Premiers mots { PV AIDAN }

Le printemps était symbole de renaissance et d'espoir. Il succédait aux longs mois froids où la nature était endormie, voire morte et qui s'étirait insupportablement dans le temps. Mais si l'hiver avait simplement amené le froid, tout aurait été plus simple. Malheureusement, il avait amené avec lui son lot de troubles... Quoique troubles était encore un mot bien faible pour décrire le bouleversement qu'avait connu la capitale humaine. Une guerre. Entre nobles. Qui avait encore fait souffrir les pauvres gens pendant des mois, affamés, tués... Des femmes avaient été violées et torturées. Des enfants s'étaient retrouvés orphelins et jamais l'orphelinat de Nakor n'avait été aussi rempli. Grâce au vieux magicien, le bâtiment avait été protégé des attaques et LilY, Aidan et Mathias avaient pu vivre relativement tranquilles. Relativement. Difficile de rester sourd au chaos environnant. Mais il avait fallu faire semblant. Pour les enfants. Les plus jeunes ne s'étaient rendus compte de rien, les dieux soient loués.

Pourtant, cela n'avait pas empêché Aidan de se promener dans ce chaos. Ce n'était pas prudent, mais il était un oiseau et il aurait dépéri si on lui avait rogné les ailes. LilY le savait. Après la petite crise qu'ils avaient traversé en automne, ils s'était mis d'accord pour ne plus faire semblant d'être des gens honorables. Ils ne l'était pas. Aidan était un voleur, il avait besoin de fouler les rues sales de Diantra, de récupérer des objets de valeur à leurs propriétaire, de sentir la liberté entre ses doigts quand il errait seul sur les toits. Il avait accepté que LilY prenne ce genre de risques. Parfois, ils partaient à deux, parfois, chacun retournait à sa solitude, à son jardin secret. C'était vital pour l'équilibre de leur couple.

Mais ce soir, ils profitaient d'un moment de tendresse familiale comme ils n'en avaient pas assez. Mathys jouait avec les familiers de ses parents, sous les regard attendris de ceux-ci. Aidan et LilY avait pu retrouver une vie intime normale quand le petit avait enfin fait ses nuits et cessé de les interrompre à tout bout de champ. Cela aussi avait aidé le couple à se resouder. Mathys avait un peu plus d'un an maintenant, grandissant à une allure jugée normale pour les humains. Son père en était légèrement attristé : Mathys avait davantage de sang humain qu'elfe, il vieillirait donc plus vite et Aidan prenait le risque de voir périr sa descendance avant lui... Il l'avait accepté concernant LilY, même s'il avait des difficultés à se faire à cette idée, mais concernant son fils... C'était autre chose. Il songeait à cela, le visage dénué d'expressions alors que LilY, bien calée sur ses genoux, s'amusaient à le distraire en le chatouillant de ses mèches humides. Il finit par frissoner et lui lancer un regard lourd de sous entendus quant à son sort si elle continuait à l'asticoter quand il remarqua qu'elle ne faisait plus attention à lui.

Il put alors l'observer tout à loisir. Elle avait mûri. Ses traits étaient moins enfantins et elle avait retrouvé son corps de jeune fille, agrémenté de quelques courbes qui plaisaient énormément à son compagnon. Elle avait retrouvé sa joie de vivre, tempérée par une sorte de sagesse toute récente. Aidan, lui, avait changé également. Il était un peu moins renfermé et secret, s'amusant même à distraire les gosses de l'orphelinat par quelques tours de passe passe qu'ils associaient à de la magie. Cela n'avait rien à voir, bien évidemment. Nakor était capable de faire naître de ses doigts des papillons de lumière quand Aidan ne pouvait que faire disparaitre et réapparaitre un écu au gré de ses envies. Mais les gosses s'y laissaient prendre. Pourtant, il avait rarement des gestes d'affection pour eux, se contentant d'une caresse dans les cheveux ou d'une tape sur l'épaule. Il n'était pas habitué à ces manifestations de tendresse. Même avec Mathys, il ne trouvait pas cela naturel. Il prenait son fils dans les bras, caressait parfois ses cheveux châtains, mais se sentait tout chamboulé quand le petit entourait son cou de ses bras et posait sa tête contre son épaule en un calin imparable.

Physiquement, le demi elfe avait également subit quelques changements. Ses cheveux étaient plus longs qu'avant, il s'habillait tantôt à la mode elfique d'Alëandir, tantôt à la mode humaine. Inutile de dire qu'il était plus élégant avec les tuniques fines et ouvragées des elfes. Il dégéeait plus souvent ses oreilles effilées à la vue de tous, pour le plus grand bonheur de LilY. Mathys avait les même bien qu'un peu moins pointues, à quoi bon nier son héritage désormais? Vêtu à la mode elfique et les oreilles visibles, il ressemblait énormément au peuple éternel, si ce n'étaient des traits un peu moins fins et une carrure plus développée.

Mais ce soir, il ne portait que des chausses brunes et une chemise en lin écrue, négligeamment entrouverte sur sa poitrine. Il se tendit pour embrasser l'épaule de LilY quand il entendit Mathys babiller. Une vraie pipelette! Il tenait ça de sa mère, c'était certain! Pourtant, alors qu'Aidan se faisait cette réflexion amusée, il se figea en entendant pour la première fois un mot compréhensible sortir de la bouche du petit garçon.

Son regard vint se fixer sur son fils qui réitérait la chose, tout fier de lui. Difficile de décrire ce qui agita alors le coeur du demi elfe en entendant cela. Il y avait un monde entre être père et entendre son fils vous appeler ainsi. Il avait déjà été ému quand Mathys s'était redressé et avait esquissé ses premiers pas, sans prévenir, sous les regards ébahis de ses parents qui ne s'y attendaient pas. Mais là... C'était encore plus fort. Les mots restèrent bloqués dans sa gorge. il était incapable de dire quoique ce soit, même de réagir, paralysé par l'émotion de l'instant. Finalement, il se racla la gorge et demanda d'une petite voix qui ne lui ressemblait pas :

- "J'ai bien entendu?"

Il porta un regard troublé vers LilY qui avait les larmes aux yeux mais un sourire éblouissant et attendri accroché aux lèvres. Il se leva alors, repoussant doucement sa compagne pour venir s'accroupir près de son fils qui s'était mis à rire, sans doute ravi du tour qu'il venait de jouer.

- "Et ça te fait rire en plus..."

il passa une main dans les cheveux épais de son fils. L'instant était totalement irréel.

Aidan jeta un regard noir à LilY alors qu'elle voyait le côté pratique de la chose : maintenant que Mathys tenait un mot, il allait sans cesse le sortir et Aidan n'avait pas fini d'en voir de toutes les couleurs. En effet, les Papa allaient sans doute résonner plus que de raison dans les murs de l'orphelinat.

- "C'est malin ça."

Lily vint les rejoindre et s'asseoir prêt d'eux, faisant comprendre à Mathys qu'il venait de faire quelque chose de sensationnel qui lui valait l'attention de ses parents. Pas idiot le gamin! Il avait compris le truc, comme quand il était bébé et pleurait, faisant accourir ses parents pour satisfaire son petit caprice. C'était malin ces petites choses là! La jeune femme passa une main sur la joue de l'enfant, tendrement.

- "Je sens qu'il va m'en faire voir autant que sa mère."

Il ne s'en plaignait pas. il ne s'en plaignait plus pour être exact. Il avait accepté le tempérament imprévisible et fonceur de LilY. Si jamais Mathys lui ressemblait, ils n'avaient pas fini de se faire des cheveux blancs. Quoiqu'Aidan ne soit pas non plus un modèle de sagesse... Plus tempéré que Lily peut-être... ou plus chanceux, allez savoir? Il gémit quand LilY lui demanda de se projeter dans quinze ans.

- "Dans 15 ans, ce sera un bourreau des coeurs comme son père."

Il adressa un sourire moqueur à LilY, mais ne put chasser tout à fait l'angoisse qu'il ressentit en se projetant si loin dans l'avenir. Dans 15 ans, il aurait toujours l'apparence d'un jeune homme, mais LilY, elle aurait vieilli... Et Mathys? Aurait-il l'air d'un adolescent, ou bien d'un enfant d'une dizaine d'années? Difficile à dire, mais cela lui serrait le coeur.

- "LilY... Je préfère ne pas me projeter si loin dans l'avenir... Je préfère profiter du présent, de chaque moment avec vous deux."

Il se pencha vers elle et l'embrassa dans le cou avec tendresse et un brin de désir. Elle savait combien il avait peur de les perdre, de demeuré jeune quand eux allaient vieillir et mourir. Il en avait parlé avec Nakor qui lui avait fait comprendre qu'on n'y pouvait rien, mais qu'il ne pouvait pas refuser l'amour par peur d'un avenir encore lointain. Mais pour le demi elfe qui avait toujours vécu sans attaches, engager son coeur dans une histoire qui le broirait finalement était d'une insupportable ironie.

- "Je n'ai plus qu'à lui apprendre à dire maman pour être tranquille."

Il rit doucement, sans pouvoir masquer la soudaine boule qui s'était formée dans sa gorge.