Le soulèvement des neiges { Pv }

Une sorte de barrière venait de s'écrouler alors qu'Anthèlmes acceptait sans rechigner à ce qu'ils se tutoient tout deux. Après tout, ils parlaient de tout et de rien et la formalité aurait peut être été chose absurde dans pareille conversation.
C'est sur ce ton qu'Ailen lui évoqua la bienheureuse ville de Diantra, fort agréable certes... Mais le chevalier sentit derrière ces paroles banales une certaine lassitude à ses références continuelles vers ses supérieurs.
Hum.
C'était peut être vrai -à bien y réfléchir- que s'en était d'une répétition presque exaspérante.

La réaction de la demoiselle par rapport à sa triste et funeste narration surprit beaucoup plus le sire d'Aurillac. Quelle étrange sentiment que de parler de morts et recevoir un sourire. Le vent avait il happé ses paroles à tel point qu'elle ne se méprenne sur le sens de celles-ci? Se fut un silence qui précéda aux paroles compatissantes de la demi-drow devenue à présent pensive. Elle sembla oublier ses tourments lorsqu'il lui fit part de ses "régimes particuliers pour fortes têtes", et sa remarque eut un double-sens qu'Anthèlmes eut peur de mal interpréter:

- Les problèmes d'orgueil oui... Des punis!

Ces petits défoulement étaient très enrichissant pour quelqu'un d'aussi prompt à la colère que lui avec les incapables, mais ils ne lui satisfaisaient en rien son égo... Fort heureusement, le code chevaleresque l'avait placé au-dessus de tout cela. Fort heureusement. Ailen en profita d'ailleurs pour lui rappeler qu'il n'était pas son supérieur et que le tutoiement était donc tout à fait adapté à la situation. Ces paroles ne souffraient aucune réplique. Et pour cause, elles étaient vraies!
C'est d'un air presque enfantin que son interlocutrice évoqua alors ses préférences et un peu de son enfance, ce qui détendit un peu Anthèlmes. Des souvenirs plus doux et tranquilles lui détendirent le cœur et chassèrent un peu de cet hiver rude. Coquelicots et rosiers... De magnifiques créations florales qui inspiraient tant de conteurs. S'il n'avait été aussi rustre -noblement parlant-, le coquelicot aurait certainement été un emblème personnel du chevalier. Tuer.
Anthèlmes haussa les sourcils à ce mot auquel ses oreilles n'étaient pas prêtes à entendre. Voyons voir, quelle était sa dernière phrase déjà?... Discuter, danser, explorer, apprendre, tuer. Quelle chute brutale pour des occupations aussi libératrices. Le noble ne sût que dire face à cette passion cruelle caractéristique des drows, et ses mains tinrent évasivement la bride de Silifen. Tuer n'était pas un plaisir... C'était, au pire, une nécessité. Tuer ou être tuer. Jamais ôter la vie d'un être ne s'était montré comme un acte jouissif pour le chevalier... Ces paroles le troublèrent un instant, avant qu'il ne se rende compte qu'Ailen n'était plus à ses cotés.

Elle s'était arrêtée à quelques mètres de là, se posant sur la neige comme une flamme dans un désert de glace. Ou un coquelicot?
L'officier mit alors pied à terre avec aisance, profitant de l'absence de son armure qui était des plus inconvenante -sinon impossible- pour pareille manœuvre. Il se rapprocha de la demoiselle alors que la neige mourrait sous ses pas, balayant de pourpre le sentier parcouru. Des questions, encore des questions, des questions d'oiseaux prêts à s'envoler et de papillon des champs furent alors lancées par une Ailen rêveuse, qui se laissa choir élégamment dans l'herbe sous l'œil intrigué d'un Anthèlmes pris au dépourvu. Désirait elle vraiment une réponse? Elle se prélassait si bien dans la neige, pourquoi l'embêter de philosophie? Diantre, encore des questions.

- Bien sûr, comme tout le monde.

Un million de paroles rébarbatives et d'un intérêt nul traversèrent alors son esprit. Toutes furent balayées par un sourire à peine retenu alors que le chevalier observait bras croisé cette tache écarlate dans l'océan de glace balayé par les vents froids.

- Allons... Je m'en voudrais que cette balade se termine en fièvre.

L'humidité devait certainement traverser ses vêtements, et elle ne manquerait pas d'attraper froid au retour, surtout à cheval. Sa constitution drow l'en protégeait peut être aussi, mais même les immortels n'étaient pas... si immortels.
Détachant la broche d'un geste bref, le chevalier promulgua avec soin une galanterie tout appropriée à la situation, déposant un voile pourpre parfumé de lavande sur la demoiselle étalée à terre. C'était un peu... Quelque peu... Disons qu'un observateur lambda trouverait la situation intriguante. Ce grand chevalier là, à présent un genou à terre, aux coté d'une femme aux cheveux de braise enveloppée d'une cape de la même teinte. Un bien étrange tableau.

Pour en revenir une dernière fois sur la discipline martiale, il était vrai que tout était à relativiser. Bien que certaines branches de l'armée fussent des plus rudes et d'une compétitivité rude, il n'est de plus forte certitude qu'il n'en était rien à l'échelle des Sombres. Les érudits disent qu'une éducation violente influe sur l'agressivité d'un élève. Au vu de la hargne des drows en combat, leur apprentissage ne devait pas être des plus taquin.

Mais ce n'était pas ce sujet qui absorbait la concentration d'Anthèlmes, pour le moment. C'était en l'occurrence plutôt la demoiselle allongée sur l'herbe saupoudrée de neige, une couverture noble drapant son corps humide par la fonte des milliards de flocons sur lesquelles elle reposait. Un spectacle des plus charmants.
La jeune demi-drow sembla soudain un instant perplexe, ses narines frétillant imperceptiblement lorsque l'odeur lavandière lui titilla son odorat. Le chevalier comprit son étonnement et s'expliqua en ces mots:

- On utilise couramment ces fleurs pour parfumer et protéger les vêtements des nuisibles.

Les servants glissaient en effet souvent des petites sacs renfloués de certaines plantes pour les usages cités précédemment. C'était plus agréable de porter des étoffes qui ne sentaient pas le renfermé, mais des odeurs plus suaves ou délicats. Un peu efféminé? C'en serait très certainement le cas avec des pétales de roses.
Une main aventureuse s'empara alors de l'épaule du chevalier, la danseuse écarlate plongeant alors son regard dans le sien en guise de diversion, agrémentant son stratagème de quelques paroles bien pensées. Et puis se fut l'attaque en traitre.

Pris par surprise, l'officier manqua de peu de mettre en déroute cette attaque honteuse, si se n'était l'étonnante force d'une demoiselle élevée à la dure... Anthèlmes, défait, resta plaqué contre sa propre cape. Son souffle accéléré et ses sourcils froncés ne cachaient en rien sa surprise. Ailen semblait quant à elle d'une humeur espiègle, sinon envouteuse. Elle expliqua avec enjouement qu'elle était prête à l'hypnotiser si cela pouvait rajeunir son caractère... Anthèlmes n'y ajouta rien, sachant qu'elle serait bien capable de le faire si cela était en ces moyens. Allons, nous parlons de l'ensorceleuse de braise!
Et tout se termina d'un baiser déposa sur sa joue rafraichie par la galopade, créant ainsi pendant un instant un petit brasier à l'endroit où les lèvres s'étaient posées. Le chevalier regarda alors la main tendue vers lui et l'observa un bref instant, reprenant la juste maîtrise de la situation avant d'accepter de bon cœur l'amicale offre et de se remettre sur pied.

- Se fut une pause mouvementée...

A n'en pas douter.
La bise gelée ne gâcha en rien le sourire en coin qu'il masqua à peine, et se fut au tour du chevalier de tendre galamment sa main pour aider son interlocutrice à monter en selle -bien qu'elle n'en eut nul besoin-.
Une fois ceci fait, se fut au tour de l'officier de monter à dos de cheval de sa façon martiale, dirigeant sa monture en direction de Diantra. Silifen trotta doucement jusqu'à son presque alter ego équestre, et Anthèlmes prononça ces quelques paroles d'un ton reconnaissant qu'il ne se connaissait pas:

- Je pense avoir fait la plus agréable balade qu'il m'ait été donné depuis bien longtemps... Je te raccompagne jusqu'à ta résidence? C'est la moindre des choses.