Arrivé du Grand Frappeur [libre]

La brume pesait sur la mer cette journée-là, brume épaisse, si dense qu'on pouvait à peine entrevoir sa propre main à distance d'un bras de soi. Brume qui par le mystère qu'elle projetait, ajoutait à une ambiance sombre. La mer était alors bien peu agitée, les vagues n'étaient pas très menaçantes, un silence, si l'on peut dire hantait les quais, quelques grands navires d'amarés, mais peu se doutait de ce qui approchait... Les quelques douces vagues qui maintenaient une cadence digne d'un orchestre composaient une musique envoûtante. À plusieurs lieux de là, un galion, rapide et vif pour son poids, naviguait. Le château arrière était abaissé pour atteindre des vitesses tout de même élevées, pour un navire de ce type et mention honorable, fait à la main. Le château arrière était sculpté à la main, les nombreux jours en mer avaient laissé le temps à plusieurs marins de sculpter à même le bateau de vraies oeuvres, ainsi à l'arrière du château, on retrouvait un visage monstrueux apportant la crainte à quiconque le verrait. Le surnom du navire venait de sa force, c'est-à-dire une coque renforcée et armée d'une lame de bois affilé, permettant à ce navire de littéralement chargé les autres navires et de les percés. Le navire était doté de quatre mâts équipés de voiles carrés, ces grandes masses de tissus étaient gonflées par le vent. Au sommet du plus haut mât, voguait un pavillon noir, ornée d'un oeil rouge à gauche qui semblait regarder un crâne blanc à droite.

L'équipage s'attaquait au plancher, astiquant ce dernier à la brosse, au commande, Malik, tenant la barre fermement, regardant devant lui, comme s'il voyait à travers la brume. Le capitaine du Grand Frappeur chatonna.

-Yo ho ! Sur l’heure
Hissons nos couleurs
Hisse et ho ! L’âme des pirates
Jamais ne mourra
Yo ho ! Quand sonne l’heure
Hissons nos couleurs
Hisse et ho ! L’âme des pirates
Jamais ne mourra...

Un membre de son équipage, la vigie, vint lui annoncer que devant, la terre, il y avait et qu'il leur faudrait diminuer leur vitesse d'approche qui était beaucoup trop rapide. Toujours dans sa bulle, le capitaine avait le regard porté sur le lointain qui n'apparaissait pas aux yeux de tous. La vigie sembla incapable de réagir, comme si elle venait d'être glacé. Puis le capitaine lui répondit:

-regarde bien pourquoi je suis le capitaine!...

Puis, ayant patienté jusqu'au dernier moment, le capitaine ordonna qu'on largue les ancres, ceci fait, les deux poids heurtèrent le fond marin et freinèrent le navire juste devant le quai. Le capitaine alla vers la vigie alors que ses hommes s'affairaient à attacher le navire. Malik lui dit:

-Peux-tu me dire pourquoi tu me contredis jeune insolent, ça fait 4 fois que tu doutes de moi, le concept d'équipage t'échapperait-il? Si tu n'as pas confiance en moi, tu ne mérites plus de rester sur ce navire.

Il dégaina son cimeterre et le lui inséra violemment dans l'abdomen, lui murmurant un petit "désolé..." cruel à l'oreille, puis le fit passer par-dessus bord. Ensuite, il fit signe à quelques hommes de nettoyer le sang qui avait souillé le plancher de son navire, il nettoya son arme, puis, mit le pied à terre, un homme vint lui dire qu'il venait d'écraser son bateau de pêche. Malik repoussa celui-ci en bas du quai.

*Hum... Même pas de comité d'accueil?*

...

La brume matinale s'était levée alors que le soleil faisait une timide apparition dans l'infini d'un ciel encore clair. Dans le port de la mystérieuse île, repère de pirates, la vie reprenait à peine, encore assommée par les dernières traces de la nuit. Mais parmi les premiers habitants qui s'activaient de bonne heure, une étrange jeune femme qui se différenciait facilement du commun des mortels. Cheveux blancs, un regard d'acier impénétrable, prunelles plus froides que les glaces du nord, corps bien fait sous une armure de cuir noir aux armatures métalliques, Alydaëlle semblait vagabonder dans la cité, comme un quête d'une chose insaisissable. L'épée au côté, elle zizgagua adroitement entre les quelques marins, qu'ils soient pirates ou pêcheurs, qui erraient sur les quais. Elle tenait un morceau de pain dans la main gauche et jouait avec une pomme de l'autre. Régulièrement, elle observait les alentours, mémorisant chaque détail, chaque personne.

- Aly !

La demi-drow s'immobilisa en étouffant un juron et se retourna pour aviser un gamin borgne qui accourait vers elle en boitant. Aussitôt qu'il fut à sa hauteur, Alydaëlle l'empoigna par le col de sa misérable veste et l'entraîna à l'écart. L'enfant ne semblait nullement terrorisé mais affichait un air navré, comme s'il comprenait la raison de l'irritation de la tueuse. Il ne chercha pas à se débattre et eut un soupir lorsqu'il entendit la voix de la belle fuser, sèche et tranchante comme toujours :

- Tarak, combien de fois vais-je devoir te répéter de ne pas crier mon nom en public ? gronda l'hybride en le lâchant. Sais-tu combien il est important de garder l'anonymat dans mon métier ?

- Mais t'as dit que c'était bien que tes ennemis sachent à qui ils ont affaire, protesta le garçon, dont les cheveux mi-longs crasseux couvraient en partie son visage.

- Oui, mais ça ne veut pas dire informer toute la population. Et puis nos petites affaires n'ont pas à s'ébruiter, et pour ça, tu ne dois pas attirer l'attention. Qu'est-ce que tu as pour moi ?

- Regarde, fit Tarak en guise de réponse, l'air vaguement étonné.

Il pointa un doigt en direction de la mer, du côté des quais. Alydaëlle pivota sur les talons, à demi-dissimulée par une houppelande couleur de la cendre. Un majestueux galion venait d'accoster de manière impressionnante et celui qui semblait en être le capitaine mettait pied à terre. La demi-drow eut le temps de voir le corps qu'on balançait par-dessus bord et les hommes qui devaient s'affairer à nettoyer le sang. Mais chez les pirates, ce genre de scène était monnaie courante. Par ailleurs, ce qui intéressait davantage la tueuse, c'était le pavillon abordé par le vaisseau inconnu. Elle ne le connaissait pas. L'arrivée de cet équipage pouvait signifier du grabuge, comme de nouvelles affaires. Alydaëlle garda une main sur l'épaule de Tarak, comme pour le protéger. Après tout, elle s'était prise d'affection pour lui et il était devenu à la fois un espion et un fournisseur d'informations. Il lui arrivait même de lui trouver des contrats d'exécution pour des particuliers.

- Tu vas aller lui parler ? s'inquiéter le garçon, le visage blême. Il me fait un peu peur...

- Il est sans doute dangereux mais ce n'est pas pour ça que tu dois en avoir peur, répondit Alydaëlle. Mais de toute façon, tu ne vas pas aller lui parler. Retourne donc à tes occupations, nous nous retrouverons plus tard.

- Non, je veux rester avec toi.

La demi-drow étouffa un grognement agacé et avança en direction du pirate. Mais Tarak s'agrippa à elle comme une sangsue, ce qui l'énerva. Mais il n'était pas question de le battre. Finalement, entre deux marins qui allaient et venaient sur la place, la tueuse planta son regard pénétrant dans celui de l'inconnu, dont elle ne doutait pas de la force, ni de la probable brutalité.

L'homme sur le quai était là, sans afficher la moindre émotion, le moindre ressentiment d'avoir finalement mit le pied à terre, il assigna quelques tâches ingrates à son équipage, comme celles de remonter les ancres, de préparer le navire pour demain et qu'ensuite, il pourrait aller à la taverne du coin pour s'enivrer de ce qu'ils souhaitent. Certains membres de l'équipage affutaient leurs armes, pour la plupart de simples sabres, pour d'autres des hachettes, munient de pierres, ils donnaient aux lames un nouveau sens, une lame bien précise, si coupante qu'elle ne laisserait qu'une simple sensation de froid au niveau de la nuque à qui se trouverait au travers de leur chemin. Sous les ordres du Capitaine, le pavillon noir se trouva entouré de semblables, à chaque mât, un drapeau noir se hissa. Le capitaine vit cette personne le fixant, cette femme qui ne semblait être complètement humaine, qui avait un regard perçant et qui semblait être une guerrière. Le regardant droit dans les yeux, cette femme semblait ignorer que de fixer quelqu'un ainsi pouvait prendre des airs de défi, mais tout de même, Malik étant ce qu'il est, les défis, il les adore... Il supporta donc ce regard à l'aide du sien, ses yeux sombres comme les profondeurs de la mer ne démontraient aucune pitié, ni aucune joie à être ici, mais tout de même, il fit un petit sourire en coin.

Puis, deux marins se croisèrent devant le duel de regard que les deux personnes se lançaient, lorsque les deux marins dégagèrent le sillage, Malik ne se trouvait plus devant cette créature qui semblait se méfier de lui. Il était maintenant disparu, à la vitesse de l'éclair, il n'aura fallu que quelques fractions de seconde pour qu'il soit hors de portée de quiconque...

*Quel vieux tour!*

Croquant dans une pomme verte, Malik se trouvait maintenant derrière la femme, il prit son couteau et découpa une lanière de cette succulente pomme pour la déposer entre ses dents, puis la déglutir. Une main contre un navire, il ricana, fait très rare pour lui. D'un ton froid et visant la surprise, il dit à la demi-drow:

- Visiblement, par ici, vous avez le sens de l'accueil... Je me serais contenté d'un simple bienvenue...

Il afficha de nouveau ce même sourire en coin très sarcastique. Il rangea son couteau, afin qu'il n'y ait pas de problèmes, déjà qu'il avait attiré l'attention avec son arrivée, pour le moins...radicale... Il se mit droit, aussi rigide que l'acier, finissant sa pomme. Remarquant finalement le petit garçon à côté de la femme, il le regarda de son regard sombre, puis regarda la jeune femme de nouveau.

-Je n'aime pas les regards indiscrets, que voulez-vous savoir?

Le pirate n'y allait pas par quatre mille chemins, être direct était dans sa nature. Il avança quelque peu vers cette personne. Ses pas lourds se faisaient entendre. Puis, à distance convenable, il lui relança la question d'un simple:

-Alors?

Le pirate inconnu ne manquait pas de répondant, d'une certaine manière, lorsqu'il avisa rapidement le regard qui pesait sur lui, sans qu'aucune émotion, cependant, ne transparaisse dans les prunelles d'acier de la tueuse. Le temps d'un passage, celui de deux marins occupés à bavarder, et le capitaine avait disparu pour réapparaître derrière la jeune femme. Tarak eut un sursaut de peur et recula craintivement pour se cacher derrière Alydaëlle, laquelle pivota lentement sur ses talons pour faire face à cet étrange gaillard. Son caractère n'était, semblait-il, pas si différent du sien mais la demi-drow n'en fit aucune conclusion. Elle avait appris à se méfier de tout et de tout le monde, surtout dans son métier. Entrée dans la Marine Marchande depuis peu, elle se devait de redéfinir certains principes. Elle observa en silence le pirate qui dégustait une pomme à l'aide de son couteau, et jugea qu'il ne manifestait pas une franche hostilité. Non qu'il ne fût pas dangereux, mais sans doute préférait-il ne pas trop attirer l'attention sur lui. La demi-drow en conclut qu'il ne faisait qu'un passage sur l'île avant de reprendre la mer mais une fois encore, cela ne lui fit ni chaud, ni froid. Toutefois, elle lui reconnaissait un certain intérêt, ce qui l'amenait à vouloir en apprendre un peu plus à son sujet. Elle cogita un court moment les paroles qu'avait prononcé l'homme, le regard d'acier, puis esquissa un sourire cynique.

- Vous savez, ici, tout le monde est le bienvenu. Mais tous doivent aussi savoir que mettre les pieds à Méca, c'est à leurs risques et périls. C'est ici le plus grand repère de pirates et pas plus qu'ailleurs, l'endroit n'est sûr. Mais j'imagine que vous n'êtes pas du genre à craindre la mort, quelle qu'elle soit.

La jeune femme croisa les bras en étudiant brièvement l'étrange pirate. Il était costaud, grand, et avait véritablement quelque chose d'impressionnant. Alydaëlle avait elle aussi toujours sa pomme en main, ainsi que son morceau de pain. L'arrivée de Tarak l'avait quelque peu distraite et interrompue dans son petit déjeuner. D'un air nonchalant, elle croqua à pleines dents dans le fruit et fixa le capitaine du vaisseau sans se démonter. Le gamin, agrippé à elle, dardait un regard terrorisé sur le pirate et pâlissait à vue d'oeil, comme s'il craignait de se faire égorger dans les secondes à venir.

- Quant à savoir ce que je veux, j'ai envie de vous répondre rien mais maintenant que vous m'avez adressé la parole, je vous avoue ma curiosité de savoir qui vous êtes et comment se nomme ce magnifique vaisseau qui a accosté sur l'île de manière si impressionnante.

Le ton était franc, quoiqu'un peu froid, mais c'était dans la nature de l'hybride. Elle restait sur ses gardes, bien sûr, mais elle avait appris à ne pas se fier aux apparences et elle s'intéressait véritablement au splendide navire dont le pavillon lui était parfaitement inconnu. La jeune femme, indifférente au vent marin, aux habitants qui allaient et venaient autour d'elle et même au gamin accroché à son armure, continua de grignoter sa pomme avec appétit, le jus sucré coulant sur ses lèvres et son menton.

Dégustant lentement sa pomme, lui retirant délicatement lanière après lanière, savourant le jus acide du fruit, il semblait comme toujours, indifférent, aussi froid que la glace, on venait presque à se demander s'il était vivant ou encore s'il possédait un coeur et s'il battait encore. Il écouta les paroles de la demi-drow et les consomma, comme il consommait sa pomme, cherchant d'une manière ou d'une autre à manipuler cette femme qui ne s'était pas présentée à lui encore. Lorsqu'elle lui parla de cette île et de craindre la mort, Malik afficha un rictus, simple, mais qui dégageait tout de même un drôle d'aura, probablement parce qu'on ne s'attendait pas à voir sourire un tel personnage. Il y réfléchit quelques secondes, cherchant une tournure de phrase à placer afin d'être en position confortable. Puis, il pointa le pavillon de son bateau tout en répondant à cette allusion sure craindre l'île...

-Ce pavillon, comme chaque pavillon a une signification, la sienne est simple, l'oeil signifit la vue, le crâne signifie la mort, donc, en clair, cela signifie que nous avons déjà vu la mort et couler le sang, d'où le rouge de l'oeil. Une simple île ne me fait pas peur, peu importe ce qui s'y trouve, j'ai affronté la mer pendant des années, après un tel combat et un tel adversaire, les autres pirates qui suivaient mon navire ont rebroussé chemin à de nombreuses reprises. Dîtes moi donc alors, pourquoi craindrais-je les autres pirates? Je n'ai pas peur d'être mouillé comme je n'ai pas peur de la mort...

Longue réponse, certes, mais tout de même très franche. Il s'était produit effectivement de pareils scénarios où des navires-pirates, qui suivaient le Grand Frappeur, avaient rebroussé chemin devant la tempête, alors que le Galion l'avait affronté en la traversant, en affrontant les vagues immenses, la pluie, et ce, dans une pénombre inquiétante. Puis, la demi-drow lui demanda son nom et celui de son navire qui était amarré non loin de là. Malik l'a regarda droit dans les yeux, d'un regard noir, froid, insensible, avec une légère touche de colère. Puis de sa voix rauque, il lui répondit:

-Malik, Capitaine du Grand Frappeur... Et puis-je savoir le nom de celle qui me demande de telles informations?

Une fois sa pomme terminer, il la jeta à l'eau. Ses cheveux noir rougeâtre ornés d'objets faisaient de petits cliquetis en se heurtant les uns sur les autres. Un marin frappa Malik au niveau de l'épaule par mégarde en marchant, le Capitaine grommela et le dévisagea, lui lançant un regard des plus horribles, ce marin parti en courant, comme s'il venait de voir quelque chose d'insupportable à regarder.

*Même pas un petit désolé? tss...*

Tarak eut un frisson apeuré, toujours collé à la demi-drow, comme un ultime bouclier. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il y aurait déjà longtemps qu'il se serait enfui sans demander son reste. Mais voilà. D'une part il craignait trop d'être poignardé dans le dos et d'autre part, il ne voulait pas apparaître lâche aux yeux de la jeune femme, dont il espérait un jour prochain devenir le disciple. Alydaëlle dévisageait tranquillement son interlocuteur, sans une once de peur ou d'appréhension. Elle avait déjà bien trop vécu d'expériences, affronté trop d'ennemis, pour craindre un homme plus qu'un autre. Par ailleurs, celui qui prétendait s'appelait Malik et se présentait comme le capitaine du navire répondant au nom du Grand Frappeur l'intriguait quelque peu. Sous l'éclat froid et dur des prunelles d'azur, une lueur curieuse dansait dans le regard de la jeune femme. Son sourire cynique ne l'avait pas quittée tandis qu'elle écoutait avec une vive attention le pirate. Ses paroles lui plurent et elle hocha machinalement la tête comme pour lui manifester sa satisfaction. Elle le regarda jeter à l'eau ce qui restait de son trognon de pomme et observa la sienne, qu'elle grignotait à coups de dents appliqués. Elle donna le reste de son pain à Tarak. L'enfant hésita un instant avant de s'en saisir mais son ventre criait famine et il ne résista guère à la tentation. Il s'en empara vivement, se cacha un peu plus derrière la demi-drow, et dévora le pain. Alydaëlle reporta ensuite son attention sur le capitaine, qui attendait toujours sa réponse quant à la question de sa propre identité.

- Mon nom est Alydaëlle. Certains me surnommèrent autrefois l'Insoumise mais je vous épargnerai les détails sordides de mon histoire. Tueuse de métier, aventurière, mercenaire à mes heures perdues, j'appartiens désormais à la Marine Marchande, faisant de la piraterie une nouvelle voie à explorer.

La jeune femme arborait toujours un air glacial, usant involontairement du tranchant de son regard pour soutenir celui du pirate, non moins dur que le sien. Etrange bonhomme que ce Malik mais assurément digne des légendes qui prenaient racine dans les lointaines contrées où la mer qui charriait nombre de vaisseaux envoyait les aventuriers de l'océan. La tueuse se racla discrètement la gorge et croisa les bras devant elle. L'idée d'aller boire une pinte à la taverne la taraudait de plus en plus et elle ne souhaitait pas s'attarder inutilement. Elle n'était pas là pour causer du tracas au pirate, quelles que soient les affaires qui l'amenaient à Méca. Son arrivée remarquée avait attirée la jeune femme et même si sa curiosité n'était pas satisfaite, elle ne comptait pas importuner davantage Malik. Elle finit donc par reculer d'un pas, inclinant la tête avec un sourire ironique en guise de salut.

- Eh bien capitaine, ce fut un honneur de vous rencontrer. Désolée si je vous ai semblé par trop curieuse mais lorsqu'une personne m'intrigue, j'aime en apprendre un minimum sur elle. Mais je ne veux pas vous ennuyer alors je vous laisse à vos occupations. Si vous passez à la taverne, je vous invite volontiers à boire une bonne pinte.

Elle se doutait qu'il aurait sans doute bien d'autres choses à faire mais tout bon pirate qui se respecte finissait obligatoirement par faire un passage dans ce lieu fêtard où la plupart des marins venaient se détendre, entre filles de joie, alcool et jeux de carte. Alydaëlle se tourna vers Tarak et lui ordonna de filer. Le gamin ne se fit pas prier et déguerpit en vitesse, non sans avoir jeté un oeil effrayé sur Malik.

Ainsi donc, cette femme se nommait Alydaëlle, un nom qui lui dit quelque chose, peut-être l'avait-il entendu entre les branches ou peut-être la mer lui aurait dit que cette femme se trouvait sur le quai, la mer avec qui Malik semblait entretenir un lien étroit, comme s’il s'agissait d'une véritable femme. Tous les marins vénéraient la puissance, alors que la relation du capitaine entretenu avec la grande bleue, était une relation de défi continue, un combat sans relâche, chaque fois que l'homme prenait la mer, les conditions devenaient incroyablement mauvaises. On pouvait se demander pourquoi son navire était toujours dans un aussi bon état, pas la moindre planche était déplacé, le bateau était tout a fait symétrique et intact. Tueuse? Qui, sur cette île, n'avait pas dérobé la vie à quelqu'un de ses propres mains? Tout de même intéressant, une personne qui se disait de métier tueur ou tueuse, lorsqu'on en fait profession c'est que l'on ne ressent aucune compassion envers toutes les autres personnes, mais qui était-il pour parler de compassion alors que lui-même tuait des gens, les laissant se noyer, se faire déguster par les créatures marines du nord où il naviguait. Aventurière? Hum! Intéressant, voilà un détail que la demi-drow partageait avec l'homme si sombre qui était arrivé au port, lui, explorait la mer, découvrait des îles inconnues, explorant le nord, les roches blanches comme il les appelait. Il ne savait pas en quoi elle était aventurière, mais se doutait que faisant partit de la marine marchande elle avait un goût certain pour les grandes histoires... Piraterie, nouvelle voie à explorer? La piraterie c'est une façon d'être, de vivre, de combattre les autorités et les lois pour avoir la liberté! Ceci, il ne le dit pas, mais le pensa profondément et fut légèrement outré que l'on pense que la piraterie était une voie que l'on pouvait explorer et cesser, comme on le désirait, cela venait en dehors de ses idéaux, mais n'en fit pas un sujet de discutions et lui répondit simplement:

-L'honneur était mienne, je croyais avoir droit à un accueil bien plus maigre que celle-ci.

Son regard toujours noir montrait son caractère caché qui faisait tempête à l'intérieur de lui, un véritable Maëlstrom. Sa voix toujours aussi rauque, sans le moindre changement d'intonation, toujours neutre, contrôlé, qui ajoutait un côté glacial au personnage. Elle fit allusion a une taverne, chose à ne pas faire avec un pirate, mais, il l'a ravisa immédiatement:

-Ce serait honteux pour moi de vous laisser payer mes consommations... Tout de même, j'accepte votre invitation, je vous retrouve pendant la soirée, vous me semblez quelqu'un de bien...

Houla... Quelqu'un de bien? Une tueuse? Pirate? Hum... Tout étant relatif, il lui sembla que la femme avait tout de même un caractère bon, du moins neutre. Même s'il avait appris à se méfier des gens, cette demi-drow l'intriguait étonnamment, ce serait bien pour lui de créer des liens avec des gens qui ont le pied sur terre.

Sortit de nulle part, une main vint agripper le quai, tentant de remonter le corps qui lui appartenait sur une surface. Malik reconnut le bras de sa vigie, maigre et qui avait un tatouage étrange. Il écrasa donc les doigts de ce dernier, plongeant son arme dans l'eau, une vague rouge remonta à la surface peu après que l'arme est finie son périple dans l'eau. Il rangea l'arme et eut un petit sourire macabre.

-Mon équipage mourra comme moi en mer, aucun corps ne reviendra à la terre! ... À ce soir donc!

Finit-il par dire, alors qu'il tourna sur ses talons et repartit vers son navire, sa beauté, son enfant, son prodige. Il monta à bord, s'assura que l'on fit ce qu'il avait dit, une fois quelques nouveaux ordres de donnés, il somma à ces marins d'aller faire la fête, de profiter des filles de joie, de profiter du rhum, de profiter de la ville. Lui, s'enferma dans le château arrière où se trouvait la chambre du capitaine, s'assied à son bureau, devant une carte très détaillée, il nota l'endroit, puis jeta un regard vers une île étrange au milieu de l'océan, puis, une zone inexplorée, que fallait-il de plus pour l'inciter à l'aventure? Il calcula le trajet, trente jours de mer avec un vent favorable, mais sachant que la tempête allait le suivre, il estima une cinquantaine de journées. Il sortit sur le pont, sentir l'odeur de la mer, il ne restait plus personne... Un silence de mort règnait, silence que Malik n'apprécia pas, quelque chose se tramait...

La journée s'était écoulée lentement, sous un soleil généreux. La ville avait été balayée sans relâche par un vent doux, brise légère venue du grand large, saturée par l'iode. Quelques bagarres avaient éclaté au cours de l'après-midi, une agression au coin de la rue à laquelle Alydaëlle n'avait pas jugé utile de se mêler, et déjà, le soir approchait. La tueuse avait déjeuné seule en songeant d'ores et déjà à la prochaine affaire dont elle s'occuperait pour gagner sa croûte. Les braseros furent allumés lorsque l'obscurité fut assez oppressante,tandis que la température chutait. Une ambiance presque sinistre, macabre, se déposait peu à peu dans les lieux. Mais la jeune femme était habituée et n'y prêtait plus guère attention. Toutefois, ce soir-là, un silence inhabituel régnait dans la place.

La demi-drow, adossée contre le mur d'une habitation, taillait un morceau de bois à l'aide de son poignard. Elle attendait Tarak, songeant qu'il tardait quelque peu, et finit par remarquer la quiétude étrange de la cité, tout du moins aux alentours du coin où elle se trouvait. Elle releva les yeux, balayant les environs d'un regard d'acier, aussi froid que les glaces du nord. Le souffle du vent, le bruit du grand large, mais rien d'autre. Elle avisa un passant qui hâtait le pas, un autre habitant qui s'enfermait précipitamment chez lui, prenant soin de fermer ses volets, et même un chat qui disparut sans demander son reste. Fronçant les sourcils, Alydaëlle se décolla du mur et rangea son couteau. Elle garda également le morceau de bois qu'elle était occupée à transformer en flûte, et longea la rue d'un pas félin.

Silence impressionnant, cité soudain désertée des âmes qui l'occupaient en temps normal, tout ça ne disait rien qui vaille. L'épée au côté, une main prudente posée sur le pommeau de son arme, Alydaëlle obliqua sur la gauche et continua sa route dans le dédalle de ruelles. Elle décida de regagner le port, du côté des quais, peut-être pour y retrouver ce Malik, comme si son intuition lui soufflait qu'il n'était pas loin de son navire. Au détour d'une rue, un nain affolé la percuta de plein fouet et se trouva violemment renversé. Alydaëlle faillit dégainer son épée avec colère, mais identifia rapidement Tarak, tremblant. Elle lui tendit la main avec un grommellement et l'aida à se relever.

- Qu'est-ce que tu fiches ici ? Ca fait une heure que je t'attends à l'endroit habituel.

- Désolé. Je... je me suis perdu dans ce labyrinthe.

- C'est ça, grogna la tueuse. Toi qui est né ici et qui connais la ville comme ta poche, tu t'es perdu...

- D'accord, soupira le gamin, en trépignant nerveusement sur place. J'avais un peu peur.

- Peur de quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?

- Ca vient de l'océan. Du grand large. Les Spectres de l'Abysse.

- C'est quoi ça ? s'étonna Alydaëlle.

Un nouveau clan de pirates ? Un nouveau gang de criminels destiné à écumer les mers ? Des Drows ? Tarak savait glaner des informations un peu partout mais son côté froussard était un sacré frein pour faire de lui un espion parfaitement opérationnelle et un indicateur efficace. Toutefois, ce n'était qu'un gamin et la jeune femme ne pouvait pas l'en blâmer. Elle repensa à Malik. Lui qui semblait grand aventurier, connaissait-il ce clan ? Ces pirates ? Il pourrait peut-être l'éclairer. Entraînant l'enfant avec elle, l'hybride partit à la recherche du capitaine.

Malik disparut du pont supérieur était au sommet du mât principal, regardant au loin, voyant des choses s'approcher dans la pénombre, mais ayant de la difficulté à discerner ce dont il s'agissait, il redescendit de façon spectaculaire en utilisant le mât et en s'y laissant glisser. Il sauta sur le quai, pirouettant contre les planches. Il se releva, remarquant le manque de vague, d'agitation, l'eau était calme, trop calme, il marcha sur le quai, quelque chose le suivait, mais il fit comme si de rien était. Puis, jeta un regard au dessus de son épaule, pour finir par se retourner.

-Depuis quand me suivez-vous?

Demanda Malik à une ombre sur le quai.

-Depuis quand navigues-tu contre les tempêtes sans périr?

Surpris de la question, Malik y réfléchis sérieusement, mais n'arrivait pas à répondre, il savait qu'il naviguait dans des conditions précaires depuis qu'il était capitaine, mais pas plus.

-Celà doit faire une dizaine d'années...

-Ne trouves-tu pas étrange que tu sois toujours vivant?

Dis la voix étrange qui semblait posséder une aura spectrale.

-Je suis bon capitaine...

Puis, une tête s'afficha, une tête de la même texture que le fond de la mer, une étoile de mer sur l'épaule, des coquillages un peu partout, dégoulinant une bave pour le moins répugnante... Malik dégaina son cimeterre, il ne voulait pas rigoler, ce visage lui était familier et il ne savait pas pourquoi.

La créature en fit autant, le Capitaine ne fut pas surpris, mais attendit le premier assaut de cette créature qui ne vint pas. Alors, il assena un violent coup qui ciblait la tête de cette chose. Celle-ci bloqua et la contre-attaque ne se fit pas attendre, la créature atteint la joue droite de Malik. Ce dernier, frustré, assena de multiples coups, enchaînant les coups piqués et les coups du tranchant de sa lame, mais tous furent esquivés, bloqués... Le Pirate y alla de jeux de pieds complexes, de coups bien portés, de frappes précises et réussit finalement à atteindre la créature, découpant l'étoile de mer sur l'épaule de la créature. Cette dernière lui dit:

-Je ne suis pas seul...

Puis, plusieurs de ces créatures sautèrent sur le quai, sortant directement de l'eau...

Malik grogna, une rage l'envahit, un tel geste, était pour lui un signe qu'il devrait se surpasser.

Les rafales de vent, venues du grand large, fouettèrent Alydaëlle sans pour autant ralentir sa course. Tirant toujours un Tarak inquiet derrière, la jeune femme longea les ruelles à grandes enjambées. Elle sentait que quelque chose d'anormal se passait mais bien loin de s'en effrayer, la curiosité la poussait à découvrir le fin mot de l'histoire. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle s'en retournait auprès de Malik. Son intuition lui soufflait simplement qu'il pourrait peut-être l'éclairer. Au-dessus de leurs têtes, le ciel sembla se couvrir. Une épaisse couche nuageuse, d'un gris métallique, prit place et un grondement lointain se fit entendre.

- Manquait plus que ça... grogna la demi-drow alors qu'une goutte de pluie s'écrasait sur elle.

- C'est pas bon signe... fit Tarak en tremblant.

La tueuse ne prit pas la peine de répondre. Ils arrivaient en vue du port et elle ne fut pas longue à apercevoir Malik, sur le quai, le cimeterre à la main. Il semblait discuter avec quelqu'un. Curieux. Tarak eut une violente poussée arrière pour se dégager de l'emprise d'Alydaëlle. Celle-ci lui adressa un regard surpris en se retournant :

- Qu'est-ce qui te prend ?

- Je ne viens pas avec toi ! Ces créatures sont maudites et elles me font peur ! A ta place, je n'irai pas non plus !

La tueuse n'eut pas le temps de répliquer. Le gamin avait déjà tourné les talons et prenait ses jambes à son cou. Stupéfaite, elle le regarda disparaître à travers la cité puis reporta son attention sur Malik, juste au moment où des êtres étranges émergeaient de l'eau et sautaient sur le quai. Alydaëlle haussa un sourcil étonné et hésita quelques secondes avant de presser le pas. Autant voir de près de quoi il retournait. Prête à dégainer son épée si le besoin s'en faisait sentir - ce dont elle ne doutait pas - elle jeta un oeil au capitaine. Quelque chose lui disait qu'il n'était pas totalement étranger à cette étonnante intrusion en Méca.

- Des amis à vous ? ironisa la jeune femme en avançant à sa hauteur.

Tous ses sens aux aguets, elle observa les créatures, surveillant leur évolution et épiant leurs moindres mouvements dans l'attente d'une attaque. Puis son regard, interrogateur et narquois tout à la fois, s'arrêta sur le capitaine.