Se fondre dans la masse. Ou presque...

Le parterre de jeunes elfes assis sur l’herbe a le nez plongé dans quelques vélins, les plus curieuses des petites têtes jettent un coup d’œil au parchemin du voisin sous le regard attentif de la prêtresse. Et au milieu des quelques enfants, elle jure comme pic rocheux au sur un versant enneigé, la daedhelle. Elle plisse les yeux et se penche sur le côté pour murmurer à son voisin haut comme trois pommes tout en lui montrant un mot du doigt.

- Carpacelva ? Demande le jeune taledhel dans un sourire moqueur. C’est le grand ëala des grandes bêtes. Et des petites aussi.

- Ah. Oui. Répond la noirelfe en opinant du chef. Merci.

La prêtresse fait claquer sa langue contre son palais en transperçant la noirelfe du regard. Cette dernière remet le nez sur son vélin pour reprendre sa lecture en silence. Après quelques instants, alors que leur professeur a le dos tourné, T’sisra se fait la messagère de son voisin pour la voisine assise de l’autre côté. Un petit mot glissé de mains en mains. La daedhelle cache difficilement son sourire, en tout cas pas assez pour que les sourcils de la maîtresse ne se froncent et qu'elle laisse finalement échapper un soupir en roulant des yeux. Sans doute qu’après ces quelques ennéades, elle peine à associer l’eldéenne à qui elle enseigne avec l’image farouche, violente et malveillante qu’elle s’est faite de ses congénères tout au long de sa vie.

Sa lecture terminée, T’sisra roule le vélin et se redresse pour récupérer un à un ceux de ses petits camarades de classe. Elle vient ensuite les remettre à la prêtresse qui, en échange, lui tend un livre épais aux pages écornées.

- Tu progresses vite.

- Merci ! Un fin sourire se dessine sur son visage empreint de fierté. Je lis tous les jours. Je parle avec les amis. Ils aident beaucoup. Aujourd'hui, je comprends bien.

- Certes. Tu as, malgré tout, encore bien des progrès à faire.

La daedhelle passe ses doigts sur la couverture de cuir et feuillette l’ouvrage rapidement. Elle découvre les mots et leurs déclinaisons encrées dans ces pages, il y a de cela fort longtemps. Elle referme le livre dans un sourire et le soupèse en regardant l’elfe dans les yeux.

- Merci. Je les accompagne à le temple encore ?

- Je les raccompagne au temple. Corrige la prêtresse avant d’hocher la tête. Et moi, je ramène les autres à leurs parents.

T’sisra range précautionneusement le livre dans son sac puis se tourne vers les enfants et tape dans ses mains. Les trois bambins concernés se redressent et accourent vers leur camarade à la peau cendrée qui leur tend une main.

- Aujourd’hui c’est moi qui donne la main !

- Hier, c'était déjà toi !

- Et moi ! J'ai droit aussi, j’ai pas fait encore !

- Elle a raison. Fait la drow en attrapant la main de la petite avant de siffler Non qui dormait paisiblement au pied d'un arbre. En marche ! On tient tous nos mains, d’accord ?

Les bougonneries finissent par se faire lointaine le premier croisement dépassé, au profit d’un chœur chantant à tue-tête des chansonnettes aussi ridicules qu’entraînante. Et le chien de l’eldéenne ne se prive pas pour y participer, poussant des hurlements en même temps que les enfants montent dans les aigus. T’sisra glousse parce qu’elle se retient de rire à cause des regards attirés par le boucan.

À peine arrivé aux abords du parvis du Temple de Kÿria, qu'une poignée de camarades des trois bambins se précipite, non pas à leur rencontre, mais à celle de Non. L’animal se met à sautiller et à courir autour des orphelins, à aboyer et à japper, à se rouler par terre et montrer le flanc. Il s’agit là de son moment préféré de la journée, celui où toutes les attentions sont pour lui seul.
La daedhelle lâche la main de la petite, la laissant rejoindre ses amis pour jouer. Ses pas la dirigent vers un banc de pierre à proximité, celui qu’elle occupe habituellement après les leçons, le temps que Non et les enfants s’épuisent un peu. Un temps que l’eldéenne met à contribution en se plongeant dans l’ouvrage qu’on lui a gracieusement prêté.

Des pleurs la tire de ses lectures. Les enfants relèvent leur camarade dont la vue est brouillée par les larmes. T’sisra tend les bras, un sourire désolé sur le visage. La petite trottine jusqu’à elle en levant haut la main pour montrer sa blessure. Ou plutôt son égratignure.

- Oh... Fais voir ! Elle soulève la petite et l'installe sur ses genoux.

- J’ai trébuché… Je saaaiigne... J'ai maaaal...

La noirelfe passe son pouce sur l’égratignure en se fendant d’un sourire malicieux. Elle dépose un baiser sur ces minuscules écorchures, puis frotte doucement le dos de la petite pour la réconforter.

- C’est terminé. Plus de blessure. Regarde.

La petite ouvre grand la bouche et observe l’eldéenne avec des yeux ronds, elle se frotte la paume de la main puis sèche ses larmes.

- Un bisou magique !

- Oui. Magique ! Souffle T’sisra dans un sourire. Elle embrasse sa petite tête et la dépose au sol avec douceur avant de lever. C’est le moment. Je dois rentrer.

- Oh non ! S’il te plaît Sindërána, reste encore un peu !

Des protestations s’élèvent chez les jeunes pousses. La daedhelle abandonne bien vite lorsqu’ils se mettent à tirer sur ses vêtements, alors se rassoit et rouvre son livre après leur avoir promis quelques instants supplémentaires en compagnie de leur animal préféré.