L'art de choisir les bonnes cartes | solo

Le sol était étonnement brillant pour un toit terrasse battu par les vents et le sable. Son éclat reflétait l’astre ardent aussi nettement que le ferait un lac gelé et obligerait toute paire d’yeux à détourner le regard. Pourtant, assit au centre de ce carré réfléchissant se trouvait un être vêtu de blanc et de pourpre, le regard posé sur un ouvrage récent, les yeux plissés mais luttant héroïquement pour poursuivre la lecture. Il n’y avait pas d’ombre, pas d’air, seule la lumière ardente s’abattait sur ce corps semblant pourtant insensible à ses effets en apparence mais luttant pour demeurer neutre. La lutte s’éternisait, les pages tournèrent inlassablement et finalement, une goutte de sueur roula le long de la tempe du Drow et malgré sa tentative de se retenir à un menton imberbe, elle fini par choir sur ce sol jusqu’ici intact. De cette course effrénée vers la mort, le prêtre n’eut qu’un soupir comme conclusion.

_ Combien ?
_ Quatre heures, trente-trois minutes et vingt-sept secondes mon maître.
_ Est-ce noté ?
_ Comme il a été exigé.
_ Bien cher Bahram, je vais enfin être débarrassé de l’abjecte parfum de tes rivières de sueur. Retrouve-moi au salon quand ta présence ne sera plus affligeante pour mon délicat appareil respiratoire.
_ Toutes mes excuses maître.

Le serviteur quitta le toit par un étroit escalier en direction de la salle d’eau. L’Elfe noir clôtura sa lecture une fois la page achevée et ferma délicatement l’ouvrage pour libérer ses muscles dans un théâtral étirement. Chaque muscle, chaque tendon se contracta avant de tirer au plus loin générant un râle de plaisir à leur propriétaire. Ilm’ryn laissa courir son regard sur la capitale de l’Ithri’vaan, ce joyau d’architecture par endroits mais également ce bidonville à ciel ouvert partout ailleurs. En contrebas, la rattus plebis se démenait de tout son être pour vivre un jour de plus et leur brouhaha sans queue ni tête donna rapidement des vertiges à leur observateur. Un haut de cœur provoqué par l’odeur de tripes fraîches encouragea le mage à quitter ce promontoire pour retrouver un salon végétal et son fidèle esclave.

_ Le résultat vous convient-il maître ?

Seul le silence accueillit la question de l’humain. Ilm’ryn se servit une coupe de vin et foula le divan de son postérieur en émettant un soupir de satisfaction. Une gorgée ou deux fient patienter plus que de raison le rat de laboratoire qu’est Bahram. Celui-ci ne chercha pas à pousser plus loin et c’est un sensuel timbre féminin qui lui apporta la délivrance tant souhaitée.

_ Allons mon amour, allez-vous donc laisser ce pauvre Bahram dans l’ignorance ? Ne feintez pas l’ignorance de la dévotion qu’il vous porte et son irrépressible besoin de répondre à vos attentes.
_ J’en suis fort aise. Une satisfaction futile mais vivace d’avoir la capacité d’ignorer la relative fournaise automnale au prix d’un maigre effort de concentration. En revanche ce torchon ne méritait aucunement la publication. Le style est pauvre, l’intrigue inexistante et les descriptions bien trop mal amenées.

D’un geste lent et mesuré, le religieux tendit le bras, ouvrit la main et laissa chuter le livre sur le sol. Le serviteur s’approcha pour le ramasser.

_ Il sera brûlé.
_ Faites, faites.

Voilà plus d’un an que le trouple vivait dans la demeure d’un bourgeois thaarie bien heureux de voir sa fille guérie d’un mal la rongeant depuis la naissance. Il avait su se montrer reconnaissant en prêtant une de ses demeures -la plus belle évidemment- à l’auteur du miracle. Depuis, Ilm’ryn et Luarena vivaient une idylle loin des intrigues du Puy et leur homme à tout faire était la parfaite troisième roue leur permettant de ne pas s’abaisser aux basses besognes qu’une vie de couple leur auraient imposé. Les projets de Na’ri et son désir de voir une nouvelle Peste ravager le monde s’étaient d’eux même mis sur le côté. La disparition de nombre de dirigeants et décisionnaires Puysards menèrent le volcan et sa société souterraine à une aphasie se révélant parfois mortelle pour ceux évoluant au milieu de la société drow. Ni trop puissants, ni trop faibles, les prêtres, les sous-officiers et les notables de l’administration. Tous risquaient représailles et chutes mortelles du haut d’un escalier. Paradoxalement, les deux érudits trouvèrent une paix relative dans la capitale d’un monde marchand en effervescence. D’ici, anonymes dans une immense foule, ils purent reprendre leurs aspirations et leur luxure dans un tout nouveau bac à sable.