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 Voyage vers le nord

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Aetius d'Ivrey
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MessageSujet: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeLun 22 Mar 2010 - 20:16

Diantra était bien derrière Aetius à présent. Pâle souvenir que la cité pour le chevalier à l’aigle et au kerkand. Le jeune insouciant était de cette race, pas si éphémère, d’hommes jeunes et fougueux oubliant une soirée passée autour d’un feu comme une nuit à la cour de Sardanapale. Ainsi en allait-il le soi-disant Aetius d’Ivrey, qui parcourait, solitaire, les landes du littoral de la Péninsule. Il avait longé le fief d’Erac en vitesse ainsi que les terres du nouveau marquis de Sainte-Berthilde. Il se trouvait à présent sur l’une des plages d’Arétria, à la frontière entre les deux terres. Fatigué d’une journée d’un voyage harassant. Bientôt, il serait dans la cité arétrienne, espérant manger autre chose que du gibier, boire autre chose que de l’eau claire. A présent installé pour la nuit, il laissait son esprit engourdi vagabonder autre part, dans les limbes des Idées et des rêveries que l’on fait éveillé.

Il était à moitié assoupi lorsqu’il vit une silhouette se détacher de l’horizon brûlant, apparaissant devant le soleil mourant qui baignait de son sang une mer agité par un vent qui rappelait l’été. Là, sis sur une ancienne motte castrale jouxtant une plage de sable fin, entouré de ruines qui lui permettraient, le cas échéant, de se cacher voire de se défendre plus efficacement, il refit soudain surface. Il essaya de considérer plus précisément cette ombre qui était apparue, mais ses yeux, qui papillonnaient, ne faisaient qu’embrasser avec une attention fainéante le décor crépusculaire qui s’offrait à eux.
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Tinfar Solinar
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeMar 23 Mar 2010 - 15:49

Tinfar s’arrêta et essuya d’une main lasse la sueur qui lui coulait sur le front. Néera seule savait depuis combien d’heures il marchait. Avec un léger grognement, il se défit de son sac et en tira sa gourde. Songeur, il la secoua et ne put retenir un soupir en entendant qu’elle était presque vide. Non sans regret il la remit à sa place, repassa la sangle de sa besace par-dessus son épaule et reprit sa route d’un pas lourd. Ignorant ses malheurs, le soleil s’obstinait à briller haut dans le ciel, écrasant le paysage sous la chaleur de ses rayons ainsi qu’il le faisait depuis que Tinfar avait quitté le bateau qui lui avait permis d’échapper aux recherches.

Les pêcheurs en compagnie desquels il avait fui Ydril trois jours plus tôt s’étaient vite lassés de la présence du sorcier. Quelques heures avaient suffi à la majorité d’entre eux pour s’apercevoir que leur nouveau compagnon n’était pas à son aise sur le pont d’un bateau. Incapable de manier les voiles ou de raboter un filet, Tinfar s’était attiré des regards noirs où qu’il tente de se réfugier. Seule l’estime en laquelle le capitaine avait semblé le tenir aux premières heures du voyage lui avait épargné d’être débarqué séance tenante. Malheureusement, l’influence du sortilège s’était peu à peu étiolée. Le capitaine s’était donc réveillé le lendemain du départ sans pouvoir s’expliquer la présence de Tinfar à son bord. Soucieux de ne pas perdre la face devant ses hommes, il s’était abstenu de le faire jeter à la mer. A la place, il s’était contenté de lui faire chèrement payer sa traversée, puis, sitôt que la bourse du sorcier avait menacé se tarir, il avait fait rapprocher son navire des côtes afin de le débarquer. Par bonté, il lui avait fait donner une gourde d’eau fraiche et lui avait indiqué dans quelle direction trouver la ville la plus proche. Les membres de l’équipage s’étaient révélés avares d’informations. Du haut du bastingage ils s’étaient contentés de quelques sourires narquois qui en disaient long quant aux heures de marches qui attendaient Tinfar. N’ayant d’autre choix que celui de suivre les indications données, Tinfar s’était mis en route.

Deux jours plus tard, il n’avait toujours pas trouvé le moindre signe pouvant lui laisser espérer qu’il approchait d’une ville.
Avisant un petit bosquet à quelques mètres de la route, Tinfar décida qu’il faisait décidemment trop chaud pour demeurer en plein soleil. Vu la position de ce dernier il ne devait de toute façon pas être loin de midi. Mieux valait donc s’arrêter dès à présent plutôt que d’user inutilement ses forces. Quittant la route, le sorcier s’avança dans les bruyères jusqu’à parvenir sous l’ombre bienveillante des quelques cyprès rassemblés là.
Ce fut avec une joie non dissimulée qu’il laissa son sac tomber au sol. Faisant jouer ses épaules, il entreprit d’en détendre les muscles endoloris, meurtris par la courroie de sa besace. Assis contre le tronc d’un arbre, il tira de sa sacoche deux pommes rabougries. Il avait eu la chance de tomber la veille sur un pommier sauvage qui semblait inviter le voyageur solitaire à se détendre sous sa ramure. Bien que ce dernier soit encore en fleur, Tinfar avait découvert entre ses racines quelques fruits rescapés de l’an passé. Miraculeusement conservées, ces quelques pommes, bien que minuscules, racornies et brûlées par le soleil, n’en étaient pas moins un don de Kiria. Bien qu’elles aient perdu l’essentiel de leur jus depuis longtemps, elles n’en demeuraient pas moins mangeables et semblaient absolument délicieuses au palais du sorcier.
C’est ainsi qu’installé au pied d’un arbre, Tinfar tira sa dague et commença à déguster ses maigres provisions. Tout en mangeant, il laissait ses yeux divaguer sur la route distante d’une dizaine de mètres et écoutait les bruits alentours. De temps en temps, il entendait un petit animal prendre la fuite dans les bruyères. Il percevait aussi le chant de quelque insecte que l’arrivée du printemps remplissait visiblement d’allégresse. Mais plus que tout autre, le bruit du ressac occupait ses sens. Ce dernier semblait aussi infini que la route. Monotone, il invitait à la paresse et à l’abandon. Tinfar bailla à s’en décrocher la mâchoire. Après avoir soigneusement essuyé sa dague, il jeta un œil sur le soleil et décida que n’étant attendu nulle part, il ferait tout aussi bien d’attendre quelques heures avant de reprendre la route, au moins le temps que la chaleur retombe un peu. S’installant aussi confortablement que possible, il ne tarda guère à s’assoupir.

Un bruit vint le tirer de ses rêveries. Ouvrant les yeux, il vit passer un homme qui allait bon train sur la route. Instinctivement, le sorcier entreprit de rassembler l’Energie avant de s’apercevoir que l’inconnu ne donnait aucun signe d’avoir remarqué sa présence. Relâchant son contrôle, il se morigéna de son imprudence : il était inexcusable de se laisser aller de la sorte alors même que des hommes pouvaient être à ses trousses.
Sa situation n’était guère brillante : son eau et ses provisions étaient presque épuisés, il n’avait aucune idée de qui pouvait se trouver derrière lui et il ignorait tout de ce qu’il allait trouver en poursuivant sa route. Poussant un soupir à fendre l’âme, il n’en reprit pas moins son sac avant de se remettre en route : puisque retourner lui était impossible, autant aller de l’avant et espérer que Néera avait encore des projets pour lui.
Après bien des kilomètres, alors que le soleil disparaissait au-delà des mers, il vit que l’homme qu’il avait croisé plus tôt avait déjà installé son campement pour la nuit. Un coup d’œil lui suffit pour s’apercevoir que l’inconnu était autrement plus à son aise dans la nature qu’il ne le serait jamais. Tinfar n’avait jamais apprécié vivre ailleurs que dans les villes. La foule et le bruit lui étaient familiers ; au milieu de ses semblables, il était dans son élément. Là, perdu entre mer et terre, il ne savait comment se défendre ni comment passer inaperçu.
L’homme s’était installé sur une ancienne motte castrale. De cette position, il dominait tous les environs et l’avait sûrement vu approcher. Inutile donc de se cacher, cela ne ferait qu’attirer l’attention. D’une secousse, Tinfar déplaça de quelques centimètres la sangle de sa besace. Puis, comme si c’était la chose la plus naturelle à faire, il se dirigea à pas lents vers les ruines. Il n’avait pas grand-chose à perdre et il s’avait que face à un homme seul, ses talents lui permettraient sûrement de s’en sortir. Enfin probablement. Rares étaient les hommes habitués à tuer de sang froid un inconnu sans au préalable lui glisser quelques insultes, or c’était-là tout le temps dont Tinfar avait besoin : quelques secondes lui suffisaient habituellement pour abuser un esprit faible.

Sitôt qu’il fut à porté de voix, il écarta les bras pour montrer qu’il ne représentait pas une menace et cria :

Holà, l’ami, est-ce que je peux m’approcher sans crainte ?
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Aetius d'Ivrey
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeMer 24 Mar 2010 - 16:11

Se décidant, après quelques réflexions somme toute vaines sur les intentions de la silhouette et les circonstances qui avaient mené celle-ci dans ces landes solitaires, à se montrer, Aetius jetait des coups d’œil dans toutes les directions avec le plus de discrétion que sa fatigue lui permît. Peu à peu, l’ombre s’était faite plus précise et Aetius, lorsqu’il considéra un peu de regard l’étrange voyageur, y trouva un visage neutre, structuré par une moustache brune et d’un bouc de même teinte, mangé par une barbe de quelques jours. L’allure de l’homme était d’une lenteur calculée, qui faisait penser aux marchands itinérants. Ces derniers avaient de tout temps adopté une démarche sereine et mesurée, profitant ainsi d’une économie d’énergie méthodique et fort utile pour qui arpente les chemins des semaines durant.

Cependant, Aetius, s’il s’était dévoilé aux yeux de ce dernier, n’en avait pas moins sorti l’épée. Cette dernière flamboyait sous les éclats de l’astre mourant, réfléchissant l’intense lumière qui sépare la journée entre les chiens et les loups. Lorsqu’on connaissait un peu le chevalier et qu’on était chevalier également, on aurait pu soupçonner que ce geste n’était que pure arrogance. Le guerrier, voulant rappeler son rang au monde, mettait souvent l’épée à nu pour insuffler crainte et admiration. Ici, le but était tout autre. Notre protagoniste craignait quelque guet-apens et doutait des velléités de Tinfar, qu’il pensait être une sorte de diversion servant les manœuvres de brigands situés aux alentours. Pourquoi, alors, se dresser sur une muraille ruinée en attendant qu’une flèche vienne le frapper d’autant plus facilement, me direz-vous ? Eh bien parce qu’Aetius était fatigué. Si ses sens s’agitaient, son sens commun, déjà bien affaibli par une éducation chevaleresque, n’en menait pas large.

Lorsque le voyageur arriva enfin à portée de voix du guerrier, la nuit était tombée tout à fait, et les environs avaient recouvré leur mystère, se dérobant à la vue des hommes, se cachant dans l’ombre. Il en était de même du visage du pèlerin. Ce dernier, bien que près, était à présent caché par l’obscurité. C’est alors qu’il parla. Il voulait se joindre à Aetius. Ce dernier, soulagé, cria au peut-être marchand, peut-être bandit, qu’il accueillerait avec plaisir et partagerait sa pitance avec lui s’il n’était pas inspiré de mauvaises pensées. Ce dernier lui répondit par la négative et le rejoint. S’installant tous deux près du feu de camp qui cuisait deux mouettes que les flèches d’Aetius avaient embroché plus tôt dans l’après-midi, le chevalier le salua et se présentant sous sa fausse identité, comme il avait pris l’habitude de le faire depuis quelques mois. Il était Aetius d’Ivrey, chevalier au service de l’armée serramiroise.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeMer 24 Mar 2010 - 23:06

Je suis bien aise que vous acceptiez de partager votre feu, messire d’Ivrey, dit Tinfar en prenant place. J’erre sur ces terres depuis deux jours maintenant et je dois reconnaitre qu’en dépit de tous mes efforts je ne suis pas parvenu à allumer le moindre feu, avoua-t-il avec un petit rire désabusé. Je crains de n’être décidemment pas fait pour la vie au grand air.

Le sorcier laissa échapper un soupir tout en approchant son visage des flammes. Fermant à demi les yeux, il prit une longue et profonde inspiration, humant le fumet des volatiles qui terminaient de cuire.

Oh Déesse ! Je crois n’avoir jamais senti odeur si appétissante. Que Tari me jette en son royaume si je me plains à nouveau de quelque nourriture que l’on puisse me servir.

Comme s’il venait de se rappeler quelque chose d’important, Tinfar se frappa le front du plat de la main.

Mais où ai-je la tête ? demanda-t-il. Mon appétit est tel qu’il me fait oublier jusqu’à la moindre des politesses. Je m’appelle Garamont Baldarg, fit-il en inclinant légèrement le buste. Je suis négociant en minerai de fer. Ou du moins l’étais-je encore jusqu’à ce que les marins que j’avais engagés pour convoyer mes marchandises n’en décident autrement, ajouta-t-il tandis que brillait dans ses yeux une fureur à peine exagérée. Les salauds m’ont débarqué après s’être mutinés. Certains diraient que je devrai m'estimer heureux qu'ils ne m'aient pas jeté par dessus bord, mais si jamais je retombe sur ces malandrins, je jure de tous les faire pendre… Mais excusez-moi, je m'emporte. Vous m’accordez l’hospitalité et voilà que je me répands comme une vieille femme. Je dois vous paraitre bien vulgaire.

Tinfar sourit intérieurement, Néera ne l’avait finalement pas abandonné. Dans son malheur, voilà qu’il tombait sur le compagnon idéal. Aurait-il eu la possibilité de choisir qu’il n’aurait pu trouver meilleure compagnie. Tomber ainsi sur un homme d’arme était une réelle aubaine ; escorté par un soldat, il n’avait plus à craindre d’éventuels poursuivants. D’autant que si cet Aetius disait vrai, il pourrait bénéficier de sa protection jusqu’à Serramire. Non vraiment, Néera devait l’avoir à la bonne.
Restait encore à entrer dans ses bonnes grâces. Tinfar savait par expérience que manœuvrer les soldats, qu’ils soient mercenaires ou chevaliers, n’était jamais une partie de plaisir. C’était souvent des hommes rudes qui manquaient cruellement d’imagination. Insensibles aux compliments, ils étaient prompts à se lasser du babillage dont raffolaient les courtisans. Il fallait les aborder avec tact, se montrer suffisamment direct pour qu’ils vous acceptent mais tout en s’assurant qu’ils n’oublient pas qu’ils avaient à faire à un homme de qualité. Se lier avec eux était souvent complexe. Eux qui ne juraient que par la compagnie d'autres guerriers.

Le silence entre les deux hommes s’éternisait tandis qu’ils observaient les mouettes dorer. Le feu crépitait joyeusement entre eux, éclairant leur visage d’une chaude lumière. Tinfar ne put s’empêcher de noter qu’Aetius qu’avait des yeux d’une teinte étonnante : un bleu d’une pureté telle que les femmes devaient se pâmer pour un seul de ses regards. Tandis qu’il arrangeait les braises à sa convenance, Tinfar nota que le chevalier portait de nombreuses cicatrices sur les bras. Les flammes arrachèrent un reflet sur sa main, mais le sorcier n’eut pas le temps de voir d’où il provenait.
Jetant un regard en direction du cheval qui paissait non loin, Tinfar lança :

Je crois, ami, que nous nous sommes croisés plus tôt dans la journée. Vous m’avez dépassé alors que je somnolais à l’ombre d’un bosquet de cèdres. J’ai noté que vous filiez grand train. Puis-je vous demander la raison de votre hâte ? Peut-être êtes-vous pressé de rejoindre votre dame ? A moins que vous ne répondiez à l’appel du seigneur Hanegard Kastelord. On dit qu’il s’est récemment installé à Alonna.

Attendant une réponse, Tinfar tira de son sac les deux pommes qu’il avait gardées et en tendit une à Aetius.

Ce n’est pas grand-chose, mais c’est à peu près tout ce que j’ai à vous offrir.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeDim 28 Mar 2010 - 18:07

L’air bonhomme et la fatigue endormirent vite les soupçons d’Aetius. Ce dernier, voyant s’épuiser ses derniers doutes en même temps que son sens commun mais le confondant simplement avec le sentiment de sécurité qui s’emparait bien souvent des gens qui sous-estimaient leur interlocuteur, rengaina son glaive et se rassit après avoir rétorqué quelques mots au marchand avant d’écouter, avec l’air courtoisement intéressé que la plupart des chevaliers avaient appris à prendre dans les cours des seigneurs. Comme je le disais, il avait tôt fait d’abandonner toute suspicion à l’égard de ce brave Garamont. Il était, après tout, un homme comme les autres, quoique il parut empêtré dans ce curieux mélange qui caractérise bien souvent les marchands itinérants. Ces derniers, entredéchirés entre leur fière réussite économique et la bassesse que leur profession leur imposait bien souvent, ressemblaient pour Aetius à d’étranges singes tentant de mimer les belles gens. Ils essayaient de leur voler un peu de leur éclat et s’échinaient, à force d’or et d’argent, à les approcher le plus possible dans tous les points où il était possible de s’insinuer. Les marchands les plus riches achetaient à des prix astronomiques les charges ecclésiastiques ou encore les robes des parlements essayant dans une bien futile tentative, de se faire passer pour la gent de bon sang.

Il était, après tout, normal pour Aetius, qui avait été élevé par des hauts prêtres et des chevaliers de plus nobles origines, de sous-estimer un tel marchand. La brume qui avait envahit sa cervelle lui empêchait de penser à ses gestes ou ses mouvements. Devant ce malheureux négociant dépossédé et renvoyé à la terre par la faute de semblables comme lui (entre négociant et mutin, l’amalgame est vite fait chez Aetius), il eut un instant de pitié, de bons sentiments. L’indifférence bienveillante dont il s’était paré se manifestait au travers de son visage, mais également à cause de l’aisance qu’il avait pris dans cette nouvelle promiscuité créée avec l’arrivée de l’itinérant et l’accueil du chevalier. Quand je parle d’aisance, il faut bien comprendre que je parle plus d’un silence naturel, d’un comportement sans animosité à l’égard du nouveau venu, mais sans grande sympathie non plus. Bref, Aetius, faute de mieux, s’était cantonné à une neutralité avenante mais sans grand charme véritable.

Lorsque son commensal s’enquit de sa destination, le chevalier haussa les épaules d’un air badin, comme s’il l’ignorait lui-même. Plantant son regard dans celui de ce bon Garamont, il lui sourit naïvement et dit.

« Je crois que j’avais besoin de fuir un peu l’atmosphère de Diantra. La guerre l’a frappé et j’ignore si elle recouvrera toute sa splendeur. Je crois que la voir dans un tel état m’empoisonne un peu moi-même. Aussi suis-je parti au loin, sans réelle destination, sinon le nord. Peut-être rentrerai-je à Serramire pour m’y reposer, peut-être bifurquerai-je vers Alonna, où commande Hanegard Kastelord, que je connais un peu, et dont j’ai appris la nouvelle charge. »
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeMar 30 Mar 2010 - 21:25

Tout en écoutant Aetius, Tinfar avait levé les yeux au ciel. La guerre, hein ? Pour le sorcier, les combats qui agitaient la péninsule ne rimaient pas à grand-chose. Il avait d’ailleurs fait tout son possible pour ne pas y être mêlé et était jusqu’alors parvenu à en rester à l’écart. Peu lui importait de connaitre le nom du prince régnant. Que les nobles s’entredéchirent s’ils le souhaitaient, lui ne verserait pas son sang pour eux. Quant aux Drows, il leur laissait bien volontiers mettre le Nord à feu et à sang. Du moment que les Sombres limitaient leur razzias aux régions septentrionales, il n’avait que faire de leurs exactions. Le Sud regorgeait d’opportunités sans compter que le climat y était plus à son goût. A d’autres le soin de les arrêter. Diantra ne manquait pas de jeunes gens prêts à tout pour prouver leur vaillance et leur courage. Si chasser des maraudeurs drows suffisait à combler ces chiens fous, Tinfar n'avait de son côté aucun désir de les priver de leur part de gloire. La perspective de se retrouver prisonnier au Puy suffisait à refroidir la moindre de ses velléités patriotiques. D'autant qu'il n'y avait aucun profit à tirer de toutes ces histoires : la guerre était affaire de soldats et de victimes, or lui entendait n'entrer dans aucune de ces deux catégories. Quelles raisons auraient pu le pousser à combattre ? Il n’avait ni parents ni amis à défendre et ne possédait aucun bien qu’il lui faille protéger, sinon sa vie.
La guerre ! Plaise à Mogar que d’autres y mettent un terme. Pour l’heure cette situation était idéale pour les affaires du sorcier. La cour se remettait péniblement et, faute de protecteurs, des provinces entières avaient sombré dans la confusion. Des hommes par milliers arpentaient les routes sans que quiconque prenne la peine de contrôler leurs allées et venues. Jamais il n’avait été plus facile d’apparaitre dans une ville, d’en piller les richesses avant de repartir dans l’indifférence quasi générale.
La guerre ? Une bénédiction pour ceux qui, comme Tinfar, se contentaient de vendre des illusions.

Reportant son attention sur le chevalier qui lui faisait face, Tinfar secoua la tête. Il poussa un long soupir, puis, prenant le ciel à témoin, il dit :


Vous avez bien raison, ami chevalier. Je me demande parfois ce que nous avons fait à Néera pour qu’elle nous accable de tant de maux.

Sur ce, il tira sa dague de sa ceinture, se coupa une généreuse part de viande et en tendit autant à son hôte. Il mâcha consciencieusement son morceau tout en donnant l’impression de réfléchir à un sujet grave. Finalement, il sembla prendre une décision et reprit :

Je dois dire que je suis vraiment soulagé de vous avoir rencontré. Et je ne dis pas ça parce que vous êtes plus dégourdi que je ne le serai jamais pour trouver à manger en ces terres hostiles, fit Tinfar en se tapant le ventre. En ces temps troublés la compagnie d’un homme d’arme est la plus que bienvenue. Les guerres ont contraint plus d’un paysan à s’improviser bandit de grand chemin et pour un marchand, il n’est plus sûr de voyager sans escorte.

Après une courte pause, il ajouta dans un souffle :

Si je n’étais conscient du sacrifice que ce serait pour vous, je vous demanderai bien de m’escorter jusqu’à Serramire. Mais je vois bien que vous avez un cheval et je ne serais pour vous qu’un fardeau, laissa tomber le sorcier en désignant d’un geste de la main l’animal qui paissait un peu plus loin. Enfin, n’en parlons plus. L’heure est tardive, vous semblez bien las et nous aurons besoin de toutes nos forces pour reprendre nos routes demain matin.

Tinfar n’était pas mécontent de son petit discours. En toute objectivité, il avait le sentiment que si un marchand du nom de Garamont Baldarg avait réellement existé, il ne se serait pas exprimé différemment. Restait à savoir si Aetius était homme à abandonner un inconnu en pleine nature. Le risque était grand mais, pour peu que la chance lui sourie une fois encore, Tinfar pourrait y gagner un compagnon de route plus fidèle que s’il avait été amené à le manipuler.
Tout en étalant sa couverture sur le sol avant de s’y enrouler, le sorcier ne put s’empêcher de penser que la nuit serait longue. Suffisamment en tout cas pour qu’un cheval trouve moyen de se blesser. Si besoin...


Dernière édition par Tinfar Solinar le Mar 30 Mar 2010 - 21:48, édité 3 fois (Raison : mise en page et quelques corrections.)
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeVen 2 Avr 2010 - 12:49

La conversation suivait son cours jusqu’à ce que l’ex marchand itinérant ne parle de la possible association des deux hommes pendant ce voyage, afin de protéger le roturier des attaques qu’il pourrait à avoir subir en s’éloignant loin dans le nord. Bien sûr, Aetius n’y réagit pas manifestement, il se contenta de sourire et de hocher la tête aux évidences que le brave négociant déclarait. Bien sûr, il hésitait sur la marché à suivre. Jeune chevalier insouciant, il n’avait pas pour habitude de se soucier des petites gens, encore moins des marchands se baladant loin de toute civilisation, sans arme ni serviteur. S’il était parti seul, sans ses écuyers et ses pages, c’était pour courir à travers la lande, y découvrir quelque princesse prisonnière, quelque chevalier à terrasser. Aussi hésitait-il réellement sur ce qu’il avait à faire de ce Garamont.

Lorsque son interlocuteur remarqua la lassitude du chevalier, ce dernier lui en fut reconnaissant. N’attendant pas plus, il s’endormit comme une souche. Parcourant d’une traite sa nuit, il se réveilla à l’aube avec une meilleure mine et une bien mauvaise surprise. Son cheval s’était blessé par il ne savait quel miracle. Peut-être sur une pierre, peut-être avec des ronces, qui sait ? Tout ce qu’il savait, c’est que sa patte avant était affligée d’une mauvaise blessure, qui semblait profonde. Sa monture semblait en souffrir et il avait peu de chances de pouvoir continuer le chemin sur son dos. Inspectant la jambe, se demandant comment un tel malheur eût pu arriver, il se décida finalement et avec une certaine réticence à apposer ses mains sur l’animal. Une sorte de lumière diffuse et très faible se dégagea de ses paumes et environna les alentours de la blessure du cheval, laquelle sembla se rétrécir significativement sans pour autant se refermer tout à fait. La plaie était trop profonde pour qu’il puisse faire quoique ce soit de plus. Après un instant de tristesse pour la monture, Aetius se tourna vers son compagnon de route, passablement irrité par ce réveil manquant de bonnes nouvelles, et lui demanda ce qui s’était passé.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeLun 5 Avr 2010 - 21:15

Tinfar, étendu près du feu, observait Aetius se préparer pour la nuit. A voir le chevalier dérouler sa couverture et tirer de son baluchon quelques affaires, il était évident que ce dernier luttait déjà depuis trop longtemps contre le sommeil. Ses yeux papillonnaient sans cesse, tandis que de ses doigts gourds il tâtonnait à la recherche de dieu sait quoi dans son paquetage. A peine sa tête avait-elle effleuré le sac qui lui tenait lieu d’oreiller qu’un léger ronflement était venu confirmer les impressions du sorcier. Plus par habitude que par nécessité, ce dernier n’en avait pas moins passé quelques minutes à écouter la respiration du dormeur. Le souffle léger et régulier du guerrier lui avait indiqué, si besoin était, qu’il dormait d’un sommeil profond. L’espace d’une seconde, Tinfar envia le jeune homme : pouvoir s’endormir ainsi en présence d’un parfait inconnu était un luxe qui lui serait à jamais interdit. Dans le monde où évoluait l’arnaqueur, on ne rencontrait que deux types de personnes : des proies ou des gens qui en voulaient à votre vie. Et dans un cas comme dans l’autre, accorder sa confiance était dangereux. Vivre par l’épée, combattre sur un champ de bataille, en dépit des risques qu’impliquait un tel mode de vie, ce semblait une philosophie séduisante par sa simplicité.
Enfin, personne n’avait jamais obligé Tinfar à vivre comme il le faisait. Le jour où il avait ruiné l’entreprise de son père, il avait fait un choix qu’il lui fallait à présent assumer. Et puis, tout compte fait, sa vie n’était pas pour lui déplaire. Elle était riche de rencontres qui ne cessaient jamais de le surprendre, riche d’opportunités à saisir et de rebondissements inattendus. Qu’étaient les dangers auxquels il devait faire face en regard de l’adrénaline qui parcourait ses veines ?

Se tortillant sous sa couverture à la recherche d’une position confortable, le sorcier jeta à nouveau un regard sur le chevalier. Par-delà les braises rougeoyantes, il le voyait dormir paisiblement, sa poitrine se soulevant au rythme de ses ronflements. Quand même, pensa-t-il, ce devait être agréable de passer une nuit paisible. Ne pas être obligé de guetter le moindre bruit sortant de l’ordinaire devait être une sensation merveilleuse.
Abandonnant ces vaines ruminations, Tinfar extirpa de sous sa couche un caillou qui lui cisaillait le dos. Croisant les mains sous sa nuque, il s’installa aussi confortablement que possible et entreprit de dormir. Au moins pour les quelques heures à venir, car il n’était que trop conscient d’avoir un problème à résoudre avant que n’apparaissent les premières lueurs de l’aube.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il faisait encore nuit noire. Difficile de juger du temps qu’il avait passé à dormir, mais il ne devait pas être plus de deux ou trois heures du matin. La lune était loin d’être couchée et aucune lueur à l’Est n’annonçait le levé du soleil. Il aurait amplement le temps de faire ce qui devait l’être.
Avec un luxe de précautions, il rejeta sa couverture et s’assit. Ainsi qu’il l’avait toujours fait, il fit le vide dans son esprit et se laissa pénétrer par l’Energie. Il la sentait présente tout autour de lui. A son appel, elle envahissait la moindre parcelle de son corps, gonflant ses muscles, aiguisant ses sens, faisant palpiter ses veines. Néera, quelle sensation enivrante ! Mais très vite, il ressentit la douleur. Depuis son accident, des années plus tôt, elle n’était jamais très loin. Vieille et fidèle camarade. D’abord simple démangeaison dans la main gauche, elle se répandait peu à peu dans tout son bras, gagnant en intensité jusqu’à en devenir douloureuse. A chaque fois qu’il faisait appel à son pouvoir, il avait le secret espoir de ne pas la sentir. Et toujours elle était là. Immuable.
Malgré la douleur, il façonna le sortilège. Le processus était complexe mais le sort qu’il s’apprêtait à lancer lui était familier, aussi il ne lui fallut que quelques secondes. Sitôt ses préparatifs terminés, il laissa l’Energie s’écouler. Comme une seconde peau, les ondes magiques couvrirent son corps, entourant ce dernier d’un manteau protecteur. Relâchant son contrôle, il laissa le surplus d’Energie se dissiper et se retint, comme souvent, de pousser un soupir de soulagement en sentant la douleur disparaitre. A présent, même si un observateur venait à passer près du campement, il ne verrait rien d’autre qu’Aetius. Tinfar n’était plus. Bien que n’étant pas à proprement parlé invisible, le sorcier était entouré d’un champ magique qui invitait les gens à ne pas le voir. Et, à moins qu’il ne se livre à quelque excentricité, personne ne le verrait.
S’approchant de la monture du chevalier, il glissa dans un souffle :


A nous deux, vieille carne. Figure-toi que je n’ai pas l’intention de me passer de la protection de ton maître. Je regrette de devoir te le dire mais tu me gênes.

Tout en parlant, Tinfar avait flatté l’encolure de la bête et lui avait offert la moitié d’une vieille pomme. Sentant l’animal en confiance, il employa son pouvoir à démultiplier ce sentiment. Une simple poussée suffit pour que le cheval lui mange, littéralement, dans la main. Profitant de sa bonne fortune, Tinfar l’amena à l’écart du campement.
Avisant un reste de fortification, il délogea une pierre d’un mur partiellement écroulé et, sans plus de cérémonie, l’abattit avec violence sur la jambe de l’animal. Ce dernier, les sens prisonniers du sortilège ne poussa pas le moindre hennissement. Observant son œuvre, Tinfar esquissa un sourire. Dans quelques heures, l’animal aurait la jambe si enflée qu’il serait impossible à monter. Restait à trouver une explication crédible.
Sans s’inquiéter outre mesure de la suite des évènements, Tinfar retourna se glisser sous ses couvertures et dissipa le sortilège qui le masquait à la vue de tous. D’ici à ce que le soleil se lève, il aurait bien trouvé une idée.

Après qu'Aetius se soit réveillé, Tinfar se garda bien d’attirer l’attention sur lui. Bien qu’étonné de découvrir que le chevalier avait des talents de sorcier, il ne fit aucun commentaire, trop conscient de ce qui allait suivre. Et lorsque le chevalier se tourna vers lui en quête d’explications, il se contenta de baisser les yeux.


Je… Je suis désolé, sire chevalier, dit-il en bafouillant. Je… C’est en parti de ma faute. Je me suis levé cette nuit pour satisfaire une envie pressante et j’ai profité de ce que j’étais réveillé pour remplir ma gourde au ruisseau. J’ai vu votre cheval et je me suis dit qu’il était dangereux de le laisser là, sans protection. Alors j’ai tenté de vous le ramener. J’ai dû mal m’y prendre car il est parti comme un fou. Je crois l’avoir vu sauter le mur, là-bas. Tandis qu’il parlait, Tinfar désigna d’un geste de la main le muret auprès duquel il avait mutilé l’animal. J’avais peur que vous ne vous mépreniez sur mes intentions après ce que j’avais dit à la veillée. J'espérais surtout que ce ne serait rien. Aussi me suis-je tu. Je regrette vraiment.

Puis, avec un pâle sourire, il ajouta sans oser regarder son interlocuteur :

C’est une chance que vous soyez guérisseur.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeLun 5 Avr 2010 - 22:49

Les yeux, déjà pénétrants, du damoiseau se durcirent subitement. Le bleu de son regard, accentué par sa pâleur, était d’autant plus terrible qu’il avait été doux pendant toute la soirée que les deux hommes avaient passée au coin du feu. Il rappelait l’éclair qui déchirait un ciel sombre, tigrant d’une lumière brutale et inopinée des nuages gonflés de menaces, mais de menaces lointaines. S’approchant un peu plus de la roture, Aetius sentait son sang bleu s’éveiller, accompagnant la fureur qui l’avait pris si subitement. Son visage déjà blanc devint aussi froid que le marbre. Sa main se portait près de sa hanche, vers l’épée. Ses jambes, réagissant comme par réflexe, le ramenait vers cet insolent Garamont. Avant même que l’itinérant ne réagisse, le chevalier gifla avec violence le pauvre vilain.

C’était la tradition qui revenait à grand-coup de poings. L’homme d’armes reprenait ses droits sur le gentilhomme, car le gueux avait osé sauter la maigre barrière qui instaurait un certain équilibre entre le noble et le bourgeois, celle qu’avait créé la façade polie des nobles, une façade fragile qui volait en éclat aussi facilement que tragiquement. La violence, innée et cultivée dans la caste guerrière, s’était substituée à la courtoisie, notion trop jeune pour tenir à un examen approndi. En bref, cette gifle résumait la relation qui existait entre le maître et l’esclave, les liens qu’imposait la société féodale. Heureusement pour les deux hommes, Aetius sut reprendre empire sur lui-même instantanément, peut-être à cause de son éducation de lettré et d’ancien prêtre. Laissant Garamont se redresser, une vague de pitié engloutit la colère du noble, qui ne se départit pourtant pas de son expression renfrognée.

Il hésitait sur la marche à suivre. Le gueux avait osé blesser sa monture, même par accident, un destrier de la plus grande valeur qu’il avait rançonné à un chevalier vaincu lors de la joute de Diantra devant le baronnage de la Péninsule, ce qui accroissait d’autant plus son prix aux yeux du chevalier. Beaucoup des siens auraient déjà tué ce fol pour le punir de cette atteinte à une créature aussi sacrée et si chère, mais Aetius s’en garda bien. Il y avait certes quelque chose de faible et avenant chez ce négociant qui l’empêchait d’agir ainsi, mais ce soudain revirement venait surtout de l’orgueil tout à fait inconscient qu’il tirait du pardon qu’il offrait à Garamont. En infligeant la mort à ce dernier, il aurait fait ce que le maître devait faire pour éduquer le serviteur, mais il préférait mieux excuser son attitude, le considérant ainsi plus comme un enfant que comme un homme. Un tel geste, ou plutôt une telle absence de geste, devait également être motivé par le statut de simple citoyen, de simple civil, du ladre car s’il avait été soldat ou même armé, les réactions du chevalier auraient été tout autre.

Essayant de reprendre la conversation pour dissiper le moment de flottement qui suivit la gifle, il dit d’une voix glaciale « Oui, heureusement. » Hélas, cette faible tentative de restaurer une atmosphère conviviale échoua et ces quelques mots ne firent que ponctuer un silence qui se fit plus pesant encore. Plongé dans les différentes options qui s’offrait à lui, Aetius n’essaya pas pour autant de relancer l’échange, hésitant encore sur la démarche qu’il devait prendre. Devait-il abandonner là le petit marchand, pour le punir un peu plus ? Maintenant qu’il avait reçu sa rossée, le paysan, absout de son erreur, pouvait-il légitimement continuer à jouir de sa protection ? Le visage marmoréen de l’Ivrey était d’une rare gravité, et contempler dans ce mutisme inquiétant le chevalier aux cheveux longs et hirsutes, à la tenue aussi martiale que crottée à cause du voyage n’aurait rassuré aucun homme sensé.

Concluant ce long instant de malaise, Aetius reprit la parole d’une voix plus forte mais encore maussade.
« Bien, préparons-nous, nous partons à présent. Il y a un sanctuaire de Néera non loin d’ici. Les moines sauront apaiser la blessure de ma monture. Tenons-nous sur nos gardes, la gueusaille d’Arétria a souvent été agitée, et en ces temps troubles, elle apprécie encore plus que la roture des autres pays d’enrichir son bouillon avec un soupçon de brigandage. »
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeMer 7 Avr 2010 - 10:07

La gifle prit Tinfar totalement au dépourvu. Quelques instants plus tôt, il faisait encore face à Aetius, lui débitant ses excuses, et voilà qu’à présent il avait un genou à terre et sentait sur sa joue s’épanouir une cuisante douleur. Il s’était préparé à bon nombre de scénarii, mais celui-ci ne faisait assurément pas parti du lot. Selon toute probabilité, il aurait dû actuellement faire face à de vives remontrances. Il s’était déjà représenté la scène : Aetius le tançant vertement, tandis que lui, tête basse, tâchait de faire amende honorable. Peut-être aurait-il poussé la pantomime jusqu’à implorer pardon pour sa bêtise crasse. Imaginer Garamont prostré dans la boue, proposant de payer le prix d’un nouveau cheval, avait certes quelque chose d’excessif, mais s’il en croyait son expérience, mieux valait pécher par excès que par défaut. Les gens croyaient plus facilement en l’impossible qu’en l’improbable. Quoiqu’il en soit, pas une seconde il n’avait envisagé pareille réaction.
Visiblement, il s’était mépris sur le caractère d’Aetius. Il avait cru avoir à faire à un chevalier sans terre. Un homme du commun qui avait gagné ses éperons dans la boue et conquis son titre de haute lutte. A la rigueur, il s’était dit que le jeune homme pouvait être le fils d’un modeste hobereau. Peut-être le premier né d’un paysan aisé possédant quelques arpents de terre et qui s’était pris à rêver d’un avenir meilleur pour son fils. Mais la possibilité qu’il puisse être en présence d’un noble ne l’avait pas effleuré un seul instant. Et pourtant, pour avoir réagi comme il l’avait fait, Aetius devait être issu d’une noble lignée. Seul un homme éduqué avec la certitude qu’il valait mieux que ses semblables pouvait sacrifier le devenir d’une rencontre à la santé d’un canasson.
Plus encore que la morgue entraperçue dans les yeux du chevalier ou que la gifle reçue en pleine face, c’était la possibilité qu’il se fut trompé qui avait blessé Tinfar. Il avait été incapable de voir clair sous la crasse et les manières avenantes d’Aetius. En d’autres circonstances une telle méprise aurait pu lui coûter bien pis que l’humiliation qu’il venait de subir. Avec du recul, le sorcier se rappelait avoir aperçu un éclat sur la main du chevalier. S’il avait été plus attentif, il aurait pu - non, il aurait dû ! – l’identifier comme étant l’emblème d’une noble maison. Comment expliquer que ce détail lui eut échappé ? Sa méprise était impardonnable. Puisse Néera faire que cette mésaventure lui serve de leçon !

De très loin, il lui sembla entendre Aétius parler. Le chevalier semblait vouloir se mettre en route sans tarder. Et tandis qu’il entendait le guerrier s’activer, Tinfar demeurait la tête baissée. Ses deux mains pressées contre sa joue, il réfléchissait. Il avait besoin de temps. Du temps pour décider de la meilleure conduite à adopter ; du temps pour que cesse le bourdonnement qui lui emplissait les oreilles. Mais plus que tout, il lui fallait quelques minutes supplémentaires pour se calmer et faire disparaitre l’étincelle de rage qu’il savait briller au fond de ses yeux. Car si Garamont pouvait accepter pareille humiliation, Tinfar, lui, n’était pas homme à en rester là.
Le dernier noble qui avait osé lever la main sur lui avait fini par le regretter amèrement : du jour au lendemain il s’était vu accusé des pires crimes, ses amis s’étaient détournés de lui et tous ses biens avaient été saisis. Lorsque leurs chemins s’étaient croisés à nouveau, l’homme cuvait de la mauvaise bière dans un bouge du port. Privé de son titre, ayant tout perdu y compris sa femme et ses enfants, il n’était plus qu’un poivrot parmi tant d’autres. A vrai dire, il valait probablement moins que la majorité des minables qui fréquentaient cet établissement : eux, au moins, pouvaient espérer vivre assez longtemps pour goûter aux joies d’une gueule de bois. Or, à voir les mines patibulaires des quatre hommes qui fondaient sur le malheureux, lui n’aurait visiblement pas cette chance.
Mais en cet instant précis, et malgré la marque rouge qui s’épanouissait sur sa figure, le moment était mal choisi pour réclamer vengeance. Tinfar ne devait pas perdre de vue son objectif : amener Aetius à l’escorter jusqu’au marquisat de Serramire. De ce point de vue, à tout le moins, son subterfuge avait porté ses fruits. Des fruits pleins d’épines peut-être, mais des fruits néanmoins.

Ramassant sa besace, Tinfar y fourra sa couverture et se hâta de suivre le chevalier. Le soleil était à peine levé et, après la nuit qu’il venait de passer, le sorcier n’aurait pas craché sur quelques heures de sommeil supplémentaires. Mais l’instant était mal choisi pour s'en plaindre au chevalier. Ce dernier, tirant sa monture par la bride, précédait le sorcier de quelques mètres. Depuis qu’ils s’étaient mis en route, il n’avait pas dit un mot ni ne s’était retourné pour voir si le marchand le suivait. Aussi, tandis qu’ils avançaient sur le chemin côtier, Tinfar avait tout le loisir de penser à la suite des évènements.
Au bout d’une heure d’un silence pesant, Tinfar se décida à tenter une nouvelle approche :


Seigneur d’Ivrey, je n’ai pas pu m’empêcher de noter que vous semblez disposer de talents peu communs. Ne vous vexez pas, mais ayant moi-même quelques compétences pour le grand Art, j’ai noté que votre contrôle de l’Energie pourrait être amélioré. Je ne prétends pas vous faire la leçon, mais si vous le souhaitez, je pense être en mesure de vous enseigner le peu que je sais. Après une pause, il ajouta sur d’un ton très humble : Peut-être pourrais-je vous aider et ainsi racheter une partie de mes fautes ?


Dernière édition par Tinfar Solinar le Mer 7 Avr 2010 - 14:26, édité 2 fois (Raison : Corrections.)
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeMer 7 Avr 2010 - 17:18

Le voyage commença dans une ambiance des plus glaciales. Après les violences d’Aetius, sa colère était retombée, mais l’autrefois bienséance de mise entre voyageurs, protectrice pour l’un, dissuasive pour l’autre, avait bel et bien disparu, laissant place à un équilibre fortement altéré, voire à une défiance diffuse. Plus de compagnonnage céans, mais plutôt un chevalier qui protégeait un paysan loin de chez lui. Pour la beauté du geste, en quelque sorte. La matinée était donc morose, et les paysages d’Arétria, bien que gorgés du soleil printanier, ne faisaient que renforcer le maussade de l’équipée. Les ruines que les deux hommes avaient délaissé il y avait de cela quelques lieues disparurent bien vite, certes, mais nombreux furent les cadavres de hameaux et de fortins qui jonchèrent la route qu’ils empruntèrent. Les landes solitaires que fouettait la brise humide de l’océan érisien avaient été désertées il y avait de cela quelques mois. Lorsque la guerre civile frappa et que les nobles apprirent la disparition de leur suzerain, le comte d’Arétria, ces derniers ne tardèrent pas à se diviser en factions. Les querelles ancestrales se réveillaient et nourrissaient des rancunes toutes fraiches. On s’insultait à propos du roi et à propos des rebelles, on se crachait dessus pour savoir laquelle des nobles familles du pays allaient prendre le pouvoir, etc. Abandonnée par le marquis de Sainte-Berthilde, en guerre loin dans le nord puis disgracié par le roi lui-même, la région avait dû être la proie aux chevauchées des seigneurs, aux raids des pirates (souvent des déserteurs s’étant convertis loups de mer), au pullulement des brigands.

Triste l’époque qui succède à une guerre fratricide, une époque de cendres, de renaissances sanglantes et pénibles. Une époque où les hommes, encore rongés par les rancunes encore ardentes, doivent avaler une bonne fois pour toute leur reste d’honneur pour se soumettre ou pour pardonner à l’ancien ennemi. Aetius lui-même, lorsqu’il n’était pas encore Aetius, avait enduré les affres de la guerre civile, perdant beaucoup d’amis et de parents, ou peut-être tous. Pourtant, il ne s’était pas résigné à enterrer au fond de l’âme la rage des combats ou encore la cruauté de la guerre. Sa maîtresse, Vengeance, il ne l’abandonnerait pas. Il avait beau s’être débarrassé de tout ce qui aurait pu le rappeler à son ancienne vie, il n’avait pu se résigner à abandonner le présent de son amante, cette lueur d’acier qui brûlait dans le bleu de son regard, la promesse qu’il avait faite aux dieux de verser le sang des bourreaux sur son honneur meurtri, ce sinistre calice qui redonnerait vie à sa fierté d’homme de bon sang.

Bien sûr, en cet instant, il pensait plus à sa malheureuse monture qui boitait qu’à toutes ces considérations un peu lyriques. Agacé et peiné à chaque nouveau pas ce destrier si beau dans la douleur et pourtant si incapable de s’acquitter de sa mission première, il déglutissait dès qu’il repensait au maladroit maraud qui avait osé faire souffrir cette majestueuse créature. Après quelques temps d’une marche avare de paroles, Garamont parla finalement. Pour dire la plus imbécile des fadaises, aussi étonnante soit-elle. Ce dernier se prétendait mage, lui, cet homoncule de la plus crasse des conditions, cet équidécide en puissance ! N’y tenant plus, le seigneur qui sommeillait en Aetius cracha son étonnement d’une bien cynique manière.

« Cà ! Toi, un pratiquant de l’Art ? Crois-tu vraiment que je suis d’humeur à être amusé par des badineries sur les Flux et les divinités, marchand ? Tu penses, toi, pouvoir m’enseigner les choses de la sorcellerie, quel affront ! Que sais-tu des grandes guérisons et de la thaumaturgie, dis-moi donc. »

Aetius avait appris, après quelques années dans un sanctuaire, qu’il ne fallait juger au premier abord, bien que son insouciance et son éducation aristocratique le dissuadaient souvent de s’échiner à des exercices si longs et si pesants. Il réservait son bon sens et l’observation aux gens qui en valaient la peine, des nobles, des mages ou des gens qui gravitaient autour des sujets d’importance, mais jamais il ne s’offrait le luxe de prendre un homme du vulgaire pour autre chose que ce qu’il était.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeJeu 8 Avr 2010 - 9:51

L’espace d’une seconde, Tinfar se dit qu’il avait commis une erreur. Il aurait dû profiter de l’épuisement du chevalier la veille pour lui planter sa dague dans le cœur. Au moins voyagerait-il à présent à cheval et la condescendance du noblaillon lui aurait été épargnée. Il se surprit même à jeter un regard plein d’espoir en direction des fourrés, priant pour qu’en sortent une bande de pillards qui le débarrasseraient de l’irritant chevalier. Malheureusement, il était fort peu probable que Mogar exauce son souhait. Quant aux regrets, il était décidément trop tard pour changer quoi que ce soit à ce qui avait été fait.
Profitant de ce qu’ils étaient arrêtés, Tinfar tira sa gourde de sa besace et but une longue gorgée. Sa soif étanchée, il reporta son attention sur Aetius. Le chevalier continuait de le toiser, persuadé qu’un individu de la trempe de Garamont était incapable de lui tenir tête. Le plus pénible, du moins l’était-ce du point de vue de Tinfar, était qu’il avait probablement raison : jamais un marchand n’aurait pris le risque de mécontenter un noble. Pas à moins d’être persuadé de son bon droit et de pouvoir, le cas échéant, bénéficier de la protection d’une guilde. Néanmoins, si Garamont demeurait incapable de susciter un semblant d’intérêt chez Aetius, Tinfar pouvait dire adieu à la protection de ce dernier. Aussi, bien que sa marge de manœuvre fut réduite, le sorcier décida de jouer le tout pour le tout.
S’agenouillant, Tinfar ramassa une poignée de terre. Tandis qu’il se relevait, il prit la parole :


Vous avez raison, monseigneur, je suis loin d’être un puissant thaumaturge ou un guérisseur. Mais contrairement à ce que vous semblez croire, le grand Art n’est pas réservé au seul usage de la noblesse. Certains roturiers peuvent parfaitement manipuler l’Energie et il se trouve que je fais partie de ceux-là.

Tinfar haussa les épaules comme pour prévenir toute objection. Rivant ses yeux dans ceux d’Aetius, il ajouta :

Mon don n’a rien d’exceptionnel et je ne doute pas que la puissance de monseigneur soit supérieure à la mienne. Mais il se trouve qu’enfant j’étais d’un naturel obéissant et, lorsque mon père m’intima de suivre un enseignement visant à tirer le meilleur parti de mon don, je m’exécutais de bonne grâce. Que voulez-vous ? Nous autres, simples roturiers, n’avons guère le loisir de perdre notre temps.

Manier ainsi l’ironie n’était pas sans risque. Mais si les deux hommes devaient poursuivre leur route côte à côte, mieux valait s’affirmer sans plus attendre. Demeurer soumis n’apporterait rien de bon.

A présent, si vous le voulez bien, je vais vous montrer ce que je peux vous apprendre.

Plus pour la galerie que par nécessité, Tinfar prit une longue et profonde inspiration qu’il relâcha très lentement. Sitôt qu’il affina ses sens, il sentit l’Energie l’entourer de toute part. Elle répondait à son appel et gorgeait ses chairs de puissance brute. Il sentit son rythme cardiaque s’accélérer et ses veines palpiter au rythme du pouvoir qu’il rassemblait. Très vite, il ressentit une légère brûlure dans son bras gauche mais n’en laissa rien paraitre.
Lentement, il concentra son pouvoir en direction de sa main droite. Paume tournée vers le ciel, il y fit naitre un léger courant d’air. Par vanité, il ne résista pas au plaisir d’adjoindre au sortilège quelques raffinements. De minuscules particules de lumière surgirent de nulle part et entourèrent son avant-bras. Elles tournoyaient lentement autour de sa main et ajoutaient un aspect esthétique au sort qu’il préparait. Combinées à la luminescence émanant de ses yeux, elles offraient un spectacle saisissant.
Alors, il émietta la terre au-dessus de sa main droite. Les fines particules de terre demeurèrent en suspension, prisonnières du sortilège. A présent que le courant d’air était visible, Tinfar s’amusa à lui donner toutes sortes de formes. Multipliant les arabesques et les volutes, il fit la preuve de sa capacité à maitriser l’Energie. Tout en poursuivant sa démonstration, il dit :


Monseigneur, Je ne saurais trop vous encourager à vous exercer de la sorte. D’après ce que j’ai vu de vos pouvoirs, vous êtes à peine capable de manipuler l’Energie. Pour l’heure vous gaspillez votre potentiel et ne parvenez qu’à insuffler une infime part de puissance dans vos sortilèges. A moins que vous ne régliez ce problème, vous demeurerez incapable de progresser.

Le trait était grossier et très largement exagéré, mais Tinfar jugea qu'il fallait en passer par là pour remettre Aetius à sa place. Après une courte pause, il ajouta avec un sourire ironique :

A moins, bien sûr, que peiner à refermer des plaies superficielles suffise à votre bonheur ? Dans le cas contraire, je me ferai un plaisir de vous apprendre ce que je sais.

Sans attendre de réponse, Tinfar insuffla un peu plus d’Energie dans son souffle d’air. Le sortilège ainsi renforcé, il relâcha son contrôle sur l’Energie. Les particules de lumière disparurent instantanément, de même que la lueur dans ses yeux, mais les volutes demeurèrent. Remettant la sangle de sa besace en place, il se remit en route, passant devant Aetius comme si de rien n’était.
Dans son dos, le sortilège se poursuivit pendant quelques secondes avant de finalement se déliter.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeJeu 8 Avr 2010 - 17:09

Aetius avait tancé la roture sans savoir, et cela s’était retourné contre lui. Ah ! Le chevalier ne s’y laisserait plus prendre. Il devait se montrer plus sur ses gardes quant aux étrangers qui, derrière les faux semblants, pouvaient révéler leur véritable nature lorsque leur interlocuteur est dans la plus pénible des situations. Ici, c’était le cas, et le vilain lui avait retourné sa gifle de la plus belle des façons, avec esprit. Enfin, vilain n’était plus un terme qui convenait à ce mystérieux Garamont. Il était un sorcier, non pas un simple marchand de petit étalage. Il faisait partie de cette petite communauté fermée se situant entre dieux et démons, bien loin de la noblesse voire au dessus de ces derniers. Aetius avait toujours eu la plus grande des révérences pour les mages et les gens de sorcellerie, car il faisait, en quelque sorte, partie de leur race. Et il semblait qu’il avait trouvé un maître de ce sang-là.

Le pauvre chevalier se sentait à présent bien penaud d’avoir giflé un homme de magie, un maître dans l’art des vents, d’après les subtiles arabesques qu’il venait de produire après quelques secondes de concentrations. Le geste était beau et allongé, faisant virevolter une myriade de bouts de terre et y mêlant artistiquement des orbes scintillants qui illuminaient la sculpture éphémère que le sorcier provoquait pour détromper Aetius. Les piques dont fit montre le négociant, l’ironie qu’il avait utilisé quelques minutes auparavant et qui avait irrité le chevalier n’avaient plus aucune importance. Rien n’avait plus d’importance que le balai aérien auquel se prêtait la poussière, emprisonnée dans les volutes magiques. Tout avait changé.

Jamais Aetius n’aurait été capable d’un tel prodige (c’était beaucoup dire). Ce dernier, ayant rapidement abandonné les études cléricales, avait ainsi délaissé les enseignements sur l’Art. Vivant comme un chevalier, il s’était contenté d’augmenter la puissance de ses sorts sans prendre le temps d’essayer de les contrôler. La violence de ses bourrasques l’impressionnait autant que ses ennemis, mais jamais il n’aurait été assez appliqué pour les manier, les dresser et les plier à sa volonté. Elles étaient des bêtes sauvages qu’il lançait sans plus de soin, impétueuses. Jamais Aetius n’avait tenté de les domestiquer. Il fallait bien dire que sa maîtrise pâtissait grandement de l’absence de précepteur, bien que son caractère inconstant fut également une des causes de sa stagnation dans l’Art des vents.

Une fois qu’il décolla son regard des vents qui continuaient à danser, il vit le mage s’éloigner. Le rattrapant à grand pas, il ralentit le pas, une main toujours sur les étriers de sa monture, la tête tournée vers ce nouveau Garamont qu’il découvrait. D’un coup mais sans grande assurance, il engagea de nouveau la conversation, avec plus de respect qu’auparavant cependant.
« Seriez-vous capable de m’enseigner de telles choses ? Plus encore, magicien ? »
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeVen 9 Avr 2010 - 16:21

Entendant les pas d’Aetius se rapprocher rapidement, Tinfar réprima le rictus sardonique qui menaçait de déformer ses traits. Quelques secondes avaient suffi pour qu’il retourne la situation à son avantage. La crédulité des gens ne connaissait-elle donc aucune limite ? En dépit de ses grands airs, cet Aetius ne valait pas mieux que tous ceux qui avaient croisé la route du sorcier auparavant. Il suffisait de leur faire miroiter un profit substantiel pour que tous baissent leur garde. Peu importait alors qu’ils fussent nobles, simples marchands ou paysans ; du moment que vous leur promettiez monts et merveilles, ils étaient prêts à vous suivre. Jusqu’en enfer si besoin. Au fond d’eux-mêmes, tous ces hommes étaient animés des mêmes instincts primaires. Sitôt qu’on avait découvert ce qu’ils désiraient vraiment, il devenait si facile de les manipuler.

Se tournant à demi vers le chevalier, Tinfar lui sourit. Tout en continuant d’avancer, il répondit :


Monseigneur, vous enseigner le peu que je sais est bien le moins que je puisse faire. Après avoir blessé votre cheval, vous m’honoreriez en me laissant ainsi réparer ma faute.

Après une courte pause, Tinfar baissa les yeux au sol et ajouta d’un ton contrit :

J’ose espérer que vous ne me tiendrez pas rigueur des propos que j’ai pu vous tenir tantôt. Je dois confesser que, plus encore que votre gifle, vos paroles ont blessé mon ego. Etant un simple marchand… Levant les yeux au ciel et se passant une main lasse sur le visage, Tinfar crut bon d’ajouter dans un souffle. Probablement endetté jusqu’au cou depuis le vol de ma dernière cargaison. Il ne me reste guère de motif de satisfaction sinon la maîtrise de mon don.

Tinfar fit encore quelques pas avant de conclure :

Quoiqu’il en soit, sitôt que nous aurons trouvé un lieu où faire halte, je me ferai une joie de vous aider à tirer le meilleur parti de votre don. Puis dans un sourire qui se voulait l’image même d’une amitié naissante, il dit : Mais de grâce, mon seigneur, ne me donnez plus le titre de sorcier, et encore moins celui de magicien. Je ne suis qu’un modeste marchand qui jouit de quelques talents.

Le sorcier ponctua cette tirade d’une révérence extravagante et reprit sa route dans un grand éclat de rire.


Dernière édition par Tinfar Solinar le Ven 9 Avr 2010 - 22:11, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeVen 9 Avr 2010 - 19:48

Quel rire étrange. Encore une fois, ce sorcier se moquait des apparences, et ce de la plus cynique des façons. Du moins c’était ainsi que le chevalier le percevait. Il était à la fois plus respectueux et plus méfiant à l’égard de l’homme. Ce dernier lui avait dissimulé une information capitale, qui aurait tout changé dans leur relation. D’un autre côté, la démonstration de ses compétences dans l’Art avait forcé l’admiration d’Aetius, qui en oubliait de faire preuve d’une défiance de bon aloi, encore une fois. Peut-être cela lui serait fatal, nous verrons bien.

Continuant le chemin, Aetius faisait preuve d’une joie de plus en plus ostensible qui tenait à la fois de l’enfantin et du passionnel. Il est vrai que rencontrer un magicien slash marchand était des plus exotiques et exceptionnels, aussi, on peut s’avouer que les réactions un peu exagérées de notre bon chevalier tenaient du normal. Assenant de questions sont homologue, il se reprit (au bout d’un temps relativement long, certes) et chercha un peu partout un endroit propice à faire une halte. Midi arrivait, et il était temps de s’arrêter un instant pour ce qui aurait dû être le dîner. Hélas, Aetius, ayant la tête ailleurs, avait complètement oublié d’aller chasser leur repas, aussi se retrouvaient-ils sans nourriture aucune.

Cela n’empêcha pas Aetius de s’arrêter à l’orée d’un bosquet clairsemé où ils pourraient profiter de l’ombre des frondaisons. Il fallait avouer que le chevalier, revêtu de son armure, transpirait à grosses gouttes et que la marche avec tout cet équipement était, sinon pénible, plus éprouvante que ses balades équestres. Il s’était d’ailleurs débarrasser d’une bonne partie du haubert, ne portant plus que sa cotte de maille, le reste était soutenu par son destrier servant à présent de bête de trait. Une fois installés, Aetius revint à la charge sur le sujet qui l’obsédait, la magie. Il voulait immédiatement voir ce que Garamont lui préparait, ayant quasiment oublié les derniers événements qui avaient ombragé leur compagnonnage.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeSam 10 Avr 2010 - 22:16

Tinfar fit du regard le tour du bosquet qu’avait choisi Aetius pour leur halte. Mouais, faute d’une auberge à proximité, il comprit qu’il lui faudrait bien s’en contenter. Avisant une souche commodément placée à l’ombre d’un tronc, il s’y assit. Posant sa besace à ses pieds, il étira longuement les muscles endoloris de son dos. Puis, il défit les lacets de sa tunique et entrouvrit cette dernière afin de profiter de la légère brise qui venait de la mer. Ainsi installé, il reporta son attention sur le chevalier.

Monseigneur, vous devez bien comprendre que je ne peux pas vous enseigner plus que ce que je comprends. Or mes compétences sont limitées. Posant son index sur ses lèvres, Tinfar murmura : Par où commencer ? Cela fait si longtemps que j’ai été formé, j’ai l’impression d’avoir tout oublié de mes anciennes leçons.

Tinfar fit un pâle sourire au chevalier comme pour s’excuser de ses maigres compétences, puis il leva les yeux au ciel cherchant visiblement par où commencer.
Garamont s’était engagé à apprendre ce qu’il savait au chevalier, mais Tinfar, lui, n’avait ni la patience ni l’envie de former un apprenti. D’autant qu’il ne pouvait décemment pas révéler à Aetius la nature des sortilèges qu’il employait. Les gens devenaient étonnamment nerveux dès lors qu’ils apprenaient qu’il avait la capacité d’influer sur leur esprit. Et pourtant, sans cet enseignement Tinfar pouvait dire adieu à son escorte, sans même parler des risques qu’il encourait à mécontenter le guerrier. Il pouvait encore sentir la marque de ses doigts imprimée sur sa joue. Bref, de quelque façon qu’on analyse le problème, il n’avait guère d’autre choix que de coopérer. Restait tout de même à définir ce qu’il allait bien pouvoir lui enseigner. Bah, pensa Tinfar, autant commencer par les bases.


Comme vous devez le savoir, messire, la sorcellerie diffère de la magie. Les mages naissent avec quelques prédispositions magiques, mais l’essentiel de leur pouvoir dépend des heures qu’ils passent, et ont passé, à étudier. Pour nous autres, sorciers, la chose est toute autre. Nous naissons avec un don. Le terme est probablement impropre mais n’en ayant pas de meilleur à vous proposer, nous nous contenterons de celui-ci.

Tinfar marqua une courte pause dans ses explications, le temps pour lui de fouiller sa besace, d’en tirer sa gourde et de boire une gorgée. Avant de la ranger, il la tendit à Aetius.

Comme j’essayais de vous l’expliquer, le pouvoir dont dispose un sorcier dépend de la nature et de la puissance de son don. Dans mon cas, il semble que mes compétences se bornent à la manipulation de l’élément de l’Air. Quant à ma puissance… et bien je dois vous confesser qu’elle est minime. Raison pour laquelle j’ai embrassé les affaires plutôt que l’Art. Tinfar fit cette confidence sur un ton mi-figue mi-raisin où la plaisanterie le disputait aux regrets. Notez bien que si je vous dis tout cela, ce n’est pas sans raison. Il vous faut bien comprendre que là où les mages peuvent prendre un grimoire et accroitre leur pouvoir, nous autres devons composer avec ce que Néera a bien voulu nous donner. Autrement dit, si je peux vous aider à canaliser votre Energie, c’est à vous seul qu’il revient de découvrir qu’en faire.

Ce disant, Tinfar arracha à une branche basse deux jeunes feuilles. Il en tendit une à Aetius et posa l’autre au creux de sa main droite. Il concentra ensuite ses sens et laissa l’Energie le pénétrer. Alors que ses yeux perdaient leur capacité à voir le monde qui l’entourait, il commença à distinguer les flux de Pouvoir. Y puisant un peu d’Energie, il la concentra jusqu’à pouvoir créer un courant d’air suffisant pour soulever la feuille et la maintenir à l’aplomb de sa main. Sitôt que ce fut fait, il dit à Aetius :

Avant tout, il vous faut apprendre à concentrer l’Energie selon vos désirs et vos besoins. Pour l’heure, ne cherchez pas à créer un sort puissant, tâchez simplement de soulever cette feuille et de la maintenir en l’air sans l’envoyer Néera seule sait où. Lorsque vous serez parvenu à un résultat satisfaisant, nous reprendrons notre route et vous tenterez de renouveler l’expérience tout en marchant.

Tinfar laissa l’Energie qu’il avait accumulée se dissiper. Pendant quelques minutes, il observa les premières tentatives d’Aetius. Voyant que le résultat était loin d’être celui espéré, il sortit sa couverture et s’improvisa un oreiller. Etendant ses jambes, il dit :

Pendant que vous vous entrainez, je vais me reposer un peu. N’hésitez pas à me réveiller sitôt que vous serez parvenu à vos fins.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeSam 10 Avr 2010 - 22:50

Ecoutant le marchand débiter ses leçons sur la vie du mage et du sorcier, Aetius se crut revenir des années en arrière, lorsque les hauts prêtres lui donnaient des cours sur comment bien comprendre l’Art avant de le maîtriser. Par la déesse, comme il put s’ennuyer en ce temps, vivant cloîtrer alors que le son des épées se faisaient entendre dehors, comme le rugissement d’un lion avec qui on s’était profondément lié d’affection. Ne cherchant cependant pas à l’interrompre, premièrement parce que cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas eu une leçon, secondement pour ne pas froisser ce qui pourrait être son maître, au moins le temps du voyage, il écouta avec plus ou moins de passion ce qui se racontait.

Lorsqu’on en vint à la pratique, cela rassura le chevalier, qui se mit directement à la tâche. Avec un élan sûrement trop grand cependant. La feuille que lui avait tendue Garamont s’envolait le plus souvent instantanément, poussée par une force magique trop grande. La légèreté de la feuille était insoutenable pour Aetius, qui n’avait jamais essayé de maîtriser d’un bout à l’autre ses pouvoirs, les provoquant puis les dirigeant avec plus ou moins de subtilité. Alors ici, faire léviter cet objet si léger, vous imaginez bien qu’Aetius en était tout bonnement incapable ! Devant les maigres résultats offerts par l’élève, le maître alla se reposer. Ce dernier ne devait pas avoir l’habitude des voyages solitaires, ceux-là qui engourdissaient les sens et laisser les hommes complètement exténués à la fin de la journée. Ou peut-être voyageait-il depuis longtemps, trop longtemps. Aetius ne connaissait plus cet état de fait. La douleur, avec des mois de vagabondage, avait disparu, se transformant, le soir, en une fatigue douce pour le voyageur qui savait son labeur du jour terminé.

Ayant appris la patience dans la résignation de ces voyages sans fin où le périple avait plus d’importance que la destination, Aetius n’avait donc que peu de mal à répéter sans arrêt l’exercice que lui avait confié le maître. Pourtant, malgré tous les efforts, tous les artifices qu’il essaya de mettre au point, à chaque fois, le contrôle de la feuille lui échappait. Il n’avait jamais été très enclin, en tant que noble, à s’échiner sur les détails, qui étaient le plus souvent remis aux serviteurs. Après encore quelques instants de cet exercice accompli sous l’ombre de deux arbres agités par la brise océanique, qui protégeaient à peine la feuille des vents marins, l’Ivrey délaissa cette provocation végétal pour se tourner vers quelques choses de plus consistant. Se saisissant d’un galet de large taille mais de petit poids, il réitéra l’opération, essayant à nouveau de faire léviter l’objet.

Si le caillou lui échappa de nombreuses fois au début, l’opération semblait recevoir plus de succès cette fois-ci. Le poids de la pierre avait fait la différence. Envoyant d’abord des petites bourrasques sur la roche, qui avait l’air de sautiller dans les airs, il commença à alimenter un vent léger et limité mais beaucoup plus continu. La pierre s’immobilisait peu à peu, et Aetius, focalisé sur sa tâche commença à maîtrise l’objet de ses deux mains. Lorsqu’il se sentit assez audacieux pour rendre plus difficile l’exercice, il ôta sa main droite de l’opération. La pierre, cependant, tomba d’un coup. Une heure passa ainsi, et à la fin, Aetius arrivait à faire tournoyer le caillou d’une main seule. Gonflé de fierté, ce guerrier hurla de joie et prévint Garamont, agité comme un gosse.

Lorsqu’ils se remirent en route, Aetius avait toujours la pierre au dessus de sa main gauche, la fixant comme si elle eût été la plus belle gemme qu’il avait jamais vu. Continuant leur voyage dans la quiétude, ils arrivèrent, un peu avant que le soleil ne commence à s’engouffrer dans le néant de l’autre monde, au sanctuaire. Reçus par une poignée de moines, les voyageurs se mirent à leur aise dans une sorte d’endroit réservé aux oblats et aux laïcs ainsi qu’aux voyageurs, une auberge doublé d’un dortoir sale mais chaud.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeLun 12 Avr 2010 - 19:50

Sitôt que les deux hommes eurent franchi la muraille qui protégeait le monastère, ils pénétrèrent dans une vaste cour carrée au sol pavé de larges dalles de pierre. Le long des fortifications s’alignaient dépendances, réfectoires et dortoirs. Un peu en retrait de ces mornes bâtisses, se dressait une chapelle de bien modeste apparence. Les lieux avaient vraisemblablement été construits par un homme qui avait l’esprit pratique, à défaut d’une âme d’artiste. Seul le jardin potager, où poussaient pêle-mêle simples et légumineuses, apportait une touche de gaité au paysage.
Tandis qu’Aetius donnait des instructions au moine venu s’occuper de sa monture, Tinfar ne put retenir un soupir de lassitude. Lui qui avait espéré passer la nuit dans une auberge douillette, il en était pour ses frais. Les deux voyageurs pourraient s’estimer heureux si les lits qu’on leur réservait n’étaient pas occupés par une armée de puces. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le sorcier n’en suivit pas moins Aetius en direction des dortoirs. Ces derniers étaient exactement tels que Tinfar l’avait craint : sombres, sentant le renfermé et sans aucun confort.
Avisant une couchette qui lui semblait moins décrépite que les autres, l’arnaqueur y posa son paquetage.


Et bien, fit Tinfar en regardant en direction du toit, je suppose qu’on doit s’estimer heureux d’avoir trouvé un abri. Un jour, j’ai passé une soirée dans un bouge qui ressemblait à ce lieu. Je crois qu’il a été fermé par les autorités depuis. C’était, semble-t-il, un outrage à la vue des passants.

Se couchant sur son lit, le sorcier remua jusqu’à trouver une position confortable. Il glissa ses mains sous sa nuque et demeura silencieux durant quelques minutes. Tandis que le silence s’installait entre les deux hommes, ils purent entendre les frères qui s’activaient à proximité. A en croire les bruits qui passaient par la fenêtre ouverte, ils s’étaient attaqués à la confection du dîner. Avec un peu de chance, un novice ne tarderait plus à venir à chercher les deux hommes pour participer au repas commun.
Se tournant, Tinfar observa Aetius. Constatant que ce dernier ne disait rien, le sorcier demanda :


Messire, je pense que nous devrions parler de la suite des évènements. Comme vous le savez, nous allons tous deux dans la même direction. Pour un temps à tout le moins. Cela étant, rien ne saurait vous obliger à m’escorter davantage. Désignant la bourse qui pendait à sa ceinture, Tinfar ajouta. Je n’ai pas les moyens de m’offrir votre bras. Par contre, j’ai encore bien des choses à vous apprendre sur votre don. Si cela vous sied, nous pourrions collaborer quelques jours supplémentaires. Avec un peu de chance, les moines auront une monture à me vendre et vous n’aurez pas à souffrir ma compagnie plus longtemps que nécessaire.

Sans laisser le temps au chevalier de répondre, Tinfar se redressa et s’assit au bord du lit. Levant un doigt pour réclamer le silence, il poursuivit.

Quoiqu’il en soit, et avant que vous ne preniez une décision, j'ai encore une chose à vous dire : j’ai noté que vous vous êtes longuement entrainé à manipuler votre don. Je ne saurais trop vous conseiller de cesser toute activité magique jusqu’à demain soir. Manipuler l’Energie n’est pas sans risque : l’organisme s’épuise rapidement, sans compter que certains sorciers développent une sorte de dépendance. Avec un sourire, le sorcier se claqua les cuisses, puis il se leva et ajouta : Et voilà qui conclut la leçon du jour. A présent, je pense que nous devrions nous mettre en quête du réfectoire. Sauter un repas est une épreuve que je ne souhaite pas renouveler ! Vous aurez bien le temps de décider de la suite des évènements devant une assiette pleine.

Passant devant le chevalier, Tinfar quitta le dortoir. Tout au long de la journée, il avait hésité à rappeler au jeune homme les risques que l’on encourait à manipuler l’Energie. Finalement, son cynisme naturel l’avait emporté : laisser la conscience d’Aetius s’effilocher n’était décidemment pas l’idée qu’il se faisait d’une vengeance.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeDim 18 Avr 2010 - 21:19

Les sanctuaires. Aetius appréciait particulièrement ces lieux, notamment ceux de Néera, la mère des Hommes. Ces monastères étaient des lieux de recueillement, souvent loin des villes sales et dirigés par des hommes de bon sang menant leurs gens avec sagesse et douceur. Il avait longtemps vécu dans l’une de ces abbayes dévouées à la déesse mère, sans pour autant pouvoir en saisir l’essence. Il n’avait que faire, à l’époque, de la sérénité qui pouvait régner dans ces endroits, préférant le danger des batailles et des tournois. Tout cela, c’était avant la guerre civile, cette période où tout avait été remis en cause, le roi, la noblesse. Diantra avait payé le prix de cette indécision, de ce flou artistique entre les différents pouvoirs qui régissaient la Péninsule.

Depuis cette époque-ci, Aetius n’était plus sûr de rien, et résider dans ces lieux était un soulagement pour lui. La religion n’avait quant à elle pas changer, bien que certains des hauts dignitaires s’étaient engagés dans la guerre entre les rebelles et les royalistes. Cela avait pendant un temps inquiété le chevalier, mais depuis, il s’était rendu compte qu’entre le prieur d’une abbaye reculé et le haut prêtre de Diantra, les relations étaient bien ténues et les opinions bien éloignées.

Le séjour fut bref, et après un repas frugale (la pauvreté des récoltes était la même pour tous, qu’ils soient religieux ou laïcs), on avait rejoint le dortoir. Rien n’avait donc animé un tant soit peu la soirée, sinon quelques instructions de son nouveau maître sur les dangers de l’Art ainsi que des interrogations sur leurs directions individuelles.

« Nous pouvons en effet continuer le chemin ensemble. Le prieur de ce sanctuaire m’a promis de s’occuper de la blessure de ma monture, mais je pourrais vous accompagner jusqu’à Serramire, où j’ai, de toute manière, des comptes à rendre. Ne vous inquiétez pas pour ma pratique de l’Art, on m’a déjà dit ces choses-là et je me méfie à présent. Je saurai les éviter. »

Bien sûr, cela était faux. Si on l’avait longtemps tancé sur les dangers de la magie, jamais il n’avait pris au sérieux ces avertissements, se considérant comme un petit être unique à qui les choses n’arrivent pas. Il était, en somme, jeune et insouciant, un noble ayant peu de remords à risquer beaucoup pour pas grand-chose en étant toujours convaincu qu’un soleil radieux les attendrait de l’autre côté.
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MessageSujet: Re: Voyage vers le nord   Voyage vers le nord I_icon_minitimeVen 23 Avr 2010 - 14:29

Allongé sur sa couche dans le dortoir encore enténébré, les bras croisés sur sa poitrine, Tinfar réfléchissait à son avenir. La chance qui l’avait abandonné à Ydril semblait à nouveau s’attacher à ses pas. Sa situation était certes loin d’être idéale. Avec dieu savait qui sur ses traces et aucune base sûre où trouver refuge, il avait tout intérêt à rester sur ses gardes. Jouer profil bas pendant quelques semaines ne serait certainement pas une précaution superflue. Mais d’une manière ou d’une autre, les choses avaient l’air de vouloir s’arranger. N’était-il d’ailleurs pas parvenu à faire d’un noble pétri d’orgueil un fidèle apprenti ?
Tournant légèrement la tête, le sorcier jeta un coup d’œil en direction de la forme étendue sur le lit voisin. Il n’était pas mécontent du travail accompli sur cet Aetius d’Ivrey. A défaut d’une conversation agréable, ce jeune homme possédait un bras solide. Un bras sur lequel on pouvait compter en cas de nécessité. Alors si pour bénéficier de cette protection Tinfar devait endosser la personnalité de Garamont Baldarg quelques jours supplémentaires, et bien Garamont il serait.
Mais s’il se devait de coller à son personnage, rien n’obligeait ce dernier à parcourir Diantra de long en large sur ses seuls pieds. Pour autant que Tinfar ait pu en juger, les écuries du monastère abritaient d’autres montures que celle du chevalier. Ce n’étaient que de pauvres haridelles, plus familières du harnais que de la selle, mais qui, faute de mieux, feraient des montures tout à fait honorables pour un marchand dans le besoin.

Se redressant lentement, Tinfar repoussa ses couvertures et s’assit au bord du lit. Etouffant un bâillement, il se frotta les yeux pour en chasser la fatigue de la nuit puis, à pas de loup, il se dirigea vers l’unique fenêtre du dortoir. Passant la tête par la lucarne, il vit qu’une faible lueur se profilait déjà à l’Est. Parfait pensa-t-il, les moines n’allaient plus tarder à se lever. Avec un peu de chance il pourrait « convaincre » l’abbé de lui céder une monture avant qu’Aetius ne se lève. Mieux valait régler cette affaire au plus vite. Inutile que le chevalier apprenne quels étaient les réels pouvoirs du marchand.
S’habillant en toute hâte, le sorcier sortit et se mit en quête de l’abbé. Il finit par trouver celui-ci dans l’exigu local qui lui tenait lieu de bureau. Petit, rond et habillé d’une simple robe de bure, l’homme était une vivante image de la piété monacale. Lorsque le sorcier avait poussé sa porte, le saint homme avait à peine levé les yeux de ses papiers. Le front barré par un pli soucieux, il n’en avait pas moins interrompu son étude pour s’enquérir de la raison de la présence du mage.


- Que monseigneur me pardonne, répondit Tinfar, mais je sais que vous autres, moines, vivaient selon une règle stricte. Je m’en serais voulu d’interrompre vos activités, aussi suis-je venu à vous sitôt que je me suis éveillé, espérant vous trouver désœuvré. Il faut croire que je ne me suis pas levé assez tôt.
- Et bien, mon fils, dites-moi quelle affaire me vaut le plaisir de votre venue de si bonne heure. Comme vous le voyez, je suis occupé. Prisonnier de corvées administratives auxquelles je ne comprends pas grand chose. Aussi mieux vaut-il que vous alliez droit au but.

Débarrassant une chaise des parchemins qui l’encombraient puis s’y installant, Tinfar jeta un œil sur l’objet des tourments de l’abbé : un simple livre de compte. Sa couverture était de cuir usagé, ses pages arboraient une teinte maladive, parchemin vieillissant menaçant de tomber en poussière. Ses colonnes étaient toutes entières couvertes d’une écriture serrée, tracée d’une main visiblement hésitante comme en attestaient les nombreuses ratures qui ne devaient pas en faciliter la lecture.
Une fois encore, Tinfar fut tenté de remercier Néera pour ses bienfaits. Alors qu’il cherchait quelques secondes plus tôt un moyen de se faire offrir un cheval, voilà que l’abbé en personne lui offrait la solution sur un plateau.


Monseigneur, vous n’êtes pas sans savoir que mes affaires sont au plus bas en ce moment. Comme je vous l’expliquais hier au repas, ma dernière cargaison m’a été dérobée. J’ai encore l’espoir de renflouer mes caisses mais pour ce faire il est impératif que je rejoigne Oësgard au plus vite…

Ainsi commença une transaction au cours de laquelle Tinfar fit comprendre au père supérieur tous les avantages qu’ils pourraient tirer d’une éventuelle collaboration. En échange d’un cheval, Garamont était prêt à céder une part non négligeable de ses bénéfices futurs. Le calcul était simple, disait-il : sans ce cheval, il arriverait trop tard et ne pourrait investir ses derniers biens dans une affaire lucrative. Aussi préférait-il abandonner à l’ordre une partie de ses bénéfices, plutôt que de laisser toute sa fortune à ses créanciers. En outre, il se proposait de revenir d’ici quelques mois pour aider le monastère à mettre de l’ordre dans ses finances. Le père supérieur, soulagé à la simple idée qu’un jour quelqu’un le décharge de la gestion des biens de la communauté, ne fut guère difficile à convaincre.
Quelques minutes suffirent pour que les deux hommes trouvent un terrain d’entente et fixent les termes du contrat. Pour preuve de sa bonne foi, Tinfar remit à l’abbé une bague en fer blanc qu’il lui assura être le sceau personnel de Garamont. Aux dires de Tinfar, il suffirait à l’abbé de se rendre dans n’importe quelle guilde de commerce pour que, sur simple présentation de cette chevalière, on lui remette la somme convenue. Le sorcier demandait simplement au moine de lui laisser quelques semaines, le temps pour lui de renflouer ses caisses.

Ainsi, près d’une heure après le levé du soleil, Tinfar et Aetius chevauchaient-ils de concert pour la plus grande joie des pieds du sorcier. Tandis qu’ils avançaient au trot, le mage glissa à son compagnon :


D’après ce que m’ont dit les moines, nous ne devons pas être à plus d’une demi-journée de la frontière sud d’Alonna. En continuant à ce rythme nous devrions pouvoir passer la nuit dans une auberge confortable. Qu’en dites-vous ?




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