Une rencontre forgée de savoirs nains (Marché)

Allons ! Une telle affaire ! Les nains sont donc si stupides de nos jours ?


Ca y est, le marchand perfide à court d’argument avait fini par commettre sa première erreur et sa dernière. Une faute aussi grossière qui misait peut être sur une trop grande crédulité du duo. Ne jamais insulter un client ! La réponse fut sans appel. Une dégaine vive et sans retenue coupa toute discussion future. Il était possible de sentir la décharge de colère qui s’était accumulée dans l’abdomen de la Naine depuis qu’elle accusait sans broncher les fourberies de sa cible. Gothral fut surpris également par le geste rapide et précis alors que la foule semblait avoir l’habitude de voir de l’agitation autour du comptoir d’armes de cette partie de la galerie.


C’est alors que lui apparut un déluge de couleurs qui assaillit sa vue. Il avait l’impression de se trouver en face d’un trésor qui offrait ses tons argentés parsemés de bordures dorées. Il ne savait plus où donner de la tête entre les formes parfaitement dessinées de l’armure et l’harmonie des proportions des armes qu’avait dévoilées la cape. Il eut envie d’enlacer ces joyaux d’artisanats et de parcourir les moindres détails pour en deviner la technique ainsi que les propriétés des alliages présents. Sa main vint donc instinctivement se coller à plat sur l’omoplate de la femme comme pour entamer une accolade. Le contact de ses doigts sur quelques cheveux soyeux le fit prendre conscience de ce qu’il était en train de faire. Il arrêta son élan et son visage prit à son tour une couleur pourpre. Ne sachant pas dissimulé aussi bien sa gêne, il espérait que ses joues rougies étaient hors de vue de sa.


Mon nom est Abal Dull. Je suis forgeronne, et je peux vous assurer que vous feriez mieux de ne pas acheter ... cet instrument. Je pourrais vous conseiller, il y a un brasseur juste à côté si ça vous tente.


Le rapide éclat de diamant du carreau qui avait fendu l’air telle une étoile filante n’attendait qu’une pression pour repartir en direction du roublard effrayé. Content de sentir le poids qui pesait sur ses épaules se reporter sur celles de ce qu’il comprit être un escroqueur, Gothral fut surpris de la manière dont la forgeronne était passée d’une nature timide et gênée à une allure de guerrière droite, alerte et dont le bras ne fléchissait pas ! Il ne mit pas les paroles d’Abal en doute une seule seconde. Le contact instinctif qui s’était établi entre les deux artisans ne trompait pas. Sa conscience lui dictait qu’une telle sensation ne pouvait pas être fausse. Quelque chose d’important lui apparût à l’esprit également. Il ne pouvait pas se laisser aveugler par sa passion au point de se mettre dans ce genre de situations, non il ne le devait plus. De manière à effacer le doute qui planait dans la tête de la Naine à propos de son intervention, de même que pour lui montrer qu’elle n’avait pas à s’excuser de son initiative, il approcha la bouche de son oreille et lui glissa gentiment :


Merci l’amie, je pense que je me serais fait avoir si tu n’avais pas été là ! Mais dis-moi, ta maîtrise de la forge semble assez poussée et tu dois être originaire d’une région riche en ressources.
Laissons ce fourbe à son triste sort et discutons autour d’un tonnelet, il me semble que tu viens de me faire économiser mes écus, alors c’est moi qui régale !


Abal avait déjà baissé son arbalète avant la dernière phrase, visiblement elle savait exactement ce qu’elle faisait. Gothral l’avait tutoyée depuis le début comme il le faisait quand il était à l’aise. Il se dit qu’il était peut être préférable de faire des présentations plus poussées une fois assis au « calme ». Il ramassa sa hache en effleurant les poils de vughtan du casque et lança au marchand avant de partir : Que Yaron te foudroie pour ta fourberie !
Puis, il s’avança vers la brasserie et constata le bruit de maigres piécettes derrière lui suivi d’une phrase dont seul le ton moqueur parvint à ses oreilles. Impressionné par la prestation de la jeune femme il sourit à lui-même heureux de sa rencontre de fortune.


* Ha ! Par la barbe du grand Mogar, elle a l’air de savoir se débrouiller ce petit bout de femme ! *


Il se faufila entre les gens et arriva le premier à l’étal. Il était passé devant quelques instants plus tôt et il l’avait repéré grâce au rassemblement de Nains qui y festoyait ou s’y désaltérait simplement tout autour. Il sortit un écu de sa bourse et le déposa au creux de la main du Nain à la barbe rousse tressée qui avait anticipé son mouvement. Voilà de quoi profiter de quelques bières bien fraîches.


Deux chopes pleines, j’ai hâte d’humidifier ma gorge !


Confiant comme jamais à l’idée d’en apprendre plus sur elle, il écarta quelques fêtards pour lui faire une place et s’assoir à côté d’elle. Il restait encore ébahi par l’équipement d’Abal ainsi que sa chevelure rousse et son joli minois. Il voulait lui poser plein de questions à commencer par une série sur les arbalètes et la mésaventure qui venait d’avoir lieu. Néanmoins, sans oublier les convenances, il dévoila son nom et ses origines.


Je suis Gothral Guldar dit « l'Enclume Téméraire », fils de Mardok « le Soufflet Brillant », du sang de Grumkhol « le Marteau Eclair » du clan Corthyn, disciple du runiste Hleidvar « Roc d'Acier » de la garnison de Thanor ! Et toi tu m’as dit être Abal Dull, c’est bien ça ? Quelle dégaine dis-moi !

Gothral ignorait qu’Abal était déjà passée par la brasserie avant leur rencontre et avait trouvé logique de s’y installer pour discuter un peu. Le brasseur du haut de son mètre cinquante avait reconnu la naine et sourit en son fort intérieur à l’idée de ce qu’il avait pu voir d’elle quelques minutes plus tôt. Malgré son poids plume par rapport à Gothral, il fut étonné de constater avec quelle lourdeur elle s’était laissée tomber sur le tabouret sourire aux lèvres. La présentation à rallonge semblait avoir réveillé un peu son homologue. En guise de réponse non-verbale lors de la suggestion pour raccourcir le nom de ses origines, le nain hocha la tête sans l’interrompre. Lorsque le mot « Drow » fut prononcé, l’assemblée se tut un temps créant un léger silence au milieu de brouhaha du marché. Puis, les discussions reprirent aussitôt après le rire de la naine.


* Elle a déjà rencontré un Drow ?! Elle doit être vraiment forte pour en être sortie vivante. *


Gothral n’avait jamais vu de Drow et sa mère lui avait raconté des atrocités sur cette race. Il en avait peur mais de réputation seulement. Loin de se douter qu’il en rencontrerait quand le printemps tout proche sera venu, il admira son courage. Le fil de leurs pensées respectives sur leurs ennemis prit fin au moment où les deux pintes de bière furent déposées à côté d’eux. Gothral observa Abal en souriant pendant qu’elle effectuait son petit rituel avant d’absorber une gorgée. Puis, à son tour, il but quelques gorgées. Il redéposa la chope d’un air béat, sa soif partiellement étanchée. Il buvait lentement parce qu'il n’avait pas l’habitude de se prendre une cuite et que le moment était très mal choisi. Il avait devant lui une richesse de savoirs qui ne tenait qu’à être explorée et ce n’était pas le moment d’interrompre ces découvertes par quoique ce soit. Néanmoins, le souvenir de l’haleine de bière d’Abal depuis le marchand d’armes venait de trouver satisfaction en se concrétisant dans son gosier. Excité à l’idée de parler de métaux, il s’en retrouva vite refroidi par la dernière question de son interlocutrice.


Ainsi, tu t’intéresses aux armes de métal ? Ah ça pour sûr oui !
Tes mains me semblent bien calleuses pour que tu ne sois pas toi-même artisan ... comment as-tu pu te laisser avoir par ce charlatan ?


Il n’avait pas encore accepter le fait qu’il avait failli y perdre des plumes en achetant la misérable arbalète et baissa la tête avec un air gêné. Sa main gauche se faufila dans sa barbe pour trouver refuge comme si elle s’apprêtait à subir une attaque. Il fixa la rune de Girdon de sa hache comme si le demi-dieu de la bière allait lui redonner une motivation d’un simple regard.


Et bien ... je ... oui tu as raison, je suis un artisan !


Gothral cherchait ses mots et inconsciemment il savait que seul le rapprochement avec des éléments familiers pouvait l’aider à surmonter une situation difficile. Cela peut sembler pathétique de chercher un soutien pour si peu de chose vu de l’extérieur mais le manque de confiance en lui l’amène souvent à discourir avec lui-même et à trouver des astuces à l’allure grotesque pour la moindre difficulté. Il tenta donc de formuler ses idées en se basant sur ce qui le mettait en confiance : sa profession.


Un forgeron comme toi ! J’ai appris à manier le marteau dès mon plus jeune âge. Le clan Corthyn est situé dans le Verrou du Brissalion¹ et possède du minerai de moins bonne qualité ...


Gothral s’interrompit alors qu’il relevait doucement la tête. Son regard croisa deux yeux verts attentifs ayant un soupçon d’interrogation. Il savait qu’il ne répondait pas à la question. Il poussa un grand soupir et sortit finalement les mots qui avaient tant de mal à être exprimés.


Je pense que j’ai été aveuglé par ma passion. Je n’ai pas l’habitude de voir ce genre d’outils. Je maîtrise parfaitement le maniement du minerai cassant, je sais construire les meilleures haches de mon camp mais je n’ai jamais tenu d’arme de jet de cette portée en main. Je ne voulais pas paraître ridicule.


Le forgeron reprit son air gêné et se tourna vers le comptoir les deux mains sur sa bière. Sa fierté en avait pris un coup et il se sentait bête devant une consœur d’avoir pu commettre une telle bavure. S’il le lui avait dit c’est uniquement parce qu’il se sentait à l’aise avec elle, même si en ce moment, il se serait bien mis en dessous de la table. Il joignit une nouvelle fois sa chope à ses lèvres et but un peu plus cette fois-ci en prenant soin d’en laisser pour la suite. Il avait peur de la regarder en face car il pensait l’avoir déçue par sa piètre attitude pour un forgeron de son calibre. Si l'un des deux nains levait la tête en direction de la galerie qui mène à la cavité centrale, il aurait pu apercevoir un sablier qui annonçait que le soleil allait bientôt rejoindre l'horizon à l'extérieur.




¹ : Le Verrou du Brissalion est la montagne située au sud ouest de Lante et au nord de Serramire.

Voici une arbalète.


Gothral pu presque lire dans les pensées d’Abal tellement sa mine était expressive : * Une vraie arbalète ! *. Visiblement la Naine avait très bien comprit comment fonctionnait le forgeron en posant le geste qu’il fallait pour s’en faire un ami dévoué. Gothral se tourna vers Abal et afficha un visage rayonnant. Pris par sentiment d’exaltation, il gratifia sa comparse d’un large sourire et il eut envie de la prendre dans ses bras tellement sa générosité et sa compréhension avait su lui faire oublier ce mauvais moment passé. Il n’eut pas le cran de l’enlacer mais au lieu de cela, il plaça sa main sur son bras, juste à côté de l’épaule en guise de geste très amical. Il en avait presque la larme à l’œil.


Je ... merci beaucoup !
Je peux ?


Fit-il ému et par pure politesse car il avait déjà presque la main dessus suite à l’invitation d’examiner l’arme. Il prit délicatement le carreau et le déposant sur la table près de la chope d’Abal de manière à ne blesser personne. Bien qu’il puisse être expert en certaines techniques de forge, il savait qu’il ne maîtrisait pas vraiment les armements alors c’était plus prudent comme ça. N’importe quel Nain ordinaire aurait été attiré par le brillant du cristal sur le carreau mais Gothral était plus attiré par l’éclat de génie qui avait conçu le mécanisme. Il laissa donc le projectile sur le côté parce qu’il présentait un moins grand intérêt à ses yeux, il aurait de toute façon tout le temps d’en mesurer la portée du choix de matériau une fois sa curiosité concernant l’arbalète partiellement satisfaite. Ses mains saisirent l’arme et les doigts de sa main droite glissèrent le long de la crosse. Il emplit ses poumons d’air et il pouvait presque ressentir toute les expériences que le matériau avait subit comme s’il en était lui-même le propriétaire.


Tiens elle n’a pas l’air d’être évidente à utiliser. A moins qu’elle ne soit faite sur mesure ?

Sans attendre de réponse, il continua ses découvertes, son regard critique scrutant le moindre détail.

Ha oui, je vois à cet endroit qu'il y a une pièce en plus que sur l’arbalète de toute à l’heure. Mmmh ... et donc ... si on veut que le coup parte efficacement, il faudrait idéalement mettre en renforcement ... ici !


Son index rencontra un point métallique exactement à l’endroit où il s’y attendait. Ca y est, il était dans son élément, rien ni personne ne pouvait le faire vaciller de son trône de confiance qu’il venait de se créer. Sa bière était laissée à l’abandon et s’il ne l’avait pas déposée à côté de lui, le brasseur aurait été jusqu’à se demander s’il devait le soulage du breuvage ou non.


Gothral reconnu les poils de vughtan qui composaient la corde. Quand il était plus petit, il allait souvent rendre visite à sa mère qui travaille avec toute sorte de cuirs et poils d’animaux à la grande tannerie du clan. Soudain, il pointa l’arme vers la table en s’assurant que personne ne se trouve dans la ligne de mire et il leva le point d’ancrage de la corde. Toute la structure de bois et de métal se tendit d’un coup sec laissant retentir un petit : « Oooh ! » parmi les spectateurs curieux qui observait aussi l’ouvrage. Il passa alors en revue les parures de métaux précieux qui ornaient les formes en dévorant du regard la précision des gravures à la manière d’un bearog affamé.


Par le marteau de Yaron ! Mais cet ouvrage est remarquable ! Alliant esthétique et pratique, c’est un vrai joyau ! De plus, tu interdis presque quiconque de l’utiliser efficacement avec ce manche sur mesure.


Gothral ne savait plus quoi dire pour encenser le travail d’Abal car les mots lui manquaient. A nouveau laissant parler ses sentiments, son moment de honte était déjà oublié. A cet instant, s’il venait à croiser un ouvrage qu’il ne connaisse pas, il aurait été capable de se faire duper à nouveau par un commerçant véreux. Il avait envie de partager ses connaissances encore plus et d’en demander plus à la forgeronne dans un lieu de travail approprié mais il se retint d’intervenir. En tant que forgeron runiste, Gothral avait clairement vu qu’il pouvait renforcer le manche de l’arbalète avec son art. Une rune de Rodmin pourrait rendre le manche plus résistant aux chocs ou encore associée avec une rune de Mogar, les matériaux de l’arbalète auraient pu être en partie insensibles au feu. Ce genre d’effets rajoutaient certaines qualités aux objets mais n’étaient pas pour autant indispensables. De plus, il ne voulait pas suggérer de travail qui aurait brisé l’harmonie de l’ouvrage. Il se contenta de déposer l’arme sur la table à l’endroit exacte où Abal l’avait placé au départ en prenant le soin de tendre la corde une dernière fois tel un enfant content de pouvoir encore profiter un peu d’un précieux jouet avant de le remettre à place.


Finalement, tout en pensant aux divers effets de rune de guerrier ou de courage qu’il pouvait ajouter à l’arme, il prit le carreau pour en admirer les couleurs du diamant. Il n’avait pas l’habitude d’en voir de là où il venait. Les seules occasions de voir des métaux plus variés étaient lors des arrivages de marchandises importées du clan Corthyn. Absorbé par tant d'éléments et la vie sous terre aidant, Gothral aurait pu passer la nuit à contempler le chef-d’œuvre.