[EGA] Son nom est Uriz ... Il est mon dieu et non le tien ..

Quelle chaleur .. Depuis le jour où les Drows avaient pris pied dans les Hautes Terres, la température n'avait eu de cesse d'augmenter, et ce malgré la nuit perpétuelle qui régnait du fait du Voile. L'idée naïve que la légèreté de leurs tenues leur épargnerait une torpeur assommante s'était vite envolée alors que la sueur maculait la peau depuis déjà des jours. Par dessus tout, l'appel d'Uriz se faisait sentir dans les coeurs des trois Drows marchant vers la Première Cité, un mélange d'excitation et d'adrénaline, de la rancoeur également. La seule chose désirée était un bon combat mené au nom d'Uriz, un combat où le sang serait versé et la chair tranchée. La petite escarmouche d'il y a quelques jours contre des nains aveugles avait instauré une sorte de manque que seule la perspective d'un combat pouvait étancher et jusqu'ici elles n'avaient plus rencontré personne.
Les Hautes Terres étaient un vrai désert, tant par la chaleur que par l'absence de créatures à tuer, mais les Drows approchaient du but, elles le sentait.

Des jours durant, elles avaient marché le long des vallées, des gorges et des cols, s'aidant des indications données par les nains tombés sous leurs lames et par les visions des prêtres. Ce n'était en rien un chemin facile à suivre, il y avait énormément d'approximations et identifier les bons repères était parfois une rude tâche. Mais elles approchaient, elles le sentait. La chaleur augmentait, les esprits s'échauffaient également. Les vallons étaient passés, maintenant il fallait désormais trouver la faille qui ouvrait la terre tel le sillon d'un coup d'épée. Etait ce le jour, était ce la nuit ? nul ne le savait, elles continuaient à marcher vers leur destination, l'esprit et le corps remplis de soifs diverses.

Puis vint la délivrance après plusieurs jours de randonnées .. la faille était finalement en vue tel un trou béant au travers du flanc d'une autre montagne dont la cime se perdait dans les cieux. Il était impossible de la manquer, ni de se tromper. Les trois Drows exultèrent dans leur langue natale, louant Uriz de les avoir menées jusqu'ici, enfin le voyage s'apprêtait à se terminer.
Pour la Da'ron de la Garde du Temple, c'était un grand moment. Qu'allaient elles découvrir à l'intérieur du roc ? ramener au Puy le nouveau gardien d'Uriz était une noble tâche, une tâche on ne peut plus importante pour un ordre guerrier comme le leur. Mais une nouvelle dimension s'était offerte aux aventurières, l'influence d'Uriz lui-même. Etait il possible que le Dieu lui-même attendait à l'intérieur de ces murs de pierre ? le Gardien et le Dieu .. Même Haeldra qui avait connue de terribles batailles n'arrivait pas à contenir une telle excitation et de telles appréhension au fond de son coeur. C'était au delà de ses espérances, au delà de ses rêves.
Un instant, la chaleur étouffante cessa de faire son effet, plus rien n'importait face aux choses qui attendait les trois Drows.

L'une des Filles d'Uriz brisa le silence, la voix à demi tremblante..

Est ce .. vraiment ici ? Portons nous vraiment nos espoirs sur la bonne faille ?

La question était un peu malvenue tant l'impression qui gagnait les trois femmes était forte, la certitude était de mise. Mais ce n'était pas non lus une raison pour abandonner toute prudence, c'est pourquoi la question fut acceptée. Tout ceci était peut être juste trop beau pour être vrai après tout.
La Da'ron se prépara à répondre lorsqu'un mouvement près de la faille attira son attention.

Derrière les rochers, vite !

Les trois guerrières se dissimulèrent prestement, les deux subalternes observant discrètement l'endroit sur lequel leur supérieure avait posé le regard.
La vision nocturne des drows leur montrèrent l'ultime indice qui montrait qu'elles ne s'étaient pas trompées. Mais cette indice était également un obstacle de taille.
Près de la faille, à quelques centaines de mètres, la forme particulièrement reconnaissable de Tagnik’zur, la wyvern personnelle de Tebirahc se détachait. La créature était seule, totalement armurée et semblant monter la garde. Il n'y avait plus de doutes possibles.

Tagnik’zur .. Nous sommes au bon endroit .. mais pourquoi est il seul ? Le ton de la conversation se faisait désormais à demi-voix, pour ne pas attirer la wyvern.

Devrions nous nous présenter à lui, Dame Haeldra ? Vous connaissez depuis longtemps et de manière personnelle le Senger Tebirahc, Tagnik’zur vous reconnaitra peut être et pourrait vous laisser passer.

C'est une idée dangereuse Signn'ari .. une wyvern se promenant sans son maître n'est pas une chose dont on peut s'approcher librement. Elle ne semble pas être redevenue sauvage mais elle n'a pas été docile pour autant du temps de sa captivité. Il faut trouver un moyen de déjouer son attention pour nous introduire dans la faille.

Tagnik’zur était un obstacle dont Haeldra se serait bien passé car affronter une wyvern n'était pas une chose possible avec l'équipement léger dont les trois Drows disposaient, surtout Tagnik’zur qui portait une armure sur son corps écaillé. Il allait falloir trouver un plan. Pour le moment ils étaient contre le vent, la wyvern ne pouvait sentir leur odeur ni les apercevoir derrière les rochers, c'était l'heure de concocter une voie d'approche.

Tandis que les filles d’Uriz s’accordaient sur le meilleur plan pour déjouer la vigilance de la wyvern, une silhouette sorti de l’ombre de la faille. Baoht, ou plutôt l’armure qu’il portait habituellement, se tenait dans l’étroite embrasure de l’entrée, courbé à cause de la petitesse de cette dernière. Son masque rougeâtre jetait un regard à l’extérieur sur ce mélange de roches et de boue qui formaient le passage encaissé. Une ligne relativement droite, jonché de bris de roches rendus humides par la liquéfaction des neiges environnantes, une terre transformée en fange, gorgé de glaces éternelles faites eaux. Il avait perdu sa virginité proverbiale, le royaume blanc du nord. La robe de pureté des montagnes coulait à présent dans les sillons et les vallées du royaume nain, inondant une terre rocheuse et peu fertile, formant d’immenses lacs bloquant la communication entre les différentes régions nordiques.

Mais que faisait le haut prêtre du dieu sorcier dans cette faille ? N’avait-il pas disparu lors de la bataille d’Ellyrion, qui avait eu lieu quelques semaines plus tôt ? En effet, il avait disparu. Lorsque l’armée elfique fit retraite, le sorcier suivit les traces de cette dernière, pourchassant le roi Dyarque pour le défier et le tuer. Mais c’était sans compter sur la Résurrection des Dieux. La forêt elfique dans laquelle il évoluait avait commencé à se montrer hostile. Plongé dans une nuit sans fin, il avait perdu la trace de la suite royale. Après quelques jours d’errance, il décida d’écouter l’écho qui sourdait en lui. Une force surpuissante provenant du royaume des nains le guidait, le happait vers le nord, où il décida de se rendre.

Voilà pourquoi il s’était rendu dans la demeure d’Uriz. Nous passerons sur le comment, qui ennuierait tout le monde, pour nous focaliser sur sa rencontre avec les filles d’Uriz. Ainsi, tandis qu’elles cherchaient un plan pour passer outre la garde de la wyvern, Baoht sortit de la faille et leur cria le plus naturellement du monde de le rejoindre. Ceci fait, une minuscule boule de feu apparut dans sa paume et fut propulsé d’un geste brusque vers la wyvern.

Des vies s'étaient présentées à la porte récemment née du fracas du roc, répondant à l'appel du Roi de la Première Cité, pour répondre à son défi, par pèlerinage ou bien encore comprendre pourquoi le Dieu de la Guerre, revenu pour des raisons inconnues, était animé d'une telle rage, ravageant le royaume qui fut le sien au début des temps, avant que de sa prison souterraine, il ne se libère, et tenter sans doute de l'apaiser, qu'il arrête là le massacre qu'il perpétuait avec une efficacité redoutable.
Entre les crocs affutés et les serres de la créature qui en gardaient l'accès, nombreuses vies avaient été emporté, mais certains déjà y avaient échappés, pénétrant pour la première fois depuis son effondrement dans la Première Cité qui avait vu s'épanouir cette race.

Puis apparurent les premiers représentants du sombre peuple d'Elda, en la personne d'abord d'un Haut Prêtre qui, usant de sa magie, fit s'éloigner quelques instants la wyvern armurée qui gardait l'entrée, ne s'en éloignant que parfois, chassant quelques proies sans lesquelles, elle n'aurait pas tenu jusque là, c'était évident. Elle s'était comportée d'une étonnante façon, mais l'œil non-averti n'aurait pu cerner cet infime instant d'avance dont usait pour éviter les attaques portées à son encontre, et, demeurant à distance raisonnable, sans pour autant ne plus se montrer menaçante, elle observa l'individu, à l'affût de la moindre erreur, qu'il ne fit pas.

Puis approchèrent trois autres représentantes de cette race, servantes de son culte là-bas, au cœur du volcan, mais la wyvern restait concentré sur le Haut Prêtre, pour l'heure, il apparaissait après tout plus menaçant que ces filles dépourvues d'une magie suffisante pour l'inquiéter.
Le drow mâle sorti de la faille, appelant d'un cri, invitation à le rejoindre, les trois filles d'Uriz avant de lancer une nouvelle fois une boule de feu en direction de la wyvern, dont elle s'écarta de la trajectoire avant de déployer ses immenses ailes et bondir, mouvement immédiatement suivi d'un battement afin de décoller, puis, comme si elle avait toujours su leurs positions, elle fondit sur les trois filles avec des intentions on ne peut plus évidente...

Quelle stupidité de croire qu'on peut lui échapper... La mort est là, bien présente, attendant de voir celle dont elle devra emporter l'âme pour la mener auprès de la Déesse Sombre des Esprits... Elle patiente, laissant encore à l'imposant reptile le droit de choisir laquelle des trois vies cesseraient sa course.

Les trois filles s'élancent, et l'une d'elle ignore encore qu'elle vit ses derniers instants, que cette course effrénée est pour elle vaine, qu'elle conduira à la mort plus vite encore, de quelques instants... Tel est le destin qui lui est offert, présent d'une créature pour démontrer la bêtise de l'avoir cru docile, désireux de vouloir épargner ceux de la race de celui qui le monte.
Le Haut-Prêtre tenta bien quelques diversions, essayant d'écarter la wyvern, mais ses tentatives furent déjoués par une étonnante aisance et une série de manœuvres aérienne de dégagement, mais surtout, elle offrit l'impression d'anticiper, de prévoir tant les actions que les trajectoires, se projetant là où l'on se rend forcément, en avance, d'un rien certes, mais suffisant pour déjouer les attaques et les attaques portées.

Son dévolu se porta alors sur Signn'ari, celle qui eut la bêtise de croire qu'il était docile ! Tagnik'zur éprouva le désir de la punir, de condamner par la mort l'idiotie d'un tel raisonnement, d'une telle idée. Il n'était pas un chien dressé et puis... C'était son rôle, son devoir... Garder et tuer ceux qui se présentent à cet endroit et qui manque de l'adresse et de l'agilité, de l'intelligence pour éviter le tragique destin.

Et, comme réponse à la futile demande d'Haeldra, la Wyvern démontra qu'il n'était pas utile d'atterrir... Il était un chasseur aérien, l'un des plus redoutables et des plus grands du continent, un seigneur dans ce ciel.
Non, pour un si petit gabarit, nul besoin de se poser, et quand elle fut assez proche, assez bas, elle se recourba, passant ses pattes vers le bas, en avant, la saisit là, enfonçant deux de ses griffes qui vinrent transpercer le corps sans protection aisément et rebattit puissamment des ailes pour s'élever à nouveau avant de relâcher, comme un lancé, le corps à présent sans vie de la drow qui alla se fracasser contre le roc, virant pour menacer à nouveau les survivantes.

Il n'arrêta le harcèlement que lorsqu'elles furent dans la faille, hors de portée, auprès du Haut Prêtre, et c'est seulement à cet instant qu'elle retourna auprès du corps inerte dans lequel il plongea ses crocs, une patte appuyant sur le corps, en arrachant les lambeaux de chair qu'il avalait tout rond... Une vie en moins déjà... Mais désormais, la Première Cité et son Roi n'étaient plus loin.

Les filles d’Uriz s’en étaient sorties avec des pertes. Certes, un wyvern possédé par l’esprit de Mogar, ça peut faire du dégât, et il fallait bien convenir que Baoht n’avait pas fait preuve d’une grande implication dans le sauvetage de la guerrière dont les os avaient été broyés par les serres du terrible animal. Une fois que les deux rescapées arrivèrent à hauteur de Baoht, le géant leur offrit pour tout accueil une moue impatiente qu’il ponctua d’un « Bien » indifférent, avant de s’engouffrer dans la faille béante de l’énorme montagne. Se faisant violence pour faire passer son corps massif dans ce qu’il devait considérer être un trou de souris pour géants, il finit par s’accroupir et son crâne ripait parfois contre le plafond trop bas. Grommelant dans sa barbe fauve, il finit par disparaître dans la noirceur de ce boyau étroit.

Lorsque les filles d’Uriz le retrouvèrent, il était à présent debout dans un couloir à la taille et la largeur déjà plus acceptable quoique dotée d’un plafond toujours trop bas. Incliné, tourné vers ce souterrain plongeant vers le centre du monde, il semblait être plongé dans une torpeur impérieuse. « Continuons », finit-il par dire avant de plonger de nouveau dans l’obscurité du couloir.

Là, trônant dans une salle immense et plongée dans la pénombre, se tenait une véritable monstruosité. Comment avait-elle pu entrer ici ? Avait-elle grandi dans les décombres, se nourrissant des créatures assez folles pour s’enfoncer si bas, des pilleurs de tombent les plus inconscients ? Etait-elle une créature qu’Uriz avait mis ici, devant la porte de bronze qu’elle semblait défendre ? Baoht n’en savait rien. A vrai dire, il s’en moquait. L’aura qui sourdait dans cette nécropole aux dimensions divines l’empêchait de s’adonner à ce genre de considération, et tout ce qui l’intéressait était d’abattre les obstacles qui se trouvaient entre lui et la demeure d’un dieu. Il le sentait, ils n’étaient plus loin. Une fois qu’il aurait tué la bête, qu’il aurait défoncé cette porte de bronze, il pourrait s’entretenir avec Uriz en personne, celui qui l’avait appelé.

Oh, il tuerait ces compagnes, bien entendu. Elles étaient indignes de l’honneur qu’il allait bientôt leur offrir, trop enfoncées dans leurs croyances incultes. Baoht était persuadé qu’il était seul à pouvoir tenir une discussion divine sans que les deux interlocuteurs s’y ennuient. Et puis, après tout, il avait tout fait. Les gardes du Temple n’étaient que ses suivantes, des sectatrices étroites d’esprit. Elles se servaient encore d’arme blanche, se battaient nues. Une vilaine stratégie où étaient enracinées des traditions encroûtées, obsolètes. Mais faisaient-elles le poids contre une vouivre ? Pouvaient-elles seulement espérer égratigner le monstre qui leur faisait face ?

Baoht ricana. Entrant dans l’antichambre tout en souriant, il fit un geste évasif aux Filles d’Uriz, comme pour dire « laissez travailler les grandes personnes. » Ces dernières, plus prudentes ou confiantes dans les pouvoirs du mage, restèrent dans l’embrasure du tunnel duquel ils arrivaient, attendant de voir comment tournait l’étrange duel entre David et Goliath. Le pyromant avança lentement vers la créature, attacha son masque et ricana encore. Ses pouvoirs trouvaient des applications infinies dans ce palais, sa magie était démultipliée. Sauvage, puissante, rien n’aurait pu lui résister. Et Baoht, tandis qu’il marchait vers l’adversaire, savourait ce puissant flux de magie qui traversait ses veines, ses os et sa chair. Il avait l’impression que son armure vibrait tant la force de la magie résonnait dans ce lieu. Une fois à quelques dizaines de mètres de la chose, qui commençait à s’intéresser à lui, il sourit sous son casque et commença à manipuler les fils de magie qui se tendaient sous la pression son esprit tissait. La monstruosité, comme si elle sentait cette modification, s’activa soudainement, tournant sa gueule immense vers Baoht. Bondissant, d’un coup, ébranlant sa carcasse titanesque, elle galopa lourdement contre le mage. Ses tentacules griffus s’élancèrent lentement à sa rencontre.

Baoht, heureux comme un enfant, dégagea d’un coup une énorme dose de sa magie. Laquelle dose, du fait de la présence du dieu, devait s’amplifier d’autant plus, carbonisant, dans une déflagration phénoménale, les trois tentacules du monstre qui lui faisait face. La bête, happée par la douleur ressentie au contact de ce feu liquide et collant, aurait alors fui, battant en retrait sans pour autant pouvoir éviter une pluie de flammes qui l’auraient achevé après plusieurs heures de souffrance. Mais l’énorme dose de magie ne provoqua rien. Ni flammèche, ni étincelle. Elle alla se jeter dans les flots de magie alentours, rejoindre les flux et les reflux, échappant à son maître, se moquant de Baoht. Quelle était donc cette aberration ?

Les tentacules arrivèrent enfin sur Baoht, qui n’eut que le temps de jeter un « Damnation ! » dans l’obscurité de l’antichambre. Le monstre le frappa d’un coup net et brutal qui envoya le mage s’écraser sur le mur le plus proche. Les griffes de l’animal, trop fines et fragiles, ne purent blesser la peau de Baoht, dont l’armure le protégeait, mais le choc fut tel que ce dernier fut d’abord trop sonné pour retenter d’user de magie. Affalé sur le sol poussiéreux de la grotte, il évita par chance les nouveaux coups de tentacules qui cherchèrent à l’écraser contre la pierre. Se relevant d’un bon, il roula puis courut vers la porte de ce qui semblait être une pièce annexe. Défonçant dans sa course effrénée la porte dont le bois avait pourri pendant des siècles, il se jeta à l’intérieur puis se calfeutra dans un coin.

La pièce, beaucoup plus petite que la précédente, était un grand râtelier où étaient exposées des armes millénaires. Lances, marteaux, haches et épées, malgré l’outrage des âges, semblaient luire d’eux-mêmes dans l’obscurité ambiante, chef d’œuvre des premiers forgerons, les disciples du dieu de la guerre lui-même. Bien qu’une telle exposition d’instrument de guerre aurait dû ravir n’importe quel drow, Baoht était plus occupé à souffler et reprendre du mauvais coup que lui avait assené la bête. Ignorant si les exubérances de son ennemi pouvaient l’atteindre ici, il essayait de s’expliquer comment il avait pu échouer un sort aussi basique.

Les griffes du monstre ne lui laissèrent pas le temps de répondre à cette réponse. Bientôt, l’un des tentacules du titan s’insinua dans le râtelier, passant la porte en se liquéfiant littéralement. Saisi par la haine que provoquait son impuissance, Baoht dégaina Aphryon, l’épée courte qu’il avait pris sur le cadavre de Dartan et commença à trancher dans la patte de l’envahisseur avec toute la hargne possible. Celle-ci se retira d’un coup et Baoht put entendre un petit couinement venant de l’antichambre. Bien, il pouvait ressentir de la douleur. Alors il ressentirait de la colère et bientôt il retenterait d’extirper le mage de son refuge provisoire. Conscient de cet état de fait, ce dernier lâcha Aphryon pour se saisir d’une lourde épée à deux mains naine et se prépara comme il le pouvait.

Le nouvel assaut ne vint pas. Au lieu de cela, il pouvait entendre les cris de guerre de la Garde du Temple. Petites sottes, ne put-il empêcher de penser, dégoûté par sa position de faiblesse et l’ironie de la situation. Il était obligé de se battre avec une arme blanche, comme un vulgaire mortel, et les Filles d’Uriz couraient droit à la mort pour le sauver. Cela faisait deux points qui mettaient de bien mauvaise humeur Baoht qui sortit du râtelier, poussé par un mélange de honte et de curiosité. Une fois au dehors, il put constater de la bêtise de la Garde. Il aperçut, courant entre les immenses colonnes de l’antichambre, une des guerrières du Temple, nue, féroce. Elle s’époumonait à crier du plus fort qu’elle le pouvait, évitait les coups de l’ennemie, se jouait de lui avec une agilité infinie. Le spectacle était beau. La guerrière criait avec toute sa fierté alors qu’elle fuyait un ennemi trop fort pour elle, et vers Baoht qui plus est. Amusé et agacé par ce comportement absurde, le mage se dit qu’ils seraient bientôt deux à être coincés dans le râtelier, et que le manège que jouait la fille d’Uriz n’aurait absolument rien changé à leur situation.

Mais alors qu’il ruminait son amertume et que le monstre courait après la guerrière, la D’aron sortit de nulle part. Cachée dans les décombres d’une colonne ruinée, elle apparut à quelques pieds du stupide Kroak et cria à son tour pendant qu’elle fonçait, toute lame devant, sur le géant auquel ils faisaient face. L’épée d’Haeldra s’enfonça dans la peau du Kroak jusqu’à la garde, puis s’enfonça encore, et encore. La bête cria sa haine et jeta l’un de ses tentacules sur la guerrière, qui esquiva d’un bond habile. Les griffes vinrent alors se planter elles-mêmes dans la peau molle de la patte sur laquelle Haeldra s’acharnait, et le Kroak hurlait de nouveau. Profitant du moment de flottement, la D’aron grimpa sur l’adversaire à grand coup de lames.

Consterné par ce retournement de situation, il fut brutalement rappelé à la réalité par le cri de l’autre fille d’Uriz, celle qui faisait mine de s’enfuir face au monstre et qui à présent se jetait sur lui. Baoht, souriant de nouveau, empoigna la flamberge naine et rejoignit le carnage. Sa lame se mêla aux leurs, tranchant avec un plaisir rare les chairs du monstre, paniqué par l’ardeur d’Haeldra, qui continuait à l’escalader avec son épée, et étourdi par la douleur des aciers épousant son corps. Hélas, l’avantage que les drows avaient pris ne dura pas. L’un des tentacules atteignit finalement Haeldra, qui fut projetée au sol, écorchée par les griffes et paralysée par le poison qui en suintait. L’autre Garde devint alors comme folle ; elle courut puis trancha d’un geste lourd ce qui semblait être l’anus de l’animal puis s’enfonçalittéralement dans la plaie créée et n’en sortit plus. A l’intérieur de l’immense Kroak, elle le transperçait, et bientôt Baoht put voir, en plus du sang qui s’était déversé sur le sol, des morceaux d’organes et de tripes glissés hors de l’animal. Animal qui n’apprécia pas ce traitement radical. A mesure que la Garde avançait dans son corps, il tanguait et hurlait toute sa douleur, propulsait ses tentacules sur le sol, jetait son crâne contre les colonnes alentours. Ses cris perçaient les tympans de Baoht, qui eut pour seul réflexe d’attraper la main inanimée d’Haeldra pour les emmener à l’abri avant que le Kroak ne les piétine.

Il n’était pas encore revenu dans le râtelier que la monstruosité s’écroula pour de bon. Ses jambes ne pouvaient plus tenir son corps pourtant délesté d’une grande partie de ses organes. Couché au sol, il baignait dedans, se débattit un instant, couina un dernier cri et expira. Le silence se fit, rythmé par le souffle court du mage. La pièce reprit son caractère inanimé et déjà la poussière du combat retomba. Même Haeldra, encore atteinte par le poison, semblait avoir rejoint le décor cryptique de l’antichambre de nouveau endormie. Et l’autre Fille d’Uriz ? Baoht contempla la carcasse, à l’affut du moindre signe de mouvement. Rien. Etait-elle encore en vie ? Il s’approcha du monstre avec circonspection. Aurait-elle succombée, noyée dans le sang de sa propre victime ? Il commença à découper la charogne, y plongea ses mains, tailla un chemin dans la chair morte. Bientôt, il sentit sous ses doigts le corps de la Fille d’Uriz. Il l’extirpa, l’allongea sur le sol sanglant. Sa peau sombre avait pris une teinte rougeâtre. Son visage était bloqué dans une expression terrible qui seyait à une combattante de son rang, une expression de colère et de férocité, tandis que ses dents ne voulaient pas lâcher un bout d’organe qu’elles avaient détruit. La guerrière avait dû croquer dans une réserve de poison du Kroak, se condamnant par la même occasion.

S’écartant du cadavre de la jeune elfe noire, il se dit qu’il devrait peut-être revoir son jugement sur les Filles d’Uriz. Elles avaient finalement leur utilité, et si sa stérilité magique persistait, il aurait sûrement besoin d’Haeldra. Sans plus attendre, il alla gifler celle-ci.

La Da’ron se réveilla et le tança sur ses performances contre la bête. Baoht grogna, de mauvaise humeur, et se dirigea vers la haute porte. Une fois traversée, ils arrivèrent dans la chambre du dieu, une vaste pièce emprunte du gigantisme que l’on connaît aux architectes nains. A ce spectacle, le cœur de Baoht se mit à accélérer sa course. La gorge nouée, les jambes tremblantes, un sourire aux lèvres, il avait déjà oublié tous les obstacles qu’ils avaient dû détruire pour arriver jusque là. L’aura de puissance qui se dégageait dans tous les coins des appartements du dieu était palpable tant elle était intense. Le vieux drow n’y était d’ailleurs pas indifférent.

S’approchant lentement du perron qui menait jusqu’au trône, il gravit les degrés avec appréhension et excitation. Peu à peu, il put apercevoir le visage de l’hôte du dieu. Tebirahc. Quelle drôlerie ! Comme quoi le monde était petit. Montant les marches une à une, il formulait déjà dans son esprit ce qu’il allait lui demander. Il y avait tant de questions sans réponse, tant de choses sur lesquelles Baoht s’était interrogé sans pouvoir trouver une supposition convaincante. Alors qu’il ressassait ses demandes tout en progressant vers le dieu de la Guerre, une nouvelle créature sortit du monticule rocheux sur lequel était perché le trône du roi de la montagne.

S’extirpant des rochers, des étincelles se faisant flammes s’animaient, tournoyaient, s’assemblaient pour former un lion illuminant la pièce jusqu’alors chichement éclairés par des torches et des braseros. Serpentant dans les airs, la créature, qui devait garder le dieu, tournoyait autour de Baoht, l’observant, patient. Il devait craindre pour la vie de son maître. Le vieux sorcier se garda de s’attaquer au gardien, craignant que le dieu ne le prive à nouveau de sa magie. Au lieu de s’en prendre au lion de flammes, il s’immobilisa, droit dans son armure cramoisie, et sa voix porta les paroles suivantes.

« Seigneur, êtes-vous réveillé ? »

Finalement, il n'en restait que deux... Deux êtres issues du sombre peuple, ses derniers enfants, et pas un seul représentant des nains digne de se tenir devant lui, sous son regard aveugle. Pas un seul venu relevé le défi, pour quelques raisons que ce soit n'était parvenu jusqu'à lui. Simplement ces deux drows, pouvant prétendre à mériter cet instant, cette rencontre.
L'esprit du Dieu de la Guerre vagabonde, orchestrant les ravages planifiés sur le Royaume Nain, ce qu'il en restera, tout du moins, mais il sait, il n'ignore pas qu'ils ont vaincu le dernier gardien sur leur route, il s'est amusé d'ailleurs, privant le mage de ses pouvoirs pour plus de difficultés dans l'épreuve car alors, vaincre le Kraok aurait été aisé, au lieu de cela, une nouvelle vie a succomber sur le périlleux chemin vers le trône qui porta la première gloire du Dieu.

Il n'ignore pas leur présence mais demeure lointain, son regard porté sur Almis, sur l'esprit des chefs gobelins, pantins dont ils usent à sa guise, les conduisant à une victoire assurée sur les occupants de la cité. Il est aussi au cœur du volcan, au abord de Kirgan, l'éveillant, l'agitant, car le cracheur de feu est son allié, instrument d'une destruction programmée, annoncée.
Les pas se rapprochent, les échos retentissent et se perdent dans l'immense pièce tandis qu'ils arrivent au pied des marches conduisant à ce trône immense qui surplombait autrefois sa cour, où il repose depuis tant de jours maintenant, depuis que son frère, son cher frère a tenté l'évasion, l'entrainant dans le mouvement, non sans lui déplaire finalement.

Le Haut-Prêtre qui manie si bien le Feu qu'il a créé pousse l'audace jusqu'à commencer à gravir les marches. A quoi pense t-il ? Nul n'a droit de gravir cet escalier que le Souverain de la Première Cité, se voudrait-il l'égal, le rejoignant au sommet, dans ce trône ? Non, il sait, entend, le désir qui le brûle, le dévore, la connaissance à portée, entre les mains du Dieu qu'il est venu rencontré, traversant tant de terres en ce but... Mais la chose est interdite et l'un des Esprits Gardiens, antiques défenseurs du Dieu alors qu'il était encore Roi, apparaît, appelé par son maître, barrant la route à l'audacieux.
Bien que celui-ci se soit arrêté, ça n'était pas suffisant, il avait déjà gravi des marches, quelques unes seulement, c'est vrai, mais c'était déjà trop.

L'Esprit se fit menaçant, poussant au recul le drow, allant jusqu'au contact physique pour parvenir à ses fins, jusqu'à ce qu'il ait rejoint le sol, sans qu'en aucune occasion, le Dieu n'ait semblé prêté attention à la question posée. Ce n'est qu'à ce moment là qu'il disparut, aussi soudainement qu'il était apparu.

« OUI, JE SUIS RÉVEILLÉ, BAOHT. »

Et il ne tint pas plus rigueur de ce qui aurait pu être une erreur commise par le Haut Prêtre.

« VOUS ÊTES PARVENUS JUSQU'À MOI, MES ENFANTS, JE VOUS FÉLICITE. » Il marqua un temps de pause et reprit aussitôt. « JE M'EN IRAIS BIENTÔT À NOUVEAU, MES PROJETS ARRIVENT À LEURS TERMES, MAIS PUISQUE VOUS ÊTES ARRIVÉS JUSQU'ICI, QUE DÉSIREZ-VOUS ? »