[Chateau des Prademonts] - solde en souffrance | Solange

Deuxième jour de Karfias de l'an 19 du XIe cycle.
Une heure du matin,
quartiers de dame Solange D'Escault.

Dans le doux velours de la nuit, les gardes du comte et de la comtesse d'Odélian font leur ronde, calme, dans les corridors chichement éclairés par les flambeaux. Il y a bien le chien, dans la cours, qui se met à aboyer sans raison, le chat, dans le corridor, qui se met à feuler, le dos rond, avant de détaler, toutes griffes sorties.

Dans un recoin obscur du palier, les ombres s'épaississent un moment, prenant la forme d'une silhouette de genre indéfini, avant de reprendre sa consistance usuelle. Pendant un moment, il ne se passe rien, avant que les ombres ne glissent sous la porte de la dame de ces lieux. Elles serpentent au sol, faisant le tour de la pièce pour s'assurer qu'ils sont seuls, avant de d'amasser dans un coin et de reprendre forme humaine. L'inconnu non identifié s'assied dans le coin de la pièce, regardant un instant la Châtelaine se débattre avec ses mauvais rêves.

Dame Solange d'Escault... Réveillez-vous. Je demande audience.

Depuis sa prise de fonction en tant que comtesse d'Odélian, Solange n'avait pas profité de la vie.

Bien sûr, elle aimait les belles toilettes, et c'était même devenue une obligation pour elle de toujours sembler bien mise ; mais elle ne prenait plus plaisir à la vie. Le péché lui semblait insupportable. A tel point que son sommeil devenait difficile, que ses nuits étaient désormais agitées, emplies d'une angoisse sourde, latente, comme la honte et l'horreur qui rampait dans les recoins de son cœur.
Avait-elle participé à tout cela ? Que non point ... mais elle avait assisté de loin, sans rien faire, sans trop s'y opposer.

En son âme, la noble se sentait responsable, et désormais, des cauchemars hantaient ses rêves. Parfois, elle ne trouvait pas le sommeil, et devait même boire des mixtures au goût infâme pour obtenir l'oubli bienheureux d'une inconscience profonde.

Évidemment, elle ne pouvait l'accepter souvent, et cette nuit n'y faisait guère exception. Ainsi, Solange s'était retournée durant plusieurs heures dans sa couche de soie et de dentelle, s'était levée à plusieurs reprises pour contempler la lune et les jardins depuis sa fenêtre. Elle avait caressé du regard le magnifique dais bleu aux armoireries d'Odélian, qui surplombait son lit et en luxueuse courtine, puis s'était agenouillée durant un long moment au pied de l'autel dédié à la Damedieu qu'elle avait fait dresser pour ses prières du soir.

Puis, enfin apaisée, elle s'était finalement endormie.

Ses mauvais songes ne l'avaient pas en paix, et quand une voix masculine, qui n'appartenait pas à son mari, s'était élevée dans la pièce, l'éveillant avec brusquerie, elle avait cru tout d'abord qu'il ne s'agissait que d'une suite à son cauchemar. Ainsi, elle avait cherché l'intrus du regard, et finalement, ses yeux bleus s'étaient posés sur ceux de l'inconnu tranquillement assis sur un fauteuil.

- "Qui êtes-vous...?"

Elle s'était levée. Ses longs cheveux noir tressés caressant le milieu de ses reins, elle flottait dans une longue chemise de nuit de batiste blanche, brodée à son chiffre et au blason de son comté.
D'instinct, elle passa une chemise de nuit bleue, s'approcha de l'homme en noir, sans montrer beaucoup de peur. N'étais-ce pas un rêve ? Comment étais-ce possible qu'un étranger se soit glissé dans sa chambre, sans alerter les gardes qui gardaient ses portes ?

- "Vous me demandez audience ? Comment est-ce possible que les gardes vous aient laissé passer ?"

Très calmement, sans énergie, sans émotion, elle s'installa à côté d'un petit guéridon où étaient déposées des fleurs campagnardes, qu'elle affectionnait particulièrement.

- "Je vous écoute."

Quel étrange cauchemar ! Au moins ne dormait-elle pas sur un lit de têtes coupées, et ne buvait-elle pas une rivière de sang. Elle essaya d'étirer un triste sourire, digne mais mélancolique, et elle leva, dans sa direction, des yeux curieux.

Le sursaut de la dame n'amène, chez l'étrange visiteur, qu'une immobilité absolue. Bien à l'abrit dans ses ténèbres, seuls deux disques d'argent brillent brièvement sous la lumière chiche du feu mourant. Elle le cherche et le trouve. Elle a du cran aussi, réfléchit l'intrus. La dame d'Escault ne se laisse pas effrayer facilement.

- "Qui êtes-vous...?"
-Quelqu'un qui cherche la rédemption tout comme vous.

Parce que nous savons qui fait observer le couple d'Odélian de loin. Elle a loin d'avoir la conscience tranquille la comtesse. Les potions qu'elle commande pour s'assurer un semblant de sommeil réparateur est un indice flagrant. Et quand elle se lève, la lumière jouant à contre jour dans la fine chemise de baptiste
révèle un corp jeune et ferme alléchant. Bon, elle n'a pas la blondeur ni la délicatesse de dame son épouse, mais ce jeune corp n'est pas vilain du tout à regarder. La grossesse ne paraissant qu'à peine de ce qu'il peut entrevoir.

Charles de Prademont est un fou doublé d'un sot. Pense t'il en détournant le regard en gentilhomme le temps qu'elle passe une chemise de nuit bleue en s'approchant de lui. En réponse, les ombres s'épaississent dans le coin où il est assis, dérobant l'identité de l'homme à son regard. Non, elle n'a pas peur... Elle a l'air hésitante aussi, ce qui est normal.

- "Vous me demandez audience ? Comment est-ce possible que les gardes vous aient laissé passer ?"

La voix qu'elle entend est mature, s'exprimant avec un accent noble tout ce qu'il y a de Péninsulaire. Sudiste peut-être?

-Les gardes ne peuvent pas empêcher une Ombre d'aller où elle veut. Les gardes n'ont pas pu empêcher le trépas du Comte Gaubert... Vous le savez bien.

Elle pense qu'elle rêve, se rend t'il compte soudainement pendant qu'elle se meut avec une grâce lasse pour se poser près d'un guéridon. Peut-être a t'elle ingurgité une de ses potions?

- "Je vous écoute."

-Je ne suis qu'un homme madame, un homme mauvais qui désire la rédemption. Impliqué dans un fort malencontreux complot, tout comme vous. Un complot machiavélique englobant beaucoup d'innocents. Tout est lié comtesse

Il marque une pause, attend d'être certain d'avoir toute son attention.

La jeune femme porta une main délicate à sa tempe pâle.

Elle avait mal à la tête. Elle se sentait assoiffée. Brusquement, elle frissonna sous un courant d'air, ferma les yeux quelques secondes, attentive aux propos de son interlocuteur malgré tout.

Se pouvait-elle qu'elle ne dorme pas ? Que ce ne soit pas un cauchemar, qu'enfin, une porte de sortie lui soit offerte, par un des instigateurs mêmes qui avaient servi son époux ? Bien loin de soupçonner qui avait pu faire office de mercenaires, elle le dévisagea avec plus de timidité, se força à respirer calmement. S'il avait voulu la tuer, il l'aurait déjà fait - et ne cherchait-il pas la rédemption, tout comme elle ?

- "Certains complots ont de terribles conséquences. Des femmes, des enfants... de parfaits innocents ont péri. Comment... comment pensez-vous... atteindre la rédemption...?"

Elle était aussi une meurtrière, coupable d'avoir laissé faire son mari, de ne pas couru voir le roi, lorsqu'elle avait compris la vérité. C'était trop tard, alors : déjà, le procès avait lieu, et sa grossesse altérait son jugement. Elle s'était juré de se racheter auprès de la Damedieu, de venir en aide aux pauvres, de faire régner la justice et la paix dans le comté ; mais sa maladie, sur lesquels les médecins étaient unanimes, l'empêchait même de voyager.

Elle savait également que son époux la faisait surveiller : sinon, pourquoi les lettres qui lui parvenaient de son père étaient-elles décachetées ?

- "Faites attention, mon époux me surveille, ainsi que ma correspondance. Bien qu'il soit presque chaque nuit avec ses maitresses, je sais qu'il pense... aux conditions qui l'ont amené ici. Sans preuves, sans témoignages... je ne peux que prier pour les victimes qui parsèment... ce château. Comment désormais protéger ma famille... Mon père, ma mère, ainsi que ma fille ? Comment les protéger du déshonneur et de la honte ? Du scandale ?"

La noble regarda le feu avec des yeux hantés de chagrin et de désespoir. Elle ne pouvait mettre un terme à sa vie, car cela ne résoudrait en rien le problème vis-à-vis de son enfant. La Damedieu ne se vengerait-elle pas sur la pauvre petite Elisabeth ? Dans son trouble, elle en oubliait les commandements des Dieux ; et elle secoua très doucement sa tête fine et un peu amaigrie.

- "Chacun en ce monde.. doit faire de son mieux, pour protéger les autres. Bien que je sois femme, et que mon pouvoir est limité, je peux soulager les misères d'Odélian. Une mère ne peut oublier son enfant, aussi, je ne peux oublier ceux dont je peux soulager la misère, bien que je n'ai su empêcher le malheur de s'abattre sur cette famille."

Je peux vous aider et par là même gagner ma rédemption auprès de mes victimes peut-être. J'ai la réponse à vos questions. Parce que je suis L'Ombre. C'est moi qui a assassiné Gaubert je ne le vous cacherai pas. J'ai signé un contrat verbal avec votre époux, je ne le cacherai pas non plus. Le sergent est aussi de mèche avec votre mari. N'a t'il pas eu une promotion fort à propos malgré sa performance discutable lors de l'assassinat? Cet homme sait qui je suis. Il m'a vu de ses yeux. Il m'a ouvert le caveau de Sieur Gaubert. Je lui fais peur, certe, mais moins que les desseins de votre époux manifestement. Parce qu'il m'a invoqué de nouveau... Juste après que les demoiselles De Termers n'aient embarquées pour Thaar. Il m'a donné une confession signée de sa main... Que je devais vous remettre en main propre s'il ne me donnait pas de nouvelle sous une date précise. Je l'ai déposée sur le manteau de cheminée. Avec une autre que j'ai interceptée sur le chemin. Des bandits ont opportunément occis le messager semblerait t'il. Je ne l'ai pas ouverte. J'ai juste présumé que selon l'expéditeur, ca devait avoir avec ce qui nous préoccupe. Tout ca amène une réflexion intéressante aussi sur la quantité de correspondance qui a servie à incriminer sa famille. Est ce que les comtes Odélians sont enterrés avec leur chevalière? Si non, où est celle du défunt?

La confession complète, authentique, résume le complot concernant le trépas de Gaubert et les prémices d'un complot visant à faire discréditer le Chevalier de Magnus de Terresang, Claude Arun Corvac et l'élaboration de faux papiers sur le sujet, le liant par écrit à Charles qui pourrait alors l'obliger à rendre les jeunes nobles. Le tout daté d'un mois à peine après le méfait.

Elle aura beau jeu de faire mander le capitaine. Il est pendu chez lui à une corde en cet instant, une lettre de suicide incriminant à demi mot des "forces supérieures corrompues " sur le bureau. Demandant pardon pour le mal qu'il a fait à son suzerain légitime et sa lignée.

Jointe, il y a une autre lettre, fripée, usée, à l'encre bavante légèrement, au sceau des De Termer encore scellée. enjoignant l'officier de la justice Royale d'intercéder en sa faveur pour lui rendre ses filles et s'outrer de cet étranger envoyé pour enquêter sur des faits imaginaires, une lettre tout ce qu'il y a de plus crédible. Il y a aussi une pièce. Sur son côté pile, une fiole de poison. Sur son côté face, un lys noir. D'acier, pas plus grande qu'un souverain.

Je n'ai pas avisé monsieur Corvac de la menace qui pèse sur lui, il reste un étranger qui ne comprend rien aux jeux de pouvoirs Péninsulaire et je m'en voudrais de l'envoyer à l'échafaud en voulant bien faire. . J'ai réussi à me faufiler cette nuit à la grâce de la Damedieu pour réparer mes torts, mais je ne pense pas pouvoir réitérer l'exploit Non pas par manque de talent, mais plutôt par manque d'envie mais ca, il ne le lui dit pas. Je vous laisse ma pièce en faveur. Au cas où vous auriez besoin de mes services.

Marquant une pause, il la laisse digérer les informations.

La confession, la révélation l'estomaque.

Figée, comme paralysée, la comtesse d'Odélian digéra les informations dans la semi-pénombre qui noyait sa chambre dans un jeu de lumière rougeoyante, bordée d'ombres mouvantes, inquiétantes.

Finalement, elle se redressa, serrant les bords de sa robe de chambre avec fébrilité.

Heureusement qu'elle n'avait parlé qu'à ce Dante, et pas à un assassin...
Jamais elle n'aurait pu exposer ses chères orphelines à un homme de mauvaise vie. A un criminel.

Elle émit un profond soupir, essaya d'esquisser un douloureux sourire, sur le point de s'évanouir, le coeur au bord des lèvres. Le capitaine de la garde avait également trempé dans cette affaire...
Le doute n'était plus permis. Trop de gens semblaient au courant ; trop de péchés avaient été commis. Peut-être le Roy lui octroierait-il le divorce, si elle dénonçait son époux ? Sauverait-elle l'honneur de sa fille, l'honneur de la ville d'Escault ?

La jeune femme se força à respirer paisible, porta une main gracieuse, mais également nerveuse, sur le petit guéridon près duquel elle était accoté.

- "Vos remords sont tout à votre honneur, bien que vous exerciez un fort vilain métier. Malgré cela, votre âme n'est pas si noire, et je suis certaine que la Damedieu vous accordera sa miséricorde. Je... je vais porter alors ces preuves au Roi, et il décidera de mon sort, ainsi que celui de mon époux. Cependant, je ne peux pas voyager avec ces papiers en ma possession. Faites-les porter à l'orphelinat Prademont, sous pli cacheté. Cela y sera en sécurité le temps que je fasse le voyage. Je comptais... m'absenter du château pour prendre l'air du sud, avant de remonter sur Diantra pour offrir mes hommages à Sa Majesté."

Solange s'arrêta de parler quelques instants. Tourneboulée et faible, elle se rassit sur le premier fauteuil qui croisa sa route, essoufflée. Mais reprit la parole d'un ton déterminé.

- "Je convoquerai le Capitaine à la première heure demain matin, et je l'obligerai à se confesser. Quant à la chevalière du Comte Gaubert, elle doit se trouver dans sa tombe. ...Avez-vous.. des preuves, en ce qui concerne la parenté du défunt Comte ? Qui a été leur assassin ...?"

Tant de questions, tant de terribles réponses. Mais elle devait aller jusqu'au bout désormais. Pour le bien de son âme, et pour le bien de son Elisabeth, qui ne devrait pas devenir la fille de criminels notoires.

- "Je vous remercie de .. me donner votre pièce, mais je n'en ai pas besoin. Je vous remercie... de votre grande gentillesse, et d'être venu... porter tout ceci à mon intention. Pour vous récompenser..."

A nouveau, la noble se redressa. Flageolante, elle se dirigea à petits pas en direction de sa cassette d'ivoire, déposée sur sa coiffeuse. Elle l'ouvrit avec une petite clé d'or qu'elle saisit dans un tiroir, et en tira une bague superbe, d'or blanc serti de petits rubis, eux-mêmes enchâssés dans des petites fleurs d'or jaune.

Une œuvre d'art à laquelle elle était très attachée ; mais elle était déterminée à offrir un nouvel avenir à son interlocuteur. Elle vint la lui apporter, déposant le précieux bijou dans sa paume virile.

- "Voici pour vos services, monsieur. Avec ceci, vous pourrez commencer une nouvelle vie, honnête et droite. Promettez-le moi, et faites l'aumône aux Temples de la damedieu et aux pauvres, dès que vous en aurez l'occasion."

Je peux faire mieux que cela, ma dame.

Répond l'homme en se levant. Etrangement, Solange peut s'apercevoir qu'il n'est pas plus grand qu'elle. les ténèbres à ses pieds dansent lentement tandis qu'elles le recouvrent d'un manteau pudique. Il n'a pas de cape, peut elle aussi se rendre compte. Il se fie sur sa magie pour dissimuler son identité. Et il n'est pas jeune jeune, c'est un fait. Il se meut quand même avec une discrétion et une souplesse surprenante, évitant la clartée directe des flammes pour reprendre les plis. Mais il laisse la pièce.

Je vais vous faire une cassette... Avec la preuve que c'est moi qui ait tué le comte Gaubert et ses enfants. Vous aurez mes aveux écrits et la preuve que je suis bien l'assassin. Avec ce que vous devriez trouver dans ses papiers, vous aurez tout loisir d'établir sa culpabilité. Je vous garderai le tout en sureté. Gardez la pièce. Elle pourra vous être utile si vous avez besoin d'assistance ou si vous voulez mettre les autres preuves à l'abrit. Vous n'aurez qu'à envoyer un homme de confiance à l'adresse que je vous laisse. Mémorisez là et brûlez le papier ensuite je vous prie.

Il revient, toujours dans les ombres, vers Solange. Des volûtes l'entourant, une main gantée de gris émerge et prend la bague respectueusement, avant que la silhouette ne s'incline.

Ce gage que vous me donnez en ce jour servira une cause noble et juste. Je vous le promet. J'aurais aimé refuser, mais j'ai encore une longue vie de rédemption à gagner. þuisse la Damedieu veiller sur vous.

L'homme se redresse et recule, recule encore, avant de se fondre dans les ombres du coin le plus obscur de la pièce et de disparaitre.

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