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Il m'arrive donc de laisser le pouvoir de décision au Conseil de régence. Ils vous répondront du mieux qu'ils peuvent si vous avez des questions et que je suis absent. Je finirai bien par revenir, ne vous en faites pas !"

Et Nakor gloussa avant de rejoindre la petite troupe de conseillers tant humains que nains qui attendaient la fin de la discussion entre l'ambassadeur et le roi régent. L'archimage leva les deux bras en reprenant en langue commune

"Haaa mes chers amis! Vous êtes toujours là, c'est très bien!"

Où diantre voulait-il qu'ils soient allés?

"Voilà mes consignes : les nains préfèrent loger directement au cœur du chantier. Ils seront autonomes sur leur gestion en propre et de notre côté nous œuvrerons au mieux pour leur apporter de quoi manger et boire. En quantité raisonnable, n'ayez crainte Grand Argentier. Les salles prévues pour leur accueil au palais seront utilisées de temps à autres selon les conditions et les besoins. Général, vous allez guider son excellence l'ambassadeur Ragnär jusqu'au palais pour lui faire visiter les salles réquisitionnées puis vous convoquerez les architectes et le cartographe royal. Jean, Alfirin, je compte sur vous deux pour vous assurer que l'installation des nains dans le port et dans la ville se passera sans encombre. Je dois filer à la Tour Ombreuse pour régler quelques questions que j'ai laissé trop longtemps de côté."

Puis, se tournant vers le petit messager Ernest, que la ville appelait Ernest aux pieds venteux pour sa vitesse de déplacement

"Quand à vous, Ernest, vous allez me chercher dans cette satanée cité notre Maître bâtisseur. Il devra rencontrer les nains pour décider, avec eux, de qui est digne de recevoir des informations de leur part sur les futures installations!"

Revenant vers tout le monde, il donna un grand coup de bâton sur le sol en déclamant

"Ordre du Roi Régent! Exécution!"

Et tout ce petit monde se mit en branle dans un mouvement d'ensemble, autant paniqué que maîtrisé pour que l'accueil des nains soit une réussite et que le chantier devienne sous peu, une réalité.

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