Un accord entre l'Abysse et le Souffle [Eylohr]

Alors que la majorité des membres de l’équipage parcourait les rues de la cité insulaire, quelques représentants étaient encore à bord du boutre pour y assurer le service minimum ; La sécurité du navire et des quelques marchandises encore entreposées ainsi que l’entretien de la coque et des voiles pour s’assurer qu’aucune avarie n'empêchait le “Second Souffle” de reprendre la mer quand il le faudrait.
A son bord ce jour-là se trouvait aussi le capitaine, Rokvenha, enfermé dans sa cabine depuis quelques heures maintenant et qui refusait d’être dérangé si ça n’était pas impératif.

Assis à son bureau sur lequel des cartes nautiques et des babioles étaient déposées en vrac, il semble être en pleine réflexion. Depuis peu ses projets semblaient avoir pris un nouveau cap et bien qu’en temps normal il laisse le destin se charger de son Souffle, quand il s’agit d'affaires aussi importantes, il préfère se préparer un minimum.
Il y a La Rose qui détient maintenant une échoppe et ce point n’est pas à négliger, à Méca le commerce de marchandises pillées ou même achetées légalement est une source de revenu qui peut-être importante et Rokvenha a bien besoin d’une source de souverains stable.
Puis Eylohr, le capitaine de l’Abyssale qui doit prochainement le rejoindre pour discuter de leur partenariat et du début de leur alliance, plongeant Rokvenha dans un nouveau statut et dans une vision bien différente de celle qu’il avait jusqu’à aujourd’hui.

Attrapant le clepsydre sur son bureau, il grimace en voyant l’heure s’écouler et se pince l’arête du nez. D’un geste il range les quelques parchemins devant lui en une pile mal ordonnée et ne laisse qu’une carte sur laquelle, à l’ouest est rajoutée sommairement un bout fait à la main avec écrit “Mer de l’Ouest.” Encore là une de ses idées, un de ses projets à mener. Retrouver les Elfes d’Holimon et voir avec eux, ou tout être capable de négocier en leur nom un quelconque accord commercial.

D’un bond, il se redresse et se dirige vers une commode. Il tire une bouteille d’un rhum local et s’en sert un verre qu’il porte à son nez pour en renifler les arômes. Il se pose assis contre le bord du bureau, l’air ailleurs quand on vient frapper à la porte de sa cabine, le tirant de ses songes.

“Cap’tain, capt’ain, y’a quelqu’un qu’veut vous voir.”

D’une voix presque absente, il invite alors le marin à faire entrer le visiteur.

Dire que Méca était en ébullition serait sans doute un peu excessif. Sans doute, même, que cela ne serait point tout à fait juste. Oui, la réouverture de la boutique d’Holden, maintenant tenue par Adélina, était une activité à part entière et une nouvelle en soi. Quelque chose d’excitant – un nouveau visage l’était toujours bien que sur une telle île où la société pirate détestait les nouveaux visages peu connus, cela pouvait être mortel pour la jeune femme – mais aussi quelque chose révélant plusieurs opportunités. Adélina allait être la tenancière la plus en vogue durant quelques temps… Sans doute durant très longtemps.

L’ébullition venait surtout de l’équipage d’Eylohr, et de son propre esprit. Il avait réussi à rejoindre Caleb dans son équipage et ses aventures : un jour, il verrait le Wagyl ; il verrait les mers de l’Ouest, les mers des Elfes et tout ce qui faisait que cet univers était exceptionnel… Et il pourrait s’y battre. Se battre avec les Elfes le tuerait sans doute… Mais quoi de plus beau ?! Se battre sur des rivages inconnu des pirates… Voilà quelque chose qui lui plaisait.

Il lui fallait se rendre sur le navire du Rokvenha, au milieu de la matinée. Alors, assidu, et motivé, Eylohr se présenta à l’heure, et point seul. Lorsqu’il entra, il déposa sans violence, une bouteille d’une liqueur Naine, pillée voilà plusieurs ennéades sur un navire Vaanie. Les runes écrites sur l’étiquette ne laissaient aucune place au doute concernant son origine.

« Rok. Dit-il, d’un geste de main pour le saluer. « P’tit cadeau, histoire d’sceller tout ça. C’t’une liqueur d’ces foutus nabots. Sont d’bons distilleurs… Une gorgée t’donne l’envie d’combattre un foutu troll. »

Quand la porte s’ouvre, la silhouette imposante du capitaine de l’Abyssale se dévoile dans l’encadrement. D’un bond, Rokvenha se redresse et l’invite alors à entrer dans la cabine.

“Ahoy Eylohr ! Entre donc.” L’invité lui tend une bouteille en guise de présent pour sceller leur futur accord et Rokvenha la récupère en haussant son sourcil d’un air agréablement surpris. “D’l’alcool d’courtes-guiboles ? Hé béh !” Il la lève en direction de l’homme pour le remercier et se retourne ensuite pour la déposer sur son bureau, cherchant ensuite deux verres qui siègent sur une commode.

L’intérieur de la cabine est assez ordinaire, on y trouve un lit simple, un bureau avec son fauteuil fait d’un bois verni et une commode dans la même style. Quelques affaires sont entreposées ci et là dans la cabine et un râtelier non loin de l’entrée sur lequel sont présentées les deux lames courbées de l’homme. Sur les étagères, peu de babioles et d’objets de décoration, les rares éléments intéressants sont présents sur le bureau du capitaine des lieux. Posé sur les cartes nautiques se trouve le cœur gelé de la créature rencontrée sur la mer de l’Est, l’organe est placé sur un réceptacle de bois qui semble lui aussi avoir été rongé par la morsure glaciale. Une légère brume s’émane alors de l’artefact montrant ainsi qu’il n’est pas prêt de se réchauffer malgré la bonne température ambiante dans la cabine.

Rokvenha sert alors la boisson naine dans deux verres et se retourne, tendant un récipient vers Eylohr. Levant ensuite son verre à leur santé, il vient placer son nez à l’intérieur pour en renifler les saveurs avant d’en boire une courte lampée. Il grimace, tousse un coup, pris de court par la force de cet alcool et pousse un rire avant de se reprendre. “POUAH ! Rigolent pas ces p’tites jambes héhé !”

Puis finalement, il se retourne à son fauteuil et s’y installe lourdement dans un souffle d’aise. Il relève sa main droite et invite Eylohr à faire de même avec une des chaises se trouvant en face. “Installe toi l’ami… Qu’on puisse commencer à discuter d’tout ça, dans l’calme cette fois-ci.”

Il pose son regard sur le capitaine de l’Abyssale et ses sourcils se froncent quelque peu. Un air bien plus sérieux se dessine alors sur son visage. “J’vais pas t’mentir… Ta d’mande d’vouloir naviguer avec moi m’fait l’plus grand des plaisirs, aye, mais elle m’prend aussi pas mal d’court.” Il grimace un peu et reprend. “J’avais pas prévu ça, d’moins, pas là tout d’suite, mais ça va l’faire…” Il recherche sur son bureau en déplaçant quelques papiers du plat de ses mains et en attrape un qu’il relit brièvement. “Dis moi Eylohr… Toi et tes gars vous naviguez dans quelles eaux en temps normal ? Et bon… J’sais qu’t’as une caraque, mais tu dispose d’combien d’hommes dans ton équipage ?” Enfin, il abaisse le papier et sourit à son interlocuteur.

La réaction du Rokvenha arracha un sourire à Eylohr, qui devint ensuite gloussement puis rire convaincu. Lui avait l’habitude de l’alcool des courtes-jambes : pillant préférentiellement du côté de Naélis et de Thaar, les denrées Naines étaient souvent échangées dans ces contrées, surtout grâce à la présence des Mille-Caves de Thaar, et des Nains du Zagazorn en Naélis, depuis environs 3 années. Mais, malgré cette habitude, lui aussi finissait avec une gorge enflammée. Alors voir le Rokvenha presque cracher les flammes d’un dragon était forcément amusant.

« Ah ça ! Paraît qu’ces foutus courtes guiboles sont l’seuls qu’pourraient faire plier un Elfe à un jeu d’picole. J’demande à voir hein, mais j’penses qu’c’est vrai : j’n’ai jamais réussi à boire plus qu’une d’mi bouteille sans finir par gerber par terre… »

Il s’installe ensuite, conformément à l’invitation du Rokvenha. Il ne venait point pour boire, s’amuser, rire ou prendre du bon temps : aujourd’hui devait avoir lieu la réalisation d’un contrat, ou d’un accord, entre les deux capitaines pirates concernant la suite de leur entente. Eylohr attendait beaucoup de cette entrevue… Il fallait faire bonne impression, mais surtout, il fallait se mettre d’accord sur l’avenir des choses afin qu’il puisse naviguer et vivre toutes ces aventures.

Lorsqu’il commence, Eylohr est calme. Il regarde le Rokvenha avec une intensité rarement égalée. Oh, il n’est ni menaçant, ni agressif… Il est simplement concentré, et dédié tout entier à son entreprise. Rejoindre le Rokvenha n’était point chose aisée, et il fallait que cela se fasse aujourd’hui.

« J’comprends. » Dit-il, se montrant quelque peu compatissant ou quoi que ce soit du genre. « J’suis bin’ désolé d’te mettre sous l’feu d’la torche comme ça, alors qu’t’avais pas prévu ça. Mais j’pouvais pas laisser passer c’te chance : j’veux d’l’aventure, j’veux voir l’monde et m’bastonner… On s’ra plus puissant en s’associant. » Dit-il, appuyant encore sa candidature bien que le Rokvenha n’en demandait point autant. « Normalement, j’navigue ent’ Missède, Naélis et Thaar. J’pilles aussi pas mal l’localités dans c’coin. Mais j’suis jamais aller plus loin qu’Ys et Thaar. »

Rokvenha soutient le regard d’Eylohr, lui aussi n’est pas dans l'intimidation, mais bel et bien dans une sorte de sérieux de circonstance, comprenant les enjeux de cette discussion importante.
Il écoute alors attentivement le capitaine et opine à certains des propos entendus : “Plus puissants”. En effet, une alliance entre capitaines permet à ces derniers d’augmenter leur force respective et de pouvoir viser des cibles plus importantes et bien plus sécurisées ou simplement de bien mieux se défendre en cas d’agression.

Il renifle alors et se réajuste sur son siège, venant d’abord renifler une seconde fois la liqueur en provenance du nord. “C’est rien, tôt ou tard, c’genre d’discussion là devrait s’faire.” Il lui sourit, avant de reprendre aussitôt. “Aye, plus puissants, c’est d’jà une bonne chose… Y’a d’nombreux navires marchands qui r’gorgent d’pas mal de richesses qui sont assez bien protégés et qui, en solitaire relèvent d’l’impensable…” Il hoche pour lui-même. “D’l’aventure et voir l’monde, ça pourrait s’faire, pour sûr. Comme j’te l’ai d’jà dit, naviguer sur la mer d’l’Est est un risque à n’pas négliger, j’ai pu traverser l’Brume sans encomb’, mais c’est pas dit qu’les autres navires qui m’suivront auront pas d’pépin eux…” Il s’assure que le message soit bien passé et poursuit. “Par cont’, pour la prochaine expédition qu’j’vais mener chez les Elfes, au vue d’ce que j’dois y faire j’pourrai emmener personne, j’veux pas leur faire peur et manquer d’négocier c’que j’veux… Par cont’ quand tout s’ra réglé on pourra penser à y naviguer ensemb’. Ca t’convient ?”

Le mécan se cache bien de raconter les détails de ses négociations, pour l’heure, avec Eylohr. Non pas qu’il manque de confiance, mais bien parce que cela n’a rien à voir dans la discussion du jour. Les deux hommes sont là pour un accord entre eux, pas pour bavarder sur les projets plus lointains de l’un et de l’autre d’un point de vue personnel.

“Moi, c’que j’te propose, c’est qu’là on s’met d’accord toi et moi sur l’termes d’notre accord. J’fais poser tout ça au prop’ par la Rose ensuite.” Il se replace alors plus en arrière sur son fauteuil. “Moi, j’vois les choses d’cette manière, tu m’dis c’que t’en penses après… La base d’notre accord elle est la même qu’le reste d’une flotte. T’pourras encore naviguer sous ton pavillon, mais faudra qu’on porte l’même drapeau pour qu’on puisse rapidement s’y r’trouver. Toi et moi on s’aide, si l’un d’nous à une galère, une proie bien trop grosse ou tout autre, on s’doit d’s’apporter l’aide nécessaire en cas d’besoin, si c’est pas non plus voué au naufrage. héhé.” C’était là les bases d’un accord commun dans toutes les flottes mécanes, une alliance dans les deux sens de support et de renforts.

“Ensuite, d’mon côté, c’que j’vais t’proposer là est encore qu’une promesse, mais j’compte bien m’y t’nir. L’Rose va ouvrir son échoppe toi et les tiens s’raient des clients prioritaires sur l’rachat et la r’vente d’vos prises, c’qui vous donnera des souverains avant l’reste des clients d’la Rose… En contrepartie, j’te d’mande … Cinq pourcent d’tes parts sur tout c’que tu r’vend. Et..” Il lève la main comme pour interrompre toute discussion possible. “D’mon côté j’m’engage à faire comme l’font les plus grands d’notre société. J’fais en sorte qu’tu puisse toujours avoir d’quoi te mettre sous ta lame et qu’en cas d’coup dur, l’caisse d’la Flotte pourra t’apporter un p’tit coup d’pouce… Tu vois ou j’veux en v’nir ? Plus tu prend et t’vend, plus l’caisses communes s’ront pleines, moins tu s’ras en galère en cas d’avaries qu’tu peux pas t’payer ou si t’peux pas payer tes gars.”

Il finit alors son discours en regardant Eylohr d’un regard signalant une réponse, ou même une argumentation sur chaque point.

L’information tomba, presque comme un couperet. Le Rokvenha ne pouvait emmener personne chez les Elfes pour l’instant, car ce qu’il avait à y faire, à y dire, à y mener… Demandait de la discrétion et sans doute de grandes doses de respect. De toute évidence, les rumeurs sur les Elfes étaient véritables : ils étaient hautains, secrets, puissants et manquaient de confiance envers les étrangers. Une chose qu’Eylohr pouvait comprendre facilement, lui non plus ne faisait confiance à personne, surtout pas aux étrangers. Alors des êtres pluri-centenaires ? Evidemment que personne ne pouvait entrer chez eux… Ni faire quoi que ce soit.

« J’comprends. D’toute manière, j’voulais pô m’mettre d’suite dans tes souliers : fallait d’jà qu’on s’mette d’accord, et j’sais qu’mon équipage attend pas mal d’tout ça. Bref, les Elfes, c’ton truc et j’veux pô y mettre la merde. »

De toute évidence, un jour, Eylohr naviguerait sur la mer de l’Est. Un jour, il verrait les rivages Elfiques, et un jour, il pourrait même les combattre, ou les piller, ou échanger avec eux. Le commerce, après tout, était toujours un langage universel… Ou presque. Si les rumeurs sur les Elfes disent vrai, ils ne sont point… Prompt à commercer, mais plus à échanger, faire du troc, s’entendre à base de paroles échangées plutôt que de devises offertes par bourses et coffres entiers.

Mais aujourd’hui, il s’agissait bien de bourses, de coffres, de trocs et d’entente, entre les deux pirates. Deux capitaines, l’un en passe de devenir le nouveau seigneur Mécan sans territoires mais avec une puissance ô combien significative, et une richesse dépassant celle de tous les autres ; l’autre, prompt à rejoindre le premier pour en augmenter la puissance et à prompt à naviguer au travers des mers et des océans, pour voir toujours plus de paysages, se battre encore plus que d’ordinaire… Tous les deux devaient s’entendre, et écrire l’avenir.

« Ouais, ça m’va. » Répondit-il, pour la première partie. Elle était en effet basique, partagée par l’entièreté des flottes navales commerciales et guerrières de ce monde, et devait donc se retrouver ici aujourd’hui. « J’ai vu l'Rose c'matin pour lui r'vendre mes babioles et tout. Être son client prioritaire, ça m’plaît bin’. » Répondit-il au premier trait de cet accord. « Ouais… 5%, ça m’semble pô déconnant. J’étais même prêt à t’filer 10% s’il l’fallait… 5%, c’clairement avantageux. J’signe où ? »

La discussion semblait prendre une bonne direction, les deux capitaines semblaient s’entendre sur les différents points de cet accord et Eylohr ne trouvait rien à redire aux propositions du Rokvenha. C’était un exercice encore nouveau pour le capitaine du Second Souffle qui n’avait encore jamais négocié et proposé un contrat d’alliance, mais il semblait satisfait de la tournure de cette première fois.

D’un geste lent, Rokvenha se redresse sur son assise et s’enfonce sur le dossier de son fauteuil. Il opine aux paroles du colosse qui lui fait face et laisse s’échapper une expiration amusée quand il entend le montant du pourcentage qu’Eylohr était prêt à accepter. 10% de tous les bénéfices était une somme assez importante et Caleb n’avait pas voulu étouffer son premier allié sous une somme aussi forte, pour ne pas s’attirer les foudres du reste de l’équipage de l’Abyssale. 5% était amplement suffisant et puis, il s’agissait là d’un geste amical pour le premier capitaine à le rejoindre, comme pour le remercier de sa confiance. Il sourit, gardant ses yeux rivés sur le grand chauve comme si à cet instant, il tentait de sonder le Souffle de son interlocuteur.

“Restons sur cinq. Vois-ça comme un geste d’ma part pour t’remercier de m’accorder ta confiance et pour êt’ l’premier cap’taine à rejoindre l’Alliance.” Il espérait sans doute que d’autres suivent l’exemple d’Eylohr et tentent à leur tour leur chance en l’approchant lui, ou même le second capitaine de cette flottille en devenir, pour tenter de les rejoindre aussi. “Si on est d’accord, alors… Comme j’t’ai dis, j’mettrai ça plus au prop’ avec la Rose.” Il se relève et se penche légèrement au-dessus de son bureau et tend une main dont chacun des doigts est recouvert de bagues faites de pierres précieuses ou semi-précieuses. “On peut d’jà dire qu’l’accord est signé quand tu quittera mon navire Eylohr.”

Il offre alors une poignée de main sincère et ferme à son allié et se replace ensuite à sa position. “J’verrai c’que t’as vendu à la Rose alors… Mais dis-moi, t’comptes reprend’ bientôt la mer ? J’voudrai qu’on fête notre alliance en montrant à toute la Méca d’quel bois on s’chauffe si ça t’dit ? J’crois qu’y’a des gars qui vont pas tarder à rentrer pour filer les routes d’navires commerciaux des aut’ nations, si ça t’tente on pourrait s’en faire un, un p’tit peu plus gros de c’qu’on a l'habitude d’faire ? Toi et moi ?”

Son visage se referme, exprimant alors le sérieux de sa demande. Rokvenha semble vouloir marquer le coup dès le début de cette alliance, l’annonce se répendra comme une brise marine au petit matin, rapidement et efficacement. Rien de plus efficace pour donner aux quelques oreilles curieuses les informations nécessaires et ainsi entamer le début d’une belle épopée.

L’attitude du Rokvenha était aujourd’hui nettement différente de celle qu’on lui connaissait dans les légendes qui ornaient déjà son nom, et dans les ragots qui vantaient dans les tavernes. On parlait de « celui-qui-vogue-avec-le-Wagyl » comme d’un monstre sanguinaire capable de décider de la vie et de la mort en une fraction de seconde, selon que ses dents pointues soient visible au-delà de ses lèvres, ou selon s’il demeurait… Humain. Aujourd’hui, rien de tout cela ne semblait vrai.

Dans ses propositions, son attitude et ses pensées concernant l’alliance entre le Second Souffle et l’Abyssale, le Rokvenha se montrait magnanime, visionnaire et bienveillant. Une attitude qui, pendant une ou deux bonnes secondes, neutralisa les pensées d’Eylohr qui arqua quelques sourcils de temps à autres, fit quelques moues dubitatives, mais, surtout, laissait certains silences pour pouvoir demeurer concentrer et donner les réponses qu’il souhaitait donner. En fin de compte, cette entrevue était… Parfaite.

« C’te geste amical s’ra du meilleur effet sur mon équipage et m’gars. Ça, j’peux t’l’assurer. » Dit-il alors, avant de venir saisir la main tendue, bardée de bagues. Posant ses mires dessus – pour la énième fois depuis qu’Eylohr fréquentait le Rokvenha – ce dernier eu un sourire. Il avait envie de savoir… « Eh bah ça m’va. Mais… Puisqu’on en est à s’faire confiance, j’aimerais savoir : tu t’bas aussi avec toutes ces foutues babioles sur les pognes ? Parce qu’merde… ça doit vraiment détruire l’prise sur l’pommeau d’une épée ça, ma parole. »

Cela le fit sourire, bien-sûr, mais la poignée de main offert fut bien rapidement saisie, et Eylohr, lui aussi, offrit un geste sûr, ferme mais point trop forcé non plus. Il ne voulait point broyer la main du Rokvenha, et surtout, il ne voulait pas s’enfoncer les coins tranchants de ces bagues dans sa propre paume.

Mais voilà que le côté carnassier du pirate revint rapidement à la charge. Il avait une idée… Une envie… Un moyen supplémentaire de montrer à tout Méca de quel bois le Rokvenha pouvait se chauffer maintenant qu’il n’était plus seul. Une attaque, donc, sur un navire du type que les flibustiers doivent souvent laisser s’échapper parce qu’ils ne sont point assez nombreux, ni assez puissants. Un moyen aussi d’éprouver leur alliance par une première attaque, et pas des moindre : l’attaque coordonner d’un navire grand, gros, et certainement puissamment équipé.

« Par l’larmes d’la noyée, bin-sûr que j’le veux ! Aye ! »

Après la poignée de main finalisant l'accord entre les deux hommes, Rokvenha abaisse son regard sur ses doigts et les bagues qui les ornent. Il semble marquer un instant de silence en considérant la question d’Eylohr, cherchant à réellement en saisir le sens ou bien, réprime une réponse trop hâtive.
Il détaille les bijoux, chacun est différent, fait d’or, d’argent ou même d’obsidienne pour celle qui a le plus de valeur. Les pierres précieuses ou semi-précieuse sont de couleur et de formes différentes. La mozalite luit un instant quand un rayon traverse la cabine et émane d’un rouge orangé vif.

“Rassure-toi, j’n’ai aucun mal à tenir mes armes.” Il relève un œil vers son interlocuteur, n’ayant pas de sourire pour démontrer s’il a compris la tentative d’humour ou pas.

Puis, en un clignement, il change totalement d’expression et de posture. Il lève légèrement les bras en l’air avant de les rabattre sur le bois du bureau. “En c’cas, Eylohr ! Si toi ou l’tiens tendent l’oreille et entendent parler d’une proie dans c’genre hésite pas à venir m’voir et j’en ferai d’même de mon côté.”

Il se lève alors, marquant ainsi la fin de leur entrevue. “Qu’l’Impétueuse t’garde d’ici là, toi et tes Hommes.” Dit-il en le saluant d’un geste accompagné de la bouteille d’alcool nain offert juste avant. Il se retourne et s’en sert un second verre, visiblement il l’apprécie le cadeau.