Choisir son camp [Zaahrian]

Pourquoi l'assassin lui racontait cela, Viliam n'en avait pas la moindre idée. Pas plus qu'il ne savait vraiment pourquoi il l'écoutait encore au lieu de tourner les talons. Pourtant il restait là, droit devant lui, poings serrés à l’écouter. Un foutu dernier soupçon d'espoir probablement.

Pourtant son attitude tendue, agacée, n'avait pas changée. Zaahrian parlait d'expériences douloureuse face à un homme qui n'en avait que trop vécu. Ni père ni mère ne l'avaient vraiment élevé. C'est comme du bétail qu'il avait été vendu, dix ans à peine révolus. C’est comme un chien et parmi eux qu'il avait grandi et c'est un sort que même le pire des bâtards ne recevait pas qui l'avait finalement brisé, l’âge adulte alors même pas tout à fait entamé. Viliam savait ce que c'était la souffrance. Ce que c'était de désirer mourir. De tenter de mourir de sa main propre comme s'il eut s'agit de la seule liberté possible. Sa vie entière avait été décidé par d'autres, jusqu'à cette mort qu'on lui avait elle aussi refusée. C'était là des choses qui ne franchiraient sans doute jamais ses lèvres, pourtant. Encore moins en face d'un étranger.

Croyait-il dont attirer sa pitié ou son admiration, le grand champion de Thaar ?

-Si tu ne t'en fous pas alors change les choses. Lâcha-t-il sans se démonter, glacial car il était certain de parler à un mur inamovible. Tes esclaves se tirent quoi qu'il arrive. Donne leur la possibilité de le faire sans finir au bout d'une corde par Néera ! On te mange dans la main ? Alors profite en. Arrête d'être lâche, provoque-t-il volontairement en reprenant ses propres dire. Et fait en sorte que ton histoire ne se répète pas. Je vais te dire, tu aurais pu être le dernier des enfoirés, je m'en tape. Ce qui m'importe c'est qu'aujourd'hui les gens de Thaar obtiennent gain de cause. De gré ou de force. C'est ça que ''j'espère''.

Si l'assassin désirait tant connaitre les motivation du chef de l'Aile Blanche, au point de se mêler aux problèmes de son lieutenant, hé bien maintenant il ne devait plus avoir aucun doute. Il n'y avait que lui pour décider à présent si il se plaçait en allié ou en ennemi.

Zaahrian ne réagit pas. Il resta imperturbable même lorsque Vil lui cracha à la figure qu’il était un lâche. Il se contentait de le fixer, immobile, au point que pendant un instant, il semblait s’être transformé en statue vivante. Finalement, il cligna des yeux et tressaillit légèrement, comme si on venait de le tirer de sa transe. Il ouvrit et ferma les poings et roula ses épaules donnant l’impression qu’il se préparait à cogner quelqu’un. Peut-être que l’idée lui avait effectivement traversé l’esprit, mais qu’il jugea que ça n’en valait pas la peine, pas plus que de rester ici.

Sans un mot, Zaahrian tourna les talons et s’éloigna. Il avait déjà fait quelques pas lorsque sa voix s’éleva.

« Je t’attends chez moi dans deux jours, une heure après que le soleil aura passé son zénith. Tu sais où j’habite. Viens accompagner si ça te chante, je m’en moque, mais cette fois, passe par la porte. »

Sans plus d’explication, il s’en alla. Cette rencontre ne s’était pas déroulée comme prévu, mais personne n’était mort, encore.

plus tard dans la nuit

-Tu va le faire ?
-Oui.

pour une fois, l’endroit au sein duquel les deux meneurs de l’Aile blanche discutaient n’était pas leur taverne, mais bien l’appartement de Ren dans lequel il faisait profil bas depuis quelques jours.

En fait, le blond s’était à peine éloigné une petite heure de ce dernier et lorsqu’il était revenu dans l’appartement de fortune, Viliam était déjà là, appuyé nonchalamment sur l’espèce de balconnet, fumant un énième paquet d’herbe et de tabacs. Loin de s'en étonner, Ren avait vite comprit a quoi rimait ce manège pour connaitre son chef depuis plus de vingt ans : il voulait discuter sans oreilles indiscrètes, même alliées et il n'y avait qu'ici qu'ils le pouvaient.

-J’imagine que te dire que c’est une mauvaise idée n’y changera rien ?

Après qu’ils aient discuté du déroulement de la soirée précédente, Ren était venu s’accouder à côté de son camarade. Ce dernier lui avait tendu un peu de tabac qu’il avait accepté par dépit.

-S’il avait voulu me tuer il l’aurait déjà fait. Viliam semblait dans le même état détaché que lorsque Zaahrian était apparu devant lui. Egar ne s’est pas montré et il était prêt à partir en courant à mon signal. Il n’y avait personne et vu comme Zaahrian était armé jusqu’aux dents, il savait très bien qu’il était en position de force.

-ça n’empêche pas que tu n’as aucune idée de ce qui t’attend là bah Viliam. Si c’est le guet qui s’y trouve ? Si son égo le pousse à se venger ?

-Eh bien dans ce cas nous aurons le fin mot de toute cette histoire, Ren. Il souffla avant de reprendre. Je vois ça comme un dernier test. Est-ce qu'il est digne de la réputation qu'on lui donne ou non. Et puis...Nous avons l’avantage d’avoir des informations sur lui qu’il n’a pas sur nous. Si ça tourne mal vous savez déjà ce que toi et Clarisse avez à faire.

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Quoi que Ren ai pu dire cette nuit-là, le chef de l’Aile blanche avait déjà pris sa décision. Le jour et l’heure donnée par l’assassin, une silhouette dont le visage était caché sous une lourde capuche approcha du domaine. Il était armé d’une rapière, mais comme il n’avait nullement tenté de la dissimuler, cela n’avait pas paru inquiétant aux yeux des sentinelles. Son attitude n'avait rien de particulièrement surprenant non plus, il s'était arrêté lorsqu'on le lui avait ordonné, avait levé ses mains en évidence sans rechigner et obtempéré à quasi tout ce qu'on lui demanda par précaution.

Seul, il ne donna  en revanche pas son nom mais se contenta de demander aux gardes devant la maison de transmettre à leur maitre un message un peu étrange.

« -Comme demandé je suis passé par la porte cette fois-ci »

Ajouté à cela, l’un des gardes avait été chargé de transmettre une petite broche de facture un peu approximative à l’effigie d’un oiseau qui s’envolait.

Vil étant attendu, il fut rapidement admis à l’intérieur de la maison. On l’escorta jusqu’à une pièce où une vingtaine de personnes attendaient en silence. Les marques sur leur peau les identifiaient comme les esclaves de la maison. Ils portaient des vêtements simples, mais de qualité. Ils étaient bien nourris et aucun d’eux ne manifestait de signes de mauvais traitements. Zaahrian était également présent installé derrière un bureau. Il portait une tunique noire et ne semblait pas armé. En revanche, l’homme qui se tenait à ses côtés l’était lourdement. S’il avait un peu de jugeote, Vil devinera que cet homme devait être le frère mentionné par Zaahrian. Une vilaine cicatrice barrait la moitié d’un visage encore séduisant, bien que taillée dans la glace. Il était le total opposé de Zaahrian et il regardait Vil avec une profonde antipathie.

« Tu es à l’heure, c’est bien. Installe-toi où tu veux, ça ne devrait prendre que quelques minutes. »

Il attendit que Vil se soit placé dans un coin avant de reprendre la parole.

« Bon ! Je vais aller directement au but. J’ai ici devant moi 20 bouts de papier. Sur chacun de ces papiers est inscrit votre nom ainsi qu’un court message qui atteste qu’à partir de ce jour, vous êtes libre. Il y a ma signature aussi question de rendre ça encore plus officiel. »

Un brouhaha de conversation s’en suivit. Naturellement, ils étaient tous profondément surpris et perturbés par cette annonce. Ils étaient également très excités. Zaahrian leva la main pour les faire taire.

« Voici mon offre. Vous êtes libres, mais j’aimerais beaucoup si vous acceptiez de travailler pour moi. Naturellement, vous serez payé. Vous êtes déjà logé, nourri et habillé par mes soins, ça ne changera pas, mais je vais ajouter un salaire qui sera versé chaque ennéade en plus d’un jour de congé où vous serez libre de faire ce que vous voulez. Vraiment, ça ne me regarde pas. De même, vous bénéficierez de ma protection, serez soigné si vous tombez malade et je paierai également pour l’éducation de vos enfants si jamais vous décidiez de fonder des familles. Naturellement, vous êtes aussi libres de refuser cette offre. Dans ce cas, je vais payer le voyage pour ceux qui souhaiteraient retrouver des proches. Je sais que tout cela est très excitant pour vous, mais je tiens à vous mettre en garde. Ce bout de papier n’a aucune valeur légale réelle. Il n’y a rien pour garantir votre liberté, j’en suis désolé. Je suppose que ma signature pourrait en dissuader certains de faire quelque chose de stupide, mais je ne compterais pas trop là-dessus si j’étais vous. La seule chose que je peux garantir, c’est que vos enfants n’auront jamais de marque d’esclave. »

L’offre de Zaahrian était très généreuse. Finalement, seize acceptèrent de rester au servir de sa maison. Les autres avaient encore des familles et souhaitaient les retrouver. Ils comprenaient les risques en laissant la protection de Zaahrian, mais ils étaient prêts à saisir cette chance. Peu après, ils sortirent du bureau en tenant le papier de leur libération. Il y avait de l’excitation dans l’air. L’ambiance dans la maison semblait changée.

« Ça va se répandre. » Fit remarquer Guilin à Zaahrian d’une voix tendu.

« Je n’en doute pas, mais il est un peu tard pour reculer maintenant. Quand j’ai donné ma parole, je la tiens. » Il se tourna vers Vil. « Alors, satisfait ? Suis-je toujours un lâche ? »

Le visage du bandit s’était fendu d’un sourire satisfait. Bon, le décorum et le spectacle n’avaient peut-être pas été nécessaire et sans doute un bref mot aurait-il suffit, mais peu importait. La finalité était qu’une vingtaine de vies venaient de changer et de se voir offrir la simple décence d’avoir le choix. En plus de l’aide que proposait leur ancien propriétaire. C’était bien plus précieux que n’importe quel égo en jeu.

Le menton haut, Viliam fixa l’assassin.

-Tu as fait le bon choix et j’en suis heureux. Répondit-il calmement, sincère dans ses paroles. Il restait mesuré mais au fond son cœur battait d'une joie nouvelle. Soit en fier ni pour moi ni pour toi ou ton compagnon, mais pour les vies que tu viens de changer et de protéger. D'ici quelques années, tes nouveau employés auront peut être des enfants qui ne connaitrons jamais le fer. Ils pourraient regarder l'assassin dans les yeux sans trembler de peur ou de colère. Que demander de plus?

Cela ne vaudrait certainement pas mal de célébrations au sein de l’Aile Blanche lorsque le reste des bandits seraient réunis. Ce n’était vraiment pas tous les jours que de telles nouvelles tombaient et elle méritaient une liesse. Zaahrian n’était peut-être pas un ami certain de l’Aile Blanche, mais il venait à sa façon de propulser drastiquement leur œuvre.

-Est-ce que tu avais d’autres choses à me dire ? Il n’y avait ni provocation ni rien dans sa voix, mais une simple curiosité quant à sa présence dans la propre demeure de l’assassin. Ce n’était pas commun et un risque qu’il avait pris malgré ses diverses protections.

Alors que Vil souriait, Zaahrian restait pensif. Il était content de l’avoir fait et la réaction des esclaves l’avait un peu surpris. Il les avait toujours bien traités, mais de leur avoir donné le choix semblait faire toute la différence. Il n’allait pas revenir en arrière, mais il craignait les éventuelles répercussions de son geste. Il ne croyait pas avoir un si grand impact dans la ville, mais s’il se trompait ? La rumeur allait se répandre, il n’y avait pas plus commère que le personnel de maison. Zaahrian venait peut-être de créer un précédent qui risquait de déranger et attirerait l’attention sur lui et ses proches. Et s’il venait de mettre tout le monde en danger plutôt que de les aider ?

« Je l’ai fait, car ça me semblait juste et je voulais te montrer que je ne suis pas entièrement insensible à tes arguments. Toutefois… » Il posa les coudes sur son bureau et joignit les mains, son regard tourné vers Vil, sérieux. « Je ne t’aime pas beaucoup. En fait, je n’approuve pas tes méthodes de travail et je trouve ton attitude absolument détestable comme si tu es le seul à avoir raison et que ceux qui ne pensent pas comme toi ont tort. Dans tous les cas, je viens de prouver que tu te trompes sur un point : tu peux faire avancer ta cause sans avoir à verser une goutte de sang. Toi et moi, nous n’avons fait que discuter. Certes, cette discussion est venue à la suite de la débâcle du marché, mais ce n’est pas ce qui a motivé ma décision d’aujourd’hui. Ce qui l’a motivé, c’est que je pense comme toi que les choses doivent changer, mais pas n’importe comment. Thaar ne se divise pas entre esclaves et riches marchands. Il y a une multitude de personnes entre les deux qui n’ont pas tellement plus de droit de parole que les esclaves. Certes, ils ont le choix, mais le plus souvent, leurs choix sont motivés par une question de survie, s’ils vont être capables de mettre du pain sur la table ou non. Ces gens n’ont pas à se retrouver impliqués dans vos histoires. Ils n’ont pas à souffrir de vos actions et j’y veillerai, tu peux en être certain. Je ne vais pas vous arrêter, mais je vais vous avoir à l’œil et si je constate que ça devient trop dangereux, je vais intervenir. Je ne veux surtout pas que l’histoire du marché se répète. Si vous planifiez un autre coup d’éclat de la sorte, je vous conseille de revoir vos plans. C’est compris ? »

Guilin observait toujours, son regard allant de Zaahrian à Vil, impassible. Il y avait chez lui une attitude protectrice bien que son visage ne trahît aucune émotion particulière. C’était dans la façon dont il se tenait aux côtés de Zaahrian.

« Tu peux partir. Célèbre si tu en as envie bien que je ne puisse pas m’empêcher d’être inquiet. Après tout, je viens peut-être de signer l’arrêt de mort de tous ces gens. »

« Tu le crois vraiment ? » Demanda Guilin d’un ton égal où on devinait à peine la question.

Zaahrian haussa les épaules.

« Honnêtement, je n’en sais rien. De mémoire, je ne connais personne qui a libéré ses esclaves comme je l’ai fait, mais il est possible que je me trompe. Je déteste l’idée de créer un précédent. Nous allons devoir rester sur nos gardes pendant quelque temps. Peut-être qu’il ne se passera rien aussi, ça reste à voir. »

Le sourire du bandit se para d’une légère dose d’ironie devant les menaces et les exigences de l’assassin. Croyait-il avoir obtenu une dette par le geste qu’il venait d’accomplir ? Viliam ne lui devait rien. Si Zaahrian pensait que Viliam l’avait poussé à libérer ses esclaves pour la gloire ou la célébrité alors l’assassin n’avait rien compris. C’était bien au-delà du personnel et ses menaces à peine voilées ne lui faisaient pas plus d'effet que le jours où le marché avait brulé.

-Nous ne nous somme visiblement pas comprit. Je le regrette.

Qu’il ne l’aime pas, Viliam n’en avait absolument rien à faire. A vrai dire, c’était plutôt réciproque. Depuis le début l’assassin semblait le prendre de haut et se placer comme celui qui savait, celui qui avait cette solution miracle qui semblait pourtant aux yeux du bandit, plus idéalistes que les rêves d’enfant de Ren.
Quant à ses injonctions vis-à-vis de la population, des gens ni esclaves ni riches de la ville qui ne devaient pas souffrir de leurs actions… Avait-il vraiment écouté ?

Enfin…Il n’allait pas répéter ce qu’il avait expliqué toute la soirée dernière. Le grand blond ne serait qu’une ombre de plus sur le tableau de ceux qui ne comprendrait jamais. Comment lui en vouloir ? Il vivait dans le plus grand luxe, mangeait et dormait à volonté. Il claquait des doigts et Thaar lui mangeait dans la main. Difficile de comprendre les sacrifices qu’impliquaient une vie de fugitif.

Avec la même tranquillité qu’à son arrivé, il récupéra brièvement sa petite broche qu’on avait déposée sur le bureau de l’assassin, la fixant à son vêtement d’origine et releva sa capuche, ayant la ferme intention de quitter les lieux pour ne plus jamais y revenir.

-Bien. J’espère que nous ne nous recroiserons plus à présent. Nééra vous guide.