L'appel des abysses (Salvatore)

Le Fortuné à quai, quelques-uns des matelots mettent le pied-à-terre sans tarder. Les plus pressés de retrouver la civilisation ne tardent pas à dénicher la taverne la plus proche, assoiffés qu’ils sont de bon alcool. D’autant qu’on leur a maintes et maintes fois vanté les qualités des breuvages missédois, quant aux autres, c’est probablement ce qui s'apparente à un bordel qu’ils cherchent.

- Attendez, attendez… J’ai du mal à vous suivre... Qui est cette « Compagnie des Amis d’Ayafel » ? Je n'ai pas d’amis moi.

- C’est la règle, ma dame.

- Non, mais vous rendez-vous compte de la somme demandée ? C'est parce que je suis vaanie que je dois raquer autant ?

- La redevance est la même pour tous et personne n’y coupe ma dame.

Awa lève les yeux au ciel et se tourne vers Samuel en lui montrant les vélins que vient de lui remettre l’homme du port.

- Droit d’entrée, deux souverains. Droit de départ du navire, payable à l’avance, grommèle-t-elle en dressant l’index, trois souverains !

- Eh… C’est la règle, comme il l’a dit.

- Ça me coute plus cher de quitter le port que de m’y amarrer ! Et regardez ça... Taxe du Capitaine. Qu’est-que ça veut dire nom d’une pipe en bois ? Un souverain ! Frais de négoces, deux souverains. Alors que je ne suis même pas venue faire du commerce ! Et le pire, c'est ça là ! Elle agite le second vélin. La contribution volontaire à la Compagnie des Amis d’Ayafel… Deux souverains. Et on ajoute à tout ceci le, et je cite, « remerciement gracieux à la surveillance des eaux de Champani », soixante-dix écus.

Le capitaine secoue la tête en fourrant les vélins entre les mains du quartier-maître, elle décroche la bourse de sa ceinture et, à contre-cœur, remet la somme demandée à celui qui représente les autorités portuaires. S’en retournant auprès de Samuel, elle peste tout en regardant le collecteur de taxes quitter le pont du navire.

- C’est… C’est incroyable... Et c’est nous les hors-la-loi ? Elle hausse les épaules en affichant une moue impuissante. On est sacrément mauvais alors, c’est moi qui vous le dis.

Sur le pont, l’équipage s’affaire sous les conseils de l’ingénieur à dresser ce qui ressemble à une patte de chèvre aux abords de la cale. Awa fronce les sourcils sous la perplexité des inventions loufoques que ces bougres ont décidé d’installer sur ce navire.

- Je compte sur vous pour escorter notre nouvel ami jusqu’à son entrepôt, moi, je vais aller faire un tour dans le port.

Tirant sur les pans de sa veste de cuir, Awa descend du navire et s’engage sur le ponton d’un pas décidé. Son regard va et vient, se perd dans les mâts et les voilures des autres navires du port jusqu’à ce qu’enfin ses semelles rencontrent le pavé missédois. Elle renifle les odeurs de poissons mêlées à celles de denrées venues de côtes étrangères, jusqu'à ce que son attention soit finalement happée par un marchand et son étal de produits de pêche.

- Qu’est-ce qu’il lui faut à la p’tite dame ?

- Une brochette de poulpe !

- Et une brochette de poulpe, une ! Je vous fais ça de suite !