[Antichambre secrète du roi] Prémices de discorde...[PV]

Elle sera les dents.

Par les Cinq il n'était pas aisé de se souvenir de tous les passages secrets de ce gruyère de palais. Elle sentit se larver une lumière de reproche dans les prunelles glacées d' Hadjirah lorsque le juron fila entre ses lèvres. Après tout n' avait-elle pas rit au nez de sa fidèle secrétaire quelque minute auparavant, se targuant de se retrouver dans le labyrinthe des fondations du château comme une souris dans son terrier ?

- Oh ça va ! grinça la flamboyante rouquine.

La Dame de Fenice ressemblait à un poisson hors de l'eau sans son habituelle costume de courtisane, ses plumes et soieries chamarrées, ses bijoux hors de prix et son maquillage outrageux. Engoncée dans un costume d'homme de cuir noir et dont le large col remontait jusqu'à son visage, elle n'avait plus rien de la frivole baronne à la langue fourchue.
Elle rajusta son tricorne sur sa tête rousse et continua à avancer dans les boyaux souterrains. Il sembla aux deux femmes qui évoluaient au milieux des pierres poussiéreuses de ces tunnels abandonnés, qu'elles remontaient graduellement vers les hauteurs. Avec une lenteur calculée Lomah s'arrêta soudain auprès d'une cavité où la roche avait été remplacée par un panneaux en linteaux d'ébènes. Un peu de lumière diffuse s'entrechoquait sur les particules de saleté, à travers les rainures visibles du bois, parvenant faiblement jusqu'à leur bottes maculées.
Elle intima le silence à sa compagne d'un geste impérieux de sa main gantée.

Le silence filtrait paisiblement . Il ne semblait pas y avoir âme qui vive.

Elle frappa trois coup sec sur le panneau, suivis de deux plus lents et attendit, retenant sa respiration. Alors la voix grave et altière de l'homme qui les attendait s'éleva , dominant la nuit :

- Entrez...

Elle poussa la porte dissimulée et repoussa la tenture de soie sauvage qui la maquillait. Dans le cabinet de petite envergure, drapé de velours bleu, les attendait Trystan d'Erac, roi de Diantra , dirigeant du peuple humain.

- Bonsoir Mon Roi, fit la Flamme du souverain avec un sourire malicieux qui ne s'accordait pas avec les nouvelles qu'elle s'apprêtait à lui communiquer.

Hadjirah avait suivi Lomah dans un silence entendu, bien décidée à ne pas lui donner la moindre aide. Elle voulait passer devant ? Qu'elle passe devant. Hadjirah avait pourtant bien dit qu'il fallait tourner à gauche, et il n'y avait ici personne pour demander son chemin pour venir en aide à la baronne.

- Oh ça va !

Hadjirah se contenta de redresser le nez, le recoin de ses lèvres se repliant légèrement, sans vraiment sourire, mais suffisemment pour marquer son reproche silencieux dans un air insupportablement... Satisfait.

Elle repris son sérieux, si tant est qu'elle l'avait perdu, lorsqu'elles se retrouvèrent en présence du roi. Droite et silencieuse, elle ne semblait pas plus gênée par ses vêtements de voyage discrets que par les larges robes de cour. Hadjirah s'habillait avec une précision parfaite en toute circonstance, mais n'en retirait ni aise, ni plaisir. Elle faisait ce qu'il fallait faire.

Elle observa silencieusement le prince, le jugeant intérieurement, comme chacun de ses contemporains. Chaque jour, elle cherchait à le connaître un peu plus. Elle devait savoir qui il était si elle voulait être capable de le protéger. Lui et son peuple.

"Bonsoir."

Phrase sans sourire ni entrain, simplement pour signifier qu'elle était présente.

Elle déboutonna prestement son épais manteau de cuir noir, et le posa sur le dos d'un fauteuil. Son propre tricorne ne tarda pas à suivre le vêtement, découvrant ses cheveux serrés en un solide chignon en haut de sa tête.

Elle prit le parti de s'assoir sans en attendre l'ordre. Lorsqu'elle était en mission, Hadjirah restait droite et stoïque, mais semblait peut être plus détendue que d'habitude. Elle avait après tout un masque de moins à porter, celui de la cour, qu'elle n'aimait vraiment pas.

D'ici à la rendre agréable et accessible, il y avait un tout de même un gouffre.

Il se demandait s'il ne se ferait jamais à cet étrange coutume qui voulait que certaines personnes privilégiées puissent accéder à ses appartements privés par des couloirs secrets habilment dissimulés. C'était un peu angoissant de savoir que l'on pouvait débarquer n'importe quand. Il avait intêret à avoir sacrément confiance en ses espions, car ceux-ci avaient des accès dangereux pour sa sécurité s'ils décidaient de se retourner contre le roi. Ou la reine.

Il entendit un bruit caractéristique. On frappait. Mais cela ne venait pas de la porte, non, le bruit était plus sourd, plus creux... Il tourna la tête vers le panneau secret. Espions au rapport.

- "Entrez..."

Au moins avaient-ils la décence de frapper et d'attendre. C'était le plus élémentaire des respects. Le panneau tourna et l'on entra... Il n'y avait pas qu'une seule personne, mais plusieurs. Ou au moins deux. Il pencha la tête, guettant les bruits qui lui donneraient des indications. La voix de la Baronne de Fenice s'éleva, suivie de celle de Hadjirah, son ombre fidèle.

Il avait été saisi d'apprendre que ces deux femmes faisaient parties des services secrets royaux. Leur couverture était parfaite. Loimah, la baronne volage et excentrique, intriguante et surfaite et Hadjirah, sa froide servante. Un binôme terrible... et terriblement efficace. Tout dévoué au roi. Invité chez Lomah avant son mariage, il avait été jaugé par les deux femmes qui voulaient savoir s'il était digne de leurs talent sou pas. Il avait, semble-t-il, remporté l'épreuve. Ses preuves, il devait les faire quotidiennement. il le savait et ne s'en offusquait pas. La royauté n'avait été que trop flottante ces derniers temps. Il salua les deux femmes sobrement.

- "Mesdames."

Il posa ses coudes sur son bureau et croisa les mains, venant y poser son manteau, un demi sourire aux lèvres alors qu'il les entendait se mettre à l'aise.

- "Asseyez-vous je vous en prie."

Son ton était teinté d'ironie, alors qu'il avait entendu l'une des dames s'asseoir, le déduisant d'après un craquement du tissu caractéristique.

- "Que me vaut cette visite?"

Pas la peine de perdre son temps en mondanités inutiles. Si le duo était là, ce n'était pas pour parler de la dernière mode de Diantra. Il ne se doutait pas encore que son sourire allait rapidement s'effacer devant la gravité des nouvelles.

Hadjirah avait accepté le verre de Lomah sans mot dire, d'un simple hochement de tête, y trempant ses lèvres en écoutant son acolyte.

Elle n'aimait pas ce qu'elle avait appris.
La guerre lui avait déjà beaucoup pris. Et les missions au service du roi pour prévenir ces fameuses guerre lui avait arraché presque tout ce qu'il lui restait. Elle avait du mal à avaler les nouvelles de la dross, sachant pertinemment où tout cela mènerait.

Alors que Lomah se tut, Hadjirah enchaîna avec un naturel troublant, comme si elle continuait la phrase de la baronne de Fenice. Accord complet et dangereux :

"Nous tenons nos informations de serviteurs du palais de la régente Aetherya."

Sa voix était soucieuse, en perdant presque ses accents exotiques. Hadjirah exprimait peu de choses, mais les mots qu'elle prononçait, elle ne pouvait s'empêcher de les maudire en même temps, eux et leurs conséquences :
"La reine et le maître d'armes, Brylyan Naerth, ne se seraient pas concertés, alors que tout porte à croire que leurs décisions sont habituellement communes. C'est Aetherya seule qui préparerait une offensive à venir."

Hadjirah reposa son verre sur la table, y ayant à peine touché, croisant ses jambes pour chercher un réconfort physique:
"L'attaque ne peut se faire sur autre chose qu'un duché frontalier. Serramine, en tout logique. Mais le secret est bien gardé, au coeur même du triumvirat... Les cibles potentielles de ce premier assault pourraient être Oesgard, ou Alonna."

"Les drows sont en effervescence depuis trop longtemps pour ne pas passer à l'action de façon imminente. Notre temps de réaction est compté, tout est flou jusque dans leurs propres rangs. Il va falloir être aussi efficace que prompt à réagir."

Hadjirah observa Trystan, et ses réactions. Elle ne cesserait jamais de le juger. Il avait le sort du royaume sur les épaules. Et elle tenait à une toute petite partie de ce qu'abritait ce royaume. Elle ne lui pardonnerait jamais, s'il prenait un jour la mauvaise décision.
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Lomah n'avait pas l'air décidé à annoncer la couleur tout de suite. Elle alla jusqu'à un des meubles, celui comportant quelques menues boissons. Evidemment, elle prit de quoi faire boire les trois personnes, se servit et finit par proposer un verre au roi, lui conseillant de l'accepter. Ca, c'était mauvais signe... S'il avait besoin d'un remontant, c'est que les nouvelles étaient mauvaises. Alors il accepta. Il s'empara du verre qu'elle lui mettait dans la main et renifla le liquide, afin de savoir ce qu'il allait avaler. Il but quelques gorgées du liquide alcoolisé, avant de reposer son verre, l'estomac légèrement noué d'appréhension.

Il tapota de ses longs doigts fins et nerveux sur le bois du bureau, attendant que Lomah ai terminé les mondanités et se décide enfin à lâcher le morceau. Ses doigts cessèrent leur petit manège dés qu'elle prononça le nom de la Dross. Un repère de voleurs et de bandits, plus ou moins toléré.

Alors, elle lui expliqua que les drows étaient en effervsecence et se préparaient à se mettre en marche. Il se figea totalement. Le printemps pointait le bout de son nez et les hostilités reprenaient. Il prenait le pouvoir dans un moment terrible. S'il faisait les bons choix, il serait glorifié. S'il se trompait, il tuerait des milliers de gens... pour rien.

Hadjirah précisa que c'était une décision d'Aetherya seule. Tiens, d'ailleurs, la reine drow savait-elle que la dépouille de son époux et roi était à la merci des humains? Sans doute pas, sauf si elle avait elle aussi des espions.

Il y aurait donc une attaque. A la frontière. Il n'y avait pas d'autre choix. Et la chance qu'ils avaient, c'était d'avoir des frontières assez courtes. Pour envahir le royaume des hommes, il fallait passer par Serramire. Et traverser tous les duchés quasiment un par un. Sauf s'ils prenaient la mer, mais les drows ne savaient pas naviguer. Malgré tout et parce que Trystan craignait les pirates, il avait fait appel à des patrouilles maritimes. On n'était jamais trop prudent.

Oesgard ou Alonna. Deux bastions. L'un plus important que l'autre. Comment savoir? Il pouvait faire mobiliser les troupes sur toute la frontière... Il pouvait choisir de concentrer ses forces sur un des deux, au risque de se tromper.

- "Vous êtes certaines de ces deux cibles?"

Il était sombre le roi... comme les heures qui se profilaient. Il allait devoir réunir ses conseillers, surtout les spécialistes de la guerre... Et partir défendre les frontières avant qu'il ne soit trop tard.

- "Avez-vous toute confiance en la source de ces informations?"

Si elles étaient sures, alors il lèverait l'armée. Mieux valait le faire pour rien.

- "Nos forces armées sont situées à Oesgard. Nous avons évidemment des troupes à Diantra et dans plusieurs bastions, mais le fer de lance de notre armée est là bas. L'attaquer serait du suicide. Alonna en revanche, est prenable. La garnison stationnée là bas est réduite au strict minimum. La logique voudrait que les drows attaquent Alonna."

La logique... Oui, mais on ne pouvait pas toujours s'y fier. Il se pinça l'arête du nez entre le pouce et l'index comme souvent quand il réflechissait à des problèmes sérieux. Il y avait aussi l'armée des divins et la lignée...

- "Je vais faire envoyer un message à Oesgard et Alonna, qu'ils se tiennent prêts. Et faire migrer quelques troupes de l'un à l'autre. Je vais également prévenir Rima-Marcil et Garmin, nous aurons peut-être besoin de leurs hommes. Les soldats vont quitter les terres pour les frontières. Si les drows réussisent à percer nos défenses, nous sommes fichus..."

Il soupira.

- "Vos collègues auraient-ils entendu parler d'une attaque en territoire elfique? On ne peut pas sous estimer les tacticiens drows..."

Elle observa longuement le visage de son souverain en pleine réflexion. Il était encore jeune et peu versé dans l'art de la guerre. Si il s'y entendait en politique et en diplomatie, la stratégie militaire nécessitait plus que de l'habileté verbale et un bon sens de la psychologie. Il allait lui falloir être ferme. Prendre des décision pesée et ne pas tergiverser sur leur application.

Le temps était compté.

- Trystan...

Elle se leva et vint poser une main sur son épaule, comme on une mère tenterait de rassurer un enfant rongé par la peur du noir.

- Nous n'avons que très peu de temps devant nous. Nous avons déjà cravaché pour revenir à Diantra le plus rapidement possible, mais qui sait si Aetherya n'a pas déjà lancé ses troupes sur Serramire.

Elle posa son verre sur la table et pris celui de Trystan de ses mains d'autorité. Avec patience, elle tenta de se montrer calme et pédagogue afin de ne pas alimenter son angoisse qui se dévoilait compulsivement à la manière dont il se frottait le nez.

- Nos espions sont fiables. Je les paie suffisamment bien avec votre trésor, d'une part et nous possédons d'excellents moyens de pression pour garantir la véracité de leur dires, d'autre part. Et comment cacher les activités d'une ville entière qui se prépare à garnir les rangs de sa soldatesque avec vivres, armes et carreaux de flèches ?... Non, Aetherya prépare ses hommes à la bataille et ils affutent leur épées à nos portes. C'est là une certitude. La meilleure preuve reste encore que la Dross se vide de ses hommes et les courageux voulant rester sur le chemin de l'Armée Noire se barricadent et attendent en priant les Cinq pour que leurs carcasses ne servent pas de mise en bouche avant la Grand Festin.

Elle marqua un temps. Ses yeux verts et vifs se plissèrent un instant comme sous le poids de mûres réflexions. elle pencha la tête sur le coté comme à chaque fois qu'elle laissait son bon sens s'exprimer.

- L'évidence voudrait qu'ils se rendent de prime abord à Alonna. Mais je me méfie de Brylan Naerth. Son apparente dissidence cache peut-être une volonté de brouiller les pistes. Par expérience je sais qu'il existe deux types de drows : les impulsifs sanguins et violents, et les esprit froids et retors qui ont érigé la manipulation au rang d'art. Si Aetherya semble être de la première catégorie, Brylan appartient foncièrement à la seconde. Et l'un comme l'autre restent imprévisibles. D'autant que nous savons peu de chose des positions du troisième larron de ce Triumvirat :Illiv'aere Det'tar

Elle se reversa une troisième coupe de liqueur. Le glougloutement musicale emplit la pièce et habilla son silence pesant.

- Vous n'avez guère le choix. Il vous faudra garder une carte dans votre manche en cas de mauvaise surprise... A moins de sacrifier l'un ou l'autre. Mais ces deux baronnies représentent autant de porte d'entrées vers nos terres, vers votre femme... vers ma fille... Et ce même si elles ne représentent pas la même importance.

Elle lui caressa la joue. Toujours cette proximité tactile même sous cette identité nocturne.

- Quoi que vous décidiez, je vous suivrez toujours, mon roi.

Hadjirah observait Lomah à l'oeuvre, restant aussi immobile que sa baronne s'agitait... La rousse flamboyante était toujours en action, ne tenant en place ni sa langue, ni son corps. Peut être une autre de ses façons de se protéger.

Lorsque la baronne eut fini de parler, Hadjirah se redressa un peu dans son siège, reprenant sa coupe entre ses mains sans y toucher :
"Je ne peux qu'appuyer ce que dit Lomah, au sujet de nos certitudes... Et incertitudes. La guerre se prépare, si elle n'est pas déjà en route. Et croyez nous, Trystan, ce que l'argent n'a su arracher en terme d'aveux et de convictions, nous l'avons pris d'une autre façon. De nos mains."

La pièce sembla se refroidir sous le ton implacable d'Hadjirah. Sa froideur et son insensibilité lui octroyaient bien d'autres talents que celui de supporter la baronne de Fenice dans ses frasques. Trystan avait pu le comprendre en la voyant évoluer dans son rôle nocturne et secret. Elle savait arracher ce qu'on ne voulait pas lui dire avec un sang froid de prédateur. Avec ou sans sang sur les mains.

Elle avala une gorgée d'alcool, pour reposer le verre à nouveau, et reprendre:
"Les drows eux même ne savent pas où ils vont. Et je suis intimement persuadée qu'ils ne le sauront pas jusqu'au dernier moment, laissant cette information aux seuls gradés qui les dirigeront. Ils feront sans doute route vers Serramine dans l'ignorance. Nous n'avons aucun moyen de privilégier un duché visé plus qu'un autre. Et Lomah l'a souligné : leurs dirigeants eux mêmes sont bien trop divers et insondables pour que l'on puisse les percer à jour. Du moins, pas en si peu de temps."

Toute fine psychologue qu'elle était, Hadjirah elle même ne pouvait entrer dans l'esprit d'un trio de dirigeants drows. Tous trop différents, tous trop en désaccord même si ce n'était qu'apparent. Il n'y avait rien à en tirer. Elle ne voulait pas perdre de temps à chercher à démêler leurs idées sombres, il n'y avait plus le temps :
"Si nous délaissons un duché et qu'ils l'attaquent, ils passeront. Sans autre forme de procès. Les pertes sont nécessaires à la guerre."

Elle avait dit cette phrase sans émotion. Elle ne pleurait pas les morts. Elle ne pleurait plus les morts:
"Mais Lomah l'a très justement dit, les portes doivent rester fermées. Pour éviter de leur offrir une entrée vers tout notre territoire."

"Le doute sur le lieu de l'attaque nous empêche de nous assurer entièrement d'être capables de les repousser. Il faut donc, aussi, songer à ce que nous ferons s'ils enfoncent nos défenses, et progressent à l'intérieur du pays."

"Vos généraux vous conseilleront bien mieux que nous sur ce point, j'en suis certaine. Mais il faut immédiatement penser au pire. Et à ce qui doit être sauvé en priorité."

Hadjirah se laissa retomber en arrière dans son fauteil, s'appuyant dans le dossier, le front barré d'un pli soucieux:
"S'il y a des sacrifices à faire pour que le royaume reste debout, ou au pire se relève, il faut les penser dès maintenant. Tout envisager pour ne pas se retrouver dans l'urgence."

Hadjirah était claire, dans ses pensées comme dans ses paroles. La guerre amènerait des horreurs, et il faudrait les affronter. Et ceux qui devaient prendre les décisions étaient ceux qui devaient les assumer, n'en déplaise à leurs détracteurs cachés bien à l'abris de responsabilités bien moins lourdes.

Elle marqua un silence, avant de reprendre, tranchante:
"Nous serons où vous aurez besoin de nous, Trystan. Il va y avoir beaucoup à faire, derrière les lignes du front. Beaucoup à protéger comme à saper. Nous sommes revenues au plus vite, et prètes à réagir dans l'instant à vos décisions."

Il la voulait sa couronne, non? Eh bien il l'avait et avec toutes les responsabilités qui allaient avec! N'était-ce pas magnifique? Mais ce n'était pas comme si il n'avait jamais eu de décisions à prendre... Sauf qu'auparavant, sa voix ne prédominait pas sur celle des autres, alors que maintenant... Les Conseillers étaient là pour donner leur avis, mais ils pourraient bien être tous en désaccord avec Trystan, ils n'avaient aucun pouvoir. Lui, si.

Et pourtant, il devait tout de même réflechir et ne rien dire à la légère. Lomah et Hadjirah le savaient. Et pourtant, il n'était pas contre quelques conseils. Et Lomah fut la première à s'y risquer. Il sentit sa main légère sur son épaule alors qu'elle soufflait son prénom, gagnant toute son attention. Il savait qu'ils n'avaient pas de temps à perdre, il l'avait bien compris. l'idée qu'il soit peut-être déjà trop tard lui tordait les entrailles.

Elle lui prit son verre des mains et se voulut apaisante et ferme. Soit, les informations étaient véridiques. Il voulait juste en être certain, pour ne pas crier au loup pour rien. Il aurait l'air fin... Elle continua, misant sur Alonna... mais elle ne faisait que dire tout haut ses propres conjectures, sans lui apporter la moindre garantie. machinalement, alors qu'elle parlait de portes d'entrée vers ceux qu'il aimait, il répliqua :

- "Chaque vie a son importance. Celle d'un enfant encore plus."

Celle de l'enfant que portait Lilianna. Il soupira alors que Lomah l'assurait de son indéfectible loyauté. La voix froide de Hadjirah prit le relais. Elle semblait être inflexible et ses paroles ne laissaient plus planer le doute. Elle était prête à tout pour obtenir ce qu'elle voulait. C'était rassurant quelque part. Mais on ne devenait pas espionne en étant une sainte. Hadjirah avait le tranchant du métal. Il l'écouta attentivement à son tour. Elle avait le même état d'esprit que lui : il fallait parfois sacrifier un petit nombre pour en sauver un plus grand.

- "Malheureusement, les sacrifices sont parfois nécessaires en effet."

Il se tut, réflechissant à toute allure.

- "Soit. Je vais de ce pas faire réveiller mes conseillers et généraux et établir un plan d'attaque et de défense. Des messagers vont partir sur l'heure en direction d'Alonna et Oesgard. Qu'ils se tiennent prêts, en espérant qu'il ne soit pas trop tard. Les éclaireurs vont partir dés que possible également, en attendant que je réunisse les troupes et envoie les renforts."

Il se leva.

- "Merci mesdames. Il y aura en effet énormément à faire derrière les lignes de front. Organiser le ravitaillement, songer à évacuer les civils trop proches des terrains de combat... Si les drows passent, ils ne doivent pas pouvoir en profiter. J'espère que nos forts sont assez solides pour supporter un siège."

Il s'interrompit et reprit :

- "De surcroît, je laisse la Reine à vos bons soins. Je ne sais que trop qu'il y a des traîtres qui trainent dans les hautes sphères et assassiner Lilianna serait un moyen de m'atteindre."

Un excellent moyen. Sauf que cela ne le plongerait pas dans la prostration mais dans une colère aveugle et dévastatrice. Il était ainsi.

- "La Reine est enceinte, seuls ma soeur et moi sommes au courant pour le moment. Elle est encore jeune et peu habituée à son nouveau rôle, comme vous l'avez déjà finement fait remarquer."

Là, il était clairement accusateur envers Lomah et hadjirah qui s'étaient amusées à mettre Lilianna à mal le jour de leur mariage.

- "Je vais devoir m'absenter pour un temps... indéfini. Je compte sur vous pour la guider et veiller sur elle. Discrètement..."

Le fait que Lilianna n'aime pas Lomah n'allait pas arranger les choses.

- "Autre chose à ajouter?"

L'entretien était terminé, il avait une guerre à organiser et mener.