Une douleur plus vive que le feu, consumant l'esprit [solo]

On ne savait point à Thanor si les nouvelles circulaient plus vites que les corbeaux. Comme à mon habitude, je me préoccupais que très peu des rumeurs et autres bruits de tunnels. Une perte de temps, à moins que ce soit autour d’une table afin de justement faire passer ce temps, entre les plats et les jeux. Le reste du temps, j’avais beaucoup d’affaires à mener, de travaux. Et lorsque je ne faisais pas tout ça, je préférai me reposer.

Toutefois les rumeurs en cet après midi de froid et de vent étaient préoccupantes. J’avais entendu parler de la nouvelle expédition vers la montagne, décidée afin de se mettre d’accord sur la signification divine ou non de cette éruption et de ce monde de lave que nous avions tous vu, ressenti au plus profond de nous. Au fond de moi, j’étais persuadé que ce n’était pas qu’un pur hasard géologique, mais il fallait avouer que je n’avais pas plus de connaissances en religion qu’en géologie. J’avais attendu le retour de l’expédition avec curiosité et attention. Mais maintenant, beaucoup de choses s’étaient passées, et j’avais laissé cette curiosité dans un coin de ma caboche. Je ne savais point si le retour de cette expédition était daté. Avec un camp plus conséquent, ils pouvaient s’y maintenir bien plus longtemps qu’à notre première visite.

Mais une agitation inhabituelle se faisait ressentir. Des yeux écarquillés, des messes basses. Des regards étranges jetés vers moi. J’avais du mal à me sentir en retrait de tout cela. C’est à la suite de ces regards inquisiteurs que je vins m’enquérir des nouvelles.

“Tu ne le sais donc point pour Braähm? Que les dieux te supportent mon ami!”

C’est ainsi que les membres de mon clan me résumèrent ce qu’ils savaient de la missive du Roi reçue par le conseil, contant le déroulé funeste de cette expédition. Doublement funeste, par la guerre qui s’annonçait avec ces monstres de feu mais aussi par l’exécution de mon ami Braähm. Son seul tord était d’avoir osé tenir tête au Roi, dans sa vision de cet événement.

Je secouais la tête. Beaucoup d’émotions envers celui qui avait partagé une quête d’exception, dans la vie d’un dawi. Meurtri par le Voile, par la vie, frustré de ne pouvoir se sentir utile, son discours et son action n’étaient qu’une tentative vaine d’avoir encore une importance à ses propres yeux. N’importe qui aurait remarqué que ces paroles, cette véhémence, ne lui ressemblaient point. Pas au Braähm que j’ai connu. Mais à celui qui souffrait à l’intérieur, comme consumé par un feu aux puissances sombres. Sinon, pourquoi aurait-il défié ce qui ressemblait à un dawi de lave et de pierre? Voulait il mourir en héros? Il sera mort oui, mais en tant que traître à la couronne. Un déshonneur aussi grand que l’avais été son honneur, accordé par le Roi.

Je ne reconnaissais également pas Harald dans ces agissements. Dans cette volonté de s’opposer aussi violemment à ses semblables, et en particulier à quelqu’un d’aussi reconnu. Je le respectais pour sa fermeté, pour sa capacité à dialoguer, son courage, pour toutes sortes de qualités. Mais je commençais à me méfier, car je ne pouvais expliquer sa décision. Avant d’ordonner l’exécution d’un dawi, il existait toutes sortes de sanctions. Il aurait pu condamner le mineur tourmenté à l’exil, hors des terres du Zagazorn. Certains disaient que les blessures infligées par la créature de feu étaient si graves qu’il allait de toute façon y passer, qu’Harald avait fait preuve de fermeté, voire de sympathie en prenant cette décision. Je ne pouvais adhérer à ces idées. Pour moi, Harald avait pris une mauvaise décision. Une terrible même.

Mes pensées tournaient, j’avais besoin de m’asseoir un moment, dans une pièce isolée du bruit, des autres. La pogne tremblante, j’essayais de reprendre le contrôle, de ne pas me laisser entrainer par le chagrin, la colère, l’incompréhension. Malgré moi, des larmes coulèrent. Les gouttes s’écoulaient sur ma joue. Les plus grosses tombèrent sur le sol en pierre, petites tâches sombres à peine visibles dans la pénombre. D’autres coulèrent dans mon cou, touchant mon précieux médaillon. C’était encore un aspect que je n’avais pas considéré. Nous étions tous trois reliés par ce métal. L’un était devenu fou, puis tué, l’autre avait tué, dans un accès de violence ou de folie que je ne pouvais expliquer. Etions-nous maudit, d’avoir retrouvé ce Mogarium? Aurait il dû rester dans les imaginaires, dans les désirs? Ou bien tous ceux qui étaient en contact avec ce métal devenaient peu à peu fou, violent, à l’image de Mogar? Allais je moi aussi sombrer, comme mon vieux compagnon de voyage?

Beaucoup de questions, pas assez de réponses. Et peut être que le moment était mal choisi pour les poser. Alors qu’à l’extérieur se préparait la guerre contre ces dawis de feu, j’étais déja en proie à une violence bien plus importante, qui m’écrasait le corps.

“Adieu mon ami. Puisses-tu avoir trouvé la paix, ta femme, et puisses-tu festoyer comme le héros que tu étais. Je ne t’oublierai pas.”