En toute confidences | Solo

Deuxième jour du mois
Printemps - Bàrkios 20:XI

-Allez-vous enfin me dire qui nous attendons ?

Je fixe Ylasse d'un air méfiant. Il fait tant de mystère depuis cette nuit que j'ai à peine fermé l’œil. Je devrais me sentir rassurer : la rencontre a lieu au sein même du palais, dans un salon où a été servi une collation modeste mais agréable. J'en ai fait la demande sous l'impulsion du chevalier mais je n'ai toujours pas la moindre idée de ce qu'il mijote. Cet entretien doit sans doute revêtir une apparence officielle vue de l'extérieur, du moins, je suppose...
Si je le pouvais, je marcherais de long en large dans la pièce sans m'arrêter... Mais au lieu de cela, je reste assise sur ce canapé à regarder mon garde du corps aussi immobile que silencieux. Je commence à comprendre pourquoi il me suis partout depuis mon voyage pour Thaar, y compris dans un endroit tel que celui-ci où nul de chercherait à s'en prendre à moi. Il m'espionne depuis le premier jour... Cependant, j'ignore à quelles fins. Et c'est à cela que je songe sans cesse depuis hier.

Des pas approches de la porte ouverte. J'ai cessé de compter le nombre de fois où j'ai cru que c'était mon visiteur anonyme. Chaque fois, mon cœur s'est mis à battre la chamade et mon souffle s'est coupé... jusqu'à ce que je réalise que cette personne ne faisait que passer. Alors j'ai décidé de ne plus réagir. Je me contente de rester là, à fixer Ylasse, inlassablement, espérant finir par le mettre mal à l'aise durant cette attente interminable à mes yeux.
Mais ces pas-ci s'arrêtent devant la porte. Le chevalier tourne alors la tête puis son corps tout entier vers le nouveau venu puis s'incline très respectueusement. Je suis surprise par son attitude et je le lâche enfin du regard pour observer la porte, attendant que l'inconnu entre enfin. Et quand il le fait, j'écarquille des yeux tout ronds et me lève, sans y avoir vraiment réfléchi.

-Mère Supérieure ?...

La religieuse s'est arrêté sur le pas de la porte et étire un sourire à mon attention que je devine un peu amusé sous la douceur qu'il me témoigne. Je suis déroutée par sa présence et elle le sait. Derrière elle, Ylasse ferme la porte sans plus attendre. Moi je reste là, ébahie par cette situation totalement incompréhensible. Qu'a à voir cette sainte femme dans tout ceci ?

-Asseyez-vous, mon enfant. Nous avons à parler.

Après une seconde, j'obéis devant le calme et l'assurance de la Mère Supérieure qui ne tarde pas à me rejoindre.

-Je ne comprends pas... Dis-je dans un souffle.
-Je vais tout vous expliquer.

Et elle ne tarde pas à le faire. Mais avec habileté et doigté, essayant de ne pas m'effrayer. Ou, en tout cas, le moins possible... Car comment ne pas être effrayée en apprenant que je suis au centre d'une affaire qui me dépasse totalement ? Mon regard se porte parfois sur Ylasse lorsqu'il apparaît dans le discours de la religieuse. Son rôle est réellement de veiller sur moi, mais pas seulement...

Après ce qui me semble une éternité, le silence se fait dans le petit salon. La Mère Supérieure a la bonté de me laisser enfin respirer pour tenter tant bien que mal de digérer tout cela...

-Pourquoi... Pourquoi cette secte en a après moi ?
-Parce que vous êtes la sœur d'un Comte, donc quelqu'un qui a ses entrées partout. Quelqu'un dont on ne se méfie pas. Et parce que vous êtes en position de faiblesse. Loin de chez vous, seule et meurtrie... Ils vous pensent malléable et facile à manipuler. Ils trouveront sans doute d'autres justifications à vous donner mais rappelez-vous toujours que le Karamstra aura toujours un intérêt à vous voir intégrer leurs rangs.
-Et... pourquoi les avoir laissé faire ? Vous saviez que Mère Margot est une des leurs mais vous avez accepté que j'aille en Ithri'Vaan lorsqu'elle l'a demandé. Vous vous doutiez qu'ils m'aborderaient. Pourquoi l'avoir laissé faire ?

La Mère Supérieure semble un peu gênée finalement. Un peu coupable aussi peut-être. Parce qu'elle ne peut pas nier que c'est vrai.

-Ylasse les a infiltré depuis des années... Et il n'a jamais pu se distinguer suffisant à leurs yeux pour qu'on lui confie les informations dont nous pourrions avoir besoin pour porter un coup fatal à cette organisation. Jusqu'à ce que s'échafaude leur plan pour vous enrôler et qu'on lui demande de se porter volontaire pour vous escorter afin de faciliter la prise de contact entre vous et celui que vous avez rencontré. Il a alors compris que vous étiez importante à leurs yeux. Bien plus que lui... Ils nourrissent de grands espoirs en vous. Et nous aussi, par le fait...
-Vous voulez que... j'accepte de les rejoindre ?...
-Oui. Avoue-t-elle après un court instant. [color=#ffffff]Cependant, rien ne vous y oblige et vous pouvez toujours refuser. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne vous avons pas parlé de tout ceci plus tôt. Vous aviez besoin de temps pour vous remettre de vos récents tourments, nous n'aurions fait que vous en donner un peu plus... Alors que cela était inutile en l'état actuel des choses.
-Il m'a parlé de soigner mes jambes...
-Il cherche à vous tenter afin que vous fassiez un premier pas vers lui. Puis il vous amènera à en faire un autre... Puis un autre... Jusqu'à ce qu'il obtienne votre loyauté ou que vous ne puissiez plus lui dire non. Si vous refusez en vous montrant ferme et forte, il comprendra que sa tentative a échoué et qu'il a peut-être éveillé vos soupçons... et ne vous approchera plus.
-Mais le peut-il vraiment ? Me soigner...

La religieuse soupire doucement. La tentation a fonctionné et cela n'est guère surprenant. Quelle femme dans ma position ne serait pas tentée de regagner un tant soit peu de valeur après avoir tout perdu ?

-Tout soigneur le peut. Mais aucun véritable Prêtre de Néera n'accepterait de vous faire endurer une telle souffrance pour un mal qui n'est pas vital.
-Vous voulez dire... qu'ils feraient cela avec... de la magie ?...

Je suis issue du Nord. J'ai été élevée dans l'idée que les arcanes sont une abomination, quelque chose d'impur qu'il ne faut pas approcher. Je la crains, par superstition et ignorance mais aussi par conviction.

-Ce serait une double épreuve pour vous, j'en ai conscience.
-Je... Je ne peux pas. Je ne veux pas être reniée par ma famille !
-Je suis certaine que le Karamstra a déjà tout prévu. Il ne faudrait pas que leur principal atout perde toute sa valeur à cause d'un miracle qu'ils ne sauraient expliquer. Ils ont probablement prévu d'utiliser leurs partisans au sein du Culte pour parvenir à justifier votre rétablissement miraculeux.
-Mais moi je saurais qu'il n'en est rien !
-Il y a... une petite cérémonie. Une sorte de rituel que nous pourrons utiliser pour vous purifier de cette magie. En secret.

Mon cœur, qui s'était soudainement accéléré, se calme soudain.

-Il n'y a pas qu'eux qui ont tout prévu...

La Mère Supérieure étire un sourire doux et amusé face à ma remarque et je lui réponds de la même manière, brièvement, avant de baisser la tête sur mes doigts qui se triturent mutuellement.

[color=#ffffff]-Vous n'avez pas à prendre de décision tout de suite. Il ne vous recontactera pas avant longtemps. Vous partez demain pour Diantra et serez absente plusieurs ennéades. Mettez ce temps à profit pour faire fructifier vos réflexions. Mais je vous déconseille d'en parler à d'autres qu'à Ylasse et moi. Nous ne pouvons savoir qui fait partie des leurs avec certitude...

A ces mots, elle se lève et commence à s'éloigner. D'abord, je ne dis rien. Et puis...

-Savez-vous qui il est ?

Elle s'arrête et se tourne vers moi.

-Cela, ce sera à vous de le découvrir. Si vous acceptez cette mission.

Je regarde Ylasse. Même lui l'ignore ? Il lui a permis de m'approcher mais il ne sait pas de qui il s'agit.

-Et... pour eux... Qui est-il ?
-Il est... le Grand Prophète. Celui qui dirige la secte sur toute la région qui comprend Odélian.

Je la fixe d'un air stupéfait alors que je comprends à quel point je suis importante dans cette affaire... Le Karamstra n'a pas envoyé un membre lambda à ma rencontre. C'est l'un des hommes les plus influents de leur groupe qui s'occupe de m'attirer parmi eux. La Mère Supérieure ne s'est donc pas trompée... Et je réalise le poids qui pèse sur mes épaules.

-Vous n'êtes contrainte de rien. Souligne-t-elle ne nouveau en voyant mon trouble. Prenez votre décision en toute quiétude. Personne ne vous en voudra de refuser de les infiltrer. Vous devez être sûre de vous... Sûre d'être capable d'aller jusqu'au bout. Car lorsque vous serez lancée, vous ne pourrez plus revenir en arrière.

Je prends la mesure de ses mots tandis qu'elle se dirige de nouveau vers la sortie. Ylasse lui ouvre la porte avec déférence, lui qui n'a pas dit un mot de tout l'entretien. Une fois que la Mère Supérieure est sortie, je relève les yeux vers lui et le fixe silencieusement. Il peut voir le doute en moi, de même que le tourbillon de pensées qui m'assaille, et moi je peux voir la compassion en lui... J'ai une décision difficile à prendre. La plus difficile de toute ma vie. Et je ne peux me confier à personne.