[C'nros] Natha brorn dal Jabbuk Naerth

Sissthylias s’approchait lentement de la Chambre Arcanique, et pour cause, elle n’avait aucune envie de s’y rendre. Malheureusement, elle ne faisait que très rarement ce dont elle avait envie. Esclave depuis sa plus tendre enfance, elle avait été littéralement dressée dans l’unique but de servir, et elle l’avait été de la plus brillante des façons. Depuis sa confrontation avec la Reine, on jalousait Brylyan pour avoir une telle perle : une sombre docile était une utopie, mais le nouveau Seigneur des Sombres avait tout de même su la trouver. Elle était vêtue comme à son habitude, ce qui équivalait à « peu vêtue ». Son éternelle jupe rouge était l’unique étoffe qui cachait en partie sa peau, et elle tenait grâce à sa ceinture, marque de sa servitude car porteuse du symbole des Naerth.

C’était cette pièce de métal qui la mettait hors de danger de bien des maux, et pour cause, il fallait être fou pour s’en prendre au jouet préféré d’une telle famille. Les deux héritiers tenaient en effet entre les mains avides le véritable pouvoir du Puy, alliance tenace de l’Armée et de la Religion. Mais même avec un contexte aussi favorable, Brylyan Naerth restait le drow qu’il avait toujours été, et la méfiance était la moindre des ses qualités. On ne pouvait que difficilement faire confiance, en Elda, après tout. Bien entendu, il arrivait parfois que la méfiance se transforme en paranoïa, mais quand l’enjeu n’était rien de plus que la survie, la dérive étant sans doute facilement pardonnable.

« F'sarn doerin ulu kyorl dosst Ditronw Da're. »
Je viens voir votre Ditronw Da’re.

Ses yeux allaient d’un garde à l’autre. Qu’il était devenu étrange, ce regard, après avoir croisé celui de l’ancienne Reine des Sombres. Pour lui faire payer son silence, Aetherya lui avait coupé la langue, mais la sœur de son Maître avait pu la lui rendre. Malheureusement, il y a toujours un prix à payer, et Sissthylias avait du renoncer à un de ses yeux, qui était mort et qui s’était paré des couleurs de la cendre.

« Natha brorn dal Jabbuk Naerth »
Un présent de Maître Brylyan.

C’était sans doute inutile de rajouter une telle remarque, après tout les gardes lui ouvraient déjà la route. Et puis, il y avait peu de chance qu’une esclave soit libre de se promener, et qu’elle se promène dans la Chambre Arcanique dans ce cas. Inspirant doucement, se préparant mentalement à ce qui allait suivre, elle suivit son guide.

Sissthylias ne savait que penser, et ne cherchait pas réellement à ce que cela change. Comme à chaque fois, son Maître n’avait pas été réellement précis sur la personne chez qui il l’envoyait et sur les raisons précises qui le poussaient à agir de la sorte. L’esclave avait l’habitude, son père avait agi peu ou prou de la même façon. De toute façon, sa tâche était toujours la même : s’immiscer, détendre, écouter et repartir comme elle était venue. Bien entendu, les drows étaient coutumiers de ce genre de manœuvre, et une seule visite ne suffisait presque jamais, néanmoins la chose du Karliik Glenn restait très douée dans ce domaine, en plus de sa docilité et de sa loyauté sans faille. Une perle dans cet océan opaque qu’était la société d’Elda, riche d’esclaves mais pauvres de drows réellement soumis.

Elle ne fut pas surprise de voir qu’on la conduisait auprès du maître des lieux sans même lui demander la raison précise de sa venue. Sa ceinture parlait d’elle-même : cela ne les concernait pas. Envoyée par Brylyan, la raison de sa venue ne devait être connue que par le principal concerné. De toute façon, ils devaient bien s’en douter, Sissthylias possédait désormais sa petite réputation dans les Hautes Sphères. Mais elle s’en moquait, à peine en avait-elle conscience. Elle ne soupçonnait même pas ce qu’avait pu engendrer sa rencontre avec l’ancienne Reine. Son univers se bornait aux yeux trop souvent réprobateurs de son maître, et elle ne vivait que pour les voir se détendre et même, parfois, briller de fierté. Elle était, par bien des aspects, encore une enfant et ne serait sans doute jamais rien d’autre.

« Ssrigg'tul... » répondit-elle.
Plaisir…

Son regard restait rivé sur le sol, quelque part entre elle et le Maître Mage, alors que son attitude se teintait de soumission. Une esclave n’avait pas le droit d’observer un être libre dans les yeux, c’eut été se mettre à son niveau, se poser comme son égal, or elle avait conscience de sa condition. Docile. Chose rare pour son sang, mais sa grand-mère et son père avait fait en sorte qu’elle intègre ce paradoxe dès son plus jeune âge.

« Fridj dossta... Ussta Jabbuk talinth dos rytho'le ol. »
Juste le votre… Mon maître pense que vous l’avez amplement mérité.

Il s’agissait toujours des moments les plus embarrassants. Rien n’était défini, elle arrivait à peine, jamais attendue, souvent non désirée mais toujours la bienvenue. Tout dépendant d’Haldren, en réalité. Il pouvait s’offusquer, la renvoyer - ce qui n’était pas réellement diplomatique, Brylyan pouvant s’offusquer qu’on boude ses cadeaux - ou sauter sur l’occasion. Quoi qu’il fasse, quelque soit sa décision, il n’y aurait que peu de détails qui échapperait à l’œil de Sissthylias.

« F'sarn dossta hwuen dos ori'gato uns'aa alu. »
Je suis vôtre jusqu’à ce que vous me renvoyez.

Il l’observait. Ce n’était guère étonnant, ils l’observaient toujours. Sissthylias avait l’impression de revivre encore et encore les mêmes scènes. Bien entendu, les dialogues changeaient d’un drow à l’autre, mais au final, ils disaient tous la même chose. Le fond ne variait pas, la forme prenait mille et un visages. Elle n’était jamais prêtée au hasard, elle le savait, et partait donc du principe qu’elle avait quelque chose à apprendre. Quoi donc, elle n’en avait aucune idée, tout ce qu’elle savait était qu’il ne lui fallait pas revenir les mains vides. Elle raconterait en détail chaque moment passé avec Haldren, qu’il soit insignifiant ou non. Après tout, elle n’était pas apte à juger. Elle ne se demandait même pas ce que pouvait penser le mage de sa présence, ce n’était pas important non plus. Tout ce qu’elle devait - et pouvait - faire était délier sa langue, et la laisser faire le reste.

Finalement, il se permit une caresse. A peine l’effleura-t-il, et il était visible qu’il réfléchissait encore. Ils réfléchissaient toujours, à la recherche du piège, ou de la raison de ce cadeau dont, bien souvent, il n’attendait pas la venue. Elle esquissa un léger sourire, feinte timidité qui, pourtant, paraissait aussi vraie que nature. Peut-être parce qu’elle trouvait ses racines dans l’envie de bien faire, réelle cette fois-ci, et que la feinte n’était pas si grande que cela.

« Dos rytho'le ol, ussta Jabbuk telanthus. »
Vous l’avez mérité, mon Maître l’a affirmé.

Elle n’agissait pas, pas encore. Elle lui laissait l’honneur de l’initiative, tout simplement parce qu’il était bien trop facile de froisser un mâle en se montrant trop aventureuse. Il contrôlait, elle le laissait faire, certaine que son maître la ramènerait à lui quand le temps serait venu.

« Xun dos daewl... folbol ? »
Désirez-vous… quelque chose ?

Parfois, rarement, certains drows dénigraient la chair et se servait d’elle comme d’une esclave domestique. Bien entendu, de telles pratiques ne résistaient que plus rarement encore aux actions subtiles de Sissthylias pour raviver le désir éteint ou contrôlé du mâle concerné. Tout n’était qu’une question de… doigté. Relevant légèrement la tête, elle se permit de le détailler un peu plus. Elle ne dépassa cependant pas les coudes. Il n’avait rien de très attirant, mais cela ne la dérangeait plus depuis bien longtemps déjà.

« F'sarn dossta. » murmura-t-elle doucement, un trouble réel dans la voix.
Je suis votre.

Mais la raison n’était certainement pas liée à Haldren, ou tout du moins pas de la façon qu’il l’imaginerait sans doute. Non, comme à chaque fois, elle craignait d’échouer, de revenir sans aucune information, et de décevoir son Maître. Elle réagissait toujours de la même façon, enfant perdue sans l’aide de Brylyan, à la recherche de la satisfaction brillant dans son regard carmin qu’elle craignait autant qu’elle l’adorait.