Le carillon des astres (Ciryon)

Les poils du balai caressent les dalles de la cuisine dans l’espoir vain de réparer les dégâts. Mais pour l’heure, ils ne font que les aggraver, ou tout du moins les déplacer entre les interstices. La daedhelle finit par s’accroupir et souffler sur la farine. Dans une quinte de toux, elle se saisit finalement d’une pelle et, tant bien que mal, y rapatrie les volutes de farine disséminées dans la cuisine.
En se redressant, son regard se perd entre les bols, les verres, les pots, les assiettes, les cuillères et les fouets. T’sisra gonfle les joues et pousse un long soupir face à ce qu’il reste du champ de bataille culinaire. Ce qui, au demeurant, aurait dû être une matinée pâtisserie « calme et amusante ». Pourtant, il n’avait suffi que d’un peu de bonne volonté ainsi qu’un soupçon de passion enfantine pour que s’installe le chaos sous sa forme la plus pure, ne laissant plus que les stigmates des ravages causés par les rires et la gourmandise.

- Eh bien, celle-là, je ne l’aurais pas volée.

Non, visiblement encore tout excité et plein de farine, se balade entre les chaises et les tables. À en juger par son air, aucun doute ne fait que ce monstre à une idée derrière la tête. Seulement, il est encore occupé à réfléchir à sa réalisation et hésite encore quant à la chaise sur laquelle il va sauter tandis que sa maîtresse est occupée à trier bols et assiettes.

- Eh ! Non. Fait-elle en dressant un index inquisiteur. Non...

Le chien observe la noirelfe en penchant légèrement la tête sur le côté. Durant l’espace d’un instant, il semble que son idée lui passe, mais... Il finit par agiter son arrière-train tout en préparant son saut. Un bond, puis un second et le voilà sur la table, à glisser dans la pâte et la farine, bousculer les ustensiles qui tombent dans un concert métallique sur le pavé. Ce qui, évidemment, le surprend et le pousse à pédaler dans l’autre sens pour fuir la tablée à toute hâte.

- Non !! S’exclame T’sisra en laissant retomber ses bras le long de son corps. Noooon ! Viens ici ! Reviens !

Débarquant dans la pièce principale, son regard observe les traces de pattes qui prennent la direction du jardin dont la porte est entrebâillée. Elle pince les lèvres et pousse finalement un long soupir, tandis qu’à l’opposé un cœur aventureux approche de l’entrée. Elle baisse les yeux sur ses mains, les essuie autant que faire se peut sur son tablier, sans se rendre compte de la farine mêlée à sa chevelure, et dont le chignon ressemble plus à un pouple qu'à autre chose désormais, ni des morceaux de pâte accrochés à son sourcil.

- Salutations. Souffle-t-elle en ouvrant le battant de la porte d’entrée. Je peux vous aider ?

- Une Daedhelle ! Et puis quoi la prochaine fois ? Un kobold peut-être ?

Cìryon parle tout seul, préférant cela que de laisser l’appréhension lui nouer l’estomac. Le forgeron a beau avoir une confiance quasi absolue en son ami d’enfance, cette fois… cette fois il ne peut s’empêcher de trouver la situation gênante. Alors il essaie de se rassurer, en se disant que ce n’était pas la première fois qu’il entendait parler de la fameuse « T’sisra », déployant et repliant en boucle tous les arguments lui venant en tête, parfois à haute voix, alors qu’il avançait vers sa destination.

L’Elfe Noire avait été ostentatoirement du côté des défenseurs au cours de la récente bataille de Naélis, et qu’au vu des dégâts subis par l’armée Eldéenne, il ne pouvait pas s’agir là d’une simple ruse.
L’Elfe Noire s’était installée en Alëandir – avec un Sylvain se disant son compagnon – depuis quelques temps déjà, et que pour l’instant en tout cas, elle n’avait pas plus fait parler d’elle que de raison.
L’Elfe Noire était censément depuis longtemps connue des Dawis, et ceux-ci étaient prêts à défendre sa bonne foi de leur honneur.
Et puis… pour peu qu’il ait à se battre, ce ne serait ni la première, ni la dernière fois. Il était loin d’être un  artisan sans défense.

La main gauche de Cìryon, machinalement, vient reposer contre la poignée de la masse d’arme attachée à sa ceinture, tandis que sa droite tâte son flanc, vérifiant – comme s’il avait pu les oublier – que les couteaux qu’il gardait dans la doublure de son manteau n’avaient pas disparu.
Et le moment fatidique finit par arriver. Les chemins de terre du quartier indiqué par l’Aran lui rappellent qu’il sera bientôt sur place. Le forgeron inspire longuement, et se redresse de toute sa hauteur, pour se donner contenance. Il voudrait pouvoir croiser les mains dans son dos, et avancer aussi nonchalamment qu’il en a l’habitude, mais il ne peut s’en empêcher, chaque fois qu’il s’y efforce, ses paumes reviennent machinalement retrouver le confort de ses armes.

- Quand il faut...

Le forgeron s’apprêtait à frapper à la porte de l’antre de la bête quand une créature indescriptible surgit soudainement pour lui grogner ce qu’il finit par comprendre être des salutations dans un elfique prononcé dans un accent tout aussi indescriptible.
Le menton rentré dans son cou, les sourcils dans les cheveux et les yeux écarquillés, Cìryon bat des paupières, plus médusé que réellement effrayé par le spectacle qui se joue devant lui. Si bien que les secondes passent sans qu’il ne trouve quoi répondre, et que constatant les secondes passant, il ne trouve toujours pas plus à ajouter. Mais ses talons finissent par retrouver le sol, et sa nuque par se détendre. Difficile par contre pour celui qui n’a pas l’habitude de le faire, de taire les pensées lui fusant à travers le crâne.

- Ce n’est décidément pas ce à quoi je m’attendais quand Grawmîn m’a dit qu’une Daedhelle avait besoin de mes services.

La noirelfe penche la tête sur le côté en observant la réaction de l’elfe. Un fin sourire s’empare de ses traits tandis qu’elle souffle sur une mèche de cheveux lui barrant le visage. Profitant de ces secondes s’égrainant dans le silence, elle détaille l’elfe d’un regard curieux.

- Vous n'êtes pas le premier. T'sisra se désigne d’un geste vague de la main. On me prend souvent pour un sang-mêlé. Alors, vous ne serez sans doute pas le dernier. Son index pointe du direction du poitrail de l’elfe, sous sourire se pare d’un brin de malice et son sourcil s’arque. Ciryon ? C’est bien ça ?

La daedhelle s’appuie contre le battant de la porte, son regard se perd dans les environs l’espace d’une seconde, puis elle secoue la tête et s’écarte du passage en priant son invité à en franchir le pas d’un geste de la main.

- Mais je vous en prie, entrez. La daedhelle délaisse la porte et s’enfonce dans la grande pièce, désignant le divan et la petite table sur laquelle trône encore trois assiettes pleines de miettes à l’odeur alléchante. Faites comme chez vous. Nous avons fait... Nous avons essayé de faire des gâteaux ce matin, corrige-t-elle en se frottant l’arrière du crâne alors qu’un air gêné passe dans ses yeux, avec les enfants. Ce n'est pas une franche réussite, mais le résultat n’est pas si mauvais ! Quant aux ingrédients, dites-vous que c’est aux fruits de saisons, parce qu’ils y ont mis tout ce qui avait... elle mime les guillemets dans un sourire, une « jolie couleur ».

T’sisra pose les mains contre son ventre et reprend le sens des réalités. Elle secoue la tête, retire son tablier plein de pâte et de farine, avant de retrousser les manches de son chemisier et dévoiler sa peau tatouée par la même occasion. Levant les index, elle se dirige vers la cuisine. Quelques instants suffisent pour qu’elle en ressorte avec deux assiettes chacune garnie d'une partie de gâteau à l’aspect… Un peu trop plat.

- Je vous remercie d’avoir accepté de bien vouloir me rencontrer.

Les assiettes déposées sur la petite table, elle fait quelques pas vers une autre table où attendent un pichet et des verres.

- Le jus de fruit a subi le même traitement. Question recette j'entends. Si ces sacripants y ont survécu, on devrait y arriver aussi.

La noirelfe s’assoit sur un tabouret en face du divan, appuyant ses coudes sur ses genoux. Sa main vient chercher sa cuillère, elle lève les yeux vers le forgeron tout en goûtant le résultat on ne peut plus artisanal de leur matinée pâtissière.

- On fera mieux la prochaine fois. Conclut la daedhelle dans un haussement d’épaule accompagné d’un gloussement.

- Le seul et l’unique oui.

La réponse du forgeron, comme ses premiers pas au sein de la demeure de l’Eldéenne. L’agencement des meubles, les papiers traînant ci et là, les chaussures rangées dans un coin, les vêtements dissimulés par la porte mal fermée d’une penderie… Cìryon observe ce qui l’entoure avec bien plus d’attention que ne le laisse entendre son apparente légèreté et l’air distant qu’il s’est imposé face à cette étrange rencontre.

- Ne me remercie pas, grâce à toi Grawmîn m’en doit une !

L’elfe prend place dans le divan en laissant échapper un rire. Ses pupilles sont toujours braquées sur la noirelfe, et son esprit analyse toujours le moindre de ses gestes… mais il n’en paraît rien. Au contraire, le forgeron a bien vite fait de laisser tomber l’idée de se tenir le dos droit pour s’avachir dans ce qui est un siège tout à fait agréable. Et pendant que l’hôtesse de ces lieux fait son manège, l’artisan se saisit d’une des assiettes où gisent les cadavres de précédents « gâteaux ». Intrigué par l’odeur, il porte l’assiette à son nez pour mieux la flairer, tout ça pour que lui soit confirmé ce dont elle venait de le prévenir. Les enfants avaient vraiment mélangé tout et n’importe quoi.

- J’ai connu trop d’enfants étrangements résistants à l’écœurement pour passer mon tour. il déclare d’une voix presque trop sérieuse, avant de lancer un sourire en coin presque charmeur Mais si tu as de la liqueur...

Le forgeron pointe des index complices en direction de la Daedhelle, qui – peut-être trop occupée à boire son jus-pot-pourri – ne réagit pas outre mesure. Quelques inconfortables secondes passent, et Cìryon finit par lourdement soupirer, ses épaules retombant en même temps que sais mains. L’empressement du forgeron finit par percer au travers de sa carapace de légèreté, du moins son empressement et la curiosité qui le titillait elle aussi depuis qu’il savait une drow chercher les conseils d’un elfe.

- Bon, soyons sérieux un instant, j’imagine que ce n’est pas pour me faire goûter des pâtisseries que tu m’as fait venir, si?

- Mh… Non, en effet. Elle se relève et dépose son assiette sur le tabouret avant de se retourner et de dresser les index à l’intention de Cìryon. Je vais vous montrer.

La daedhelle s’essuie les doigts sur son pantalon déjà sali de farine et, d’un pas assuré, s’en va pousser la porte de la chambre. Quelques instants rythmés par les sons d’un remue-ménage s’écoulent pour qu’enfin, elle revienne auprès de son invité, un rouleau de tissu entre les mains et une épée dans son fourreau arnachée la ceinture.

- On m’a vanté vos qualités de forgeron. Des qualités reconnues par tous vos pairs de la Prime Œuvre, de ce que j’en ai compris. T’sisra se penche au-dessus de la petite table et dépose le tissu qu’elle déroule, dévoilant une épée dont la lame est brisée nette. Les elfes de Naélis n’ont su me dire de quoi il s’agit très exactement. Il y a peu de doute sur le fait qu’il y ait bel et bien de l’acier de veladrien présent dans l’alliage, mais le reste est un mystère. Pour le moment ! Ajoute-t-elle avec un sourire en coulant un regard empreint de malice en direction du forgeron. J’ai retrouvé celle-ci en Aduram, son index désigne la lame brisée, mais j’ai découvert leur existence lors de mes recherches sur l’Empire Nisétien. Je suppute qu'elles ont été forgées à une époque où l’Aduram n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, avant de passer entre les mains d’un forgeron de l’empire déchu.

La noirelfe pousse sur ses jambes et s’écarte de trois pas avant de tirer l’arme à sa ceinture. Dans une habile gestuelle, elle fend l’air et fait chanter la lame. Un sifflement accompagné d’un léger et singulier vrombissement tranche dans le silence.

- Ce sont des lames jumelles. Je cherche un forgeron capable de réparer ce qui fut brisé. Se rapprochant à nouveau de son invité, elle lui tend l’arme à l’horizontal en passant son pouce contre le grain étonnement rugueux de l'acier, comme si sa surface était poreuse. Étrange comme métal, n’est-ce pas ? Le regard rivé sur la lame, elle laisse un silence s’imposer avant de secouer brièvement la tête et de se fendre d’un sourire amical. Accepteriez-vous de me venir en aide ? Pensez-vous être capable de plier cet acier à votre volonté et réparer la lame brisée ?

Dès lors que son artisanat fut mentionné, l’attitude de Cìryon changea du tout au tout. Son regard se fit plus ouvertement perçant, son attention plus directe et son sérieux plus évident. L’Elfe tenait à son statut de Tamin Dolan et en était fier, mais il savait aussi sa place au sein de ce cercle trop jeune encore pour ne plus avoir besoin de se prouver. Ainsi, à la vue des lames que lui présenta l’Eldéenne, il fut trop intrigué pour être surpris.

Rapidement, il se saisit de celle que lui tendait la Noirelfe, et imitant ses gestes, la fit siffler à son tour, s’enquit de son grain, puis la soupesa. Les sourcils du forgeron se soulevèrent bien haut. Étrange était le bon mot. Jamais de sa vie Cìryon n’avait croisé tel alliage, mais à première vue, il semblait en reconnaître quelques caractéristiques. Aujourd’hui ses siècles d’expérimentations le servaient bien. Ils seraient certainement bien peu les elfes, même parmi les Tamin Dolan aussi à l’aise que lui dans l’Art de discerner l’inconnu.

- Je devrais en être capable oui... il se saisit de la lame brisée de son autre main, et lui impose le même régime que la première ...mais je vais être honnête : je n’ai jamais de ma vie croisé d’alliage pareil en Anaëh. Ce qui signifie qu’avant de la reconstituer, je vais d’abord devoir identifier comment elle a été fabriquée. Autant dire que ça risque de prendre un bout de temps. il tend l’une des deux épées à T’sisra Il faut aussi que tu saches que même si je les reconstitue, selon ce qui ressort de mes recherches, je ne peux pas te garantir de te les rendre. Si l’on découvre que ces lames ont eu une importance dans notre histoire, il y a de grandes chances que mes collègues cherchent à les conserver. Et à ce moment, même un plaidoyer d’Artiön ne suffirait pas à les en dissuader. Tout ce que je pourrai faire, c’est te faire savoir ce que j’ai trouvé. il dépose la lame brisée là où il l’a prise Tu serais prête à prendre ce risque?

Les doigts de la daedhelle se referment sur sa lame, qu’elle glisse dans son fourreau. Elle affiche une moue songeuse, puis l'un de ses sourcils s’arque, bien qu’elle ne soit pas particulièrement étonnée. Sans un mot, elle pose les yeux sur la lame brisée et finit par rouler le tissu. T’sisra se redresse et secoue la tête en emportant les épées dans la chambre. Elle en ressort pour finalement venir se rassoir sur le tabouret et reprendre la dégustation de son gâteau là où elle l’avait laissé.

- Je m’attendais à une réponse de ce genre-là. Mais votre histoire est aussi la mienne. Si elles ont bel et bien appartenu à mon ancêtre, j’estime y avoir d’autant plus de droits que quiconque ici. Et je ne suis pas passée par le plan des Ombres et l’Aduram pour accepter de m’en séparer. Alors... Non, je ne prendrai pas ce risque. Elle enfourne une bouchée de gâteau derrière ses dents et lève le regard en direction du forgeron. Sans compter que pour le moment, tout semble m’indiquer en avoir besoin pour affronter un être venu d’un temps oublié.

La noirelfe dépose l’assiette vide sur la petite table et croise les bras, en affichant une moue embêtée. Son front se plisse sous la réflexion tandis que son regard se perd dans le vague.

- En plus de ça, je ne sais malheureusement pas quels autres métaux entrent dans la composition de l’alliage. Et je ne suis pas certaine qu’on puisse le découvrir, car d’après ce que j’en sais, ces épées sont liées à un autre artefact en ma possession. T’sisra glisse sa main dans la besace de cuir à sa ceinture et en tire une pierre pâle, sertie sur une pièce de métal semblable au pommeau de la lame brisée et dont la forme drakéide rappelle l’Empire Dragon. Cette pierre vient du désert Zurthan, un vestige d’un groupuscule qu’on appelait les Veilleurs du Croissant. La Larme d’Iben leur est parvenue depuis les cieux. Pour être exacte, les écrits parlent d’un « chariot de feu » ayant déchiré la nuit. Si le météore leur a permis de façonner ce que sont ces lames aujourd’hui, je doute qu’on puisse en trouver une quelconque trace en Anaëh.

Elle se penche et appuie ses coudes sur ses genoux tout en retournant machinalement la pierre entre ses doigts. Un pincement de lèvres puis un soupir finissent par lui délier la langue à nouveau.

- Je ne me fais pas d’illusion sur l’issue d’une éventuelle coopération. Si on peut appeler ça comme ça puisqu'en vérité accepter cette aide reviendrait à leur céder ces lames. Sans oublier que peu nombreux sont ceux qui veulent bien voir au-delà de la couleur de ma peau, ça ne jouera pas non plus en ma faveur. Et je ne les en blâme pas. Elle hausse les épaules et se fend d’un sourire désolé. C’est comme ça. Peut-être aurais-je plus de chance auprès de mon père, les nains sont aussi de grands forgerons après tout. Encore du gâteau ?

- Alors soit c’est la barrière de langue qui pose problème, soit je ne te suis vraiment plus. le forgeron lève un sourcil, visiblement agacé Si tu étais de toute façon persuadée que les métaux composant l’alliage nous étaient inconnus et/ou inaccessibles, pourquoi m’avoir demandé si je pensais pouvoir reforger ta lame? son ton se fait plus acide, sans pour autant être piquant, plus décontenancé par l’incompréhension qu’énervé contre l’Eldéenne Et si tu es convaincue que la lame est liée à l’Empire de Nisétis, qu’est-ce que tu penses que les Ondurs pourront faire de plus ? Les météores ne tombent pas plus souvent dans le Septentrion qu’ici, et leurs artisanat est certainement plus éloigné de celui des Dracennes que ne l’est le nôtre.

Le nez de Cìryon se retrousse, et il se laisse retomber lourdement dans un fauteuil. L’avouer est toujours tout aussi désagréable. Nisétis. Les Dracennes. L’Elda. La reconnaissance de votre parenté avec ces mondes étrangers était encore jeune, et Cìryon n’était pas de ceux qui s’y étaient facilement faits.

- Je comprends que tu ne veuilles pas prendre le risque de perdre tes lames. Mais quitte à chercher des informations sur leur alliage, et un moyen de les restaurer, tu auras certainement plus de succès en Anaëh, à Thaar ou en Elda qu’au Zagazorn. il soupire À défaut de te les réparer je peux toujours voir si je trouve quelque chose qui puisse t’intéresser.

Le centre du visage du forgeron se froisse à nouveau. Par où commencer, exactement ? Serait-il plus judicieux d’éplucher les traités d’artisanat, d’astronomie ou les livres d’histoire ? Probablement pas les premiers en tout cas. Après tant de siècles à les parcourir, il s’en souviendrait s’il y était fait mention d’un alliage fait d’un métal venu du ciel. Des lames sifflantes par contre… c’était plus familier. Mais peut-être y aurait-il un indice de plus dans la nature de…

- Ton « être d’un temps oublié » il lève un menton pensif Dis m’en un peu plus.

T’sisra avale le morceau de gâteau qu’elle a dans la bouche, pose son assiette sur la table entre elle et le forgeron puis dresse l’index.

- Tout d’abord, parce que je ne sais pas vers qui me tourner. Son majeur imite l’index. Ensuite, si l’un des métaux composant l’alliage est effectivement inconnu, il l'est de tout le monde, donc que je peux demander à n’importe qui, le problème sera le même. Son pouce se dresse à son tour. Et ce que les ondurs ont de plus, eh bien… Ils seraient sans doute ravis d’expérimenter et pourraient m’aider sans me délester de mes lames. Ce qui, force est de reconnaître, est un sacré… Plus. La noirelfe hausse les épaules tout en arquant les sourcils un bref instant. Je n’y connais pas grand-chose en matière de forge ou d’alliage, je me suis simplement dit que, comme j’ai déjà une lame en état, on aurait pu s’en servir comme modèle ou que… Qu’en trouvant la température idéale à force d’expérimentation, on pourrait… Elle fait toucher le bout de ses index. Remettre les morceaux ensembles ? J’ai déjà vu faire ce genre de chose mais…

Dans un geste dénotant à la fois son ignorance des arts de la forge comme son impuissance désespérée, elle lève les mains au ciel tout en pinçant les lèvres.

- Quel choix me reste-t-il à part les ondurs de toute manière ? Il faut des outils en acier veladrien. À part vous désormais, ce sont les seuls à en posséder. Et si les elfes ne peuvent m’être d’aucun secours, il ne me reste plus que les forgerons ondurs, quand bien même leurs techniques et leurs savoirs peuvent être bien différents de ceux des Nisétiens… La daedhelle laisse sa tête tomber vers l’arrière et prend une longue inspiration avant de soupirer et de changer de sujet. Je ne sais pas grand-chose sur ce… Nîrthkal. Prononce-t-elle avec un étrange accent. Enfin, si, j’en sais probablement beaucoup trop et pourtant… Pas assez. Lorsque je fus... Poussée dans le plan des Ombres, il en est sorti. Tout me laisse à penser qu’il y est resté très, très longtemps. Même pour des personnes comme nous. J’ai une vague idée de ce dont capable, mais… Elle chasse l’idée d’un geste de la main. Ce sont des choses dont il ne faut pas vous soucier. Finit-elle par lâcher dans un sourire rassurant alors que son regard quitte l'elfe pour se perdre dans le vague un bref instant. Enfin... Je préférerais éviter d'attirer l'attention de vos comparses et je ne veux pas non plus qu'ils aient un jour l'impression que je tente de faire des choses dans leur dos par votre concours. Et je ne tiens pas non plus à être en mauvais terme avec qui que ce soit. Il me paraît plus sage de laisser tomber cette histoire, je trouverai un autre moyen. La daedhelle se mordille la lèvre inférieure avec une moue embêtée. Je suis désolée de vous avoir embêté avec mes histoires Cìryon. Sincèrement. Mais je vous remercie d'être passé. Nous aurons sans doute l'occasion de nous revoir sous de meilleures auspices, du moins je l'espère. Conclut-elle dans sourire amical.

- « Remettre les morceaux ensemble » est une chose. Cìryon lance, avec toute la solennité du monde Reforger une lame en est une autre. Sans aucun moyen de produire plus du matériau originel, même en trouvant les bonnes températures pour retravailler le métal, on serait obligés d'atteindre à l'intégrité de l'objet. Ondur ou Anedhel, là malheureusement ça ne changera rien.

Le forgeron croise les bras, et ses sourcils se froncent en une moue suspicieuse. Plus suspicieuse qu'elle ne l'était auparavant du moins. Les raisons pour lesquelles T'sisra avait refusé son aide, il les comprenait parfaitement. Ce qu'il peinait à comprendre maintenant, c'était celles qui la poussaient à à ce point désirer voir cette lame reforgée.

- Maintenant la question que je me pose par contre... il penche légèrement la tête sur le côté ...c'est qu'est-ce qui te fait croire que tu auras besoin de ces lames en particulier pour affronter ce « Nîrthkal » ? son regard se tourne en direction de là où la drow venait de ranger les armes jumelles Parce que pour ce que je peux en constater, certes, c'est un très bel ouvrage, mais ce n'est que du métal. Rien qui ne hurle «fait pour occir des créatures d'un temps immémorial».

- Je n’ai pas encore toutes les réponses. Les cultistes y voyaient un danger que j’ai tout d’abord pensé être symbolique. Étant donné qu’elles sont importantes pour le groupuscule religieux qu’ils craignaient. La noirelfe plonge son regard dans celui du forgeron Puis j’ai mis la main sur les récits de celui qui les commande et ils ont tendance à confirmer cette crainte. Je n’ai pas encore précisément compris. Il y a des mots et des expressions que je ne parviens pas encore à saisir. Elle hausse les épaules, fronce les sourcils un bref instant et opine du chef Mais je pense être sur une piste on ne peut plus solide. Son index pointe vers Ciryon Donc, s’il suffit de remettre les morceaux ensembles, et pas de reforger la lame, c’est… Possible selon vous ou non ?

- Possible. il hausse les épaules Facile même. et puis sa moue se fait dubitative Mais si la lame est vraiment si importante, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. il soupire Pour peu que la pleine intégrité de la lame soit nécessaire à faire... ce que tu veux faire, la recoller à la va-vite avant de t'envoyer à la chasse aux monstres ça pourrait vouloir dire t'envoyer à la mort. Et en tant que forgeron qui se respecte, ce n'est pas quelque chose que j'ai envie d'avoir sur la conscience. ses lèvres se pincent en un sourire contrit Même si ce n'est pas moi qui ai recollé les bouts. il lance son crâne en arrière, et se met à regarder le plafond comme s'il s'agissait d'un ciel étoilé Pour l'instant, tant que tu peux te le permettre, je te conseille de continuer de chercher des réponses à tes questions. Si ça se trouve, ce qu'il te manque pour reforger les lames et leur redonner leur pouvoir d'antan traîne quelque part en Miradelphia. Qui sait ? il lève un sourcil Quoi qu'il en soit, et quoi que tu décides, je compte sur toi pour trouver un moyen de me le raconter. il rit Tu as piqué ma curiosité, maintenant j'ai envie de connaître le fin mot de l'histoire.

- Hélas, toutes les questions n’appellent pas de réponses. Et parfois, il est des réponses sans question. Elle hausse les épaules, le regard perdu dans le vague Je suis une aventurière, je m’enfonce dans les profondeurs que les gens observent craintivement de loin et à lueur rassurante d’une torche. Je marche vers l’inconnu, je relève les défis que la vie met sur mon chemin. Et souvent, ça implique d’avancer à l’aveugle, on mesure les risques comme on peut et on continue de mettre un pied devant l’autre. Le fait que nous soyons ici, à discuter en est un bon exemple. Et cette vie, je la choisis. Tous les jours. Comme tous ceux qui embrassent cette voie. La mort peut nous cueillir n’importe quand, mais c’est notre responsabilité, notre Choix. De la même manière qu’il me serait difficile de tenir pour responsable le forgeron des vies que l'épée qu’il a forgé prend sur un champ de bataille, c’est la main qui la manie qui se doit d’en porter le poids. Elle se pare d’un sourire taquin J’ai pris des risques bien plus grands. Si grands que je ne suis pas certaine que vous me croiriez si je vous le racontais. Elle observe le visage de Ciryon, qui lui répond d'un sourcil inquisitif J’ai traversé la moitié du monde en compagnie d’arïn jusque dans les terres stériles pour sauver leurs Souffles. Tari nous a gratifié de sa présence. J’ai refusé de m’agenouiller et nous avons eu un vif désaccord toutes les deux. Pour ça, j’ai été maudite. Elle hausse les épaules dans un sourire Afin de pour prouver ce que je lui ai avancé, j’ai dû m’en retourner au Royaume des arïns et réveiller leur foi en celle qui garde leurs Souffles. Alors… Cette histoire de mage venu d’un ancien temps, ça ne m’effraye pas plus que ça.

- L'orgueil et l'impatience sont les ennemis du succès. le forgeron rétorque sans aplomb, comme n'y croyant pas vraiment Si un simple bout de métal précieux effraie ton mage, c'est que tu n'en as probablement pas besoin. son regard se fait plus sombre Mais s'il craint vraiment cette lame, tu risques de regretter d'avoir pris la chose à la légère. Nombreux des plus grands des héros de ce monde sont morts pour moins que ça. Alors quel que soit ce à quoi tu as pu faire face par le passé, le coin droit de ses lèvres se courbe en un sourire tant que tu en as l'opportunité, fais en sorte de mettre toutes les chances de ton côté dans les épreuves d'aujourd'hui. C'est tout. ses sourcils se soulèvent et son sourire se fait complet Surtout que si tu meurs, moi je n'ai pas droit à mon histoire.

- De l’orgueil et de l’impatience ? L’étonnement s’empare de ses traits et elle laisse échapper un rire Je vous trouve bien présomptueux et sûr de vous. Elle finit par faire claquer sa langue contre son palais Enfin ! Je me débrouillerai autrement. Quant au fin de mot de l’histoire, elle se lève de sa chaise et le pointe de l’index avec un sourire taquin on verra si vous la méritez. Vu comment vous avez l’air de les apprécier alors que ceux qui les entendent se comptent sur les doigts d’une main. elle récupère les assiettes sur la petite table Ou alors c'est moi qui raconte mal. elle hausse ostentatoirement les épaules, dans un geste tout aussi exagéré que sa mine désolée, puis laisse échapper un rire Je vous remercie d’être passé en tout cas.

- De rien. À une prochaine fois peut-être. Tu sais qui sait où me trouver.

Le forgeron se lève, et sans plus de de cérémonie, l'Eldéenne le raccompagne à la porte. Cìryon s'en allait désireux d'en savoir plus, et avec une petite idée d'où chercher. Mais surtout, il rentrait avec la conviction que si celle-là était l'une des amis de son ami, c'est que lui aussi devait effectivement bien être aussi étrange que le disaient ses confrères.