La Porte d'Anaëh est ouverte

Les lourdes portes de fer de l’allée centrale de Yutar s’ouvraient avec lenteur devant la colonne de soldats. Ils s’avançaient vers la lumière du soleil à son zénith. Sous les heaumes et les barbutes, les yeux se plissaient, blessés par les rayons de l’astre diurne, les guerriers grognaient contre l’escouade de derrière, cachée par l’ombre des mangonneaux monstrueux que tractaient des buffles cornus des plaines d’Ithri’Vaan, grimés pour l’occasion de pourpre et de noir, les couleurs du IIIème Ost. Ils étaient des milliers à s’imposer la clarté méridienne. Les portes se refermèrent derrière eux, et ce long ver d’acier et de peau noire s’immobilisa après un cri des officiers. Le silence était total dans l’armée : les piquiers au sarouel violacé, les arbalétriers et leurs grands pavois recouverts de glyphes sacrés, le Streea Jabuuk, premier parmi eux, avec son sceptre d’hémathite à la glyptique compliquée et mystique, autant de statues sans vie attendant patiemment le signal.

Le Streea Jabuuk, perché sur son morgal, scruta le sommet de Yutar, d’où une fumée grise sortit. Les derniers sacrifices avaient été faits, Namaz Avlos-Tonaik le dieu de la guerre et du feu leur offrirait rapide satisfaction et grande gloire. Le général leva son sceau-cylindre, et l’armée se mut comme un seul homme, portée par le son des tambours et des flûtes d’os. Ils procureraient les trente lieues qui les séparaient d’Anaëh en quelques heures, et exécuteraient les ordres de leur Jallil : bouter le feu dans l’Anaëh.



A quelques heures et quelques lieues de là, une autre troupe d’elfes noirs attendaient à l’orée du bois. La nuit tombait à peine quand dans la forêt, une statue de pierre se mit à s’animer. Deux interstices, deux creux au milieu d’un bloc de roche servant de chef à la créature magie se mirent à pulser d’une lumière verdâtre. D’un pas lent, le golem d’Anaëh se mit sur ses pieds et tendit le cou vers le sud avant de s’y diriger d’une démarche lourde.

« Tu as appris des elfes torturés les chemins secrets, tu connais les villages, alors fais ton devoir, Vedirveldruk. » Le chef de la cavalerie inclina sa tête casquée d’un de ces masques de guerre hideux qu’Alder’Aak le Sans-Face avait popularisé dans les rangs du IIIème Ost et rejoignit au galop ses sbires. Les sabots tonnèrent et une nuée d’armures noires vola vers la pénombre de la forêt éternelle. C’est alors que Ja’afae se tourna vers le reste des officiers.

« Les cavaliers serviront de fer de lance : ils s’enfonceront au plus profond de ce protectorat et de surprendre les guerriers elfes – du moins ceux qui n’auront pas rejoint la ligne de feu de nos mangonneaux. Nous profiterons du temps qui nous est donné pour faire le plus de dégâts possibles. Des questions ? »

Taloc admirait les quelques six mille hommes qui défilaient à la sortie de Yutar. Des officiers courraient de partout afin d'organiser leur compagnie, on entendait hennir et meugler les bêtes de sommes des convois, mêlé aux centaines de conversations entre soldats. Le véritable bruit de la guerre en marche.

Assis sur son cheval, Taloc attendait placidement le senger, cette Ja'afae, avec d'autre officiers. Il en avait peu entendu parler, car pour tout dire il ne s'y était pas vraiment intéressé, mais le poste de senger dans les main d'une drow, bien que ce ne fut pas choquant, avait tout de même quelque chose d'inhabituel. Il se rappela sa propre rencontre avec son senger, Malag'eyl, il y a quelques jours de cela. La rencontre avait été brève, le général semblait avoir ménagé un briefing dans un emploi du temps très chargé. La mission de Taloc était de soutenir le troisième ost au combat et d'y représenter le deuxième.

« Représenter »...

Il était impensable que Malag'eyl envoya Taloc et cent cavaliers, par altruisme, pour aider Ja'afae. Tout le monde le savait, Taloc le savait, et la générale drow devait également le savoir. Cela importait peu à Taloc. Il pouvait très bien servir les deux senger aussi bien que ce qu'il exigeait de ces hommes, et la perspective des combats à venir l'excitait.

Un bruit sorti Taloc de ses pensées et il vit un cavalier lourd saluer le général puis s'élancer fougueusement pour rejoindre l'avant garde. Une petite drow en armure de cuir, montée sur un énorme saurien, s'adressa à eux :

« Les cavaliers serviront de fer de lance : ils s’enfonceront au plus profond de ce protectorat et de surprendre les guerriers elfes – du moins ceux qui n’auront pas rejoint la ligne de feu de nos mangonneaux. Nous profiterons du temps qui nous est donné pour faire le plus de dégâts possibles. Des questions ? »

C'était donc elle, Ja'afae, Obok Senger. Taloc apprécia sa tenue et son équipement, plutôt léger. Se sachant lui même d'une constitution peu imposante, il savait qu'il ne faudrait pas la sous estimer de par sa petite taille. On ne devenait pas général sans talents ni compétences, car on finissait bien souvent avec une dague dans le dos avant d'y parvenir.

Taloc hésita, mais décida de ne pas s'adresser à elle maintenant. Il attendrait plus tard, que l'armée soit en marche, et que les autres officiers, qu'il ne connaissait pas du tout, ne soit pas tous rassemblé. Il ne savait pas encore comment tous avaient prit la nouvelle du rattachement des cavaliers légers au deuxième ost. Comme une aide ? Comme une récompense ? Comme un affront ? Il lui faudrait aussi déterminer si Ja'afae avait elle même demandé les cavaliers légers. Alors que toute l'armée se mit en branle, Taloc se tourna vers son second.

« Nous n'avons pas d'ordres précis, alors voilà les miens : place les cavaliers sur les flancs à l'avant de l'armée. Nous sommes encore dans la plaine, si on subit une attaque, nous n'aurons aucun mal à réagir. »

Asav acquiesça et tourna les sabots de sa monture pour aller exécuter les ordres de son Veldruk. Taloc quand à lui suivit la senger jusqu'à l'avant. Les officiers s'était dispersés pour aller donner leur ordres, et Taloc voulait en profiter pour approcher leur chef.

« Vénérable Obok Senger, héla-t-il. Ja'afae tourna la tête vers lui. Général, salua-t-il en inclinant respectueusement la tête. Il attendit un moment avant de la relever et de déclarer :
« C'est un honneur pour moi de participer à cette expédition. »

« J’espère que cela s’avèrera un honneur pour nous aussi, Veldruk Kat’Mornar. » dit l’Obok Jallil avant de se tourner vers le Veldruk des fantassins, qui s’enquit des dispositions quant au butin. Un silence s’imposa, accompagné d’un regard meurtrier. « Ceux qui reviendront avec le moindre collier d’ambre, le plus pauvre anneau de jade elfique seront pendus au faîte de Yutar dès notre retour. Les hottes serviront à ramener les têtes de nos ennemis et rien d’autre. » La dernière chose que voulait Ja’afae, c’est que les hommes perdent du temps en pillage et en disputes, qui seraient une perte de temps considérable dans un plan dont l’efficacité reposait sur la rapidité d’exécution des razzias. Cela ne plairait pas aux guerriers, et la course qu’ils effectueraient leur feraient maudire plusieurs fois leur nouvelle générale, mais c’était mieux que de voir l’opération échouer : ou pire, que le reste de l’armée jalouse les soldats sélectionnés par Ja’afae.
« Une dernière chose : ceux qui s’en prendront à la forêt elle-même subiront le même sort que les voleurs. Et maintenant, au pas de course. » Ja’afae se releva et fonça sus à l’Anaëh, suivi par mille elfes noires en mal de sang.


Les deux premières heures avaient été riches. Après un assaut frontal du premier hameau, l’armée s’était divisée pour effectuer une prompte manœuvre de contournement, massacrant les populations séparément tout en remontant vers le nord. Le point de jonction était un village sur les arbres qui avait pu, avec de la chance, être prévenu des attaques qui avaient détruit les habitats voisins. Si ces derniers n’avaient pas fui vers le nord (en direction de la cavalerie lourde), ou l’ouest ou l’est (en direction des deux troupes d’elfes noirs), il ne leur resterait que le sud, une petite bande de forêt encore intacte et que l’armée dévasterait méthodiquement tout en regagnant leur base arrière. Les pertes avaient été jusque-là minimes, mais maintenant les elfes étaient prévenus (à défaut d’être préparés). Accompagnée d’un millier d’yeux rougeâtres, Ja’afae scruta les arbres parasités d’habitations, de cordes, d’escaliers et de balustrades. Elle inspira profondément, priant Uriz que l’autre moitié de l’expédition était dans les temps, souffla et fit un signe aux guerriers.

Sous le couvert de centaines de flèches, les silhouettes des hallebardiers glissaient au côté de leur chef, zigzaguant entre les arbres. Leur plastron d’un noir opaque, comme tout le reste de cette immense forêt, semblaient absorber les maigres rais d’une lune naissante. Leurs bottes piétinaient l’humus frais dans un cliquetis étouffé, jusqu’à ce qu’ils furent à quelques pieds des premiers escaliers. Un cri en elfique retentit, et une maigre bordée de flèches partirent à leur rencontre. L’assaut commençait.

La nouvelle était arrivée par un messager épuisé, qui s'était effondré sur le pas de la porte. Après l'avoir nourri, il nous délivra son message entre deux bouchées de nourriture qu'il avait si dûment mérité. Ainsi donc les Drows revenaient une nouvelle fois en Anaëh. Leur dernière défaite ne leur avait pas suffit, il fallait qu'ils réessayent de lutter. Ils ne comprendraient jamais qu'il était improbable qu'ils réussissent à envahir la Forêt. Je me retrouvais tétanisée face à une décision de la plus haute importance à prendre. Le capitaine Anaëh Dil était parti en compagnie de ses deux caporaux en mission secrète, me laissant la charge des éclaireurs, en espérant que rien ne survienne durant leurs absences.

Le choix s'imposait de lui même. Au fond de moi même, je sentais cette excitation, cette adrénaline du combat. Mais d'un autre côté je ne savais pas si mes épaules pourraient supporter le poids de centaines de vies.

- L'armée de Wyslena a-t-elle été prévenue ?
- Oui chef, nos hommes à la lisière d'Ardamir ont repéré l'avancée des Drows et prévenu la région d'Eraison et de Wyslena.
- Excellent. Allez prévenir les autres corps de l'Armée Royale. Nous partons dans deux heures, messieurs !

J’espérais au fond de moi que ma voix n'ait pas vacillé. Je me voulais fermer et inflexible, prouver à mes supérieurs que j'étais apte à diriger. L'heure qui suivit, je le passais à donner des ordres. Qu'amenait-on ? Partirait-on à cheval ? Est ce que les autres corps interviendraient ? C'était des questions auxquelles j'aurais bien aimé avoir la réponse. Les éclaireurs signalaient une force d'au moins un millier de Drows. L'armée de Wyslena pouvait contenir cela, mais ils auraient besoin des meilleures sentinelles. Et puis, sous la direction du capitaine Anaëh Dil, le régiment a acquis une réputation de mêle tout, se mêlant des combats qui ne le regarde pas, mais auxquels il se joint volontiers pour combattre les Sombres. Son intervention en Naelis était risquée, car il avait pris le risque de délaisser l'Anaëh de beaucoup de ses sentinelles aux frontières. En cas d'invasion à cet instant, il risquait la cour martiale. Mais les Drows furent repoussés à Naelis, et ils seraient repoussés à Wyslena.

- Nous irons à cheval, nous les délaisserons à la frontière de Wyslena pour approcher en silence.

Je n'avais pas répondu à si d'autres renforts viendraient. Je ne préférais pas répondre. Au bout de deux heures, le quartier général se vidait, les troupes allant aux écuries pour se munir d'un cheval et partir par petits groupes de dix. Je partais en dernière, me demandant si je partais pour la dernière fois, si je reverrais cet endroit. J'ajustais mon arc et mon sabre, et fermais la porte en la claquant.

HRP :

Spoiler:

Lors de la séparation de l'armée en deux corps, Taloc avait suivi Ja'afae vers l'ouest avec sa troupe. Il craignait qu'une telle proximité avec le commandant ne lui enlevât toute la latitude dont il avait besoin, mais le veldruk espérait que la générale saurait qu'il lui serait plus utile avec les mains libres. La remontée vers le nord et son lot de massacre avait attisé les sens et l'excitation de Taloc, mais il déchanta légèrement lorsque l'armée s'enfonça plus avant dans la forêt. Petit à petit, la végétation se faisait plus dense, les arbres étaient de plus en plus rapprochés. Malgré la mobilité de ses hommes, supérieure à celle de la cavalerie lourde, Taloc répugnait à les y envoyer.

Lorsque l'assaut fut lancé, Taloc mena ses guerriers d'un trot lent, suivant le rythme des fantassins qui zigzaguaient entre les troncs immenses. Il voyait peu à peu les habitations sylvestre apparaître, ainsi que les défenseurs qui les parsemaient. Ils étaient peu, mais avaient une position évidemment avantageuse. Le jeune Kat' Mornar évalua rapidement la situation, et son goût pour la tactique prit le dessus sur son goût du sang. Chaque aspect de la guerre parvenait à le stimuler. Il se tourna vers ses Kyorl et leur lança d'une voix sèche :

« Formez des groupes de dix. Cinq cavaliers en front en couverture, cinq cavaliers derrière pour décocher des traits précis. Attaquez par vague de deux groupes ! »

Ses lieutenants acquiescèrent et s'exécutèrent. Les cavaliers se connaissaient quasiment tous, et les groupes furent vite constitués. Taloc regarda partir la première vague, vingt cavaliers, qui slalomèrent entre les arbres. Les premiers tiraient en hurlant, parfois deux ou trois flèches en même temps pour les plus doué, afin d'attirer l'attention sur eux. Les tirs touchaient rarement, au contraire des dix autres évoluant dans la poussière laissé par leur camarades. Les drows qui constituaient la deuxième ligne de ces petits groupes d'action étaient les meilleurs tireurs du régiments, et se targuaient de ne quasiment jamais rater leur cible.

La première vague exécuta la manœuvre à la perfection, abattant quelques défenseurs sans subir de pertes, ces derniers étant trop focalisé sur l'infanterie qui montait à l'assaut pour s'occuper d'un ennemi rapide et fuyant. Alors que les vingt cavaliers revenaient, Taloc emmena lui même la deuxième vague. Il regarda les premiers cavaliers battre avec exagération la terre, en hurlant et s'égayant en tout sens. Le veldruk saisit une flèche de son carquois et banda son arc, serrant les flanc de sa monture avec ses jambes pour la diriger. Lorsqu'il sortit de la poussière, son regard tomba directement sur un elfe courant sur un pont suspendu pour repousser les hallebardiers au pieds des escaliers. Avec un temps de réaction rapide, Taloc avait déjà choisit de tirer, si bien qu'on eut dit qu'il n'avait même pas prit le temps de viser. La flèche fusa de son arc et s'enfonça dans le flanc du malheureux, qui fut propulsé par dessus le pont et s'écrasa sur le sol.

Un rapide coup d'œil lui indiqua que tout ses hommes avaient fait de même, tout cela en un temps record. La deuxième vague revenait en arrière alors que la troisième partait à l'assaut. Ce fut au bous de la cinquième que les défenseurs comprirent enfin le danger qui menaçait sur le flanc de l'attaque de l'infanterie. Taloc vit revenir deux chevaux sans cavaliers, et grinça des dents en accusant ses premières pertes de la bataille. Il s'élança avec la vague suivante, et dans une démonstration d'adresse, eut le temps d'abattre deux soldats. Alors qu'il rebroussait chemin, il vit encore un de ses hommes tomber, une flèche dans le dos.

Le manège continua ainsi encore un peu, lorsque Taloc ordonna de cesser l'attaque. Il comptait cinq morts et trois blessés, pour à peu près trente ennemis touchés. Si cela paraissait honorable, Taloc savait que ce ne serai pas rentable sur le long terme de continuer. Alors que les kyorl réorganisaient les hommes, Il réfléchit à sa prochaine manœuvre. À sa gauche, l'infanterie progressait relativement bien, mais une percée trop en profondeur exposerait leur flanc à une contre attaque. Taloc se redressa et donna de nouveaux ordres.

« Nous allons couvrir le flanc de l'infanterie. Je veux une ligne en échelon refusé, sur deux rangs, dix mètres d'écart entre les cavaliers ! »

Taloc calcula rapidement. Il pouvait ainsi couvrir le flanc sur cinq cent mètre sans perdre en réactivité, et pouvait au besoin se précipiter deux cent cinquante mètres en avant ou en arrière. Cela leur donnait un rayon d'action d'un kilomètre. Il ordonna ensuite qu'on lui amène les trois blessés. Ils arrivèrent, à cheval, chacun se tenant un bras.

« Vous restez près de moi, au moindre signe de l'ennemi, vous êtes mes messagers et filez avertir l'Obok Senger. » Les trois drows marmonnèrent, visiblement frustré d'être écarté, mais Taloc leur jeta un regard noir, leur rappelant qu'ils le serviront mieux ainsi plutôt que dans la bataille avec un bras en moins. Ils se calmèrent en emboitèrent derrière lui. Taloc admira ces cavaliers former la ligne et se tînt prêt à repousser toute contre attaque. Malgré la forêt, ses drows avaient été formé au rôle d'éclaireur, et pouvaient ainsi éviter une trop grosse surprise à toute l'armée.

[Excusez le retard, plus d'internet en pleine rentrée...]


L’esprit du village avait été brisé avant que ne retentisse le cor. Les deux hordes d’elfes noirs, supérieur en nombre aux elfes capables de se battre, s’étaient éparpillées en colonnes d’hallebardiers armés de leurs glaives et leurs dagues. Cuirassés et excités par l’odeur du sang qui poissait leur sarouel, ils couraient jusqu’aux échelles et aux ponts de bois. Ils avaient vite pris le coup, les chiens ! et quand ils étaient arrivés jusqu’aux archers, c’était avec le pied aussi sûr que le bras qu’ils embrochaient les défenseurs. Les maisons arbres voyaient leurs habitant disparaître sous les armures noirâtres des troupes de choc, qui laissait bientôt place à des dizaines d’archers et d’arbalétriers, qui pilonnaient alors les maisons qui avait l’audace de retarder l’avance du reste des barbares.

Ja’afae avait conduit la première troupe de choc, prenant le premier village, assommant le premier archer à portée. De là, sous les frondaisons des arbres plurimillénaires d’Anaëh, bercée par le chant des cordes qui allaient perdre carreaux et flèches dans la peau maigrement protégée des villageois, elle suivait les opérations, prête à aller prêter main forte aux troupes en difficulté. Mais le danger ne vint point des arbres, mais bien du sol. Le son d’un cor assourdi par les murs d’arbre avait redonné espoir aux désespérés qui tentaient maintenant de fuir les traquenards qu’étaient devenues les maisons d’arbre. D’un coup, comme secoués par la même énergie, des centaines de soldats venus d’Eraïson, sûrement tout ce que la ville avait pu réunir de guerriers, fondaient sur le village assailli, et les derniers villageois reprenaient la lutte, acharnés comme des lions blessés. En trois gestes, Ja’afae fit savoir ses ordres à sa troupe, indiquant aux archers leur nouvelle proie, avant qu’elle ne bondisse au sol et courut rejoindre les troupes encore à terre, afin qu’ils puissent tenir le choc qui allait suivre.

Ce que craignait Taloc était bien en train d'arriver. De fondre sur eux plus exactement. Le veldruk grinça des dents en évaluant la situation. Le mieux aurait été de battre en retraite, au risque de voir tout un flanc de l'armée drow se retrouver en mauvaise posture. D'un autre coté, une charge frontale signerait sûrement la mort de tout ses cavaliers. Il fallait trouver une tactique à mi chemin. La distance qui les séparait des elfes leur laissait quelques manœuvres de harcèlement avant qu'ils ne soient sur eux, et Taloc décida d'en profiter. Il se retourna vers ses trois blessés et les envoya prévenir tout les autres corps d'armée.

« Allez immédiatement prévenir Ja'afae et la veldruk archère... Selenia. S'ils ne se reforment pas je ne resterai pas ici à me faire massacrer. »

Ils partirent au galop vers l'arrière tandis que Taloc se retournais face à l'armée d'Eraison. Avec quatre vingt douze cavaliers, il allait falloir la jouer serré.

« Deux manœuvres de harcèlement puis regroupement sur leur flanc droit pour la charge, exécution ! »

Ses kyorl aboyèrent qu'ils avaient compris et organisèrent leur groupe. Plus besoin de se camoufler, cette fois chaque sombre tirerait avec toute son adresse. « En avant » hurla Taloc. Il emmena tout son escadron au devant des elfes, et lorsqu'ils arrivèrent à portée, une pluie de flèches s’abattit sur les premiers rangs. Pas une ne devait avoir manqué son coup. Les cavaliers tirèrent sur les rennes et se mirent à tourner en cercle aussi bien que les arbres le permettaient, et continuaient de lâcher leurs projectiles lorsqu'il revenait à portée. Ce manège dura quelques salves, peut être quinze minutes pendant lesquelles les premières lignes elfes étaient tombées, et Taloc espéra que l'infanterie avait déjà commencé à bouger.

« Regroupement ! » fut le signe de la seconde manœuvre. Tout l'escadron fila vers la gauche, pour se placer en formation de charge face au flanc gauche de l'ennemi. Aucun drow n'était mort, car l'infanterie elfes n'avait pas eu le temps de répliquer et avait continué d'avancer sous les tirs, imperturbable. Taloc inspira longuement. On allait entrer dans la phase critique de la bataille. Si sa charge s'embourbait et que l'infanterie ne venait pas à son secours, s'en était fini.

« Ur'talrss, ne décevez pas votre général, ne ME décevez pas ! J’attends de vous toujours mieux que ce que vous avez déjà fait ! Vous savez que ma reconnaissance et mon estime ne se gagne pas facilement, mais vous savez aussi qu'elle vaut le coup !! beugla Taloc.  À la guerre ! À la guerre ! Et à mort ceux qui se présentent sous nos sabots !! »

Dans un brouhaha de cris, hurlement, hennissement, l'escadron s'élança au galop, avide de sang et de combat. Taloc sentait ses cavaliers motivés, prêt à tout donner. Son propre corps lui envoyait des doses massives d'adrénalines qui aurait paralysé de plaisir un humain. L'excitation montait, et à mesure que les lignes elfes, toujours en marche, approchaient. Il n'avait pas décidé de charger frontalement, mais plutôt juste au coin du flanc ennemi, là où la ligne se termine et part en profondeur. Il vit les elfes commencer à essayer de leur faire face, mais les coursiers drows les avaient déjà porté sur eux.

Le choc fut terrible. Un entremêlement de cris de haine, de rage, de plaisir, de douleur, ainsi que le bruit des armes et des sabots. Taloc aimait ce bruit. Il assénait sans compter des coups de son épée courte, fendant des crâne et des clavicules depuis son cheval. Sa charge s'enfonça profondément, éparpillant les elfes devant elle. Mais Taloc pesta contre tant d'élan. Trop enfoncé, ils n'auraient peut être pas l'occasion de s'échapper et de se replier. Il continua de frapper rageusement autour de lui, et vit ses premières pertes. Une quinzaine de cavaliers venait d'être mis à terre. Certain étaient déjà mort, d'autre s'étaient relevé et continuaient de se battre à pied. Mais Taloc les savait perdu.

Il vit alors des elfes se ressaisir et l'infanterie commença à les englober. Chaque cavaliers faisait au moins dix morts avant de périr, mais l'incontestable supériorité numérique de l'ennemi aurait raison d'eux. Taloc compta rapidement, il ne lui restait à peu près plus que quarante à cinquante drow. Si le reste de l'armée compte bouger son cul c'est maintenant ! Pensa-t-il. Il continua le combat, se promettant de revenir d'entre les morts pour maudire ses alliés et pisser sur leur cadavre s'ils ne venaient pas l'aider.

Taloc chevauchait la mine sombre, portant son regard sur les trente quatre survivants de sa petite troupe. Ses soldats s'étaient bien battus, et les compagnons morts au combat seraient encore honorés pendant des jours dans leur esprit, mais malgré tout, Taloc regrettait tant de pertes. Leur action sur le flanc avait été héroïque... et suicidaire.
Le veldruk se détendit un peu la nuque. Il sentait retomber l'excitation. Pour son plaisir, le combat en lui même ne faisait pas tout ; il se délectait aussi de l'aspect tactique. Et avoir perdu plus de la moitié de ses hommes lui laissait un goût amère.

Une drow plutôt élégante aux cheveux blancs se porta à son niveau et s'adressa à lui :

« Vos Ur'talrss ont fait merveille tout à l'heure, veldruk. Si tous les guerriers du second ost possèdent le courage des vôtres, alors je crains pour les ennemis du Senger Malag'eyl. »

Taloc tourna la tête vers elle pour l'étudier un peu plus. Il lui semblait l'avoir aperçut avec les archers pendant la bataille. Elle avait la silhouette de ceux qui sont habitué à manier l'arc avec talent, et Taloc aimait ça.

« Je suis Selenia Zarffyn, capitaine du régiment d'archers. Je regrette pour vos pertes, mais sans vous, les nôtres auraient pu être bien pires... »

Ce compliment fit un effet bizarre au veldruk, qui eu l'impression de sentir sa poitrine se gonfler. La fierté n'avait jamais fait partie des caractéristiques majeures de Taloc, mais il trouva cela agréable.

« Taloc Kat' Mornar. Nous n'avons fait que notre devoir. Il sourit alors en découvrant un peu les dents. Et notre plaisir, un peu. »

Taloc reporta son attention sur la route qui les menait vers le reste de l'armée. Ellyrion n'était plus très loin, et il avait hâte de faire se reposer ses drows et leur monture. Il jeta un regard en coin à cette Selenia Zarffyn, et décida qu'il serait avisé de lui parler encore un peu.

« Je pleurs la mort de mes soldats, dit il abruptement, mais les survivants et moi même espérons que vous saurez nous renvoyer la pareil » Puis il sourit encore une fois pour temporiser ses propos. Si elle était veldruk des archers, Taloc préférait ne pas s'en faire une ennemi pour avoir un bon soutien sur ses arrières.