La main dans le sac (PV Aidan)

J'en avais eu assez.

J'en avais assez d'être la sagesse incarnée, de me contenir, de réfréner ma nature quand Lily s'amusait tant à faire ce qu'elle voulait, au mépris du danger. j'avais besoin d'air et de liberté, je ne supportais plus de la cotoyer comme si elle était un fantome, sans la voir, ni lui parler. Je ne supportais plus sa tristesse et sa peur, ses pleurs la nuit, quand elle pensait que je ne l'entendais pas. Je n'en pouvais plus de se reflet de ma propre lâcheté.

Alors je fis ce que je savais le mieux faire : je pris la fuite. Pour la première fois depuis des mois, pous la première fois depuis que Lily m'avait annonç qu'elle était enceinte, je jetais aux orties mes responsabilités et replongeais dans la vie qui avait été la mienne jusqu'à ce que la jeune fille entre dans ma vie.

Cette nuit, je me glissais en dehors des murs étouffants de l'orphelinat. Il était beau, il était propre, il était neuf, mais malgré tout, j'étouffais, oppressé par les souvenirs d'une enfance martyre. Les enfants ici, étaient heureux, du moins autant qu'on puisse l'être dans avoir de famille.

Je me propulsais vers les toits de Diantra et retrouvai cette impression familière d'être totalement libre et d'agir en toute impunité. C'était grisant. J'étais seul. J'avais laissé mon familier à l'orphelinat. J'avais besoin d'être seul.

Je bondissai de toits en toits, avec l'agilité d'un chat. Cela me fit sourire. le célèbre voleur avait cessé de sévir il y a plus d'un an, mais il n'avait rien perdu de sa souplesse. J'étais silencieux, agile, et l'espace d'un instant, j'en oubliais tous mes soucis. j'eu aussi la furieuse envie d'aller visiter une riche maison, mais je m'arrêtai alors net dans ma courses, à pein essouflé, mais perplexe. Non, je ne pouvais pas faire cela, c'était trop dangereux... Je levai le nez vers les étoiles et la lune, indécis, alors que le poids de mes soucis s'abattait de nouveau sur moi.

Je sentis alors que je n'étais plus seul et une dague de lancer se matérialisa dans ma main. Impossible de savoir d'où elle venait. J'étais rapide et j'avais des dons de prestidigitateur... une sorte de magie, mais ce n'étaient que des trucs, capable d'abuser la plupart des gens. Je tombai alors nez à nez avec Nakor qui sortait... de nulle part. Je soupirai et rangeai ma dague, avant de croiser les bras et de regarder le vieil homme, impassible.

- "Excellente soirée même."

J'avais répondu d'un ton neutre malgré son air mécontent et désapprobateur. Je n'avais pas de comptes à lui rendre, j'étais adulte et j'avais besoin d'un peu d'air. Alors pourquoi est-ce que je me sentais comme un gosse pris la main dans la boite à bonbons?

- "Tu n'as pas la berlue. Sauf que moi, je ne fouine pas partout, je me contente de m'aérer l'esprit."

Je reculai alors, laissant la place à Nakor se venir se poser sur le toit.

- "Je préférerai que tu mettes tes pieds sur une surface rude Nakor. je sens venir le long discours, alors autant que tu prennes tes aises... Ou plutôt que tu ne me mettes pas mal à l'aise avec ta magie."

Je n'avais jamais été très enclin à accepter la magie, cela me dérangeait et Nakor le savait.

Je ne bougeai plus, même quand Nakor se mit à rire devant mon arrogance et se rapprocha de moi, comme je le lui demandais. Je n'étais pas facilement impressionable et malgré tout, j'avais des nerfs solides. Il fallait bien cela pour être capable de mentir sans ciller. Et les dieux savaient que j'avais eu le temps de peaufiner la technique, ce qui m'avait permis de me sortir de situations délicates. Le vieil homme s'assit, prit une inspiration, ouvrit la bouche pour parler, puis se ravisa. Je levai les yeux au ciel, mais ne dis mot.

- "Non. Tu as tort. Je me contentais d'errer sans but, en espérant que cela m'empêcherait de penser. Et si tu veux tout savoir, je ne voulais pas fouiner, mais je caressais l'idée d'accomplir un petit larcin. Heureux?"

Je ne me démontais pas et disais cela d'une voix dure et neutre. Nakor n'avait pas à me juger. Cela dit, son petit discours et sa conclusion me firent hausser une sourcil narquois.

- "D'accord, nous sommes idiots, merci pour cette brillante analyse."

Il n'avait surement pas tort, mais plutot mourir que de le reconnaitre! Mais quand le vieux mage me balança en pleine figure les raisons pour lesquelles j'en voulais à LilY, je perdis de ma nonchalance et décroisai les bras, les poings serrés et le regard ombrageux. C'était faux! Ce n'était pas pour cela que j'en voulais à Lily, mais bel et bien parce qu'elle n'en faisait qu'à sa tête et ne faisait aucun effort, contrairement à moi! j'ouvris la bouche pour répliquer vertement quand cette pensée me frappa de plein fouet, m'empêchant de parler. Merde... Nakor avait en partie raison. Je lui en voulais parce que je me sacrifiais et pas elle. Je pincai les lèvres et repris d'une voix tranchante :

- "Ce que je lui reproche, c'est de ne pas prendre ses responsabilités et de continuer à se comporter comme si elle était seule au monde et que ses actes ne se répercutaient pas sur ceux qui l'entourent! Bon sang Nakor, elle est mère de famille, ne serait-ce que pour Mathys, elle ne peut pas se montrer aussi imprudente! J'ai bien renonçé à tout cela moi, pourquoi n'en serait-elle pas capable?"

Je m'étais approché du vieux magicien et je m'étais légèrement penché vers lui, afin de le regarder dans les yeux :

- "Tu veux savoir pourquoi je suis ici, cette nuit? parce que cela fait plus d'un an que je n'ai pas laissé parlé ma vraie nature, que je ne me suis autorisé aucun écart. Parce que j'étouffe à l'orphelinat! Tu ne devines pas à quel point cela me renvoie de mauvais souvenirs et combien cela est pénible à vivre. Mais surtout, je ne supporte plus la présence silencieuse et triste de LilY, ses pleurs étouffés dans l'oreilles, son indifférence à mon égard, sa peur... je n'y arrive plus."

Je soupirai ostensiblement quand Nakor eut un petit cri victorieux d'un air triomphant. Je n'avais rien à lui cacher. Et je lui avais même balancé mon intention de voler d'un air de défi. J'étais de mauvaise humeur et cela tendait à me rendre stupidement arrogant. On ne se refaisait pas. Mais Nakor commençait doucement, mais surement à me chauffer et il ne fallait pas grand chose pour que je sorte de mes gonds. Et quand le vieux mage se mit à rire comme un dément, je ne me retins pas plus longtemps et m'avançais vers lui, menaçant, alors même que les mots se déversaient de mes lèvres sans que je puisse les retenir. Pour un peu, j'aurais pensé qu'il m'avait jeté un sort pour que je parle, mais je savais que c'était faux et que j'avais simplement besoin d'évacuer tout cela. Je ne pouvais pas le faire avec Lily et je ne connaissait personne d'autre.

Mise à part Nakor.

J'esquissai un mouvement de recul quand il s'empara de mon visage. C'était instinctif. Parfois, j'avais l'impression d'avoir conservé les mécanismes de défense d'un enfant battu. il ne fallait pas m'approcher trop brusquement ou je fuyais. Comme maintenant. Sauf que je me fis violence pour ne pas m'échapper, le regardant dans les yeux, le regard incertain. Son discours doucha ma colère et j'acquiesçai lentement quand il me demanda si je comprenais. Je comprenais oui, même si je n'aimais pas ça.

- "Je suis sincèrement heureux que ces enfants abandonnés grandissent dans un tel établissement, sans manquer de rien, sans punitions corporelles... Mais cela ne suffit pas à effaçer le passé. j'ai toujours été égoïste, il semblerait que cela n'ai pas changé."

Je me sentais soudain honteux d'éprouver cela. Nakor m'avait relâché et j'avais reculé de quelques pas, écoutant ce qu'il avait à dire. Je comprenais son plan, ses intentions de nous aider Lily et moi. Et je comprenais que cela serait encore à moi de revenir vers elle. J'étais le plus âgé après tout. Cela dit, son discours avait ravaivé en moi une angoisse que je m'efforçai de juguler en permanence : LilY mourrait bien avant moi... Je la perdrais tot ou tard. Elle vieillirait, deviendrait une grand mère quand je resterai jeune... Cette angoisse de la perdre trop tôt fut comme un coup de massue. J'étais engourdi, vidé à cause de ce trop plein d'émotions. Mes jambes ne pouvaient soudainement plus me porter et je me laissais aller à m'asseoir à même le toit, le genoux repliés vers ma poitrine et les bras les entourant.

- "Je suis fatigué Nakor. Je n'ai pas peur de ce Chaos... Etrangement, cela ne m'effraie pas. Ce qui me fait peur, c'est de perdre LilY, soit par son inconscience, soit par sa mortalité. C'est une menace bien plus réelle que celle du mal. Je ne t'en veux pas, tu as fait ce que tu as jugé bon et tu t'échines à nous guider, alors que tu dois avoir bien d'autres choses à faire que de t'occuper de deux gamins paumés."

Je relevai le visage vers lui, las, mais davantage déterminé.

- "Je crois que ça va encore être à moi de recoller les morceaux."

Je haussai un sourcil alors que Nakor me rétorquait que tout le monde était égoïste et que je n'avais pas à m'en accabler. Nakor? Egoïste? Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un ricanement cynique en entendant ce gros mensonge. Oh non, le vieux mage était plutôt altruiste... La preuve, il accourait quand Lily et moi avions des soucis, alors même que cela devait le fatiguer et le déranger.

- "Alors là, toi, égoïste, on aura tout entendu..."

En revanche, moi je l'étais. Je l'avais été tout du moins, je n'avais vécu que pour moi pendant des années et j'avais du changer cela en catastrophe pour m'occuper de LilY, puis de Mathys, au mépris de mes envies... j'avais renonçé à mes escapades à mes vols, pour eux... Mais je n'arrivais pas à faire abstraction de mon passé pour me réjouir de la condition de ces orphelins. Etrange.

Nakor vint me rejoindre à terre et je faillis me relever en 4e vitesse pour lui épargner cela, mais je me retins. Je doutais qu'il apprécie que je le considère comme un vieillard incapable de plier les genoux pour s'asseoir et de se relever ensuite. J'étais toujours intrigué par Nakor... D'un côté, il semblait avoir l'énergie d'un jeune homme de 20 ans et parfois, le poids des années semblait le rattraper, lui faisant accuser son âge cruellement... Le faisait-il exprès? Mystère.

- "Tu as quand même une drôle de façon de remonter le moral, tu sais?"

Ca ne faisait que la 3e ou 4e fois qu'il me traitait d'idiot ou d'imbécile. Venant de lui, je ne le prenais pas mal, mais quand même, je commençais à me demander si je n'étais pas effectivement stupide. En amour, certainement... j'avais caressé l'idée, fut un temps, de laisser LilY, pour ne pas m'imposer la douleur de sa perte. Mais l'arrivée de Mathys avait tout chamboulé. De toutes façons, je n'en aurais pas été capable, même sans notre fils. Cela aurait pourtant simplifié les choses... Nakor m'avait déjà parlé de la déchirure que c'était d'enterrer ceux qu'on aime. Je n'avais pas envie de vivre ça, mais je ne pouvais pas l'empêcher.

- "Nakor, arrête de me secouer comme un prunier, je vais perdre le peu d'intelligence qu'il me reste."

Le vieux magicien avait tendance à être un peu trop enthousiaste pour ma santé. Ce n'était pas la première fois que je le lui disais.

- "C'est vrai."

J'avais esquissé un sourire alors qu'il disait qu'on était de vraies mules. Il avait raison.

- "Nous te donnons sacrément du soucis je crois."

Nakor s'était relevé en scrutant le ciel et je fis de même. Oui, si tout pouvait être aussi simple...

- "Nakor..."

J'avais envie de lui dire des tas de choses, mais je n'avais jamais été doué pour ça. Je me lançai alors maladroitement :

- "Merci. Jamais personne ne s'est occupé de moi et toi, tu le fais naturellement, comme un père le ferait avec son fils... Je t'en suis reconnaissant, vraiment, même si je le montre assez mal."

- "Je suis déçu Nakor. Un mythe s'écroule."

J'esquissai un petit sourire en coin. La bonne humeur communicative du vieil homme n'avait jamais pu me laisser de glace. J'aurais aimé pouvoir raisonner comme lui et appréhender la vie de la même façon. Certaines personnes qui vivaient longtemps étaient désabusées sur le monde, apathique... Nakor lui, semblait avoir apprit de ses expériences, tiré profit... Et avancer dans la vie avec un air bonhomme. Il était proche du roi, il ne se comportait tout de même pas comme ça avec lui... si? Cela ne serait même pas étonnant.

Le vieile homme me secoua alors comme un prunier, chose qui m'exaspérait et je ne me fis pas prier pour lui en faire part. Cela l'amusait, je le savais, mais quand même... J'étais à moitié sérieux en disant que j'allais finir par perdre le peu de cervelle qu'il me restait. Il cessa donc et un léger simence s'installa, que je brisais en lui avouant ce que j'avais sur le coeur. Cela le toucha, je le vis aussitôt et je ne reculai pas quand il porta sa main à ma joue, malgré mon instinct premier. Je devais cesser de me comporter comme une bête blessée dés qu'on tendait la main vers moi.

Nakor avoua bien sur qu'il faisait cela par plaisir, par devoir aussi, envers ceux qu'il considérait comme sa famille, même si ce n'était pas drôle tous les jours. Mais nulle obligation là dedans... Les liens du coeur étaient parfois aussi fort, voire davantage que les liens du sang... Et quand il ouvrit les bras, m'intimant de saisir cette accolade, j'hésitai une seconde... Bataillant contre ma nature sauvage... Pour finalement, m'approcher maladroitement de lui et le serrer dans mes bras comme il me serrait dans les siens. Dans un murmure, je me contentai de conclure :

- "Merci."

J'allais prendre les choses en main avec LilY. Faire le premier pas, ouvrir le dialogue... Lui ouvrir mes bras et mon coeur, comme je le faisais avec Nakor. Pour Mathys.

Et pour nous.