Un Rok absent [Adélina]

Julas, Deuxième ennéade de Favriüs,
Siriac

Le soleil n’était pas levé lorsque la lumière du phare de Siriac illumina l’horizon, au grand soulagement du chevalier. Louis et lui avaient embarqué quelques jours auparavant en cachant leur identité et se faisant passer pour des mercenaires dans un navire marchand qui devait faire l’aller-retour entre Siriac et Ydril. Les premières heures avaient été très rudes pour Grégoire, qui n’avait visiblement jamais mis les pieds sur un bateau. Le mal de mer l’avait prit dès les premières minutes, et il lui fallut longtemps avant de reprendre des couleurs, après avoir lâché le contenu de son petit déjeuner plusieurs fois, sous le regard amusé et moqueur des matelots. Louis aussi faisait son premier voyage sur les flots, et pourtant, le jeune homme avait visiblement le pied marin. Il se demandait si le sang de son père et de sa mère en étaient la raison. Après tout, tous deux avaient vogué de longues années avant de s’installer en Péninsule définitivement.

La marée avait poussé le navire et le vent favorable avait raccourci le voyage d’une journée presque entière, au grand bonheur de tout le monde. Pour les marins, cela signifiait une journée de repos bien méritée à profiter des plaisirs de Siriac, de son alcool et de ses femmes. Pour Louis, c’était quelques heures de plus pour retrouver la trace du Rok. Car il devait être ici : Vitale le lui avait assuré. Le pirate n’avait aucune raison de mentir, lui qui désirait si ardemment retrouver la belle Adélina. Le garçon n’arrivait pas à contenir son excitation et ne restait plus en place. Il observa la lumière se rapprocher petit à petit, bien trop lentement à son goût, en se rongeant les ongles. Il avait beaucoup appris sur le Rok ces derniers jours. Tant de rumeurs couraient sur lui, on disait tout et son contraire à son propos, mais deux choses semblaient se répéter : il détestait le duc, et vice-versa. Louis savait qu’il ne résisterait pas à l’opportunité d’abattre son ennemi, et il était un homme solide qui pourrait les aider à parvenir à leurs fins. Peut-être même des membres de son équipage se joindraient à eux, pour un travail encore plus rapide et propre.

En posant pied à terre, il remercia le capitaine du navire qui lui donna rendez-vous le lendemain matin pour un départ à l’aube, de nouveau. Il fallait profiter de la marée. Il lui assura également qu’ils seraient payés à leur retour à Ydril, ce qui allait bien aux deux hommes : mieux valait ne pas avoir trop de richesses sur soi pour ce qu’ils voulaient faire. Louis et Grégoire se séparèrent pour une petite heure et commencèrent leurs recherches. Il fallait identifier au mieux le Rok, ou des pirates qui ne se cachaient pas trop et qui pourraient avoir une idée de l’endroit où il se terrait. Après un repos d’une demi-heure dans une auberge où ils purent déguster un poisson tout frais et une bière presque chaude, ils passèrent à la deuxième étape : l’interrogatoire. Toute la journée, ils attrapèrent pirate sur pirate, les emmenaient dans une bicoque abandonnée avec un sous-sol qu’ils avaient trouvée dans la matinée, et avaient interrogé. Les premiers ressortaient indemnes, mais les trois derniers y laissèrent quelques dents et des gerbes de sang, avant d’être abandonnés inconscients dans une ruelle avec une pancarte « pirate » attachée autour de leur cou. On les retrouverait pendus quelques jours plus tard, bien après le départ des nobles.

Ces interrogatoires ne donnaient rien, et il fallait se rendre à l’évidence : Vitale avait menti. Le Rok n’était pas à Siriac, ni la Rose, d’ailleurs. Louis avait glissé le nom d’Adélina à l’aubergiste qui n’avait pas eu la moindre indication que la baronne se trouvait ici. Ils continuèrent de chercher, sans espoir, toute la nuit, et au petit matin, les deux compagnons rejoignirent le port. Le navire les attendait, et le capitaine complètement saoul leur signala que le départ serait retardé de quelques jours, son acheteur n’était pas encore arrivé. Il n’y avait rien à faire, les deux hommes avaient donc séjourné dans la taverne, gaspillant ce temps précieux en jeux de dés et ivresse. C’est le soir du troisième jour que la porte de cette même taverne s’ouvrit finalement sur la silhouette d’une femme que Louis n’eut aucun mal à reconnaître. Leur table faisait face à la porte, et il n’y avait aucun endroit où se cacher. Leurs regards se croisèrent, et Louis compris très vite qu’il valait mieux ne pas l’ignorer. Il fit signe à la baronne et à son chevalier de venir s’installer avec eux, dégageant du pied l’homme ivre-mort qui s’était effondré sur son tabouret.

« M’dame... » Louis se redressa et tituba en s’inclinant. Lui aussi avait un peu bu. « Greg, lève toi et dis bonjour, voyons. » Un grognement lui répondit. Le chevalier semblait captivé par le fond de sa chope qu’il étudiait avec attention, et n’avait même pas remarqué la présence des nouveaux venus. Le garçon lui frappa légèrement l’épaule, ce qui le fit sursauter, et son visage s’empourpra. « Dis bonjour ! » répéta Louis un peu plus fort.
« M… Mad- » Il s’arrêta, ne sachant trop que dire, n’osant pas révéler l’identité de cette femme. Il inclina finalement la tête et dit à voix basse un simple : « Bonsoir, » qui provoqua chez Louis un pouffement du nez.
« Installez-vous donc, nous avons beaucoup à nous dire. Et commandez un truc avant que le tavernier ne nous jette tous dehors. »

Le quai n’était pas bien long, mais le duo de nordien n’eurent guère le temps de le quitter qu’une pluie diluvienne s’abattit sur eux. Un éclair zébra le ciel alors que le tonnerre fit trembler les bâtiments autour d’eux. Aubry tenta d’entraîner rapidement sa cousine à l’abri, mais cette dernière ne sembla pas se presser, semblant même apprécier l’averse qui lui tombait - littéralement- sur la tête. Adélina ferma même les yeux un moment, levant la tête au ciel, en soupirant. Elle espérait que cela serait une occasion de pouvoir laisser s’échapper la peine qui lui emplissait le coeur, mais rien ne semblait y faire. Les larmes ne voulaient tout simplement pas sortir. Aubry tenta tant bien que mal de couvrir sa cousine, lui mettant sa cape de voyage sur les épaules pour la protéger du froid. « Lina… Viens. Nous ne pouvons rester ici… Tout va bien aller. » C’est à ce moment-là que la jeune femme éclata en sanglots. Enfouissant sa tête dans l’épaule de son cousin, elle laissa finalement sa peine s’échapper. Les secondes se transformèrent en minutes. Des minutes qui semblèrent des heures pour le chevalier qui prit rapidement la baronne dans ses bras, la serrant aussi fort que possible contre lui. Il aurait tant voulu prendre sa peine, lui enlever le plus possible de poids sur les épaules… Elle avait tant vécu de drame, de brutale épreuves qu’elle ne méritait point. Adélina méritait d’être heureuse… Peu importe où cela était. Il maudissa intérieurement le pirate, ravalant la rage qui montait de plus en plus en lui, avant de tenter de calmer sa cousine de nouveau. « Viens… Retournons à l’auberge… » Adélina acquiesçat, avant de suivre son cousin, qui la guida à travers la tempête jusqu’à l’auberge où ils avaient séjournés ses trois derniers jours. Ils entrèrent finalement dans l’établissement, Adélina tenta tant bien que mal d’essorer la lourde cape de voyage qui était dorénavant trempé, jusqu’à ce que la voix de son cousin la sorte de ses pensées.



« Lina… » Adélina releva finalement la tête vers son cousin, avant que ce dernier, l’air passablement mal à l’aise lui fasse un discret signe de tête à l’avant d’eux. La nordienne balaya alors la bruyante pièce du regard et put apercevoir la raison de la nervosité de son cousin. Louis d’Ydril. Là, au beau milieu de l’auberge remplie à craquer. Contrairement à Aubry, la jeune femme ne changea guère son expression, restant neutre comme si la rencontre infortuite ne l’atteignait pas particulièrement. Il fallait dire qu’à ce moment présent, son esprit était bien loin… avec un cœur qui semblait avoir bien du mal à battre. Adélina laissa s’échapper un léger soupir, à peine audible avant de rejoindre Louis et son chevalier qui s’empressèrent de la saluer. « Messire Louis » Commença-t-elle d’un ton neutre, n’osant guère lui tendre la main afin qu’il l’accueil d’un baise-main de courtoisie. « Je dois vous avouer que je ne m’attendais guère à vous rencontrer ici… » Il était évident que quelque chose n’allait pas chez la jeune femme, elle semblait fonctionner sans réellement être là. Un manque flagrant de chaleur qui l’habitait généralement. « Je vous remercie pour l’invitation, mais je dois vous avouer que je ne me sens guère bien. » Ce qui en soit, semblait véridique. « Je visitais un membre de ma famille qui habite non loin d’ici et je crois que le mal du pays m’atteint un peu plus que je n’ose l’imaginer. » Encore une fois, un demi-mensonge, la jeune femme avait définitivement visité Galyn de Langehack et sa nouvelle femme. Le couple avait eu leur premier enfant il y a quelque temps, et la jeune femme avait profité pour visiter ces derniers avant de prendre les charges du duché. Étonnamment, elle avait gardé de très bons rapports avec le prêtre d’Othar. Ce dernier ayant définitivement des valeurs auquelle elle et Théodoric s'étaient rattachés. Un léger sourire perça les lèvres légèrement rosées de la nordienne avant que cette dernière n’incline la tête, pour finalement tenter de conclure ; « Je vous souhaite une bonne soirée… »

L’état d’ébriété du jeune homme ne l’empêcha pas de remarquer la tristesse et la froideur dans le visage et les paroles d’Adélina. Il n’avait aucun mal à comprendre d’où cette mélancolie venait, si le pirate qui lui avait indiqué ce lieu avait raison. Louis n’était pas le seul à être touché par l’absence du Rok, et sa propre déception ne pouvait être qu’infime comparée à ce que ressentait probablement la baronne. Fronçant les sourcils, il se rapprocha après avoir vérifié d’un coup d’œil qu’Aubry le laissait faire, et s’arrêta à un pas d’elle.

« Je peux vous comprendre, Siriac n’a pas le charme de notre cher duché du Sud. Soltariel et Ydril me manquent aussi. Votre présence enjolive tout de même l’endroit et me rappelle de doux souvenirs. »

Il lui adresse un sourire à demi-convaincu de ses propres mots : il doutait de réussir à la faire rester avec de simples compliments. Pourtant, le noble avait beaucoup de choses à lui dire, et à lui demander, et une occasion pareille ne se représenterait pas. Louis l’observa de bas en haut et remarqua seulement maintenant son état : la baronne était trempée de la tête aux pieds. Dehors, l’orage grondait, et des trombes d’haut tombaient encore sur le pavé et les toits. Lentement, il hocha la tête et proposa à voix plus basse :

« Laissez-moi au moins vous raccompagner à votre chambre, j'aimerais beaucoup m'entretenir avec vous sur divers s... sujets qui me préoccupent. Et puis, je pense que messire Grégoire sera ravi d’échanger de nouveau avec votre cousin messire Aubry. »

Derrière lui, il entendit les paroles un chevalier enthousiaste qui éleva la voix pour couvrir le brouhaha alentour :

« Oui oui, viens donc par là Aubry ! On n’a pas fini notre match la dernière fois ! »

La nordienne se garda bien de répondre quoi que ce soit à la réplique de Louis. Disons qu’elle n’aurait guère décrit Soltariel ainsi. Elle avait plus l’impression d’être prise dans une prison dorée que de vivre réellement dans le faste et la luxure du Sud. Les échos de rires et de musique joyeuse semblaient glisser sur elle sans la toucher, créant un contraste poignant avec son propre état d'esprit. Elle était présente physiquement, mais mentalement absente, perdue dans un monde intérieur où l'ombre de la mélancolie prédominait. La jeune femme se tassa légèrement, laissant la place à une serveuse qui passait avec un énorme plateau. Les échos lointains de conversations joyeuses semblaient souligner encore davantage sa solitude, créant une symphonie discordante avec l'expression tourmentée de son visage. Dans cette auberge pleine de vie, elle était une ombre silencieuse, une figure solitaire perdue au milieu de la foule. Néanmoins, cela ne sembla guère arrêter le jeune homme qui lui proposa rapidement de la l’accompagner à sa chambre. Si le moment n’était pas le meilleur, la jeune femme eut un léger sourire, qui ne dura qu’une minuscule seconde, avant de hocher la tête. « Oui, bien sûr. » La nordienne tourna la tête vers son cousin qui l’avait rejoint avant de lui faire un léger signe de tête, signifiant que tout irait bien. « Pourrais-tu faire monter quelques rafraîchissements dans mes appartements ? » Le champion de Néera hocha rapidement la tête, avant de la tourner les talons, suivi du noble. Cette situation ne lui plaisait guère, mais cette décision ne lui appartenait guère.



Adélina monta rapidement les escaliers, traversant le long couloir, avant de s’arrêter à la dernière porte. Rapidement, elle sortit une clé de sa poche, avant d’ouvrir cette porte en bois épais, marquée par les années, grinçait légèrement lorsqu'on l'ouvrait, révélant l'intérieur sombre mais accueillant, pour ensuite s'y engouffrer. La baronne attendit que Louis entre à son tour, avant de refermer la porte derrière lui. La chambre d'auberge était un modeste refuge au sein des murs en pierre usée de la bâtisse ancestrale. Les murs étaient recouverts de lourds tableaux usés par le temps, dépeignant des scènes épiques et des blasons défraîchis. Une faible lueur provenait d'une chandelle posée sur une petite table de bois, diffusant une atmosphère chaleureuse et mystérieuse. Autour, se trouvaient un canapé et un fauteuil en velours. Plus loin, une nouvelle porte était entrouverte, où l’on pouvait voir un lit de bois robuste qui occupait une grande partie de la pièce, avec un matelas rembourré de paille et de plumes. Une courtepointe usée, témoignage des nombreuses nuits passées, recouvrait le lit, apportant une touche de couleur fanée à l'ensemble. Le sol en pierre froide était dissimulé sous de petits tapis usés, ajoutant une certaine rusticité au lieu. Une fenêtre étroite, munie de volets en bois, laissait filtrer la lumière du jour, projetant des motifs d'ombre à travers la pièce. L'air était imprégné d'une odeur de bois vieilli, de cire de bougie et de l'effluve légèrement épicée des herbes séchées qui garnissaient un petit plateau près de la fenêtre. Un calme paisible régnait dans la chambre, interrompu seulement par les murmures étouffés venant des ruelles pavées de la ville à l'extérieur.



Adélina rompt rapidement le silence qui emplissait la pièce, s’adressant au noble qui s’était imposé. « Assoyez-vous, je vous en prie. Je reviens dans quelques minutes. » Sans attendre une réponse, la jeune femme se dirigea vers la chambre, avant de refermer la porte derrière elle. Elle soupira avant de laisser tomber sa tête contre le mur de bois, fermant les yeux pendant quelques secondes. Une goutte d’eau roula doucement sur sa peau alors que sa respiration devenait de plus profonde. Elle devait se ressaisir, même si la douleur qui l’accablait en ce moment était plus douloureuse qu’une lame qui la transperçait. Elle avait besoin de lui, et il venait de la briser. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que la jeune femme réussi à se contrôler, enlevant rapidement ses vêtements trempés pour enfiler une robe de soie bleutée. La robe était très simple, coupée pour cintrer sa taille trop fine qui n’avait toujours pas totalement récupéré de l’horrible mois en mer tandis que le col bateau dévoilait légèrement ses épaules. Elle épongea rapidement ses cheveux avant de finalement rejoindre Louis dans le petit salon des appartements temporaires. La baronne aperçut les boissons sur la table de bois, et se dirigea rapidement vers cette dernière avant de finalement reprendre la parole ; « De quoi, vouliez-vous me parler, Cher Louis? » Dit-elle en passant une chope empli de cervoise mousseuse. La jeune femme, quant à elle, prit le thé fumant avant de s’asseoir sur l’un des canapés qui ornaient le salon peu décoré.

Le sourire fugace de la baronne ne passa pas inaperçu aux yeux du jeune homme qui sentit son cœur manquer un battement. Ce tableau éblouissant lui fit l’effet d’une vague d’émotion décuplée par son état d’ébriété relative. Lorsqu’elle se retourna et se dirigea vers les escaliers, Louis hésita une demi-seconde, avant de lui emboîter le pas. Les pensées se bousculaient dans sa tête, et l’alcool n’arrangeait rien. Le duc, et son assassinat programmé, l’enlèvement si récent encore, le Rok, et sa relation avec la future duchesse, et son absence. Pour le garçon, il était difficile de ne pas ressentir une étrange empathie envers Adélina, mêlée d’un brin de tendresse, car le souvenir de leur escapade en Ydril lui revenait sans cesse. Ses yeux rivés sur son dos et sa longue chevelure ondulante à chacun de ses pas, Louis la suivait, spectateur d’un conte qu’il n’aurait jamais pensé vivre. Le mois précédent, ses poings et ses pieds étaient encore attachés entre les murs froids d’une prison médiocre. Son monde avait complètement changé en l’espace de quelques ennéades, dans une complexité qu’il n’aurait jamais pu imaginer.

En entrant dans le petit appartement relativement luxueux pour une auberge de cet acabit, Louis ne put s’empêcher de ressentir une gêne respectueuse. La baronne l’abandonna quelques instants et s’enferma dans une pièce voisine. Après un autre moment d’hésitation, le jeune homme retira sa veste en cuir qu’il posa sur un coffre près de l’entrée, avant de s’asseoir sur le canapé qui bordait la petite table en bois, près de la fenêtre. Ses yeux se perdirent dans les myriades de couleurs des tableaux accrochés au mur. Les odeurs multiples de la pièce venaient agresser délicatement son odorat, et parmi tous ces parfums, il n’était pas difficile de reconnaître celui de la baronne. Son regard glissa sur la porte de la chambre, et une pensée torride lui vint, qu’il chassa aussitôt en secouant la tête. On frappa alors doucement à l’entrée de l’appartement. Louis se releva et ouvrit le battant pour accueillir une jeune serveuse qui portait un petit plateau rond en cuivre. Elle s’inclina respectueusement avant d’entrer pour le déposa sur la table. Le garçon lui fit un signe de tête et murmura un remerciement qu’elle accueillit avec un sourire, avant de ressortir promptement en silence. Une bière et du thé, voilà ce qu’on leur amenait. Il pouffa du nez avant de reprendre sa place, et tourna sa tête vers la fenêtre. Les nuages sombres cachaient toute lumière dehors. On entendait la pluie marteler les carreaux, les toits et le pavé, le vent hurler plus fort encore par bourrasques. La musique du rez-de-chaussée ne lui parvenait pas, ni les rires et les discussions. C’était probablement la meilleure chambre de l’auberge, mais ce n’était pas surprenant de la part du patron : la baronne méritait cet accueil. Louis ricana de nouveau et observa cette fois sa tenue. Sa chemise blanche toute simple et son pantalon en daim avaient peu d’allure pour un noble, mais il n’avait pas le choix, personne ne devait savoir qu’il était ici. Cette pensée le frappa, et maintenant, l’embarras le prenait : Adélina l’avait reconnu. Il fallait imaginer une excuse, et vite, ou admettre la vérité, mais comment espérer qu’elle garde le silence ? Tôt ou tard, elle en parlerait peut-être au duc. L’espace d’un instant, le garçon fut tenté de prendre la fuite, mais il se ravisa, cela ne ferait qu’assombrir la raison de sa présence ici.

Ses réflexions furent interrompues par le clic distinctif d’une serrure qu’on déverrouille, et son regard se posa de nouveau sur la porte de la chambre qui s’ouvrit dans un léger grincement, laissant apparaître la silhouette gracieuse de la baronne. Louis la regarda en clignant des yeux, la bouche entrouverte, alors qu’elle se rapprochait de lui. Sa voix délicate lui parvint et lui fit de nouveau l’effet d’un choc. Il sentit ses pommettes se réchauffer et rougir, et s’empressa d’attraper la chope de cervoise pour en avaler une longue gorgée, avec laquelle il manqua de s’étouffer. Pris d’une quinte de toux, il reposa le breuvage et se frappa le torse du poing pour mieux faire passer le liquide frais dans sa gorge, avant de répondre d’une voix mal assurée, mais en choisissant soigneusement ses mots :

« Ma chère Lina, c’est un plaisir de vous revoir. À dire vrai, je… je m’attendais à vous trouver ici, à Siriac. » Il prit une profonde inspiration et la regarda droit dans les yeux, un sourire désolé sur le visage. Le jeune homme avait prit sa décision. « Je connais la raison de votre mélancolie. » Elle avait pris place sur un autre canapé, trop loin pour pouvoir la toucher, mais suffisamment près pour remarquer les détails de sa peau dorée. Observant sa réaction pendant quelques secondes, il reprit la parole avant de lui laisser le temps de répliquer. « Ne vous inquiétez pas, votre secret est à l’abri avec moi. Et pour preuve, laissez moi vous révéler la raison de ma présence ici. Je suis également à sa recherche, pour un but bien différent du vôtre. Je souhaitais trouver le Rok ici, mais ce lâche aura préféré rester loin des côtes de la Péninsule. » Louis quitta la jeune femme du regard pour observer ses propres mains posées sur ses genoux. Il soupira et son dos se courba quelque peu. « Mais votre présence ici confirme bel et bien ce qu’on a pu me dire, et je... » Il s’arrêta, sentant une pointe d’émotion lui serrer la poitrine. Les mots de Vitale lui revinrent, et ce qu’il avait ressenti alors le submergea. Sans oser relever les yeux, ses doigts se resserrèrent, les veines bleues de ses mains blanches ressortant sous sa peau. « Un mot de votre part, et je lui ferais payer ce qu’il vous a fait subir. »

La baronne eut l’impression que son cœur manqua un battement alors que Louis lui révélait être au courant de la véritable raison de sa présence dans cette ville. Adélina eut l’impression que son sang se glaça alors qu’elle arrêta complètement de bouger. Son regard bleuté était ancré sur Louis alors qu’il continuait sa tirade. Blême, elle écouta sans interrompre le noble, contrôlant la panique qui l’envahissait, cherchant la moindre solution qui s’offrait à elle. Devrait-elle se mettre à ses pieds en le suppliant ? Réaliser les moindres de ses fantaisies ? À cette idée, la jeune femme frissonna. Une pouvait déceler l’ombre d’une nouvelle intrigue qu’elle avait espéré éviter, et le poids de l’incertitude n’aidait en aucun cas ses nerfs.« Je…. » Commença-t-elle, semblant chercher ses mots. « Je ne sais quoi dire… » Et pourtant, les questions martelaient son esprit. Qui avait parlé ? Il n’y avait que deux personnes qui savaient pourquoi elle était réellement à Sirilac… Aubry et… Holden. Adélina avala sa salive, elle aurait dû le savoir que ce dernier la trahirait. Après tout, que pouvait-elle espérer de la part d’un corsaire ? Par contre, s'il l’avait fait, c’est qu’il avait une récompense attachée à tout cela…



« Je suppose que vous avez rencontré Vitale… » Le noble n’avait pas besoin de répondre, elle connaissait déjà la réponse. Après tout, il n’y avait guère d’autres alternatives que cela. Les mécans ne courraient pas les rues ces temps-ci et il fallait dire que lorsqu’ils étaient en péninsule, il ne racontait guère les ragots de l’île des corsaires. Adélina déposa doucement sa tasse sur la table avant de se lever, marchant doucement vers la fenêtre. Ses mains se portèrent à sa taille, lissant nerveusement la soie bleutée de sa robe alors que son regard se portait sur la fenêtre. Elle expira doucement, semblant laisser s’échapper un trop-plein d’émotions qui s’étaient accumulées, avant de s’arrêter près du verre. Un éclair zébra le ciel, éclairant la chambre de la baronne. Elle resta silencieuse ainsi pendant de longues secondes, avant que sa voix ne s’échappe de nouveau à travers la pièce, brisant le silence de quelques mots empreints d’une finesse calculée. « Que voulez-vous, Louis? » Adélina se retourna finalement vers le noble, l’observant d’un regard neutre. Appuyées contre la fenêtre, les deux nobles se faisaient face, dans une rencontre qui promettait d’être aussi chargée d’émotions que de secrets. Adélina planta son regard dans celui de Louis, créant un lien éphémère mais puissant. Dans cet échange muet, des défis, mais aussi un possible retour de force se dessinaient. Leurs destins s’entremêlaient pour le meilleur et pour le pire. Un moment intense était pivotal, l’un où l’autre aurait le dessus, et pour le moment, ce n’était guère en faveur de la nordienne. Cette dernière avait beaucoup plus à perdre que le noble. « Si vous êtes ici, c’est que vous avez un plan en tête…Et je ne parle pas de faire payer les mécans qui ont osé me faire du mal…»

Le silence gênant s’éternisa, mais Louis ne quitta pas ses mains des yeux. Inutile d’observer la baronne, il n’était pas difficile de savoir ce qu’elle pouvait ressentir à cet instant. Son premier balbutiement lui fit tout de même lever la tête, et il lui offrit un sourire se voulant rassurant. Il pouvait lire dans ses yeux et son teint blême la panique et l’inquiétude qu’il redoutait. Lorsqu’elle évoqua le nom de Vitale, il hocha simplement la tête et murmura une réponse vague :

« Peut-être bien. »

Il ne fallait pas être devin pour comprendre qu’il l’avait en effet bien rencontré. Si elle l’avait trouvé si facilement, c’est qu’à part le pirate et la baronne, il était peut-être le seul autre à connaître ce secret. Un autre que lui y aurait vu un risque : après tout, Adélina pouvait se débarrasser de lui et effacer toutes ses traces. L’idée ne traversa pas l’esprit de Louis, qui n’imaginait même pas une telle chose possible. Il la regarda se lever et lui tourner le dos, et se mordit la lèvre. Qu’était-elle donc en train de penser ? Sans bruit, il quitta son propre canapé et la suivit pour s’immobiliser à deux pas derrière elle, les mains croisées sur son abdomen, attendant une nouvelle réaction de sa part. La question qui suivit, il l’attendait. Il l’avait attendue ces quatorze derniers jours, depuis que la présence de la baronne à Siriac lui avait été révélée. Il s’apprêta à lui répondre, mais Adélina se retourna et le fixa dans les yeux. Le garçon resta de marbre, stable malgré l’alcool qui affluait dans son sang.

« Un plan… Vous me prenez pour ce que je ne suis pas, Lina. » Son ton était doux, le timbre de sa voix grave et posé. Ses prochains mots, il les avait préparés et ne les avait pas oubliés. « J’ai l’intention de capturer ce pirate et de l’amener devant le Duc, afin de mettre un terme à une affaire qui mérite de ne pas s’éterniser. »

Il était difficile de mentir face à la baronne, mais il n’avait pas le choix. Cette phrase bien réfléchie n’était finalement qu’un demi-mensonge. Il avait bel et bien l’intention de faire se rencontrer Adriano et le Rok, mais l’affaire dont il parlait, c’était l’assassinat du Duc. Oh, il gardait bien l’objectif de venger l’affront qu’on fut à cette femme, mais la mort du pirate pouvait attendre celle du duc. Et une fois Norbert à sa place, il ne serait qu’une question de jours avant que les mécans ne soient tous pourchassés et exterminés. L’incompétence de la marine soltarii ne durerait pas, il se l’était promis. Sans quitter la baronne du regard, Louis poursuivit doucement :

« Mais à vous voir ici dans cet état, le doute m’habite, et j’en viens presque à penser que vous ne désirez pas sa mort. » Il pencha légèrement la tête sur le côté et souffla. « Que s’est-il donc passé sur ce navire, Lina ? »

Adélina écouta attentivement le jeune homme alors qu’il lui expliquait son plan. Quelque chose manquait… Son histoire, ses motivations. C’était une situation bien dangereuse. Un seul faux-pas et la baronne pouvait tout perdre. Passer de baronne à paria. Ses épaules s’affaissèrent un instant, alors qu’elle pencha légèrement sa tête sur le côté. « Sur quel navire Louis ? » Commença la baronne. « Si vous me posez cette question, c’est que vous ne connaissez pas l’histoire ou que vous avez entendu les ragots mécan… » Adélina redressa la tête, alors que son regard sembla se durcir. Sans attendre, la jeune femme agrippa sa jupe pour la relever doucement, dévoilant pour commencer sa cheville fine, puis son tibia, avant de tourner légèrement la jambe, révélant l’intérieur de sa cuisse criblé de cicatrices. Révélant les marques qu'elle avait obtenu à Meca. Sa respiration devint de plus en plus profonde, alors qu’elle fixait toujours le jeune homme. « Le Rokvenha m’a peut-être enlevé, mais ce n’est pas lui qui a laissé les marques sur mon corps… » Elle lâcha sa jupe, laissant l’ourlet retombé au sol avant de faire un pas vers Louis, son regard changea de nouveau, devenant plus triste, dévoilant la femme brisée qu’elle était. « J’ai le droit de savoir ce qui s’est passé. Je veux qu’il me dise pourquoi il m’a abandonné à un autre… » Elle s’arrêta un moment, sentant les mots s’étrangler dans sa gorge. Parce que derrière toute cette colère, derrière toute cette tristesse, était une femme qui voulait simplement être aimée inconditionnellement à nouveau… Mais la tristesse était devenue si profonde, si ancrée, qu’Adélina se demandait sincèrement si elle en valait la peine. « Avec tout ce qui s’est passé, je ne me retrouve plus. Je regarde un miroir et je suis incapable de me reconnaître… J’ai beau vouloir hurler, et je me retrouve à nouveau silencieuse. La nourriture - aussi luxueuse qu’elle soit - me semble aussi âpre que des cendres. Peu importe ce que je fais, peu importe ce que je dis,une partie de moi est resté à Meca… Et je ne peux rester ainsi… » Elle fit un nouveau pas vers le noble, s'approchant dangereusement de ce dernier. Son visage n’était qu’à un souffle de ce dernier, son regard ancré dans le sien, elle reprit ; « J’ignore si confronter le Rokvenha est la meilleure des solutions… Mais tout ce que j’ai essayé jusqu’à maintenant n’est aller nulle part. » La nordienne releva son menton avant de conclure; « Je veux redevenir la femme que j’étais. Je veux redevenir heureuse. »

Louis remua la tête lentement, signifiant qu’il n’avait en effet que peu de connaissances autour de toute cette histoire.

« J’ai entendu des rumeurs, qu’ils soient mécans, d’honnêtes gens, de bourgeois ou de nobles, elles ne restent que des histoires. Il est difficile de déceler le vrai du faux. »

Le mouvement de la jupe de la baronne lui fit baisser les yeux, rompant ce lien qui s’était créé entre leurs regards. Il ne put empêcher ses yeux d’apprécier la vue de cette jambe meurtrie et svelte. Les cicatrices n’enlevaient rien de sa beauté. Pour le jeune homme, les marques étaient naturelles sur le corps. Lui-même en avait de multiples un peu partout sur le corps. Lorsqu’on vivait dangereusement, on n’en ressortait jamais indemne. Les femmes de son entourage d’autrefois étaient toutes marquées ainsi. Le viol et la violence était fréquents dans les villages et villes du comté, et elles avaient appris à vivre avec. Cette fois, tout de même, difficile pour Louis de rester de marbre. La rare vision de cette jambe dénudée lui fit un effet étrange, et il sentit une pointe de chaleur monter dans son ventre. La voix d’Adélina retentit de nouveau, d’un ton aussi triste que ses paroles. Son vêtement n’avait pas fini de redescendre que le garçon avait déjà retrouvé les yeux de la belle des siens. La situation lui échappait, il se sentait ému par la fragilité de cette dame qui lui avait semblé pourtant si forte.

Louis resta coi, écoutant ses paroles sans la quitter du regard. Lorsqu’elle se rapprocha de lui et que son parfum l’envoûta presque autant que l’intensité avec laquelle elle le regardait, il fit un mouvement imperceptible vers l’avant. Il sentait son souffle sur son cou dévoilé. Sa tête était légèrement penchée vers l’avant, la bouche faiblement entrouverte, écoutant chacun de ses mots qui percutaient ses sensations. Adélina était une femme brisée comme il n’en avait jamais connu. Il cligna des yeux et souffla à son tour, avant de se pencher et de la prendre délicatement dans ses bras, une main derrière la tête, l’autre au milieu de son dos. Louis  la serra contre lui, enfouissant sa tête dans le creux de son cou, et posa son menton sur sa chevelure encore mouillée. Il laissa des mots doux s’échapper dans un murmure, qu’il n’aurait peut-être pas osé dire.

« Votre cauchemar est terminé, dame Adélina de Lourbier. Laissez ce passé tourmenté derrière vous. Les actes d’un pirate sans honneur sont injustifiables. Il vous a abandonnée alors, et l’a de nouveau fait aujourd’hui. Vous ne lui devez plus rien. Vous avez une chance de reconstruire un nouvel avenir auprès d’Adriano. Accrochez-vous à lui, et à ceux qui vous sont et vous resteront fidèles. » Il la blottit un peu plus fort contre lui, appréciant le contact chaud de son corps contre le sien à travers les vêtements fins qu’ils portaient tous les deux. « Vous êtes en sécurité maintenant. Le bonheur n’est plus qu’à quelques pas de vous. »

Au moins, il y avait une certaine lumière dans les dires du noble. Il ne connaissait pas toute l’histoire… Les gens parleraient, cela était sûr, mais tant que la version qu’elle avait racontée au Duc prônait, elle s’en sortirait. Puis soudainement, l'inattendu arriva. Louis la prit dans ses bras. Elle put sentir sa main sur l’arrière de sa tête, l’autre sur sa taille, alors qu’il la forçait à combler le vide entre eux. Si la baronne se crispa au départ, elle se détendit rapidement en sentant la chaleur de l’homme. Fermant les yeux, elle eut presque l’impression de se retrouver dans les bras du corsaire à l’auberge. Sa tête se lova dans le creux de son épaule, alors que le moindre muscle de son corps se détendit. Ses mains se placèrent à plat sur son torse recouvert de lin. Puis, la jeune femme ouvrit de nouveau les yeux, ce n’était pas lui. Il ne sentait pas la mer… Mais cela n’empêcha guère le noble de prendre la parole, la blottissant même un peu plus contre lui. Il se voulait rassurant, mais malheureusement, Louis semblait ne pas s’y connaître, ou du moins connaître la triste histoire de la baronne. Cette dernière ne put s’empêcher de souffler du nez avant de rétorquer ; « Vous voulez me dire m’accrocher à un mariage de circonstance… Ne vous méprenez pas, Adriano n’éprouve pas d’affection pour ma personne. Vous l’avez vu vous-même en Ydril. » La suite ne put traverser ses lèvres. Elle était heureuse il y a quelques mois. Avait un mari fantastique qui l’aimait plus que tout l’or du monde. Qui ne l’avait jamais abandonné et qui la respectait. Théodoric avait été l’homme parfait pour elle. Le chevalier galant au côté de sa dame. Ce n’était qu’à la mort de ce dernier que les choses avaient bousculé. De vie parfaite, elle n’avait cessé de tomber plus bas, accumulant malchance, erreur et surtout épreuves, qui étaient toutes plus difficiles les unes des autres et elle n’en pouvait plus… Adélina s’était perdue, et elle n’avait que deux choix ; soit elle devenait cette nouvelle personne, soit elle retrouvait celle qu’elle avait perdue.



La baronne releva finalement la tête, plongeant de nouveau son regard dans celui du noble. Observant les prunelles marron du jeune homme. Leurs visages étaient si près l’un de l’autre. Elle aurait dû se libérer de cette étreinte, ne pas croiser le regard du noble. Jamais elle n’aurait dû l'inviter à venir dans ses appartements ainsi ou même se trouver à Sirilac. La noble allait dans un chemin qui pourrait s’annoncer encore plus dangereux. Son nez était si près de son visage qu’elle pouvait sentir son souffle chaud sur sa peau. Alors qu’elle se faisait violence pour réprimander l’envie qui montait en elle. Cela faisait trop longtemps qu’on ne l’avait pas rassuré ainsi, trop longtemps qu’on ne lui avait pas donné une quelconque attention. Sans le vouloir son pouce s’écarta de ses doigts, caressant la chemise de lin de Louis, avant qu’elle ne se ressaisisse finalement, refermant rapidement les poings. « Je ne peux pas… » Murmura-t-elle plus pour elle-même que pour Louis. La jeune femme aurait aimé ne rien ressentir, mais le contact de l’homme était rassurant, comme un pansement pour un cœur qui était inévitablement brisé.

Louis s’attendait à ce qu’elle le rejette, le repousse, le frappe, le gifle, l’insulte, le méprise, crie au secours ou s’enfuie. Après tout, elle restait la baronne d’Alonna, la promise au duc de Soltariel, et lui le comte héritier d’Ydril. Ce contact déjà intime entre ces deux adultes devait être interdit, et le garçon commençait déjà à regretter son geste au moment même où il sentit les mains douces et froides de la jeune femme contre son torse. Pourtant, elle ne se retira pas. Au contraire, Adélina l’accepta et enfoui son visage contre lui. Son nez glacé le fit frissonner, contraste fort avec la chaleur de sa peau et de son corps. Elle finit par ouvrir les lèvres, et ce qu’elle lui révéla et qui lui semblait si évident le surprit d’autant plus.

Il avait bien compris que les mariages de la haute noblesse étaient souvent par profit et pas par amour, mais il avait imaginé, ou espéré, qu’une affection se créait bel et bien entre les deux intéressés. D’après l’expérience de la jeune femme, ce n’était pas le cas. Adriano ne la considérait donc que comme un outil pour sa stature ? Était-il si froid au point de ne pas être épris par le chagrin de cette femme ? Une colère sourde naquit dans le cœur de Louis, colère qui s’estompa vite lorsqu’Adélina releva la tête et le fixa des yeux. Il ne put détacher les siens de ce regard intense qu’elle lui offrait, tandis que les battements de son propre cœur s’accéléraient, et que les pommettes de ses joues rougissaient légèrement. Il sentait son souffle sur ses lèvres et la caresse de son pouce contre son torse. Il murmura son surnom, « Lina… » au moment précis où elle semblait vouloir se convaincre. Son étreinte se desserra subtilement, sa main glissant un peu plus bas dans le creux de ses hanches. Elle était libre de s’écarter à chaque instant, de se libérer et d’éviter cette faute qu’ils commettaient ensemble. Il approcha son visage un peu plus, effleurant ses lèvres des siennes dans un contact grisant et délicieux, et parla d’une voix plus douce encore : « L’affection que je vous porte est bien réelle, ma dame. »

La tension entre les deux nobles était palpable, imprégnant l’air de désir inexprimé et d’une électricité presque tangible. Leur regard ancré l’un dans l’autre, la respiration de la nordienne devint de plus en plus profonde, semblant retenir une envie aussi soudaine qu’inexpliquée. Elle put sentir la main du jeune homme descendre doucement dans le creux de ses hanches, suivant les courbes de son corps délicat. La nordienne ne put s’empêcher de laisser s’échapper un soupir saccadé, alors que leurs lèvres étaient si près l’un de l’autre. Elle pouvait voir une intensité presqu’enflammée dans son regard, trahissant son attirance pour elle avant même que les mots ne le révèlent. Une confession interdite, qui ne pourrait les mener dans le bon chemin. Cette étreinte furtive - loin des regards indiscrets, était comme les éclairs qui zébraient le ciel cette nuit-là, illuminant les flammes d’une passion malsaine pour l’un et refoulé pour l’autre. Une tension tel un feu ardent qui consumait lentement les barrières de la convenance et du devoir. La jeune femme baissa les yeux pendant une seconde, semblant vouloir reprendre son souffle.



Puis, la raison sembla la frapper. Non, elle ne pouvait pas… Elle ne pouvait mener en bateau ce jeune homme qui méritait tout sauf une femme brisé à ses côtés. Louis méritait d’être heureux, et non mené en bateau par elle. Adélina était trop brisée, trop abîmée pour jouer d’un être ainsi. Sa main remonta doucement sur la joue du garçon, caressant sa peau du bout des doigts avant de murmurer; « Je ne peux pas, Louis… » Son regard était un mélange de passion et d’inquiétude, alors que son regard ce portrait sur le jeune homme. Les éclats des étoiles semblaient danser dans ses yeux, échos de l’intensité du moment qu’ils venaient de partager. Un silence poignant s’installa entre les deux, chargé de l’effervescence de l’émotion partagée. La jeune femme lâcha finalement Louis, avant de se séparer doucement de ce dernier. Elle frissonna alors que la fraîcheur de la nuit la rattrapait finalement. Adélina se dégagea finalement, faisant un pas hésitant vers l’arrière. Ses épaules portant le poids de l’interdit qui pesait sur eux. « Dans quelques jours, je serai votre suzeraine, je vous respecte trop pour vous faire cela… » Murmura-t-elle avant de baisser les yeux au sol.

Ce moment intime et intense, Louis le savourait, perdu dans les yeux bleus de la veuve qui le transperçaient et semblaient scruter dans son âme. Son parfum l’enivrait. Son souffle le galvanisait. Il ne pensait à rien d’autre que l’instant présent, sans même réfléchir aux conséquences de leurs actes.

Il la désirait.

Son corps entier criait sa passion pour elle. Il voulait la sentir contre lui, la voir complètement dévoilée, la toucher plus intimement encore. Il n’avait qu’à se pencher un peu plus pour que le songe vire au rêve, et le rêve devienne réalité. Alors, quand elle baissa les yeux durant cette courte seconde, son cœur manque un nouveau battement. La baronne hésitait, tandis que lui reprenait conscience de son propre rang. Qu’était-il en train de faire ? Lorsqu’il retrouva son regard, il le trouva changé. Il sentit les doigts de la jeune femme lui caresser le visage, et les quelques mots que le garçon redoutait furent prononcés. Ses mains quittèrent la taille d’Adélina et sa nuque, la laissant s’écarter à regret. Son choix avait été fait, il ne la méritait pas.

Le comte héritier s’y attendait presque. La soirée avait prit un tournant inattendu, dont l’issue avait été décidée depuis bien avant leur première rencontre. Louis n’avait aucune chance, il fallait se rendre à l’évidence : il était trop jeune, et son propre rang, bien qu’il dépassât celui de la baronne, était bien inférieur à ce qu’elle avait à gagner en se comportant dignement. Un mariage ducal l’attendait. Pourquoi tout risquer pour une seule nuit de passion ? Dans ses yeux, il pouvait lire de l’inquiétude, ou était-ce de la pitié ? Il se mordit la lèvre et, ne pouvant soutenir son regard, détourna légèrement la tête. Un creux se forma dans sa poitrine, il se sentait en apesanteur, comme s’il marchait dans le vide. Si l’instant précédent, il aurait tout fait pour le faire durer, il souhaitait maintenant disparaître de ce salon, de cet appartement, de cette auberge, de cette ville.

Louis l’entendit inspirer pour parler de nouveau, et lui offrit un regard qui mêlait déception, tristesse et compréhension, avec un soupçon de rancœur. Quand il entendit ses mots, son cœur chavira de nouveau, et ses sourcils se froncèrent. Il fit un pas vers elle, réduisant à néant la distance qu’elle venait tout juste de créer, et lui prit la main délicatement.

« Votre inquiétude est touchante, Lina. » Sa bouche dessina un sourire plein de compassion et de tendresse. Il continua dans un murmure, couvrant à peine le bruit des gouttes de pluie martelant la fenêtre : « quand commencerez-vous donc à prendre soin de vous et non des autres ? »

Sans attendre une seconde de plus, il se pencha vers elle pour déposer ses lèvres sur les siennes.

Adélina ne manqua guère le changement d’expression chez le suderon. Ce mélange de frustration et d’envie. Des étincelles s’étaient allumées entre eux, et Louis ne semblait pas vouloir les éteindre. Peut-être était-ce le fait que ce dernier n’avait pas vécu à la cour. Il avait probablement eu une enfance beaucoup plus libertine que celle de la nordienne. D’ailleurs, cette dernière se laissa faire alors qu’il prit sa main dans la sienne, avant de lui mentionner qu’elle devait arrêter de plaire les gens. Puis, il posa ses lèvres sur les siennes. Surprise, la jeune femme se crispa entièrement, ne semblant pas réaliser ce qui venait de se passer. Puis la raison revint. La jeune femme le repoussa, faisant deux pas de reculons, son dos heurtant le bois du mur. Haletante, cette dernière regardait Louis, tentant de reprendre ses esprits. « Mais qu’est-ce que vous faites ? » Parvint-elle à dire au travers de sa respiration saccadée, paniquée. Ce n’était point une question dont elle s’attendait à avoir une réponse. Sa respiration tremblait, alors que son regard était fixé sur le jeune homme. Dire qu’elle n’avait rien ressenti à ce moment-ci aurait été un horrible mensonge. « Je ne peux faire cela… Je suis promise et je… » Elle ne put finir la phrase… Le reste restant prise dans sa gorge alors qu’elle tentait de reprendre le contrôle de sa respiration… Promise à un homme qui ne semblait pas la vouloir. Promise à un homme qui n’avait aucune affection pour elle. Abandonnée par l’homme qu’elle aimait, qu’elle protégeait à tout prix. Abandonnée par un homme qui ne daignait même pas lui accorder de l’attention, alors qu’elle en avait besoin. Et là devant elle, se trouvait un jeune homme qui avait fait le chemin pour la voir, qui lui accordait son entière attention et surtout qui voulait lui donner la tendresse que son cœur demandait... Adélina n’était pas dupe, elle l’avait su dès leur première rencontre qu’il la désirait, mais jamais elle n’aurait pensé qu’Il irait aussi loin, qu’il traversait la ligne de la bienséance. « Oh et puis tant pis ! » Quelque chose sembla se briser dans son esprit, et la jeune femme combla le vide entre elle et le jeune noble, posa ses mains sur les joues du noble pour l’attirer à elle. Ses lèvres se posèrent sur les siennes, l’embrassant avec toute la passion qu’elle pouvait lui donner. C’était assez. Elle ne voulait plus vivre pour les autres, passer pour la Duchesse parfaite. Toute sa vie, elle avait tenté de plaire, de satisfaire les autres, maintenant, il était temps qu’elle prenne contrôle. Adélina de Lourbier avait choisi de devenir une nouvelle personne.

Lorsque leurs lèvres se trouvèrent, Louis sentit tout de suite sa partenaire se tendre. Le choc électrique que son corps attendait ne fut pas satisfait, et ce moment passionnel qu’il envisageait fut terriblement absent. Le garçon s’en trouva mal à l’aise, et rompit le baiser juste avant qu’elle ne le repousse. Il restait persuadé de ne pas s’être mépris sur la situation : ce n’était pas un désir à sens unique, elle le voulait bel et bien. Pourtant, la jeune femme se refusait à lui. Quand elle le regarda, cherchant à se fondre dans le mur juste à côté de cette fenêtre qui laissa passer un trait de lumière au même instant, alors que le tonnerre grondait de nouveau, il ne pouvait déchiffrer ce qu’il lisait dans ses yeux.

La noblesse lui échappait. Les filles qu’il avait connues ne s’étaient jamais comportées de la sorte. Un petit moment, il pensa la laisser là, retourner dans la salle principale de l’auberge et finir sa soirée aux côtés du chevalier, mais une petite voix au fond de sa conscience lui intima de rester encore un peu. Le jeune homme n’avait plus rien à perdre. Adélina balbutia quelques mots, se perdant dans une très courte explication. Lui sentait encore son goût sucré sur ses lèvres, réprimant l’envie de les lécher pour mieux la savourer. La respiration accélérée, le corps tendu et le cœur qui battait la chamade, il la dévorait des yeux.

Louis n’était pas certain du moment où la baronne lui avait autant tapé dans l’œil. Peut-être était-ce leur course folle dans les ruelles d’Ydril, ou ce doux crépuscule qui les avait illuminés sur la crique, ou encore ce regard tétanisant qu’elle lui avait accordé lors du dîner au palais. Il n’avait pas spécialement remarqué penser à elle fréquemment, mais maintenant qu’il la voyait ainsi devant lui, la bouche entrouverte, éprise d’un désir interdit, tentant de contrôler ses émotions, ses pulsions, auxquelles lui-même avait déjà succombé, il se rendit compte qu’il l’attendait depuis longtemps. Ce n’était pas la même sensation qu’il avait éprouvée sur cette plage de sable fin, où quelque chose d’animal en lui avait failli prendre le dessus.

Alors, quoi ?

Il n'eut pas le temps de prolonger beaucoup plus loin sa réflexion. L’exclamation de la baronne le tira de ses pensées. Il cligna des yeux une fois en la voyant s’approcher, et déjà, elle était de nouveau contre lui. Ses mains guidèrent son visage, leurs lèvres se cherchèrent, se trouvèrent, et elle l’embrassa. Une demi-seconde il resta immobile, surpris par la décharge qui l’enveloppa, avant de se reprendre, de prendre une grande inspiration, et de répondre à son baiser qui s’emballa rapidement. Il la prit délicatement dans ses bras et l’accompagna contre la fenêtre froide, poussant son corps contre le sien. Là, ses mains glissèrent sur ses côtes, ses hanches, son bassin puis ses cuisses qu’il empoigna avec ardeur pour la soulever alors qu’elle s’accrochait à lui. Leur baiser s’intensifia plus encore. Sans attendre plus longtemps, il les fit pivoter et prit la direction de la chambre.

La pièce était encore plus imprégnée de son parfum que le salon, mais Louis ne s’en préoccupait plus. Le jeune homme les guida directement vers le lit sur lequel il la déposa sans jamais la lâcher. Il garda un espace léger entre eux, de quoi laisser la place pour ses mains de grimper le long de son corps, effleurant sa peau à travers la soie fine de sa robe, remontant jusqu’à sa ceinture qu’il retira avec hâte, avant de continuer dans son dos pour trouver le laçage de la robe et le défaire lui aussi. Le vêtement se détendit, et il tira dessus pour découvrir l’objet de son désir. Il rompit enfin leur long baiser et observa le corps mature de la femme. Ses yeux s’attardèrent sur les deux cicatrices les plus apparentes qui le firent frissonner. L’une zébrait son avant-bras droit, l’autre plus fine lui transperçait l’abdomen, détail terrible d’un passé douloureux. Louis ramena sa main gauche sur le visage d'Adélina et fit glisser son pouce sur sa joue droite, fixant les prunelles de ses yeux avec intensité sans dire le moindre mot. Il se pencha en avant, descendant simultanément le long de son corps, et déposa un doux baiser à l’endroit où on l’avait poignardée, puis un autre juste au-dessous. Il continua ainsi sa course, zigzagant sur son ventre, et glissant vers une nuit torride.

Louis se fit rapidement plus insistant, ses mains effleurant les courbes de son corps avant de la soulever sans problème, réussissant à l’asseoir sur une saillie du mur. Elle entoura la taille du suderon de ses jambes, écrasant son corps frémissant contre la poitrine chaude et invitante de son partenaire. Inutile de dire; elle aimait son parfum, son toucher, appréciait ses caresses sur son corps encore trop menue. Adélina ressentait toujours le besoin pressant d’embrasser Louis, sentant ses lèvres brûlées alors que ses mains se rejoignirent derrière sa nuque. Puis, le noble la porta dans sa chambre, là où ils continuèrent leur étreinte, Adélina logeant son nez dans son cou avant de le mordiller, l’invitant à aller plus loin. Ce dernier la déposa doucement sur son lit, avant de lui enlever ses vêtements. Soudainement, la jeune femme le relâcha, sa main tentant de cacher la cicatrice sur son ventre, son regard supportant difficilement celui du jeune homme, comme si une gêne quelconque s’était imposé. Mais son partenaire ne se laissa guère imposer, et il lui caressa doucement la joue avant d’embrasser la moindre parcelle de son corps. Elle avait presque l’impression qu’elle avait attendu ce moment toute sa vie, comme une porte qui s’ouvre enfin sur un bien-être sublime. La jeune femme empoigna le drap de ses doigts, avant de jeter sa tête vers l’arrière, frissonnant sous les baisers passionnés de son amant sur sa peau, comme si ce dernier brûlait sa peau d’une façon exquise au fil de son passage. La suite fut tel le plus excitant des songes.



Puis, elle ne put en endurer plus, se redressant, elle agrippa Louis, afin de lui enlever ses vêtements, les jetant rapidement au sol alors qu’elle cherchait de nouveau avidement ses lèvres. Les deux souffles devinrent un sous la passion et les innombrables caresses de l’un et l’autre. Une nuit comme la baronne n’avait jamais eu, on aurait dit qu’elle avait perdu son innocence avec le jeune noble, s’étant laissé prendre dans une danse des plus surprenante mais aussi excitante. Et lorsqu’ils furent finalement épuisés, éreintés par leur bal, ils se faufilèrent sous les draps, Adélina savourant toujours le corps de Louis. Sa tête se posa sur son bras, faufilant son visage dans le creux de son épaule. Les yeux fermés, elle resta silencieuse un moment, reprenant son souffle alors qu’un sourire semblait être resté gravé sur son visage gracile. Ce fut au bout de quelques minutes, que la nordienne brisa finalement le silence. Relevant la tête vers Louis, sa main se posa délicatement sur sa joue pour attirer son regard dans le sien. « Reste avec moi cette nuit. » Murmura-t-elle, avant de déposer un doux baiser sur ses lèvres. Son regard se planta dans celui de Louis, semblant presque suppliant. Ce soir, elle n’avait pas envie d’être seule, surtout après tout ce qui venait de se passer. Ce soir, elle voulait dormir dans les bras d’un homme qu’elle désirait. La baronne avait besoin de son affection, et avait déjà l’impression d’en vouloir plus. « Je t’en prie, reste avec moi… » Son souffle caressa doucement son menton, alors qu’elle lui jetait un regard inquiet.

Le corps sensible de la jeune femme réagissait à la moindre de ses caresses, de ses touchers, de ses baisers. Il se délectait de son goût presque sucré, encore marqué et excité de la légère morsure dans son cou. Son corps arqué l’invitait à aller plus loin, exaltant d’une passion nouvelle. La baronne succombait à son désir pour son grand plaisir. Elle l’attira de nouveau près de lui après l’avoir débarrassé de ses vêtements, et leurs corps chauds s’unirent dans cette chambre à peine éclairée. Elle n’était pas comme ses expériences passées, non. Ce n’était pas seulement l’interdit de leur acte qui décuplait son plaisir, mais bien la future duchesse elle-même. Au-delà de l’assouvissement de son désir pour elle, Louis se sentait privilégié d’accéder à une femme de si haute noblesse, lui ordonnant des gestes attentionnés et presque précautionneux. Mais la façon dont elle le regardait, cette lueur presque cannibale dans ses yeux, ses caresses et ses légères éraflures, déchaînèrent sa passion. Les cris étouffés par leurs baisers s’attardèrent, jusqu’à ce qu’ils s’écroulent enfin l’un près de l’autre, la respiration saccadée et le teint rougi. Allongé sur le dos, une main posée sur son front, l’autre sur la cuisse de sa partenaire, le jeune homme reprenait son souffle.

La voix d’Adélina lui parvint dans un murmure, alors qu’elle lui pivotait le visage et déposait un nouveau baiser sur ses lèvres. Ce regard, ses yeux, cette supplique… Il sentit la chaleur revenir dans son ventre et un peu plus bas. Il posa sa main sur sa nuque et l’attira au-dessus de lui, tirant légèrement son corps vers le sien pour l’embrasser de nouveau. Ses mains glissèrent dans son dos et ils s’accouplèrent de nouveau, chassant de ses pensées les réflexions inquiétantes qui le menaçaient. Ce n’est qu’une fois leurs seconds ébats terminés, la baronne toujours au-dessus de lui, la tête posée contre son torse, qu’il lui répondit à voix basse, essoufflée, caressant doucement ses cheveux du bout des doigts :

« Lina, je ne partirais pour rien au monde. »

Peu importe que le chevalier s’inquiète de son absence dans la chambre qui les attendaient. Grégoire était de toute façon trop éméché pour le remarquer vraiment. Il chassa cette pensée du risque qu’Aubry puisse venir vérifier que tout allait bien pour sa cousine. Il ignora sa conscience qui lui disait de faire attention. La baronne avait besoin de lui ce soir, et il ne l’abandonnerait pas. Ça, en plus du fait que le jeune homme n’avait pas passé la nuit dans les bras d’une femme depuis de nombreuses ennéades déjà, et que la perspective de se réveiller auprès d’elle le faisait déjà rougir. Il la regarda et lui offrit un sourire rassurant, sa main toujours perdue dans la belle chevelure de sa dame.

« Dormez paisiblement, » lui souffla-t-il avant de déposer un baiser sur le haut de son crâne, « et ne craignez rien. Je ne bougerais pas d’ici. »

La passion ne semblait pas s’arrêter en cette nuit d’automne. Leurs souffles se mélangeant encore une fois, alors que le suderon menait la nordienne dans une nouvelle danse. Ce n’est qu’après plusieurs minutes que Louis reprit finalement la parole, caressant par la même occasion ses longues boucles brunes. Elle se sentait bien à ce moment-ci. Sereine… Finalement appréciée. On aurait presque dit sa vie d’autrefois avec Théodoric et soudainement la soirée prit un tournant bien différent.

« Lina? »


La baronne se redressa soudainement avant de sortir rapidement du lit, faisant signe à son amant de se taire, elle agrippa sa robe de chambre avant de se diriger rapidement vers la porte, ses pieds nus glissant sur les tapis usées. Elle s’arrêta à la lourde porte de bois avant de prendre la parole, tentant tant bien que mal de paraître confiante.


« Oui, Aubry? » réussit-elle à dire.
« Tu m’ouvres…?»
« Non, je ne suis pas présentable… Je viens de prendre un bain. »
« Je voulais simplement savoir si tout allait bien? Et s’il était partit? »
« Depuis un moment déjà! Je te raconterai le tout demain…»
Tout devint bien silencieux, comme si ce dernier ne voulait pas réellement croire à ce que lui disait sa cousine, puis il reprit une hésitation qui donne l’impression à la baronne de durer des lustres, le nordien reprit finalement la parole;
« Mmmm…. D’accord. Tu sais où me trouver si…»
« Oui, Aubry. Je sais. Mais je vais bien. Seulement besoin de temps pour moi…»
Elle put l’entendre soupirer derrière la porte, avant qu’il ne lâche;
« Oui, je comprends. Bonne nuit alors.»
« Bonne nuit Aubry. »



Adélina poussa un soupir de soulagement alors qu’elle entendit les pas de son cousin s’éloigner de la porte. Elle resta silencieuse un moment, attendant de perdre ces derniers alors qu’il rejoignait sa propre chambre à l’autre bout du corridor. Puis, elle barra cette dernière à clé, avant de tirer jeter un rapide coup d’oeil par les fenêtres. Ne voyant personne qui regardait, la baronne tira rapidement les rideaux, laissant un léger nuage de poussière s’envoler avant de se retourner vers la chambre. Adélina refit le même scénario, plongeant la chambre dans l'obscurité. La faible lueur du feu qui virevoltait doucement dans la cheminée éclairait la pièce, et c’est finalement là qu’elle se retourna vers Louis qui se prélassait toujours dans son lit. La nordienne savait pertinemment que ce qu’elle venait de faire était mal… Qu’elle serait probablement punie par la mère pour avoir été aussi fugace… Mais cela lui semblait nécessaire à ce moment-là. Adélina s’avança doucement vers le lit, la bouche légèrement entrouverte, observant le jeune homme. Le temps sembla s’arrêter, alors qu’elle se demandait si elle n’avait pas perdue la tête. Puis, elle laissa tomber la soie du vêtement, découvrant d’abord son épaule, avant que la robe tombe sur le sol. La nordienne grimpa doucement dans le lit, avant de se faufiler entre les bras du jeune homme. Son regard fixant un point devant elle, comme perdue dans ses pensées. Elle put sentir la main de Louis caresser son épaule alors qu’il l’attirait contre lui. Adélina put humer son parfum, fermant les yeux pendant quelques secondes. Elle eut presque l’impression qu’elle pouvait sentir l’air salin avant de s’endormir dans les bras de son amant, espérant silencieusement vivre une vie bien différente de la sienne.

Lorsque la baronne se leva pour répondre à la porte, Louis ne détacha pas son regard de ses belles courbes et ne perdit pas une miette du spectacle. Un sourire fin se dessina sur ses lèvres, appréciant cet instant hors du temps. Il n’était pas à sa place ici, et pourtant, le jeune homme s’y sentait si bien. Il avait l’impression de vivre une idylle, et il apprenait petit à petit à chérir ce trésor. Le garçon écouta avec attention, s’apprêtant à se cacher sous le lit s’il le fallait, mais le chevalier n’entra pas. Il eut une nouvelle pensée pour Grégoire, certainement parti se coucher lui aussi. Adélina attendit quelques instants à la porte, vérifiant qu’Aubry s’éloignait définitivement, avant de s’affairer à diverses tâches qui dépassaient le jeune homme. Lui se contentait de la regarder en laissant les doigts filer sur son torse, suivant des lignes incurvées invisibles. Finalement, la baronne se retourna vers lui, et le garçon lui offrit un visage grave en lui faisant signe de le rejoindre. Difficile de rester impassible face au charme de cette ensorceleuse. Le tissu glissa délicatement contre son corps, et se révéla à lui de nouveau pour son plus grand plaisir. Elle finit par se glisser dans les draps toujours chauds et se lover contre lui. Il l’attira doucement vers lui et ferma les yeux, profitant encore une fois de l’instant délicieux qu’ils partageaient.

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Louis se réveilla en sursaut et en sueur quelques heures plus tard. La baronne dormait toujours, agrippée à son bras pour le retenir dans son sommeil. Son visage semblait paisible, et sa respiration était lente et profonde. Il l’observa une longue minute, avant d’oser poser sa main contre sa joue et lui caresser la pommette. Le garçon posa un baiser sur son front et lui murmura quelques mots doux pour la réveiller. Encore à moitié endormie, elle put l’entendre s’excuser de devoir partir. Il s’extirpa du lit, remit ses vêtements laissés au pied de la couchette et se pencha de nouveau pour déposer un baiser sur les lèvres de son amante. Son bateau partait dans quelques heures, et il fallait absolument qu’il réveille Grégoire avant que celui-ci n’émerge par lui-même et ne remarque son absence. Ils échangèrent un long regard après qu’il eut retiré le barreau de la porte. Louis n’avait aucune idée de quand il la reverrait. Probablement à Soltariel, lorsqu’il répondrait à l’invitation de Catarina. Il espérait fortement que la promise du duc et lui puissent se retrouver dans un coin obscur du palais, mais le comte héritier en doutait. Il soupira, et se détourna enfin en refermant discrètement la porte. Se faufilant dans le salon d’un pas de félin, puis dans le couloir, il retrouva la porte de sa chambre entrouverte. Il fit une grimace et trouva sur l’un des lits un chevalier encore tout habillé qui semblait avoir fusionné avec le matelas. Le garçon pouffa doucement et se rapprocha pour le secouer par l’épaule.

« Eh l’ami, debout. »  Un grognement étouffé lui parvint. « Allez, on va rater notre navire. Il faut qu’on rentre. »

Grégoire ouvrit un œil morose et soupira, avant de se lever. Il se débarbouilla rapidement et, après avoir rassemblé leurs affaires, ils prirent le chemin de la sortie. Louis jeta un dernier regard en arrière vers la porte de sa future duchesse, puis emboîta le pas du chevalier. Les rues étaient toujours calmes à cette heure tôtive. Ils avançaient en silence près l’un de l’autre, la tête rentrée dans les épaules, descendant l’avenue qui menait droit au port. À mi-chemin, le chevalier sembla enfin émerger complètement, et demanda toujours d’une voix cassée :

« J’t’ai pas entendu rentrer hier. T’étais où ? »
« Hier ? » Louis déglutit et dévisagea son partenaire. « Tu t’es couché après moi, je t’ai entendu t’effondrer sur ton lit. Tu ne m’as pas vu ? »
« Ah ? Peut-être, oui… »

Grégoire réfléchit un petit instant, et abandonna finalement l’idée. Il était persuadé d’avoir vu une couchette vide quand il était rentré dans la chambre. Et lorsqu’il s’était réveillé, l’odeur de Louis au-dessus de lui avait changé. Il se persuada que son esprit lui jouait des tours quand ils arrivèrent au port, et le capitaine leur faisait déjà signe de la main. Il était l’heure de quitter Siriac. Si le duo revenait bredouille de ce long voyage inutile, et que leur mission s’était soldée par un échec, le garçon, lui, avait l’impression d’avoir tout gagné.