Une ombre qui s'étend à l'Est [PV drows recrutés]

Masqués par le couvert des arbres plusieurs milliers de représentants du Puy d'Elda évoluaient silencieusement en rangs organisés. Le blanc manteau de la forêt de chênes et d'autres colosses centenaires atténuait le bruit de leur interminable marche au rythme régulier. Son bâton tantôt plaqué dans son dos passant en travers de ses omoplates, tantôt tenu fermement de façon parallèle au sol encombrait indéniablement Liriel. Tous ces inconvénients étaient toutefois contrebalancés par des avantages non négligeables, aussi s'était-elle fait une raison depuis longtemps quant à cet inconfort. Malgré la lassitude du voyage l'ennui ne l'avait guère trop tenaillé, elle savait se montrer patiente lorsque la situation l'exigeait et la créature aux oreilles pointues avaient de nombreux sujet de réflexion. S'assurer de ne pas être flouée par le chef des armées en était un entre autre, sa méfiance maladive la poussant à la circonspection. Elle prendrait son dû sans attendre qu'on le lui donne dès que l'occasion se présenterait, c'était une certitude quitte à effectuer quelques entorses à la ligne de conduite qu'on lui avait fixé.

Elle regarda tour à tour chacun des disciples qu'elle avait choisi pour l'accompagner dans cette campagne, non, extermination convenait mieux à ce que projetait son peuple. Alauniira, Haeldra, Jhaelryna, Nalfein. Tous si différents et semblables à la fois. La première possédait un talent certain avec les armes à distance mais sa piété l'avait amenée jusque dans le temple de la divinité des maladies et des épidémies plutôt qu'au sein de la caserne. Assidue et docile, elle constituait un très bon élément. La suivante était d'une tout autre nature. Ses vues sur les hautes places du culte n'étaient un secret pour personne, tout comme sa vanité et sa stupidité. Cet élément instable ne devait sa place qu'à ses aisances avec la magie et qu'à la facilité avec laquelle il serait possible de la manipuler. Les derniers étaient frère et sœur, tous deux taciturnes en apparence mais qui se révélaient être de véritables monstres lorsqu'ils mettaient la main sur un humain. Une lueur fanatique à faire froid dans le dos brillait constamment dans leurs yeux. Tous et toutes éprouvaient un respect mêlé de crainte à l'encontre de Liriel, en plus de lui être redevable suite à une aide apportée dans une situation désespérée (parfois provoquée par elle-même afin de s'assurer ce lien d'asservissement supplémentaire). La Haute Prêtresse regrettait toutefois l'absence d'un prêtre au fort potentiel voué à un avenir glorieux ; qu'il évince l'actuel Grand Prêtre d'ici la fin de la décennie ne l'étonnerait que peu, ainsi allaient les choses. Sa participation lui aurait entre autre permis de jauger plus clairement ses aptitudes, de cerner son caractère avec précision... et d'agir éventuellement en conséquence en profitant du chaos qui risquait de les frapper. Hélas ce projet ne verrait jamais le jour ce qui finalement ne représentait qu'une infime contrariété en vue des réjouissances qui l'attendaient.

Bientôt elle ressentirait à nouveau l'exaltation qu'engendrait la pratique de sa magie divine, cela faisait si longtemps qu'elle se sentait frustrée sur ce plan que l'ivresse qu'y en résulterait n'en serait que plus délicieuse, sans le moindre doute décuplée. Enivrée par ces douces perspectives Liriel répétait mentalement incantations et prières à la gloire de sa terrible déesse vénérée. La créature à la peau sombre semblait incapable de se lasser de cette pratique, même après un peu plus de deux siècles sa foi continuait de gonfler au fil de ses expériences, telles les flammes attisées par le vent. D'ici peu elle ferait un des plus grand sacrifice de l'histoire du culte ce qui l'emplissait déjà d'une euphorie maitrisée. Si tout se passait bien Kiran pourrait se repaitre de la souffrance et de la dégénérescence éclair d'une multitude de représentants de cette race pathétique et faible qu'était le genre humain. Elle œuvrerait sans relâche dans ce but, telle était la voie qu'elle avait choisie. Sa détermination se renforça, elle serait implacable, quel que soit le prix à payer son culte sortirait grandi de cette guerre.

Afin de mettre toutes les chances de son coté la religieuse se ménageait autant que faire se pouvait, somnolant régulièrement sur sa selle. Lors de ces micro sommeils les rêves s'enchainaient, intégrant réalité et fantasmes, tenant du cauchemar comme du féérique. On racontait que certaines divinités du Panthéon transmettaient parfois des messages oniriques plus ou moins obscurs à leurs fidèles les plus fervents. La drow n'aurait su dire si elle avait déjà vécu pareille expérience tellement son esprit était confus au réveil comme fiévreux. D'autres fois encore la sombre affectait tous les signes de l'assoupissement cependant il en était tout autrement. Intérieurement elle se préparait à l'exercice le plus dur et dangereux qu'il ne lui ait jamais été donné de faire. Aussi enthousiasmant que soit l'appel des puissances divines, cet acte était loin de se trouver anodin et exempt de conséquences lourdes en cas d'échec. Une jeunette avait trouvé la mort deux hivers plus tôt. Ayant fait preuve d'une hâte et d'une imprudence flirtant avec une bêtise primaire, l'apprentie magicienne avait fini foudroyée par une force dépassant largement son niveau de compétence. Liriel avait failli connaître le même destin funèbre peu de temps avant la déroute d'Alonna. Le souvenir était encore cuisant, similaire à une plaie suppurant de la plus ignoble des façons. Seule une victoire éclatante désinfecterait cette blessure une bonne fois pour toutes. Les yeux clos, relaxée, elle se focalisait sur les énergies mystiques, tachant d'atteindre ce qu'elle appelait familièrement « l'état de plénitude ». Cette disposition se caractérisait par une concentration parfaite, où peu à peu elle se coupait des nuisances extérieures sans perdre néanmoins toute notion de ce qui l'entourait. Ses sens s'altéraient comme si elle était tête plongé dans une rivière. Le vue devenait floue, diluant les contours et les couleurs. Ses longues oreilles pointues ne percevaient plus les sons que de manière étouffée, distante et occasionnellement en écho. Le handicap avéré qu'imposait cette discipline refroidissait les sorciers les plus présomptueux, aveugles aux trésors d'atouts acquis. Une fois outrepassée la vulnérabilité physique de son enveloppe charnelle, la perception des flux immatériels s'effectuait avec une finesse considérablement accrue. Canaliser et contrôler devenaient des notions moins empiriques, bien mieux domptées. Dès lors une autre contrepartie résultait logiquement de ce « savoir ». Réfréner la soif de puissance s'emparant doucement mais surement de son esprit atteignait des sommets de difficulté et la capacité à raisonner de façon cohérente en pâtissait en conséquent. Conserver les idées claires était pourtant d'une mortelle nécessité...

Quoi qu'il en soit, son apparente apathie ne manquait pas d'agacer certains soldats même s'ils n'osaient guère en souffler le moindre mot. Liriel imaginait facilement la nature des réflexions dégradantes qui devaient courir à son sujet sans s'en émouvoir. Que pouvaient comprendre les profanes sans instruction au subtil art qu'était la magie ? Inébranlable, la Haute Prêtresse affichait le reste du temps un port de tête altier. Elle se savait temporairement intouchable car remettre en question une de ses décisions ou tenter de lui nuire serait revenu à critiquer le Karliik Glenn lui même. Personne n'était assez fou pour se risquer à écoper d'un rapport corrosif. La drow tirait une certaine satisfaction de cette amplification de son pouvoir d'intimidation, n'hésitant pas à en abuser pour soulager sa nervosité ainsi que ses rares caprices.
Elle alternait régulièrement sa position dans la colonne de leur convoi très particulier, faussant compagnie au chef de la garde d'ébène et au Barra de la Dothka au gré de ses envies et pour les passages plus délicats où elle n'aurait point supporté qu'on la traite en fardeau. Sentant la fin du voyage approcher la sombre avait finalement décidé de se maintenir à l'avant. Ses yeux clairs regardaient vaguement le paysage d'un blanc immaculé dont la beauté l'avait lassé au bout de plusieurs jours d'expédition. Ah l'hiver... maudite saison. Privée de l'ardente chaleur du soleil d'été la putréfaction des cadavres se faisait à une lenteur accablante, diminuant parallèlement les risques et la vitesse de propagation des épidémies. La glace rendait la contamination des cours d'eau tout autant délicate et « indiscrète ».... Liriel se frictionna les bras distraitement pour se réchauffer. Non décidément, les conditions étaient tout sauf idéales, heureusement que l'effet de surprise était de leur coté. Le seul attrait de cette période glaciale était le bonheur que lui procurait ses boissons bouillantes à l'arôme corsé et les bains chauds. Sa garde robe avait naturellement connu des ajustements de circonstances. Un long manteau blanc en daim ajusté, au col de fourrure et pareillement doublé d'une fine couche intérieure, isolait sa peau délicate de la morsure incisive du froid. Elle portait en dessous une longue tunique à col droit, oscillant entre le bleu et le gris, dont les deux fentes sur les cotés dévoilaient un pantalon serré un ton plus sombre. Des arabesques argentées s'épanouissait au niveau de sa poitrine et aux extrémités des manches. Etait suspendue à sa ceinture de cuir son habituelle lame ondulée enduite pour l'occasion de poison. Sa longue chevelure semblable à la neige était relevée en un chignon souple, ornée d'un serre-tête d'argent finement ciselé, sorte de fétiche l'aidant à se concentrer. L'ensemble dégageait une douceur et une pureté instantanément contredites par ses formes voluptueuses, son regard perçant et l'aura inquiétante qui émanait de sa personne. Comme toujours elle prenait un soin particulier à entretenir cette dualité.

Liriel refermait un petit carnet relié de cuir craquelé où elle confinait quelques notes et appréciations personnelles lorsque vint à eux celui qu'elle ne tarda pas à identifier, du moins telle était sa supposition, comme étant le chef du groupe réduit envoyé en premier lieu et peut-être même le brillant informateur auquel on devait cette action drow. Brylyan ne s'était pas appesanti à outre mesure sur l'identité de sa source aussi ne pouvait-elle que se fier à son instinct et à ses déductions. Un léger sourire carnassier étira ses lèvres, l'exaltation reprenait le dessus sur l'engourdissement. Ils entraient dans la dernière ligne droite avant le début des festivités. L'intonation toute particulière sur le « Dame » ne lui échappa point, élargissant un peu plus son sourire. Elle répondit avec la même emphase d'une voix vibrante, joignant une salutation formelle exagérée qu'elle estimait dans le ton des présentations, ignorant royalement les convenances qui auraient peut-être voulu que les hauts gradés militaires aient l'initiative de la prise de parole.

« Liriel Ainster, humble Haute Prêtresse de l'incommensurable Kiran. Sachez que nous comptons bien apporter de nombreuses autres réjouissances à vos yeux carmins. Pourriez-vous toutefois nous gratifier d'un récit détaillé de la situation actuelle en premier lieu ? »