Xun dos ssinssrin ulu jivvin xuil uns'aa ? | Amon

Sujet: Xun dos ssinssrin ulu jivvin xuil uns'aa ? | Amon Dim 30 Oct 2011 - 22:54

Mémoire méditait.

Deux semaines avaient passé. Deux semaines de doutes, pendant lesquelles elle avait eu bien trop d'occasion de s'interroger sur le bien fondé de sa décision. Si récupérer Plume avait été, très vite, un objectif primordial, la Gardienne se demandait désormais si le prix à payer n'avait pas été trop élevé. Désormais, ce serait avec ses armes que la Guerre s’abattrait sur la Péninsule, avec ses armures que les agresseurs se défendraient des agressions vengeresses. Elle avait beau se dire qu'avec ou sans elle, Tebirahc aurait poursuivi ses sanglants projets, l'idée perfide qu'elle eut trahi sa race et les siens s'agrippaient à son âme et même le rire timide de sa nouvelle protégée ne parvenait pas à bannir totalement ses regrets. Maigre consolation, l'enfant s'adaptait bien à sa nouvelle vie. Âgée d'une dizaine d'année, selon les hypothèses de Mémoire, elle n'avait sans doute connu que les ténèbres du Puy ; un peu de lumière ne pouvait lui faire aucun mal, surtout que le changement brusque de climat, dangereux pour un enfant humain, n'aurait aucune influence sur ses bronches, loué soit son sang sombre.

Deux jours plus tôt, elles avaient embarqué sur La Flèche en direction de Meca. Pas que l'île des pirates lui manquât particulièrement, mais au cœur de l'Èris résidait un endroit très spécial ; un temple réservé à la Gardienne de Tyra et à ceux qu'elle jugerait digne d'amener. Elle ne doutait pas d'être la seule à connaître son existence et, à plus forte raison, l'emplacement. Recluses, Mémoire aurait tout le temps d'apprivoiser Plume.

« Plume ? »

Émergeant de son état second, la Gardienne se rendit soudainement compte qu'elle était seule. Quand elle méditait, Mémoire se repliait sur elle-même et le monde pouvait bien s'écrouler sans la déranger le moins du monde. Qu'une enfant eut pu échapper à sa vigilance n'avait, dès lors, rien de bien surprenant. Poussant un soupir entre agacement et amusement, la mère adoptive attrapa son bâton avant de se figer, le cœur en proie à une douleur désormais bien connue. L'idée, terrible, que si le destin ne s'était pas jouée une nouvelle fois d'elle, elle n'aurait pas dû partir à la recherche d'une sang-mêlé drow mais de sa propre fille. Très certainement, elle aurait demandé à Aerandir de l'accompagner. Mais cette vie là n'était plus la sienne, Katalina Noblegriffon n'était plus. Il lui fallait désormais être Mémoire et aller de l'avant. Mais sans oublier, jamais.

S'extirpant d'une cabine qu'elle avait pris bien soin d'investir dès le départ du navire, elle se lança à la recherche de Plume. Fort heureusement, l'enfant était la fille d'une Gardienne de Tyra et d'un Gardien de Mogar et portait en elle les graines d'un pouvoir atypique, facilement reconnaissable. S'aidant de son bâton pour éviter les embûches bassement matérielles, elle se mit en quête de sa protégée. Il ne lui fallut que quelques minutes pour retrouver sa trace, et une poignée d'autres pour la rejoindre. Plume s'était arrêtée face à un marin, le regard pétillant de curiosité devant cette créature encore méconnue. Malheureusement, malgré son jeune âge – on ne lui donnait pas plus de cinq ans – ses iris rougeoyants n'attendriraient personne, pas plus que sa peau grisâtre et ses oreilles effilées.

« J'espère qu'elle n'a pas eu le temps de vous importuner. »

La voix était calme ; la phrase, anodine d'apparence, cachait cependant un avertissement. Il n'était pas seul et ne pouvait donc pas faire ce qu'il voulait de sa trouvaille, aussi repoussante pouvait-il la trouver. Bien entendu, il pouvait faire l'erreur de la sous-estimer, de ne voir en elle qu'une pauvre folle aveugle.

Il pouvait.

Répétant un geste devenu automatique chez lui, Amon écrasait machinalement un mélange d'herbes de son cru entre ses mains tandis que ses yeux se perdaient entre l'horizon et les cieux infinis s'étendant devant lui...Bien que sa situation sur le navire ne fut pas forcément celle qu'il avait espéré, il devait bien avouer que la vision de cette immensité ainsi que le sentiment d'être perdu au milieu de celle-ci lui avaient bien manqué durant son long séjour sur la terre ferme. Décidément, le pirate songeait que son coeur n'appartenait au final qu'à une seule et unique femme aussi cruelle qu'ingrate...Mais il ne s'en plaignait pas vraiment en fin de compte...De plus, tout en bourrant son mélange à l'intérieur de sa sacro sainte pipe, notre homme pensa qu'il devait sans doute s'estimer heureux d'avoir été affecté à la vigie par son nouvel employeur, surtout vu les circonstances alcoolisées dans lesquelles il avait quelques jours plus tôt accepté le travail...Au moins, il n'écopait pas des travaux les plus difficiles, habitué qu'il était à évoluer dans les hauteurs. De plus il jouissait d'un quart de pause assez conséquent, qu'il employait à consommer ses vices, comme dans le cas présent.

"...Aller, viens donc voir ton paternel petit coquine."

Sur ces bons mots, il porta son instrument de rêve à sa bouche tout en se protégeant du vent derrière le bastingage contre lequel il était assis pour allumer la pipe susnommée. De laquelle il retira bien vite quelques bouffées de fumée grise et épaisse que le vent emporta aussitôt...Se confortant sur sa position, et prenant ses aises, notre larron laissa alors son esprit vagabonder au gré des ballotements du navire. Amon devait bien se l'avouer, malgré les rudes conditions de navigation -auxquelles il était de toutes façons habitué-, il n'y avait que sur un navire qu'il se sentait réellement en mesure de profiter pleinement de ses "bouffées psychédéliques". Le coeur à l'ouvrage, Alocer se mit alors à fredonner doucement une vieille chanson du Nord où il était question d'une bouteille de gnôle sans fond et de son propriétaire reflétant le cliché du parfait pirate: barbu, borgne, unijambiste et dôté d'un caractère des plus tempêteux.

Il stoppa toutefois sa tirade marine un beau milieu d'un "yoho!" bien sentit en remarquant ce qui ressemblait à une gamine plantée devant lui...Laquelle devait le fixer depuis un bon moment déjà, la toisant d'un haussement de sourcils, Amon remarqua bien vite sa peau grisâtre, ses oreilles effilées ainsi que son regard rougeoyant pour en venir à la conclusion la plus logique, pas encore défoncé mais en bonne voie pour l'être: il se trouvait assis en face d'une gamine drow. Peu commun comme rencontre sur un navire...Dans un élan de décence (trait de caractère latent chez lui, et qu'il se découvrit pour le coup), notre homme écrasa les herbes restantes dans sa pipe avant de la fourrer dans sa besace sans plus de cérémonie. D'humeur soudainement joyeuse, il se leva, fichant un sourire sur son visage en s'approchant de la gamine...Bien que sa nature puisse en révulser certains, Alocer s'avança vers elle d'un pas leste et déposa sa main droite sur sa tête tout en continuant de sourire avant de lâcher d'un ton enjoué:

"Alors comme ça on observe oncle Amon pendant qu'il est perdu dans les nuages hein? Tu t'appelles comment fillette?"

Si l'on devait bien reconnaitre une qualité au pirate, parmi ses moult vices et défauts, c'était son esprit dépourvu de tout a priori au point de parler amicalement à la représentante d'une espèce crainte chez la plupart de ses pairs...Cependant, l'enfant n'eut guère le temps de répondre qu'une femme l'interpella...Retirant immédiatement mais pas précipitamment sa main de la tête de la gamine, Alocer se tourna derechef vers la nouvelle arrivante et fut de suite frappé par sa cécité...Vu la ton employé par sa nouvelle interlocutrice, notre ami ne mit pas longtemps à comprendre qu'elle devait être liée d'une quelconque manière à sa "nouvelle amie"...Une sorte de tutrice peut-être...Enfin, il avait là une bien étrange compagnie pour un navire de transit, ce qui attisa sa curiosité naturelle:

"Eh bien, deux demoiselles rien que pour moi! C'est bien la première fois que je prend la mer en si charmante compagnie...Comment pourrais-je être importuné par ceci!"

Lançant un clin d'oeil complice à la gamine tout en prononçant sa réplique, notre larron poursuivit en esquissant une révérence malgré la cécité de son interlocutrice, politesse envers la gente féminine oblige:

"Mais faisons les présentation voulez-vous bien! Amon Alocer, embarqué sur ce rafiot à cause d'une fréquentation trop assidue de la taverne des docks, mais vous pouvez m'appeler Amon...Au diable le foutu protocole sur un navire..."

Sans se dépaître de son sourire enjoué, un brin d'amusement dans la voix il ajouta:

"Puis-je demander ce que font deux charmantes donzelles sur une embarcation remplie de muffles?"

Sans comprendre les paroles de son nouveau compagnon de jeu, la jeune Plume rentra légèrement la tête dans les épaules quand ce dernier lui ébouriffa les cheveux. Sans se dégager, elle leva les yeux et prit le temps de le détailler de la tête au pied, avec cette insistance que seuls les enfants en bas âge pouvait avoir. Finalement, avec timidité, elle se permit un sourire.

« Xun dos ssinssrin ulu jivvin xuil uns'aa ? »

Étant une enfant du Puy, Plume ne parlait que la langue des sombres. Et si sa voix roulait les syllabes improbables de ce dialecte oriental, elle était bien incapable de singer le parler des hommes. Levant les mains pour se saisir de celle du marin, toujours perchée sur sa tête, elle se figea en entendant la voix de Mémoire. Sans oser se retourner, elle regarda fixement les genoux devant elle, regrettant presque l'instant où les doigts étrangers quittèrent sa chevelure. Sans trop savoir pourquoi, la dame aveugle l'effrayait légèrement. Elle était gentille, parlait toujours avec une voix douce et ne l'avait, pour l'heure, jamais frappé. Pourtant, il se dégageait d'elle une impression étrange. Familière. Et c'était peut-être ce dernier détail qui la troublait le plus. Mémoire n'était pas indifférente à l'effet qu'elle faisait à sa nouvelle protégée, mais avait pris le parti de ne pas s'en soucier avant d'avoir rejoint Meca. Quand elles auraient rejoint le temple, la Gardienne aurait tout le temps de l'apprivoiser et de lui apprendre la langue des Hommes. Quant à savoir ce qu'elle lui avouerait, rien n'était encore décidé.

Restant pour l'heure en retrait, comme spectatrice de la scène, Mémoire esquissa un sourire satisfait quand ses oreilles captèrent de froissement d'étoffe caractéristique. Elle était prête à parier que le dénommé Amon venait d'esquisser une révérence. Être aveugle n'empêchait pas d'avoir un minimum de jugeote et de sens de déduction. Quand il lui demanda ce qu'elles faisaient sur le navire, la Gardienne sourit et éluda la question en les présentant.

« Mon nom est Mémoire. Quant à cette petite, ses parents l'ont prénommé Plume. Comme vous vous en êtes sans doute rendu compte, elle ne parle pas notre langue. »

Se disant, elle franchit la distance qui la séparait de la principale concernée, s'agenouillant sans plus de cérémonie pour se mettre à sa hauteur et caressa doucement sa joue. L'enfant sembla hésiter, mais se détendit légèrement et se blottit même contre la jeune femme. Esquissant un léger sourire attendri, elle se releva en la gardant contre elle, s'étonnant une nouvelle fois de sa légèreté. Lui embrassant doucement les tempes, elle entreprit de la bercer. Malgré la forte prédominance de son sang drow, Plume grandissait relativement rapidement, ce qui lui permettait de passer pour une enfant d'un peu moins de cinq ans ; une autre, avec dix ans de vie, aurait pu paraître deux fois moins.

« Et pour répondre à votre question, nous rentrons chez nous.
- Uk zhah ssinjin, » murmura Plume à l'oreille de sa protectrice, sur le ton de la confidence.

Malgré elle, Mémoire ne put retenir un sourire. Pas pour se moquer de la petite, non. C'était, au contraire, sa propre impuissance à la comprendre qu'elle raillait. Elle hocha pourtant la tête, faisant mine d'avoir compris pour la contenter, et tourna son regard aveugle vers le pirate, comme pour le jauger. Malgré son évidente cécité – ses prunelles, légèrement laiteuses, ne mentaient pas – ses yeux se plantèrent dans ceux d'Amon sans la moindre hésitation. Johann, en particulier, détestait quand elle faisait cela. La pauvre cavalière avait toujours eu l'impression d'être la victime d'une quelconque farce. Comme si son interlocutrice n'était pas vraiment aveugle, malgré toutes les preuves qu'elle avait sous le nez.

« Meca est une île pleine de surprises, vous n'êtes sans doute pas sans le savoir. »

L'île des pirates, perdue au creux de l'Èris. Ses habitants se souvenaient sans doute de son dernier passage, un an plus tôt, durant lequel elle s'était dévoilée comme étant l'incarnation de l'océan, rien que ça. L'invocation du Wagyl, figure mythologique très liée à l'Avatar de Tyra que vénéraient les habitants de l'île, avait en effet fait sensation. Mémoire se demandait si elle pourrait débarquer sans souci. Elle avait du mal à prévoir la réaction de ceux qui la reconnaîtraient.

« Louez-vous les Cinq, Amon ? demanda-t-elle finalement. Ou bien ne sont-ils, pour vous, que des figures sans importance, des idoles sans pouvoir ? »

"Ha! Et je ne comprend pas un foutu mot de son fichu dialecte!"

S'il ne s'était pas attendri devant le langage de l'enfant et son effusion avec celle qui se trouva définitivement être en charge d'elle, Amon réprima un pas en arrière lorsque la dénommée Mémoire planta ses yeux directement dans les siens sans prévenir l'intéressé...Lequel fut partagé entre l'intérêt soudain que l'étrange femme semblait lui porter sur le moment et le sentiment que son regard le mettait à nu, disséquant les moindres traits du pirate et lui faisant perdre tout ses moyens. Un comble pour un être tel qu'Alocer, qui savait bien cacher son jeu pour mieux surprendre ses interlocuteurs, chose qui ne marcherait définitivement pas avec l'aveugle se tenant en face de lui d'après l'impression qu'en avait notre cher ami.

Se recomposant à la mention de Meca, notre ami se rappela y avoir séjourné un temps non négligeable à plusieurs reprises lors de ses pérénigrations passées...Le port en lui-même ayant laissé un bon souvenir de ripaille dans l'esprit du pirate, celui-ci se dit qu'au final sa destination était on ne peut plus opportune. Tout en laissant son corps choir le long du bastingage pour s'asseoir en même temps qu'il croisait les bras, Amon détailla plus en avant les traits de son interlocutrice tandis qu'elle s'adressait à nouveau à lui: Une beauté simple, plus marquée par le grand air que par une vie confinée, encadrée d'un hâle mystique que notre larron ne sut expliquer. Etait-il du simplement à sa cécité, ou bien d'autres éléments obscurs échappant au pirate entraient-ils en scène pour donner cette impression à l'interlocuteur de la dame? Sans cette once de bizarrerie, Alocer l'aurait sans doute immédiatement courtisée, sa nature charmeuse l'y obligeant...Au final, son sentiment premier vis à vis d'elle se trouvait partagé entre la curiosité et un certain malaise issu des éléments susnommés. Ce qui n'était pas le cas concernant gamine l'accompagnant, que le brigand trouvait plus attendrissante qu'autre chose malgré ses traits contraires aux canons de beauté humains et le fait qu'il ne comprenait un traître mot de ses dictions.

"Hmmm..."

Face à la question de Mémoire, Amon porta machinalement la main sur son bouc mal rasé, le tripotant négligemment tout en levant les yeux au ciel d'une manière faussement pensive...Avant d'esquisser un sourire. Le sujet religieux n'était guère tabou chez lui, mais il ne trouvait que peu de choses à dire dessus: non pas qu'il fut mal à l'aise avec les questions de spiritualité, la problématique résidait plutôt dans le fait qu'Alocer ne réfléchissait jamais vraiment à ce genre de considérations. Le pirate préférant une approche disons, plus superficielle de la vie...Bien qu'il ait des moments propices à l'ésotérisme et aux autres joyeusetés du genre...

Bref, devant la surprenante interrogation de la femme, notre fripouille favorite composa la réponse qu'il jugea la plus proche de sa pensée réelle:

"Bonne question ma demoiselle...A vrai dire, les gens de mon espèce ne s'interrogent pas beaucoup sur la question..."

Il marqua un temps d'arrêt avant de reprendre:

"Mais pour vous répondre, je dirais que je n'remet pas en cause l'existence de ces chères divinités ni leur pouvoir, ayant déjà vu un certain nombre de choses étranges au cours de ma vie...Cependant, je ne les adule pas..."

Un sourire carnassier s'afficha sur le visage du pirate, alors que son ton se fit plus rieur.

"Lorsque je me fourre dans la mouise, je préfère m'en remettre à moi-même et non pas à une quelconque entité supérieure comme le font les autres illuminés en soutane. Et ce même si je respecte leur foi, à défaut de ne pas me gausser de leurs moyens de l'exprimer..."

Par sa dernière réplique, Amon mettait en relief une des rares choses pour lesquelles il éprouvait un réel mépris en dehors de certains travers de la noblesse: Tous les types de clergé et leur façon de remettre aveuglément leur destin entre les mains d'un être supérieur...Jetant aux ordures leur liberté de penser et d'agir à leur guise pour se conforter dans l'idée d'un salut après l'inéluctable fin, ou pour tout autre poursuite d'un but soi disant supérieur. Ce que le forban rejetait de tout son être, attaché qu'il était au fait de vivre sa vie comme il l'entendait sans suivre un dogme quelconque. Aussi, il considérait les être supérieurs avec plus d'amusement que de crainte pour l'heure, quitte à devoir leur faire des courbettes un jour pour préserver sa propre existence...

Ayant encore quelques instants avant la fin de son quart, le natif de Diantra décida alors de retourner la question à son interlocutrice, sur le même ton malicieux qu'il avait terminé sa tirade tout en plantant ses iris pétillants au travers des yeux vides de la dame, comme pour lui retourner son "regard pénétrant":

"Et vous ma douce? Rendez vous grâce à l'une de ces divinités? Les méprisez vous? Ou bien êtes vous l'un de leurs légendaires avatars pour me poser de telles questions?"

Mémoire aimait parler des Cinq aux étrangers qu'elle croisait. Pas qu'elle se sentait investi d'un quelconque rôle prophétique ; si à jamais elle essaierait, par de petits gestes, de favoriser la foi envers Tyra, elle n'avait pour l'heure aucune velléité d'évangélisation massive. Il était juste amusant de confronter les idées de ces connaissances éphémères à ses anciennes croyances, de les comparer à ce qu'elle savait désormais, du fait de sa nouvelle composition. Pour les plus humbles, ceux pour qui la vie était souvent difficile et précaire, la foi était intacte. Mais dès le quotidien s'allégeait, les Cinq devenaient une figure moins présente. Personne, cependant, ne doutait plus de leur existence ; le Voile s'en était assuré. Amon était de l'espèce pragmatique. Devant les conséquences de l'ellipse et des foules de détails qui avaient précédé, il ne pouvait nier l'évidence. Oui, les Cinq existaient, ils n'étaient pas des icones sans substances brandies par certains pour s'arroger influence et pouvoirs. Mais non, il n'était pas nécessaire de prier pour leur clémence à la première épreuve pour vivre. Mémoire aimait cette philosophie, à laquelle elle aurait aimé pouvoir adhérer. Malheureusement, sa vie était désormais bien trop mêlée au divin pour se le permettre. L'heure n'était plus au mensonge.

« Des illuminés en soutane ? » releva-t-elle avec un sourire amusé. « Les pauvres choisissent rarement l'habit traditionnel, savez-vous ? »

S'agitant soudainement dans ses bras, Plume manifesta son envie de retrouver la terre ferme ou, dans le contexte particulier d'un navire en pleine mer, le bois du pont. Se penchant, la Gardienne libéra sa protégée qui fila rejoindre Amon, singeant sa façon de s'adosser au bastingage. Incapable de le savoir, Mémoire se concentrer sur l'aura de l'enfant, faible encore mais plus que suffisante. La situation était assez indédite ; jusqu'alors, Plume était restée éloignée des autres. La présence d'Amon semblait l'apaiser, comme si le caractère simple et facile du forban lui plaisait.

« Je crois qu'elle vous aime bien, » remarqua-t-elle. « Si je n'y prends pas garde, elle va vouloir rester avec vous. »

Elle ne plaisantait pas totalement, d'ailleurs. Plume n'avait pas fait montre d'une affection particulière pour la Gardienne. Elle l'acceptait, certes, mais pas de la même façon qu'elle acceptait Amon.

Mémoire esquissa ensuite un sourire aux questions du marin. Qu'on lui retournât la question n'avait rien de surprenant, qu'on s'interrogeât sur son potentiel statut d'avatar était une belle ironie du sort. S'il avait su, ce fringuant gaillard, qu'il touchait du doigt la vérité ! Mais Mémoire ne pensait pas qu'il pût être sérieux.

« Votre douce, hum ? » demanda-t-elle, effaçant à dessein toute trace de la malice dont elle pouvait faire preuve. « Prenez garde, Amon. Si vraiment j'étais un tel Avatar, je ne suis pas certaine d'apprécier pareille familiarité. »

Marquant une pause de circonstance, elle prit le temps de réfléchir sérieusement à une réponse honnête, mais qui n'en disait pas trop tout de même. Mémoire ne désirait pas mentir, ne désirait pas s'inventer une vie qui n'était pas la sienne et la servir dès lors qu'on l'interrogeait. Katalina avait été une actrice, mais Katalina n'était plus.

« Je crois que les Cinq ne sont à craindre qu'à partir du moment où ils posent le regard sur votre existence ; ce qui, pour le bien des mortels, n'arrivent pratiquement jamais. Ils ont mon respect et ma foi, mais ils ont ma méfiance aussi. On ne connaît jamais vraiment les intentions d'un Dieu. »

"Hé bien, moi qui croyais qu'on ne s'engageait dans les ordres que pour le prestige de la tenue...Quel inculte je fais!"

Joignant un sourire entendu à celui de son interlocutrice, Amon releva son bras droit pour l'appuyer le long de la rambarde du navire en voyant que la petite protégée de l'aveugle venait de fausser compagnie à celle-ci pour le rejoindre...C'était bien la première fois que le pirate pouvait dire qu'il avait la côte auprès des enfants, lesquels étaient la plupart du temps apeurés par le tatouage qu'il arborait sur une partie de son visage étant donné qu'un tel atours ne faisait pas vraiment partie des canons de beauté dans les sociétés humaines de la péninsule. Aussi, c'est en élargissant son sourire qu'il accueillit l'enfant venant s'asseoir à ses côtés...Si Alocer semblait trouver les manières de sa "nouvelle amie" attachantes, il enviait surtout l'apparente innocence encore présente en elle, chose dont il dut pour sa part très vite se dépaître au vu du milieu dans lequel il avait grandit. Le regard du pirate se fit alors plus distant tandis qu'il se remémorait brièvement quelques instants de sa propre enfance tout en venant enfouir à nouveau négligemment sa main dans les cheveux de Plume: Pour un bilan bien peu reluisant de ce que fut sa jeunesse. Enfin, l'avenir de la petite ne le regarderait sans doute en rien par la suite, mais notre homme lui souhaita tout de même de passer des jours paisibles...Ce dont il douta tout de même, au vu de l'étrange mais d'autant plus intéressante personne l'ayant en charge...A laquelle il rétorqua ces quelques mots d'un ton enjoué lorsqu'elle lui fit part de l'attachement soudain de la gamine à sa personne:

"Que voulez-vous, c'est mon charme naturel qui fait effet...Votre petite donzelle à déjà des goûts exquis!"

Suite à sa plaisanterie, le pirate se saisit de Plume pour la déposer sur ses genoux tandis que Mémoire répondait à la question du hors-la-loi. A mesure qu'il écoutait parler l'étrange femme, notre larron s'échina à détacher l'une des multiples breloques qu'il portait presque religieusement et systématiquement autour du cou, rappels sans valeur de ses précédents voyages...Enfin, lorsqu'il eut finit de détacher le bijou, un triangle de métal sombre à la base duquel étaient emboités de petits morceaux de coquillage maintenus en place par une lanière de cuir sombre, Amon le passa autour du cou de celle qui louait ses jambes pour la fin de son quart de pause. Avant de gratifier celle-ci d'un clin d'oeil complice et d'une brève petite tape sur le nez à l'aide de son majeur...Le cadeau qu'Alocer venait de faire n'avait bien sur aucune valeur à proprement parler, si ce n'est celle du geste qu'il venait de faire. Laissant la gamine considérer si oui ou non ce présent vaudrait des égards au pirate, celui-ci se réintéressa aux propos de l'autre demoiselle auxquels il répondit sur un ton affable puisque l'intéressée semblait avoir un tant soit peu le sens de l'humour:

"Si vous étiez un tel avatar, je serais sans doute déjà mort foudroyé après moult supplices pour avoir proféré un tel affront linguistique en effet!"

Puis il ajouta, en reprenant son habituel air rieur après avoir entendu le point de vue de la dame sur les Cinqs:

"En tout cas, la prochaine fois que vous priez, vous n'aurez qu'à demander à vos amis si haut placés de travailler leur humour...Vous sauveriez quelques pauvres bouffons comme moi si ils venaient à croiser la route de leurs représentants!"

C'était un fait, Amon respectait la foi des autres, mais il ne pouvait s'empêcher de blaguer sur le sujet...Comme l'avait évoqué sa comparse aveugle, le saint oeil ne risquait pas de se poser sur lui -pauvre mortel perdu dans la foule- de sitôt, alors il pouvait bien s'affairer à débattre sur le sens de l'humour du panthéon en vigueur ou jurer sur la culotte de Tyra pendant un long moment encore. Et même si il en venait à se trouver face à toute une clique de religieux outrés, voire même de leurs déités, le pirate ne ravalerait sans doute pour rien au monde sa langue bardée d'ironie et d'autres tons discutables. Pour finalement ponctuer les dires de son interlocutrice, Alocer ajouta, amusé bien que pensant réellement ce qui allait sortir de sa bouche cette fois-ci:

"A quoi bon chercher à comprendre ce qui nous dépasse? L'inconnu, l'aventure, l'imprévisibilité, c'est ce qui est amusant ma douce...Que ce soit dût à la causalité, au sort, à un tiers ou à un mégalomane doté de pouvoirs divins c'est du pareil au même!"

Alors qu'il concluait ses propos, Amon entendit une sonnerie de cor retentir, signifiant que son quart de pause était désormais terminé.Le pirate devait donc reprendre son poste en vigie sans plus attendre, sans quoi le capitaine de l'embarcation -un homme définitivement désagréable selon notre ami- allait le gratifier d'une gueulante digne de la tempête du siècle à la différence près que l'on remplacerait les vents violents et les éclairs par une tornade de postillons...Soulevant Plume pour la reposer sur le plancher humide du navire après s'être relevé, le forban fit signe à la gamine de rejoindre sa "tutrice" avec insistance avant de se hisser lestement dans les cordages au dessus de lui. Suspendu par un bras, il mima un salut mondain de l'autre afin de prendre congé:

"Mes chères vous m'en excuserez mais je dois vous fausser compagnie, le devoir m'appelant, je vous remercie pour cette pieuse et adorable discussion! N'hésitez donc pas à me rendre visite là haut si le coeur vous en dit!"

Sur ces espiègles paroles -le marin douta qu'on le rejoigne à son poste de surveillance-, notre comparse se hissa plus en hauteur, évoluant habilement entre les cordages pour finalement échoir sur la dalle de bois surélevée et inconfortable faisant officie de vigie sur cette embarcation...Après avoir congédié d'un geste de la main son prédécesseur, Alocer entrepris de raviver sa pipe encore à demi pleine, sans succès cependant, ne disposant d'aucun abris face au vent à cet endroit...Etouffant un juron pour ne pas avoir put satisfaire son petit plaisir malsain, notre ami se réconforta en pensant qu'au moins il avait profité d'un présence féminine plaisante en mer, fait assez rare pour être signalé. Et puis, cette gamine l'avait pour ainsi dire fait fondre, à tel point qu'il lui avait offert l'un de ses "trésors"...Enfin, se perdant peu à peu dans ses pensées le boucanier s'affaira à observer l'horizon, lequel étant définitivement bien trop calme si l'on omettait la triste couleur du ciel et les nuages chargés au loin, promettant un temps moins clément concernant la fin de la traversée...

Les yeux de Mémoire se parèrent d'ombre l'espace de quelques instants, alors qu'Amon plaisantait sur ce qu'elle aurait pu faire si, détentrice de pouvoirs divins et outrée par son comportement, elle avait décidé de le châtier. Elle eut envie de lui répondre que, parfois, les retombées des décisions de ceux qui avaient le pouvoir d'influencer les événements concernaient plutôt ceux qui n'avaient rien demandé et qui n'étaient pour rien dans leur malheur. Un jour, elle le savait, elle se lancerait sur ce sanglant sillon que la récupération de Plume avait creusé. Par respect pour ceux qui avaient péri grâce aux armes qu'elle avait livré à Tebirahc. Parce qu'elle leur devait de les connaître, et parce qu'elle se devait de connaître les intentions de ce drow arrogant et cruel, qui en digne Fils de son Père, semait la guerre comme certains semaient le blé. C'était là son fardeau, sa culpabilité. Mais à l'inverse des épreuves qu'elle avait dû traverser ces dernières années, celle là était de son fait. Très vite, pourtant, la bonne humeur de son interlocuteur chassa ces fantômes sans visage. Elle était vivante, et la petite Plume aussi ; là étaient les deux vérités qui devaient la préoccuper, les deux seules. Elle chassa d'un revers de la main sa futile demande.

« Un bouffon possède un avantage non négligeable, Amon : il apporte le rire. » Elle livra ensuite son propre ressenti, biaisé par son expérience. Mais au fond, Miradelphia toute entière n'était-elle pas dans son cas ? Elle avait été un vecteur, certes, mais tous avaient pu voir leurs terres devenir réceptrices, et c'était déjà beaucoup trop pour beaucoup. « Vous avez sans doute raison », concéda-t-elle alors qu'il parlait des bienfaits de l'inconnu et du hasard. « J'ai pour ma part toujours aimé contrôler les événements... On ne se refait pas. »

Les obligations se rappelant au bon souvenir du pirate sous la forme d'un cor impérieux, Amon dut prendre congé. D'un léger hochement de tête, Mémoire lui souhaita bonne chance, avant de poser une main sur l'épaule de Plume pour mieux l'attirer à sa suite.

*

Le reste de la journée fut utilisé à bon escient. Une fois de retour dans leur chambre, Mémoire fit s'asseoir la petite Plume et, se posant en face d'elle, entreprit de lui apprendre les rudiments de la langue des Hommes. La tâche se révéla aussi ardue que la Gardienne le craignait, mais elle prit son mal en patience. Commençant par quelque chose de simple, elle entreprit de lui faire répéter son prénom, au sonorité très éloignée des roulements de langue orientaux. Aussi, la première tentative approcha-t-elle un xexar maladroit. S'amusant des échecs de sa protégée, Mémoire se résolut à jouer le jeu elle aussi, afin de rendre la séance plus agréable. Plume pointait un objet du doigt, donnait son nom, sa tutrice devait répéter et quand sa prestation plaisait au professeur improvisée, Mémoire pouvait donner l'équivalent en langue humaine. Au final, la Gardienne touchait du doigt l'opportunité d'apprendre une nouvelle langue, ce qui n'était absolument pas négligeable dans sa situation. Elle avait toujours cru que les Élus des Dieux n'avaient pas à apprendre, que tout leur était inné. Elle avait eu tort et n'aurait-elle pas parlé l'elfique que récupérer Plume aurait été beaucoup plus difficile. Elle devait se préparer, à être l'Oracle de tous les Peuples, la Parole de Tyra auprès de tous, pas seulement des siens. À sa très grande surprise, la langue des sombres n'était de plus pas barbare, ce qui rendait l'apprentissage d'autant plus agréable. Parfois, elle avait l'étrange impression de parler du velours.

Et puis, alors que le soleil semblait sur le point de se coucher, elle sut. Plume peinait sur le mot « coffre », bien trop éloigné de ce qu'elle connaissait. Mémoire allait pour la corriger une nouvelle fois, accentuer la mimique des lèvres pour lui donner des pistes - alors qu'elle même ne devait se fier qu'à son oreille, ce qui rajoutait une difficulté supplémentaire - mais aucun son ne filtra. Quittant sa position en tailleur, elle se leva avec lenteur, sous le regard intrigué de son élève. Comme ailleurs, la Gardienne se dirigea vers la porte, qu'elle ouvrit sans même y penser. « Vel'klar ph'dos aluin ? » lui demanda-t-elle, ne comprenant pas son attitude. Sans chercher à deviner ce qui se cachait derrière ces mots - où vas-tu ? - elle s'engouffra dans l'escalier qui menait au pont. L'heure était à la détente, à l'air libre. Le soleil allait bientôt se couchait et le dîner approchait. Amon avait peut-être quitté son perchoir, ou peut-être pas ; Mémoire s'en moquait, mais pas Plume qui cherchait déjà du regard si son compagnon de jeu pouvait lui expliquer ce qui se passait. Elle était bien la seule à se soucier de l'étrange attitude de sa tutrice. Alors qu'elle se dirigeait vers la proue, certains la suivaient des yeux quelques instants, d'autres l'ignoraient complètement.

S'arrêtant, devant le bastingage et face à une mer calme et indifférente, elle inspira avec lenteur, avant de commencer à chanter. Il lui avait appris les paroles, tout comme il lui avait appris leur signification ; il ne lui apprendrait plus rien. Aussi, avec lenteur, entonnait-elle ce chant d'adieu d'elfique. Une à une, les têtes se levèrent. Un mélange de surprise, d'amusement, de mépris et d'incrédulité s'empara de l'assistance, saisie néanmoins par le côté surréaliste de la scène. Mémoire s'exprimait dans un elfique presque parfait, avec une fort jolie voix. Et l'émotion demeurait intacte, malgré la barrière de la langue. Elle pleurait un mort, et pas n'importe lequel. Elle le pleurait, ainsi que la vie qu'il lui avait donné et la vie qu'ils avaient enfanté. Tout était fini, désormais, sans espoir de retour en arrière. Sans cesser de chanter, elle leva les bras, et de chaque côté du navire, la mer se souleva. Ramenant ses mains devant elle, dans un mouvement fluide et gracieux, elle commanda à l'océan de se ruer sur la figure de proue, qui disparut sous l'assaut. Le bois gémit légèrement sous l'assaut mais rien ne vint indiquer qu'il avait été endommagé. Serrant les poings, Mémoire imprima une dernière volonté à l'élément soumis, qui se tordit en une statue représentant parfaitement l'Aerandir dont elle se souvenait, avant de geler.

Un dernier hommage, aussi ridicule pouvait-il paraître. Se retournant, elle fixa loin devant elle. « Éris m'a parlé. Dans le creux de mon oreille, elle a soufflé sa volonté. Désormais, vous serez les gardiens de ce qui fut, car tel est son bon vouloir. N'oubliez jamais le visage de cet homme, car il fut aimé d'Éris, et tant que son souvenir perdura, la glace tiendra. Puissiez-vous ne jamais la voir fondre. »

"Foutre! Corbac' tu triches pour avoir des mains comme ça! Et vires moi ta garce de pompe à fumée!"

Amon -affublé pour le coup d'un nom d'oiseau de malheur par son interlocuteur- venait d'abattre ses cartes, un sourire aux lèvres, devant ses compagnons de jeu de plus en plus tatillons devant les victoires insolentes du forban...Lequel avait finit son tour de vigie depuis quelques minutes et profitait du coucher de soleil ainsi que de quelques divertissements avec ses "camarades d'infortune" tout en fumant allègrement sa sacro sainte pipe.

"Ha! Comment voudrais-tu que j'triches Dig! A moins d'être un foutu magicien, j'ai les manches relevées!"

En effet, Amon trichait...Mais pas de la manière académique que l'on inculquait très tôt parmi la racaille marine, qui consistait à enfiler un jeu d'appoint dans ses vêtements. Ainsi, ses camarades à qui la matière grise semblait faire défaut ne se doutaient point que le bougre se contentait de compter les cartes qu'il avait au préalable marquées afin de se retirer du jeu hasardeux auquel ils jouaient lorsque les augures ne lui étaient pas favorables...Tromper les pauvres bougres de cette manière fut pour le pirate au moins aussi jouissif que l'idée d'aller dépenser les piécettes qu'il venait d'acquérir dans le premier bordel venu une fois débarqué à Meca. Enfin, après quelques tours de plus où le dénommé Dig termina de perdre la totalité de sa solde et s'arracha quelques cheveux au vol, les briscards se virent contraints de stopper leurs ébats devant le début du spectacle qui se déroulait devant leurs yeux...A savoir, un balai aquatique du goût le plus douteux qu'une fière démonstration de sculpture sur glace vint clore en beauté. L'auteur de ces frasque étant sans surprise la demoiselle de tantôt, Alocer se félicita de sa décision de ne point courtiser la dame en question, la perspective de ses attributs prisonniers dans la glace rendant l'idée encore plus déplaisante au ruffian...Grommelant pour lui-même, ce dernier mit ses yeux en quête de Plume, par réflexe puisque la gamine n'apparaissait pas aux côtés de sa tutrice:

"J'aimerais bien passer une semaine sans sorcellerie, pédéraste qui veut m'éventrer ou mal ancien un d'ces jours..."

Abandonnant ses cartes durant la manifestation, Amon se mit à recherche son amie aux yeux rougeoyants dans le tas de marins s'activant sur le pont...Lesquels avaient des réactions variés, entre le vieux loup de mer restant stoïque, le superstitieux qui priait tout un tas de trucs plus stupides les uns que les autres, celui qui se faisait dessus et l'hystérique courant dans tous les sens sur le pont pour donner quelques échantillons. Le flibustier finit donc par trouver la gamine au milieu de ce chaos de marins qui essayaient de mettre le plus de distance possible par rapport à Mémoire. Ayant l'air d'un chiot perdu, la fillette finit par apercevoir Amon venant à sa rencontre pour l'attirer fermement vers lui dès qu'il l'eut approché...Se rendant compte de sa brusquerie, notre ami bredouilla un mot d'excuse avant de se rappeler que sa comparse ne pipait mot de son dialecte en roulant les yeux au ciel.

Tenant la main de la fillette, Alocer considéra le speech soudain de celle qu'il avait rencontré plus tôt dans la journée avec l'un de ses éternels rictus désabusés...Lesquels constituaient la réponse lambda du pirate face à quelque chose le dépassant ou de mauvais augure pour sa personne...Tirant une fois sur sa pipe toujours en bouche depuis sa partie de carte, le pirate jeta un oeil par dessus son épaule: l'équipage, quelque peu apaisé mais inquiet, s'était instinctivement reculé dans la direction opposée à ceux qu'il devaient désormais considérer comme une sorcière des mers...C'est donc contre toute attente que notre homme s'avança vers la dame, grattant machinalement l'arrière de son crâne à l'aide de sa main libre:

"Jolie chanson...Elle m'a presque fait quelque chose dans ce coin ci..."

Alocer pointa l'emplacement de son coeur à l'aide de son index. Avant de définitivement basculer son ton rieur d'usage:

"Quand vous m'aviez dit aimer contrôler les évènements, je ne songeait pas que même la mer vous obéissait au doigt et à l'oeil...Ma foi, j'imagine que c'est bien pratique..."

Amon n'était pas un imbécile ou un chevalier sans reproche (bien que les termes soient synonymes pour lui): comme tous les autres personnes présentes sur ce navire, excepté peut-être Plume, il avait peur de ce que son interlocutrice pouvait faire...Cependant, cela n'empêcherait pas ses railleries et sa légèreté d'envahir l'air marin. Elles faisaient même office de réaction naturelle du forban à ce genre de situation étrange, effrayante ou sortant de son petit ordinaire...L'homme possédait un don pour briser la lourdeur d'un atmosphère...Ceci combiné au fait qu'il n'ait que peu de regrets engendrant donc sa capacité à s'adresser sans crainte apparente, sans manifestation d'étonnement et sans broncher aux êtres capables de le désintégrer en levant le petit doigt. Ajouté bien sur à cela qu'en une vie de péripéties et quelques années de voyages en mer, notre ami en avait vu d'autres qu'il se faisait un plaisir de raconter à toute plèbe voulant bien entendre ses élucubrations...S'avançant un peu plus, le fieffé tricheur reprit, désignant la statue du regard:

"Il s'agissait d'un ami à vous, ma douce sorcière des mers?"

Dès l'instant où elle trouva Amon, la petite Plume se précipita vers lui, enroulant ses petits bras autour de la première jambe qu'elle pouvait attraper. Le malheureux - qui ne le savait pas encore - avait déjà rejoint la Gardienne et s'amusait de la situation. On pouvait au moins reconnaître au jeune homme une certaine flegme. Qu'importait, Mémoire ne l'écoutait pas. L'esprit de la religieuse était ailleurs. Une seule chose demeurait vivace dans son esprit, Aerandir était mort, et très certainement leur fille aussi. Mémoire ne se faisait pas d'illusions à ce sujet. Savoir qu'ils étaient loin et inaccessible avait déjà été difficile, mais elle avait toujours inconsciemment caresser l'espoir qu'un jour, cette situation prendrait fin. Qu'un jour, Arcam et Tyra se lasserait de ce petit jeu. Désormais, elle savait que ce jour n'arriverait jamais. Elle n'avait plus que Plume, une petite bâtarde au sang sombre qu'elle connaissait à peine et avec laquelle elle ne pouvait même pas vraiment communiquer. Plume n'était pas sa fille, et ne le deviendrait jamais.

Une pensée insidieuse lui glaça ensuite l'échine, alors qu'elle envisageait son propre avenir. Elle allait mourir. Elle devait mourir. Ainsi en avait décidé Tyra, chaque année qu'elle aurait dû vivre auprès des siens était une année de moins pour Aerandir, qui avait vu son espérance diminuer drastiquement. Littéralement, ils partageaient la vie qui les séparait de leur mort commune. Pourquoi, alors, respirait-elle encore ? Elle aurait dû s'effondrer, là, sur le pont. Elle aurait dû rejoindre le royaume de sa Mère, les rejoindre tous les deux. Et pourtant, elle ne fléchissait pas et chaque respiration qu'elle exhalait était un miracle de plus.

Autour d'eux, la surprise laissait place à la colère. Certains demeuraient incrédules, mais les plus terre à terre retrouvaient leur esprit et criaient au blasphème. Si Éris demeurait apprécié des forbans, pirates et autres marchands, ils étaient peu habitués à d'autres manifestations que les tempêtes et la brume. Ils n'étaient absolument pas préparés à voir une de leur passagère se décréter Oracle de l'océan leur confier la très importante mission de veiller sur une figure de proue faite de glace éternelle - surtout qu'ils l'aimaient bien, leur figure de proue ! Les murmures étouffés cédèrent leur place à des remarques acerbes et quelques cris de colère percèrent même l'ambiance soudainement tendus. Amon devait bien le sentir, lui qui évoluait dans le milieu depuis quelques années sans doute, il y avait de fortes chances que les choses dégénèrent. Le capitaine aussi le sentait, mais il ne savait pas encore si l'étincelle viendrait de lui ou un de ses hommes. On ne touchait pas à son bébé. Le souci restait quand même que, aimée d'Éris ou non, la sorcière semblait dangereuse. Cela n’empêchait pas les plus téméraires d'y aller de leur petit commentaire et de leur insulte fétiche. Pour l'heure, la sorcière ne réagissait pas. L'éclat lugubre d'une lame attira son œil, et il sut que cet équilibre précaire risquait de s'effondrer.

« Garst, fais pas le con ! » hurla-t-il avec autorité, alors que son second armait son bras. Peine perdue. Comble de l'ironie, il savait l'homme habile et ne fut donc pas surpris de le voir faire mouche. À la rigueur, il se serait attendu à voir la lame s'enfoncer dans la gorge et pas dans l'épaule. « Bordel ! Aux armes, à vos postes ! » ordonna-t-il, alors que la sorcière vacillait.

L'idée de se battre contre quelque chose d'aussi mystique de la magie ne lui plaisait pas, mais il n'avait aucune envie de lâcher Garst. Le bougre était un très bon ami, et à choisir, il préférait le choisir lui et sa figure de proue plutôt que de lécher dans la main d'une étrangère.

Quand la douleur avait explosé dans son épaule, Mémoire avait cru l'instant venu. Celui de sa mort promise. Pourtant, ses jambes ne cédèrent pas. Sa conscience, cependant, s'effaça lentement. Elle ferma les yeux, et quand elle les rouvrit, le gris laiteux avait laissé place à un vert irréel. Malgré la dague restait dans son épaule, elle ne tremblait pas et son visage était parfaitement détendue. Comme si elle avait recouvré la vue, elle balaya la scène qui s'offrait à elle. Le sourire qu'elle esquissa avait quelque chose de menaçant.

« Faut-il que mes Enfants m'aient oublié, pour dénigrer ainsi ceux qui parlent en mon nom ? » Sous les pieds de la Gardienne, la glace, tel un serpent avide, dévorait le plancher, esquivant cependant Amon et surtout Plume. « Malheureux ceux qui naviguent sur mon dos et qui oublient de me craindre. »

HRP : Je vais m'arrêter là, je te laisse réagir avant de continuer : p

"Par les cinq dives culottes..."

Roulant des yeux vers le ciel tout en poussant un long soupir ponctué d'une nuage de fumée issu de sa pipe, Amon se dit que les évènements commençaient à lui déplaire au plus au point...Non seulement ses compagnons de bordée ne semblaient pas apprécier l'humour de la sorcière, mais ceux-ci manifestaient l'envie plus ou moins suicidaire de vouloir la passer par le fer. Et promptement...Dans l'oeil du cyclone, le pirate se trouvait pour ainsi dire le cul entre deux chaises, situation fort déplaisante puisqu'il aurait manifestement un parti à choisir si il ne voulait pas se faire prendre entre deux feux. Ajouté à l'équation le fait qu'une gamine s'accrochait à sa jambes telle une sangsue des mers du sud, le forban trouvait en cet instant une raison de maudire mentalement les cieux qui eurent l'idée de lui rembourser ses effets de verve passés pour lui donner une bonne raison de les railler cette fois-ci...

Jugeant qu'entre un tas de marins en colère pleurant la perte de leur figure de proue et une magicienne des flots adepte d'un art douteux l'équilibre des forces était à peu près respecté, Alocer en venait à la conclusion que prendre un parti ou l'autre ne changerait pas grand chose pour lui. Cependant, le flibustier n'oublia pas de songer que le fait d'embrocher une dame ne serait pas très plaisant en plus d'attrister la gamine qu'il essayait désespérément d'ôter de son mollet. Par conséquent, notre ami commença à effectuer un pas en direction de Mémoire pour bien définir son camp si les choses se gâtaient définitivement tout en se retournant vers les mariniers afin de tenter de calmer le jeu dans un premier temps:

"Voyons mes bons! Rangez donc vos mines patibulaires! La dame croyait bien faire en ajoutant un peu de bon goût à cette embarc..."

Amon n'eut pas le temps de finir son plaidoyer qu'il fut interrompu par le capitaine beuglant après le plus mécontent de ses sous-fifres...Décidément le pirate n'en voudrais pas pour un dîner mondain de celui-ci, au vu du tact dont il faisait preuve...A son grand damne, notre ami fut donc prit de cours et ne put empêcher l'inévitable: c'est à dire trente centimètres de mauvais fer rouillé, fabuleux vecteur de tétanos, enfoncés dans l'épaule de la Gardienne de Tyra. Spectacle déchirant pour l'amoureux de la gente féminine qu'était Alocer, celui commença d'ailleurs à dégainer sa rapière tandis son habituel regard rieur et pétillant se transformant en celui du tueur le plus antipathique du monde, se chargeant d'une lueur polaire. Le visage impassible, bien décidé à transformer le coquin en passoire, le flibustier fut une nouvelle fois stoppé dans son élan lorsqu'une voix d'outre-tombe s'éleva du corps désormais sanguinolent de la dame...

"Ce genre de choses...Ca n'arrive qu'à moi...Je dois être un foutu poissard!"

Si la nouvelle personnalité de la sorcière était bien ce qui avait traversé l'esprit du pirate en premier, celui-ci ne croyait pas aussi bien dire alors que son visage passait d'une froide impassibilité à la surprise mal dissimulée...Recomposant son expression en un mélange de rictus provocateur et air de gamin perdu, Alocer mâcha ses mots:

"Vous n'êtes pas ce que je pense, si?"

Pour toute réponse, une couche de glace se propagea dangereusement sur le pont, emprisonnant tout ce qui avait le malheur de passer sur son chemin, à commencer par le malheureux qui avait porté l'estoc...Cette fois-ci, ce n'était plus Plume qui s'accrochait à Amon, mais le contraire. Le forban ayant bien compris que si la glace l'évitait ce n'était qu'en raison de la présence de la gamine à ses côtés...Ainsi, notre homme se servait de la fillette comme une bouée de secours sans le moindre scrupule...

"Je savais que vous étiez pas nette ma tendre, mais vous cachiez quand même bien votre jeu..."

Ne pouvant dès lors rien faire de plus pour sauver sa peau -idée désormais prioritaire chez lui- Amon se contenta d'attendre de savoir à quelle sauce il allait être mangé avant de prendre toute initiative...

L'énergie pulsait hors du corps possédé de la Gardienne, et au rythme de ces émanations de pouvoirs, la glace continuait son lent ouvrage. Ceux qui avaient le malheur de toucher le monstre avide se retrouvait piéger, condamné à voir le verglas recouvrir leur chair, à masquer leur yeux. Condamner à mourir, ou pire peut-être, ils hurlaient, appelaient à l'aide. L'un trouva même le courage de lever son arme au dessus de sa jambe et de l'abattre avec toute la violence dont il était capable. L'arme ripa sur l'os, lui arrachant un cri de douleur incroyable et tâchant le blanc éclatant du vermeil de son sang. On commençait à se replier vers la poupe, dans une cohue indescriptible. Les plus braves - ou les plus fous - tentaient le tout pour le tout. Ils lançaient tout ce qui leur passaient sous la main. Dagues, morceaux de bois, cordages ; il y en eut un pour sortir une vieille arbalète et en tester le mécanisme. Intact, il cracha son carreau, mais l'arme de jet ne devait jamais atteindre sa cible. Jaillissant de la glace, quelques mètres devant un Amon dépassé par les événements, un wagyl de givre bloqua l'attaque. Pour ceux qui doutaient encore, c'était là une preuve supplémentaire de la véracité des propos de la sorcière. S'il n'avait pas paru si effroyablement agressif, au contraire de la précédente invocation de Mémoire, il aurait pu sembler beau. Ses écailles brillaient des milles couleurs d'un soleil parfaitement reflété, ses yeux étaient comme deux puits sans fond, deux juges terribles qu'il était impossible de soutenir, tant on craignait de finir congeler.

S'allongeant à l'infini, il se rua dans l'eau soudainement agitée de l'Éris, pour surgir face aux fuyards désespérés. S'abattant sur l'arrière du vaisseau, jusqu'à avoir la gueule à quelques mètres du gouvernails, il poussa les malheureux qui voulurent échapper à son poids vers leur propre fin. Au désespoir, certains sautèrent par dessus bord, oubliant qu'ils étaient à des jours de nages des terres connues. En parallèle, la glace avait continué son œuvre, emprisonnant le capitaine qui, refusant de fuir, avait décidé de mourir dignement. Il était ainsi figé, son arme à la main, comme défiant la malédiction qui s'abattait sur lui. Le monstre, comme jugeant sa tâche achevée, se figea en une statue magnifique, à l'image des nombreuses autres qui agrémentaient désormais le vaisseau de glace. Les cris s'étaient tus. Ne restaient plus qu'Amon, Plume et Mémoire.

L'enfant avait peur, bien entendu, et était restée fermement accrochée à la jambe de son sauveur d'infortune. Elle s'était mise à pleurer quand le wagyl avait fait son apparition et elle était désormais complètement tétanisée. Sans sembler sans soucier, pas plus qu'elle ne prêtait d'attention à l'arme qui était restée fichée dans son épaule, Mémoire fit quelques pas en direction des rescapés. Son regard émeraude brillait d'une lueur incroyable, comme palpitant du pouvoir qu'elle venait de déchaîner. Il était sans aucun doute bien plus difficile à soutenir que les étranges yeux aveugles que la jeune femme abordait jusqu'alors. Sans se soucier des questions du jeune homme, qu'elle avait totalement ignoré, elle posa un genoux au sol et caressa la tempe de la petite sang-mêlé, qui se serait effondré si elle ne l'avait pas retenue. Redressant les yeux, elle chercha le regard d'Amon.

« Veux-tu vivre, enfant de mes limbes ? Ou désires-tu devenir l'un d'eux ? Ils sont ceux qui m'ont renié, et les rejoindront ceux qui me renieront. Comprends-tu ? » Soulevant Plume, elle la déposa dans les bras du concernés, avant de reprendre. « Le corps de mon vaisseau cédera bientôt. Prends soin d'elle et de sa protégée, garde les de tout mal, et tu mourras vieux. Abandonne les, et tu rejoindras ce navire et son équipage. »

Autour d'eux, la brume se levait.

"Oh vous savez, le tout ce n'est pas de mourir vieux...Mais plutôt d'aller dans la tombe en s'amusant!"

Soutenant le regard éthéré de son interlocutrice en s'aidant de vaines boutades, le pirate avait estimé que ses chances de survie étaient proches du zéro absolu si il tentait quoi que ce soit au vu de la prison glacée dans laquelle ses comparses furent enfermés manu militari par la magie de la sorcière des mers...Si le bougre n'aimait guère qu'on lui édicte ses actes, dans le cas présent l'idée d'abandonner la vie sur ce rafiot fantôme lui plaisait encore moins. Bien sur, en face d'un dirigeant ou d'une entité de moindre puissance, Amon aurait de suite accepté l'offre pour aussitôt s'y soustraire une fois en sécurité. Cette fois-ci cependant, le flibustier savait en son for intérieur qu'il n'échapperais pas à la dame dans le cas où il déciderait de mettre les bouts...Maudissant intérieurement la mauvaise idée qu'il avait eut d'embarquer sur cette épave notre ami, qui avait alors recomposé son expression habituelle maintenant qu'il était plus ou moins accoutumé à la nouvelle présence pesante de la Gardienne, se saisit de Plume qu'il prit en portage dans ses bras. Berçant l'enfant apeurée, Alocer reprit, la langue bardée d'un ton désinvolte:

"...Toutefois, je sais que concernant la drôlerie je peux mieux faire que de crever sur ce rafiot...Aussi je suppose que votre contrat est permanent et qu'il n'implique pas rémunération..."

Le pirate marqua un temps d'arrêt, rangeant sa pipe par la même occasion.

"Oh! Bien sur vous allez me dire que la vie est un prix suffisant pour moi, ou quelque chose du genre...Dans le cas présent je ne vous contredirais pas! Sachez seulement que la prochaine fois que vous me présentez une requête, le fait de pouvoir me congeler en levant le petit doigt ne vous épargne pas les politesses d'usages jolie dame."

Ultime boutade de notre ami infortuné, scellant définitivement le pacte et son obédience...Une décision lourde de conséquences pour un être tel qu'Amon, attaché qu'il était à son libre arbitre et à sa liberté d'action...La discussion qu'il avait auparavant eut avec Mémoire lui revint d'ailleurs ironiquement en tête à ce moment là, comme si son subconscient venait lui-même le narguer des propos qu'il avait tenus plus tôt. Enfin qu'importe, Alocer aurait sans doute prit le parti d'apporter son aide aux demoiselles dans tous les cas, seule la forme de la demande ainsi que son caractère persistant ne convenaient guère à notre larron...Lequel, sachant qu'il marchait sur un fil en tenant de tels propos à son interlocutrice, poursuivit ses élucubrations papillonnantes:

"Dans tous les cas, très chère, maintenant que nous sommes d'accord...Et à moins que vous ayez un sort ou quelque stupidité du genre à me faire subir pour conclure le pacte...Il serait très délicat de votre part d'utiliser un petit tour de passe-passe pour nous conduire à Meca, bien que navigateur émérite, je n'peux pas conduire une telle embarcation à moi seul...Eh puis, j'aurais trop peur d'esquinter vos oeuvres d'art!"

Levant les yeux en l'air en attendant l'éventuelle claque magique qu'il s'était psychologiquement préparé à subir durant tout son argumentaire, Amon remit donc son destin entre les mains de l'efficacité de sa langue...En priant pour qu'on ne la lui coupe pas!

Sous le regard soudainement avide de Mémoire, Amon se livrait à un petit jeu plein d'effronterie, savant mélange de rébellion et d'acceptation de son sort. Éris aimait ce comportement, il était un digne Fils, capable de dompter ses vagues, de résister à ses tempêtes. Il s'était, en plus, spontanément placé du côté de son Vaisseau. En d'autres termes, il avait été parfait. Ses yeux prirent le temps de détailler plus avant le jeune homme. Elle sentait son corps s'agiter de tremblements discrets, connaissait très bien la suite des événements. Bientôt, elle ne pourrait plus maintenir son contrôle et si elle n'avait pas agi à ce moment là, il y avait de fortes chances que Mémoire ne survive pas. Le corps mortel était vraiment très fragile. Le pire était que si la Gardienne n'avait pas été aussi affectée par la mort du Fils du Prisonnier, elle aurait pu facilement l'attaque.

« Ton panache mérite récompense, enfant de mes limbes. » En appelant une nouvelle fois à son pouvoir, elle tendit la main et créa une perle parfaitement sphérique, couleur glace mais tiède au toucher, qu'elle offrit à Amon. « Le jour où tu auras besoin de nous, nous viendrons. Il te suffira de la briser. Prends garde, cependant, à ne pas en user à la légère. »

Son cadeau donné, elle se retourna et marcha tranquillement jusqu'à la proue. Levant les bras, elle murmura quelques paroles que le vent captura et transmis. L'eau, face au navire, se mit à bouillonner. Comme son Vaisseau lors de son dernier passage à Meca, elle tordit l'océan, le dompta et des vagues paisibles jaillit un nouveau wagyl, aussi beau que le précédent, quoique moins terrifiant. L'écume s'enroula sur elle-même, en permanente hésitation entre son état naturellement agité et le moule que lui imposant la magicienne. Quand finalement il fut complètement formé, il observa sa Mère avec un regard impassible, imperturbable. Cette dernière tourna la tête vers Amon et esquissa un sourire - le premier - légèrement moqueur.

« Prêt ? »

Et, comme s'il n'avait attendu que cela, le monstre entra en mouvement. Avec une vitesse nettement supérieure à celle de son frère de givre, il se rua sur les trois derniers rescapés de la Flèche. Pour Amon, se fut le noir.

*

Sur une des rares plages qui bordaient la falaise rocailleuse de Meca, deux corps inanimés se faisaient lécher les pieds par l'océan moqueur. À leur côté, une petite fille pleurait, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Un instant, elle écoutait Mémoire chanter et le suivant, elle se réveillait dans un lieu inconnu. Elle avait essayé de secouer la Gardienne et avait découvert l'arme et la tâche de sang. Elle avait hurlé, et c'était maintenant Amon qu'elle cherchait à réveiller.

« Guuan phor ! Guuan phor ! Brou ! » lui hurlait-elle aux oreilles, impuissante.

Il devait se réveiller !

"Beugle pas si fort gamine...Je comprend rien de ce que tu dis de toutes façons..."

La voix éteinte d'Amon émergea ainsi de son corps amorphe tandis que sa main droite vint instinctivement se poser sur le crâne de Plume, dans un geste résolument apaisant. Se redressant lentement, le pirate peina à distinguer autre chose qu'une oscillation entre un flou artistique et un florilège de couleurs lumineuses véhiculées par le soleil hivernal de Meca. Encore groggy, le son familier des vagues et les glapissement de l'enfant étaient les seules choses ramenant le forban à la réalité...Il fallait bien dire que sa tête se trouvait être dans un état déplorable, la pire des mauvaises gueules de bois que notre homme avait connu sans doute. Ainsi, ce dernier prit donc un instant pour recouvrer ses esprits -et sa vue par la même occasion- afin de reconstituer le cheminement qui l'avait fait échouer sur une plage...

Passant en revue son embarcation sur la Flèche, sa rencontre avec la gamine et Mémoire, la révélation de la nature de la dame susnommée pour aboutir sur l'altercation qui en résultat avec l'équipage du navire ainsi que le scellement du sort d'Alocer. Tout cela battant aux tempes de notre larron qui soupira en songeant à la promesse qu'il avait formulé au divin avatar...Ce genre de crasse n'arrivait décidément qu'à lui...Prit d'une pulsion subite, le pirate porta brusquement sa main libre au niveau de son torse, se saisissant d'une petite perle nacrée, étrange don qu'il avait reçut de la mer en "paiement" de ses services. A moins que ce présent ne fusse la résultante de l'amusement que son bagout a éventuellement pu engendrer chez son interlocutrice précédente...Dans tous les cas le serviteur de ces dames considéra l'objet avec un mélange de curiosité et de méfiance, issu de ses traits naturels ainsi que de son expérience. Laquelle ayant prouvé que la plupart des babioles magiques présentaient un fort danger potentiel...

Le questionnement du boucanier sur la nature de l'objet qu'il avait en sa possession fut cependant interrompu par une fillette inquiète, tirant toujours sur la manche de notre homme avec insistance en baragouinant dans son incompréhensible langage de roulements de langue...Alocer réalisa alors que la tutrice de la gamine gisait à côté de lui, l'épaule vilainement amochée -sans que ce soit un danger pour elle toutefois- et manifestement pas près de se réveiller. Jugeant qu'il était temps d'honorer sa parole le pirate se leva alors, manquant de perdre l'équilibre avant de se glisser aux côtés de Mémoire qu'il entreprit d'examiner. Le tout sans les mauvaises arrières pensées qui l'habitaient à l'accoutumée dans ce genre de situation, les choses que l'aveugle renfermaient l'effrayant bien trop pour que son esprit vagabonde sur des considérations plus...Triviales allons nous dire...

La dame respirait convenablement malgré sa torpeur d'après le constat du pirate...Lequel s'intéressa donc à la plaie béante ne pouvant que monopoliser le regard de celui qui s'osait à poser les yeux sur l'infirme évanouie. Ayant définitivement recouvré ses esprits, Amon entreprit de prodiguer quelques premiers secours à sa "nouvelle amie". Notre forban favori commença donc par prendre une lampée de gnôle dans la gourde pendant fièrement à son ceinturon avant de verser un peu de son contenu sur l'épaule de la sorcière des mers afin de nettoyer la blessure tout en s'étonnant de l'absence notable de réaction au niveau de l'intéressée. N'importe quel soudard endurci se serait réveillé en jurant avec un tel traitement...A la fois perplexe et admiratif, l'ex contrebandier continua sa manoeuvre en appliquant quelques unes des herbes aux vertus apaisantes en sa possession (qu'il utilisait habituellement pour fumer sa pipe) après les avoir nettoyées du sel déposé dessus par l'eau de mer au préalable afin de préserver leur efficacité. Pour terminer son oeuvre il finit par arracher un pan de sa tunique rouge, l'attachant autour de la mixture herbale de manière à ce qu'elle soit tenue en place...

"J'espère que tu aimes marcher petite..."

Tout en chargeant Mémoire sur son dos, le ribaud tendit une main à la gamine alors qu'il lui adressait un sourire à mi chemin entre l'espièglerie et le réconfort...Invitant son amie à l'accompagner, le tout sans faire mine de ployer sous le poids de son nouveau fardeau dont on ne dira rien par politesse envers la gente féminine. Enfin l'avantage de la "profession" d'Amon concernant l'île sur laquelle il venait d'échouer était qu'il connaissait ses plages, criques et planques comme le fond de son outre à vinasse. Aussi, le bel éphèbe calcula que de sa position, Meca ne devait se trouver qu'à une ou deux heures de marche si l'on ne se pressait guère; décidément la sorcière des mers pensait à tout...Même lorsqu'elle vous faisait faire naufrage...D'ailleurs si l'on comptait bien il s'agissait là du troisième auquel Alocer survivait, fallait croire que l'océan l'avait à la bonne. Dans tous les cas, le prochain godet du pirate sera à la santé des flots...C'est du moins ce qu'il se disait tandis qu'il s'échinait à couvrir la distance entre la plage et le port de la débauche, tenant la main d'une fillette et portant un sac de chair capable de lui geler les attributs d'un revers de la main sur le dos...Situation presque normale pour lui!

"Hé! Bienvenue dans la ville de la vie, la vraie!"

Le forban ne masqua pas son entrain à sa petite comparse lorsqu'ils franchirent le pas de Meca, qui faisait office de foyer pour notre homme...Quoique le terme fut sans doute un peu exagéré dans le cas présent...Malgré cela, le fait que la nuit n'était pas encore tombée lorsqu'ils atteignirent les docks de la cité portuaire soulagea grandement le marin qui ne donnait pas cher de leur peau face aux ruffians locaux dans l'état où tout trois se trouvaient. Pour l'heure, l'urgence était double: faire un bon repas afin de combler le vide béant s'étant installé depuis un moment dans leurs estomacs et prodiguer à Mémoire quelques soins plus élaborés que le bricolage de fortune qu'on lui avait fait dans l'urgence. Et ces deux choses, Amon connaissait l'endroit parfait pour y souscrire...Un sourire énigmatique illuminant ses lèvres lorsqu'il frappa d'une force peu commune sur la porte d'une petite boutique d'herboristerie au crépuscule, devant l'apparent perplexité de Plume...Dont le pirate ne sut si elle se transforma en crainte ou se dissipa lorsqu'une voix féminine apparemment courroucée leur indiqua d'entrer, la porte étant ouverte. Le pirate s'exécuta donc, et à peine eut-il passé le seuil qu'on tourbillon de bijoux, breloques, jupons rouges et cheveux bruns bouclés vint tempêter vers lui:

"Par toutes les perversités d'Arcam! Si t'es un fantôme, dégages de ma boutique!"

"Moi aussi j'suis content de te revoir...Douce Bianca..."

Détaillant brièvement son interlocutrice qui ouvrait des yeux comme des soucoupes en faisant de même avec lui-même -et pour cause, cela faisait six ans qu'ils ne s'étaient pas vu-, Alocer élargit son sourire sous-jacent en constatant que la tenancière au tempérament de feu n'avait guère changée malgré ses trente années atteintes: le teint mat, un regard sombre mais brûlant, les cheveux noirs bouclés, le corps ma foi toujours aussi désirable et les mêmes indécentes boucles d'oreilles dorées...Si son mauvais caractère et son avidité persistaient eux aussi, notre homme allait définitivement sombrer dans la nostalgie à son contact. Cependant, si Bianca était ce qu'on pouvait considérer comme le pendant féminin d'Amon -le mauvais caractère en plus- il s'agissait aussi de l'une des seules personnes en laquelle le boucanier plaçait une confiance presque totale...La réciproque étant bien sur valable à quelques petits coups fourrés près, sans conséquences dommageables toutefois. N'en pouvant plus de ronger son frein, l'herboriste lâche alors de son ton de femme assurée et pavaneuse:

"Alors tu vas me raconter ce qu'il t'es arrivé oui ou non?"

"J'adorerais parler de mes exploits avec toi, mais ne crois-tu qu'il y a plus urgent?"

Amon désigna son fardeau du regard.

"Endroit habituel mais je te préviens, comme d'habitude ce ne sera pas gratuit!"

Un sourire carnassier s'inscrit sur les lèvres de la sudiste, idem pour celles d'Amon qui réagirent de concert à la condition:

"Je n'en attendais pas moins de toi très chère..."

Sans plus attendre, le pirate emmena donc Mémoire à l'étage de la boutique, pour la déposer dans une chambre où plusieurs lits s'alignaient...Il s'agissait là de l'endroit où Bianca s'occupait généralement des marins blessés ou malades qui venaient chercher ses soins de qualité, moyennant une coquette somme d'argent, la belle étant d'une cupidité sans bornes. Amon, l'a d'ailleurs connue ainsi puisqu'elle avait l'habitude de s'occuper de son ancien équipage...Par la suite ils furent successivement chiens et chats, amants les plus bruyants de Meca puis meilleurs amis du monde tant qu'une grosse somme d'argent n'était pas en jeu. Le pirate déposa donc la sorcière des mers sur la couche la plus proche de la fenêtre tandis que l'herboriste s'asseyait au chevet de la blessée, cependant avant de procéder à son examen elle tendit une main affable vers Alocer dans laquelle ce dernier glissa un petit sachet de toile:

"Elles ont un peu prit l'eau de mer, mais elles devraient te convenir..."

Toisant le petit sac puis le boucanier, Bianca lâcha alors tout en pointant le torse de notre homme:

"Je prendrais le reste du paiement cette nuit."

"Tellement prévisible, c'était un peu ironique pour toi de parler de perversité quand je suis arrivé non?"

"Tu ne devrais pas tenir ces propos devant une enfant cher ami"

"Oh! J'aurais du mal à lui faire part de tes travers! Elle ne comprend pas notre langage chère amie"

"Emmènes la donc manger un morceau et prendre un bain...Puis fait de même, vous empestez dans ma maison...Je m'occupe de tout ici..."

Après cet échange au tac-o-tac Alocer obtempéra donc, laissant l'autre avare remettre l'aveugle sur pieds...Avant toute chose il conduit Plume dans l'arrière salle de l'établissement où il dévalisa sans remord le garde-manger pour le compte de la gamine et le sien. Une fois sustantés, le pauvre hère entreprit de remplir une bassine d'eau douce afin de procéder à quelques ablutions...C'est à ce moment là qu'il fit face à un problème encore inédit pour lui: habitué à frayer avec les pires canailles que cette terre ait jamais porté, il se trouva incapable de faire comprendre à une fillette qu'il fallait qu'elle prenne un bain. Songeant un instant demander à Bianca de s'occuper de cela, le pirate y renonça bien vite en imaginait sa réponse négative teinté de moquerie sur le pouponnage: et pour cause, notre homme ne s'attendait pas un jour avoir un enfant à charge...Ne laissant rien transparaitre de sa panique intérieure (qui à ce moment là fut sans doute plus prononcée que devant l'avatar d'Eris), Amon prit son courage à deux mains et retira les haillons de la gamine, la saisit, et la plongea dans l'eau en un temps record avant de se retourner pour se laisser tomber sur le sol...Manifestement gêné...Si déshabiller des catins ou des bourgeoises ne le dérangeait absolument pas, faire prendre son bain à une gamine devenait décidément bien perturbant pour lui...Surtout quand la dite gamine devait ne rien comprendre à ce qu'il se passait...

C'est ce moment que l'herboriste choisit pour entrer dans la pièce, pouffant visiblement de rire devant la situation: le plus grand coureur de jupons de tout les temps rouge comme une pivoine, retourné devant la baignoire où une fillette affichait un air manifestement perdu...A jamais, cette scène sera inscrite dans la mémoire de la suderone...Retenant ses éclats de rire, celle-ci glissa:

"Je me suis occupée de l'autre, et va t'en de là je vais me charger de ça..."

Pour une fois tout penaud, Alocer ne protesta pas en sortant de la pièce et tâcha de prendre sur lui lorsqu'une dernière remarque cinglante parvint à ses oreilles:

"Le bel Amon pouponnant, c'est digne des annales."

Prenant le parti de ne pas relever, le susnommé alla se consoler avec ses propres ablutions, sa pipe et quelques herbes à vocation purement thérapeutiques...Une fois ceci fait son humeur habituelle fut retrouvée, et plusieurs constats s'imposèrent à lui: la nuit recouvrait le port, la gamine était endormie (comment l'herboriste parvint à ce résultat demeurait un mystère), la sorcière en voie de rétablissement et une furie l'attendait sans doute dans sa couche...Réclamant ses retards de paiement...La perspective d'un cuissage imminent pour fêter des retrouvailles ne déplaisait pas au pauvre bougre après un séjour en mer si éprouvant. Par contre celle de devoir conter à Bianca tous les évènements qui suivirent son naufrage d'il y a six ans et la mort supposée de ses anciens compagnons ne l'enchantait guère...A l'instar de la tâche dont il devait s'acquitter...Enfin, l'heure était aux réjouissances nocturnes...

[Hrp: Bon j'ai pas mal écourté, comme tu l'vois les pavés j'aime pas ça x) La question qui demeure est: on poursuit sur ce topic ou on en recréer un à Meca?

Sinon j'ai pris quelques libertés concernant Plume, en essayant de les restreindre au minimum, si un truc te vas pas j'éditerais]

» Jivvin Xuil Lil’Elghinn (Haut prêtre de Leetha Orbb'Tor)
» Amon Alocer [Mêmepapeur]
» Amon, l'Elfe insignifiant [Rôdeur, Mendiant]
» [Temple d'Isten] Qui est l'offrande? | Ssinssrin
» Ssinssrin [Haute(s) Prêtresse(s) d'Isten]

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