[Libre] La Seconde Lune de l'An

Julas de la 1ère ennéade de Karfias
20e année du Onzième Cycle
Académie d’Alëandir
Matinée

Tu observes le ciel grisonnant d’hiver en espérant qu’il ne pleuve pas. Tu n’as pas assez de temps devant toi pour te permettre de te retrouver ralenti par les averses Lëandrines. Le peu que tu pourras accomplir aujourd’hui, tu préférerais qu’il compte.

- C’est bon, tout le monde est là ! On peut y aller.

Contrairement à ce que tu imaginais, l’Académie n’a pas perdu une seule seconde à dépêcher de ses Vitalistes pour vous accompagner. Et maintenant tu te demandes presque pourquoi t’être imaginé le contraire une seule seconde. Eux aussi s’étaient penchés sur le phénomène que vous viviez actuellement dès le moment où « Sìrina » s’était fait sentir. Eux aussi devaient avoir prévu d’aller observer les choses de plus près sans trop tarder. Au final, tu n’auras fait que leur en donner l’occasion un peu plus tôt que prévu.

- À toi de jouer Ethirben, on te suit.

Toi tout particulièrement. La veille, c’était l’éclaireur qui avait tracé le parcours. D’arbre fruitier en arbre fruitier, il avait dessiné une boucle à travers la forêt, reliant la Cité à elle-même. Il avait suivi ses instincts, guidé qu’il était par…

- Un mal-aise tu disais ?

- C’est ça oui. Tu le sens aussi ?

- C’est peu de le dire.

Un frisson court le long de vos nuques à tous les deux. Vous avancez encore à grands pas, pour l’instant, mais autant l’un que l’autre, vous vous trouvez extrêmement gênés. Encore plus par ce que vous ressentez que par ce que vous voyez. Tu t’y attendais pourtant. Les perles jaunes et oranges décorant les branches ont un goût d’été. Le ciel pensant au-dessus lui empeste l’hiver. Le tout peint un bien étrange tableau, à la fois si proche de la réalité et comme d’un autre monde. Mais l’affrontement entre ciel est cime est le moindre de vos soucis. Les Chants sont ce qui vous inquiète le plus. Car si d’un coup l’hiver paraît si lourd, c’est parce que l’angoisse baigne la forêt. Liltalaima chante un battement de cœur frénétique, semblable à celui de l’animal ayant fui. Elle chante la tension empêchant les guerres de finir, et les proies de s’endormir. Elle chante l’anxiété sans compromettre sa liesse.
La Sylve hurle et rit en même temps. Les Premiers Fils semblent inégaux face à la seconde Lune, forcés de s’entrechoquer en des sérénades contradictoires. Leurs forces quant à elles sont… étrangement au plus haut. Ils pulsent comme au fort des jours où le soleil ne se couche pas, les fruitiers Lëandrins, comme vivifiés par une force surnaturelle.

- J’ai rarement vu un enchantement aussi puissant.

L’un des vitalistes de l’Académie commente à haute voix, son collègue acquiesçant silencieusement. Instinctivement, la procession s’arrête pour leur laisser le temps d’observer le phénomène de plus près. Si vos cœurs à Ethirben et toi ne mentent pas, peut-être cet immense noyer possède-t-il un début de réponse. Ici l’inconfort est au plus fort depuis votre sortie de la ville, et l’arbre, pour ce que vous pouviez en voir, était couvert de fruits au point qu’ils s’entassent à ses pieds.

- Je ne crois pas avoir jamais vu de sortilège pareil tout court. tu souffles, impressionné Et pourtant j’en ai vu des sortilèges !

- Ça ne ressemble pas à un tissage normal de la Trame.

- Vous seriez tout de même capables de le délier ? l’un de tes sourcils se lève, inquisiteurs

- Moyennant le temps, probablement. Ce qui est une plutôt bonne nouvelle. ce n’est cependant pas ce que disait le ton de l’elfe Mais qu’un tissage aussi complexe se soit formé spontanément serait assez inquiétant.

- Ce n’est peut-être pas le cas. Ethirben intervient Si ce ne sont pas les Noss, beaucoup de créatures de la forêt sont capables d’agir sur la trame d’une manière très différente de la nôtre. Maintenant il reste à définir laquelle et pourquoi ?

L’un des miliciens, un archer longiligne à la démarche agile prend l’initiative de passer au-devant du groupe. D’une interjection l’elfe s’annonce au reste du groupe, avant de lancer d’une voix bien plus puissante que ce que laisserait imaginer sa silhouette dégingandée.

- Je vais chercher quelques noix. Qu’on puisse commencer à réfléchir à si ces fruits ont quelque chose de spécial… il laisse flotter le silence alors que des sourcils se froncent autre chose que d’être arrivés en hiver en tout cas.

Avec une impressionnante aisance, il s’accroche aux aspérités de l’écorce, saute de racine en racine puis de branche en branche, glisse le long des corniches formées par le tissu ligneux, pour atteindre la houppe de l’immense noyer et y collecter quelques fruits. Certains mûrs, d’autres verts, et d’autres encore à peine des fleurs fermées. Puis sa descente est comme son ascension, sans le moindre effort.

- J’en ai pris autant que possible à différents stades de développement.

- Parfait.

À cela près que contrairement à l’arbre en lui-même, les fruits semblaient exempts du moindre sceau arcanique.

La tenue du jour:

Julas de la 1ère ennéade de Karfias
20e année du Onzième Cycle
Académie d’Alëandir
Début d’après-midi

L’odeur de la farine de méroca, du miel et de la viande séchée se mêle à celle de la terre moite. Le ronronnement des conversations entre elfes se soulève sans efforts par-dessus les chants des oiseaux. Vous avez parcouru la moitié de la ronde d’aujourd’hui, et rien de plus ne semble se dévoiler sinon de nouvelles questions. Des questions auxquelles vous ne pouvez de toute façon – pour l’instant en tout cas – pas répondre.

- Personnellement, je trouve étrange que les Noss ne soient toujours pas venus nous chercher des noises.

- Qu’est-ce que tu entends par-là ?

- Habituellement, dès que la forêt se déglingue ils viennent nous casser les pieds ! la femme soldat continue en mâchonnant un bout de pain Alors si ça se trouve, tout ça c’est justement juste eux qui nous cassent les pieds.

- Parce que tu les penses capables d’éclairer Silène peut-être ?

- Qui sait ? elle lève un sourcil Après tout, qui d’entre nous sait à quel genre de forces leurs rituels leur permettent de faire appel ?

Tu t’assieds auprès de tes collègues, interrompant leurs conciliabules en croquant dans un ténébrion. Les deux elfes ont un mouvement de recul, comme inquiets, l’espace d’un instant, de ce que tu pourrais dire. Puis finalement, prompts par un roulement d’yeux de celle dont ton arrivée avait tranché le fil de pensée, ils avaient repris là où ils s’étaient arrêtés.

- Si les choses se passent comme prévu, on ne devrait pas entendre parler des Noss avant demain. tu interviens finalement Ou du moins, on devrait entendre parler d’eux demain.

Ton regard scanne rapidement les alentours, comme y cherchant un Ornedhel qui aurait décidé de contredire ta prédiction, avant que tu ne reprennes, avec une déconcertante tranquillité.

- À l’heure qu’il est, Cinnaeth a probablement fait rassembler le Conseil de la Peth’Idren. Pour peu que les choses se passent comme à leur habitude, ils auront certainement des choses à nous faire savoir demain. Soit via Cinnaeth, soit par eux-mêmes. tu te relèves finalement, ta collation terminée Mais dans tous les cas, dès demain, il faudra qu’on soit prêts à composer avec eux. Pour le meilleur et pour le pire.

- On a assez eu droit au pire ces derniers temps. Espérons que cette fois-ci soit pour le meilleur !

Et sur ces mots, les cuirs avaient été renfilés, les cavaliers étaient remontés en selle, et la ronde avait repris. Et comme durant sa première moitié, elle avait été calme. Trop calme. Beaucoup trop calme à ton goût. Et tu ne saurais pas expliqué pourquoi. Mais sans que vous ne vous en rendiez compte, aujourd’hui la forêt avait Chanté plus fort que ses habitants.