[Expédition Botanique] Aub(ier) et Dur(amen) [Arbalastre]

[HRP] Suite du post : [Expédition Botanique] - Départ d'Abyssea [Esmeralde] [/HRP]

Les deux Hauts Prêtres cheminaient pendant des heures, côte à côte, sans parler. Ce n'était pas un signe d'irrespect, ni de mésentente ; chacun calculait la meilleure manière de concevoir le futur d'Abyssea. Si ce n'était le cycle des jours et des nuits, si ce n'était l'agacement de leurs montures, fatiguées par l'impassibilité de leurs cavaliers, si ce n'était leurs hommes, qui leurs rappelaient qu'il fallait bien manger et dormir, ils auraient tout aussi bien pu faire ce voyage d'une traite, perdus dans des pensées dont dépendait la survie de la Cité.

Bien avant qu'ils ne quittent les marais de Faélia, Esmeralde avait recommandé à ses hommes de se mêler aux fidèles du Prime Architecte. Car même dans la ville du Chaos, il subsistait des méfiances et des inimitiés ; la douzaine d'humains qui accompagnaient les Hauts Prêtres ne s'étaient regroupés mais au contraire restaient scindés à la manière des troupes de deux Rois lorgnant le même territoire. Il aurait été fâcheux que le groupe se fasse remarquer à cause de cette disparité ; aussi, la Dame renversa cette tendance dès les premières heures de chevauchée.

Il avait été convenu de même que si des voyageurs importuns les interpellaient, ils devraient répondre avec courtoisie. Arbalastre et Esmeralde se présenteraient comme respectivement Architecte et Botaniste oeuvrant pour un riche marchand ayant fait fortune dans la vente d'arme ; ce Monsieur voulant faire bâtir une demeure à sa mesure, il leur fallait partir à la recherche de matériaux de première qualité. Les personnes les accompagnant seraient des hommes de main de ce commerçant, présents pour garantir la sécurité du convoi. Il ne faudrait tirer l'épée qu'en dernier recours, et tenir leur couverture aussi longtemps que possible.

Le voyage se passa cependant sans incident notable ni rencontre agaçante, et le mensonge fomenté n'eut besoin d'être déclaré à quiconque.

Les premiers arbres sains étaient apparus loin des marais, là où les racines ne pouvaient atteindre l'eau croupie stagnante. Ils étaient clairsemés et battus par le vent ; pas de quoi en tirer du bois solide pour des constructions. Le Héraut de Justice se remémora alors les cours qu'elle avait suivis, lorsque le Chaos ne s'était pas encore révélé à elle, et qu'elle était promise à un grand avenir en tant que Paladin de Nééra. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait fait appel à ces termes techniques de botanique. Le bois d'un arbre adulte était composé de deux parties, repérables par leurs couleurs différentes. Une phase claire, l'aubier, encore vivante ; et une phase sombre, le duramen, morte. C'est cette dernière qu'il faudrait en qualité et en quantité pour les projets insensés du Prime Architecte.

Les lieues défilaient tandis qu'une marée verte se rapprochait, emplissant l'horizon. La forêt d'Aduram s'étalait à perte de vue devant eux ; les frondaisons touchaient ciel, comme des géants dont les mains se seraient tendues vers les étoiles en un dernier voeu d'immortalité.

Le convoi fit halte à l'orée de la sylve. Esmeralde et Arbalastre se regardèrent quelques secondes, non pas pour chercher quelque permission pour franchir le seuil, mais afin de juger chacun la détermination de l'autre dans le regard.

Car ici, le travail commençait.

Arbalastre - sous l'identité d'un hypothétique Calixte Lendale - convoqua son ordonnance. D'une voix légère, habitué qu'il était à être obéi sans avoir à lever le ton, il distribua les consignes nécessaires à la bonne mise en place d'un premier camp de base, situé en bordure de la forêt. Homme prudent, il avait préféré ne point installer le campement au-delà de la première ligne des arbres. Il serait bien temps plus tard de progresser à l'intérieur du monde végétal pour en découvrir ses secrets et comprendre ses mystères.

A l'aide d'une simple corde, attachée à un baton fermement planté dans le sol, il délimita un périmètre, couchant du pied les herbes hautes par le simple passage de la corde. Pour confort, il fit désherber rapidement les points de chute des futures tentes, afin de se mettre à l'abri des plus malicieux insectes.

Tirant sur les cordes, arrangeant des arceaux métalliques, il aida ses serviteurs à monter les tentes, à rafraichir les chevaux et à déballer les mille-et-une choses dont le chariot s'était un temps fait le gardien. Avec la rigueur qui habitait chacune de ses prises de décision, il fit élever trois points de feux, alimentés par du bois secs récolté quelques jours plus tôt pendant leur trajet. Les trois brasiers crépitèrent sous le niveau du sol, brulant à partir d'une fosse qui les mettrait à l'abri des bourrasques intempestives. Ce faisant, il mettait la troupe à l'abri d'un intempestif départ de feu et de la perte d'un précieux point de chauffage. Les ressources en huile étant limitées, il convenait d'en restreindre l'usage aux nécessités les plus urgentes.

Enfin, il délimita par des filins une zone réservée aux montures. Ces derniers, tressés par des mains expertes, mettraient à l'écart la plupart des petits rodeurs noctures attirés par de la viande d'élevage. Pour les bêtes plus massives qu'abritait la forêt, seul le bon acier permettrait de mettre les chevaux à l'abri. Sur les onze membres de l'expédition, quatre seraient en permanence affectés à la bonne tenue du camp, à la surveillance des environs, des feux et des bêtes. Dans les heures à venir, les esprits et les corps seraient durement sollicités.

D'une main ferme, il empoigna une hache. De par sa forme et l'équilibre de son poids, un oeil averti aurait remarqué que ce modèle, nommé hache de bucheron, n'était au mieux qu'apte à atteindre efficacement d'un arbre. Sans mots superflus, Arbalastre et trois de ses serviteurs se mirent en quête d'un arbre répondant à ses exigences.

Ensemble ils le frappèrent de toute part, jusqu'à le coucher sur le côté. Sans prendre le temps de se reposer, seulement le temps de boire un peu d'eau fraiche, ils entreprirent de le débiter en planches plus ou moins droites destinées à monter une palissade autour de leur camp temporaire. Grace au dos des haches, devenues marteaux, ils fichèrent ces pieux dans le sol, afin de lever une protection autour de leur camp de tentes.

Il faudrait encore une journée ou deux pour finir de monter cette palissade, mais dès lors, l'équipage d'Arbalastre pourrait se concentrer sur l'identification de nouvelles espèces et l'exploration des lieux.

Pour ce qu'il avait pu en voir, îl était fort probable que la forêt d'Anduram soit la solution à nombre des problèmes d'Abyssea. Nourriture. Bois de construction et de chauffage. Et bien d'autres encore.

Arbalastre ne s'allongea sur sa couche lorsque la lune se fit haute dans le ciel.

Les problèmes appelaient les problèmes.

Rien toutefois que l'on ne puisse résoudre.

Il était clair que les ressources manquantes mais néanmoins vitales à Abyssea avaient libre cours dans la forêt d'Aduram. Du bois, de l'eau claire et potable à la source, divers fruits et du gibier en suffisamment grand nombre pour nourrir une ville de petite taille. Cependant, des allées et venues répétées entre la Cité du Chaos et cette forêt ne pourrait que nuire à la discrétion des Enfants du Dieu unique.

Il fallait donc amener les ressources à Abyssea.

Esmeralde, sous le pseudonyme de Chalcis Landre, menait son groupe à travers bois. L’installation du camp avait été tout naturellement dirigée par Arbalastre, dont personne ne pouvait douter des compétences en matière construction. La Dame quant à elle avait choisi de prospecter aux alentours de la place choisie pour se donner une idée des essences présentes et exploitables.

Muni d’un carnet et de trois de ses hommes, les autres étant restés au camp pour aider à sa construction, le Haut Prêtre s’enfonça sous les frondaisons vertes. Tantôt les yeux tournés vers le ciel, tantôt le regard analysant le sol, ses pensées entières dirigées sur son travail, elle griffonnait des mots d’un geste rapide et calculé.

Il faudrait en premier lieu qu’Arbalastre lui donne détails et instructions quant au choix des arbres à abattre ; en bon architecte, il aurait sans doute des essences préférées, des notions de qualité de bois qu’elle n’avait pas. En revanche, elle saurait le guider sur les espèces qui pourraient s’habituer le mieux aux marais infâmes qui entouraient Abyssea. Un plan serait nécessaire, un ordre rigoureux pour ne point omettre des éléments essentiels. La Dame ne doutait pas que son confrère avait déjà établi une organisation précise de ses pensées.

« Mais la tâche sera ardue » murmura-t-elle pour elle-même.

Rien que le sol poserait problème. Les marais de Faélia étaient saturés en eau croupie ; la terre, mal oxygénée. Les végétaux non habitués à cette condition difficile étoufferaient en un rien de temps. Dans la forêt, au contraire, le sol était profond, riche et humifère ; l’humus se déposait à chaque cycle des saisons, comme autant d’engrais servant à nourrir les plantes.

L’engrais… serait-ce la clé… L’humus ne se déposait pas à Abyssea ; tout ce qui mourait n’avait pas le temps de se décomposer, mais pourrissait sous l’action de l’eau, des larves, des champignons. Il leur faudrait alors tenter l’expérience d’enfouir le lisier, dans les rares endroits émergés des marais.

Seul les cyprès des marais survivaient aux abords de la Cité du Chaos ; leurs racines étranges étaient capable de surgir hors du sol, comme autant de stalagmites, afin d’apporter à l’arbre l’air dont il avait besoin pour vivre. A la connaissance d’Esmeralde, eux seuls possédaient ces étranges attributs. Elle les avait longuement regardé, étudié, et conclu qu’ils participaient aussi à la stabilisation du sol, ce qui empêchait Abyssea de finir sous les eaux. Il lui faudrait pourtant trouver des arbres non seulement exploitable de par leur qualité de bois, mais aussi aptes à survivre à des conditions difficiles, voire impossibles.

La Dame s’arrêta à l’approche d’une rivière de taille respectable. Les espèces, imperceptiblement pour l’œil non averti, avaient changé progressivement près de l’eau.

« La sylve d’eau ; voilà qui pourrait nous faciliter des choses. »

Le Haut Prêtre referma dans un claquement sec son carnet, l’humeur égale, mais satisfaite de ses observations.

« Rentrons » ordonna-t-elle à ses hommes, alors qu’elle se dirigeait déjà vers le camp, non loin.

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