Les mauvaises rencontres... [pv Alric]

Un matin, dans les rues de Sybrondil.
Les festivités pour l'arrivée du nouveau Baron n'étaient pas encore visibles mais l'agitation se faisait déjà ressentir. Nombreux étaient ceux ayant à faire pour préparer pour le jour J. Les aubergistes faisaient le grand ménage et prévoyaient leurs stocks. Les épiciers, boulangers, et autres fournisseurs de denrées remplissaient les stocks des aubergistes. Les fleuristes et couturiers prévoyaient les décorations florales et les banderoles. Certains curieux étaient déjà arrivés et partaient en quête d'informations quant aux festivités afin de trouver les meilleures places pour tout voir. Sans compter les services de la ville qui organisait l'évènement...
Au milieu de toute cette agitation, qui aurait pu remarquer une jeune femme au long cheveux roux, portant un enfant dans les bras, cherchant visiblement quelque chose. Elle avaait une robe de bonne facture mais abîmée par endroit par une ronce ou une tâche qu'elle n'avait pas réussi à faire partir. Fut un temps, un tel haillon aurait été jeté mais aujourd'hui elle saurait s'en accomoder.
Seren cherchait un menuisier ou un fabriquant de meuble ou même un revendeur... Elle voulait acheter un berceau pour son enfant, sans se rendre compte qu'elle n'avait pas assez de pièces dans la main pour se payer une telle chose. Hildegarde lui avait donné un montant limite à ne pas dépenser par jour et par personne, aussi était-ce la somme qu'elle avait sur elle. Elle ne voulait pas être tentée de dépenser plus pour quelque chose qui n'était pas vital.

La jeune mère cherchait depuis un moment déjà. Au début, elle ne suivait que les axes principaux mais, à mesure que ses recherches échouaient, elle s'enfonçait un peu plus loin dans la ville, ignorant où elle se rendait exactement. Les ruelles étaient de moins en moins bien entretenues, de moins en moins bien fréquentées... et de moins en moins bien sécurisées.
Ainsi, au détour d'une rue :

-Eh ! Regardez ce qui s'amène les gars !!

Seren s'arrêta net. Devant elle se tenait un petit groupe d'hommes, 4 ou 5 de ce qu'elle pouvait en juger. Et aucun d'eux n'avait l'air fréquentable... Sales, une dague à la ceinture, des vêtements usés, une posture courbée. Des brigands ?
Mais, déjà, ils s'approchaient lentement d'elle, commençant à l'encercler.

-Alors ma belle ? On a perdu son chaperon ?

La jeune femme était pétrifiée. Sa mâchoire bougeait par intermittence mais aucun mot ne sortait de sa bouche. A peine un semblant de gémissement qui trahissait son état de panique.

-Tu réponds pu aux questions ma jolie ? Tu as perdu ta langue ?

Des ricanements se firent entendre d'un peu partout autour d'elle. Seren se retourna à plusieurs reprises sur elle-même, cherchant l'origine de chaque son qu'elle entendait. Le sang commençait à frapper dans ses tympans et sa respiration s'était fortement accélérée. Elle serra un peu plus fort son fils qui commençait à s'agiter en ressentant la peur de sa mère.
Et puis, une main se posa soudain sur son épaule et elle hurla de peur avant de se mettre à courir. Elle passa entre deux hommes et quitta la ruelle. Alors qu'elle s'éloignait, elle entendit :

-Mais qu'est-ce que vous foutez ? RATTRAPEZ-LA !!

C'était une journée comme les autres, du moins en apparence. La bataille pour Sybrondil était terminée, Alric et ses hommes y étaient partis en première ligne, le capitaine étant chargé de par son rang de noble de diriger les routiers. La suite il aurait pu la raconter cent fois et de cent manières différentes tant elle était confuse: il avait foncé dans le tas avec son cheval récupéré pour l'occasion, perçant de la pique de sa hallebarde tout les fous qui osaient se placer devant lui. Après il n'avait pas très bien compris, il avait été jeté à bas mais il avait réussi à se relever pour vendre chèrement sa peau, appelant à lui les mercenaires présents.

Quand le calme était revenu, son armure était couverte de sang et une bonne partie des hommes étaient morts ou blessés, sa propre compagnie avait perdue la moitié de ses effectifs, en fait seuls les vétérans avaient survécus: il lui faudrait recruter au plus vite.
Mais l'heure était au repos, les blessures qu'il avait reçu malgré son armure n'étaient pas tout à fait refermées et il vaudrait mieux ne pas les rouvrir, aussi Alric s'était-il promis une journée au calme loin des soldats ivres de leur victoire éclatante. Pour le moment il se baladait au niveau des artères peu fréquentées de la ville, tentant péniblement de trouver son chemin vers un endroit plus peuplé.

Et ce qui devait arriver arriva: un cri dans une ruelle attira son attention, une jeune femme venait d'appeler à l'aide. Le mercenaire se regarda quelques instants, il avait des coupures, des bleus, il n'avait pas son armure, tout juste ses vêtements citadins... Mais cela ne l'empêcherait pas de faire ce qu'il avait toujours juré de faire: protéger ceux qui en avaient besoin.
Suivant les injures et les cris, Alric arriva jusqu'à un croisement de ruelles où il vit passer une jeune femme poursuivi par quatre hommes habillés comme des brigands, pas difficile dans ces conditions de différencier le gentil et le méchant, pour le plus grand bonheur de notre chevalier errant!

Ils venaient de faire demi-tour non loin, sans doute que dans sa panique la demoiselle s'était emberlificotée dans les artères de la cité, l'occasion était belle de sauver la situation. Profitant d'une anfractuosité difficilement visible, Alric se positionna à l'intérieur, s'apprêtant à ramasser la Dame, dans son état il était plus sage d'éviter de se battre...
Elle arrivait, il le sentait, tout se jouerait au timing, elle était presque là... Trois, deux, un et... C'était raté! Alric ne saisit que du vide et il se retrouva bien vite par terre sous un gros bandit qui le regardait avec l'air d'une morue voyant un pêcheur après avoir mordu à l'hameçon.

Tirant sur ses bras douloureux, le mercenaire poussa la canaille sur le côté avant de tenter de se remettre à courir. Quelque chose lui attrapa le pied mais cette personne testa bien vite l'efficacité d'un coup de talon bien placé dans le nez. La course effrénée recommença avec une souris différente de la première, pas pour longtemps cela dit car Alric tomba bien vite nez-à-nez avec une charmante jeune femme terrorisée portant un bébé dans les bras. La reconnaissant comme la fugitive, le nobliau lui attrapa le bras pour l'emmener avec lui en courant, malgré les protestations et les pleurs du bébés. Les bandits avaient dû être ralentis par le dédale ou par la douleur de leurs semblables car ils abandonnèrent la poursuite, laissant Alric et la dame seul dans une impasse tout aussi peu fréquentée que le reste.

Les blessures s'étaient ré-ouvertes pour certaines et la tunique grise prenait une tinte rouge au niveau du bras gauche et du torse, ah qu'Alric regrettait de pas avoir pris une arme, il avait oublié jusqu'à sa fidèle miséricorde. C'est avec de la douleur dans la voix qu'il s'adressa à celle qu'il avait sauvé.

-"Dame! Je ne sais ce qui vous a pris de vous aventurer seule dans un endroit si mal famé. Êtes-vous téméraire ou point d'aller dans les quartiers les plus noirs de la cité avec votre enfant? Etiez-vous juste consciente des risques que vous preniez?! Laissez les femmes sortir seules qu'il disait l'imbécile..."

Le mercenaire toussota quelques instants avec d'appuyer sur une plaie sanguinolente, l'odeur du sang ne semblait d'ailleurs pas convenir au bambin qui reniflait de peur.

-"Cela étant, un chevalier ne peut laisser une femme seule et perdue. Où habitez-vous, que je vous raccompagne, ça vous évitera sans doute de vous faire essoriller."

Seren courut tant qu'elle put, à bout de souffle, sans savoir où elle allait. Elle semblait ne pas arriver à se défaire de ses poursuivants et sa peur ne faisait qu'augmenter. Au détour d'un carrefour, elle tomba nez à nez avec un homme qui commença à l'entraîner avec lui et, dans la panique, elle prit d'abord pour un brigand. Elle essaya de se débattre mais il était bien plus fort qu'elle et n'eut aucun mal à la contraindre de le suivre.
L'homme resta silencieux et attendit. Après un moment, il finit par la lâcher et commença à lui crier dessus. Seren, encore en proie à la peur, commença à pleurer. Les larmes coulèrent sur ses joues et sa respiration se fit un peu plus difficile alors qu'un sanglot lui tenait la gorge. Elle avait eu si peur... Et pourquoi son sauveur lui criait dessus ?
Le regard troublé, elle ne voyait pas le sang sur la tenue de l'homme.

Je... Je me suis perdue. Mon frère travaille...
Je ne l'ai pas fait exprès.

Ses larmes coulèrent de plus belle puis elle tenta de calmer Léandre qui pleurait... C'était la première fois qu'il pleurait. Elle essaya de le bercer, lui susurrant quelques mots qui semblaient davantage destiné à la convaincre elle plutôt que l'enfant. Après quelques instant, elle sembla sortir peu à peu de sa torpeur.

Je... Le Temple d'Aléra. Je vis là-bas.

Vous êtes chevalier ? Quel Seigneur servez-vous ?

Sa question n'était pas mue par la curiosité, elle cherchait simplement à changer de sujet. Cherchait-elle à oublier sa peur ou à s'assurer qu'il ne lui crierait plus dessus ? Elle n'aurait su le dire elle-même. Achevant un sanglot, Seren passa une main sur ses joues pour en effacer les larmes. Elle tremblait, encore sous le choc.

La pauvre fille avait l'air terrorisée, bien plus que ce qu'Alric avait pensé au premier abord. A ses vêtements on pouvait penser qu'elle n'était que rarement sortie de chez elle, peut-être était-elle comme lui une noble femme loin de sa famille et qui avait tout perdu? Possible, mais il y avait des questions plus importantes à régler pour le moment, par exemple: comment ramener la dame jusqu'au temple sans se faire égorger par le premier voyou venu? Le mercenaire n'en avait aucune idée, peut-être qu'en se tenant droit et en ayant l'air menaçant il écarterait le danger? Il ne lui restait plus que ça de toute manière, aussi se mit-il en route, la jeune femme à ses côtés.

-"Je suis un chevalier errant, sans seigneur et à la recherche de la justice comme de la gloire."

Le temple n'était pas visible de là où ils étaient, mais les bruits de la foule se rapprochaient, la destination ne devait plus être lointaine, et puis cette femme pourrait le guider. Mais pourquoi diable ne vivait-elle pas avec son mari? Au fond de lui-même Alric espérait qu'il ne s'agissait pas d'une de ces drôlesses qui s'étaient laissées prendre par le premier séducteur venu en pensant qu'il serait l'amour de sa vie...

-"Mais vous me dîtes que vous vivez au temple, vous n'avez pas un mari, le père de votre enfant?"

Bien vite ils arrivèrent sur une rue dans laquelle une petite foule vaquait à ses occupations, à partir de là Alric laissa le relais à sa princesse en haillons pour l'emmener au temple. Sa vision se troublait peu à peu, il avait très mal aux endroits où ses blessures saignaient, il n'osait se plaindre mais il espérait en secret que le personnel du temple s'occuperait de lui.
Il ne pu d'ailleurs pas cacher sa faiblesse longtemps, alors que le temple était à une trentaine de mètres, il s'accouda à un mur avant de mettre un genou à terre et une main sur sa tête, il lui semblait voir le monde tourner...

Seren suivit l'homme sans rien dire. Se tenant à ses côtés, elle ne voyait toujours pas les blessures de son sauveur. Celui-ci répondit à sa question alors qu'elle l'avait déjà oubliée. Un chevalier errant... Oui, il n'y avait guère qu'un tel homme pour secourir une damoiselle en détresse et son enfant. Quoi que ses manières laissait encore à désirer. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi il lui avait hurlé ainsi dessus...
Les deux jeunes gens retrouvèrent enfin des rues plus fréquentables. Fort heureusement pour eux, ils étaient arrivés sur une rue que la jeune femme avait déjà traversée à l'aller et elle était capable de retrouver son chemin. A partir de là, ce fut donc elle qui les guida à travers la cité.
Léandre s'était apaisé. Il avait senti l'apaisement de sa mère. Seren sécha ses larmes tandis qu'il la regardait d'un air fatigué. Cette expérience avait épuisé le petit bout d'homme âge d'un peu plus de cinq semaines.

L'homme rompit le silence, lui demandant où était son mari... La jeune femme fixa son regard droit devant elle sans répondre. Elle aimait son fils et le considérait comme un don du ciel mais elle avait honte de la façon dont il avait été conçu. Honte de s'être ainsi laisser prendre... et de ne plus pouvoir aujourd'hui offrir à son enfant qu'une vie pleine d'incertitudes.

Le temple se profila à l'horizon et Seren accéléra le pas. Ils étaient presque sous le porche lorsqu'elle entendit un bruit sourd derrière elle. Elle se retourna et vit l'homme à terre, une main sur la tête, une autre couverte de sang.

Mon Seigneur !!

Elle se précipita vers lui. Deux moines qui discutaient avec un pèlerin sur la petite place devant le temple se retournèrent en direction de la voix et accoururent.
Seren s'enquit de son état, mais il n'était pas en état de répondre. Alors les deux moines le soulevèrent après avoir passé chacun un bras derrière leur tête. Ils le firent entrer et lui trouvèrent une chambre. La jeune femme s'absenta, juste le temps d'aller coucher Léandre. Il était si fatigué que cela ne lui prit que peu de temps. Puis elle revint auprès de l'homme. Bien qu'elle n'ait jamais fait cela, elle tenait à aider à ses soins. On lui donna alors une tunique et un tablier blancs pour pas qu'elle ne se salisse et on lui expliqua ce qu'il fallait faire.

La douleur était aussi intenable qu'à la seconde où l'acier froid avait percé sa chair pour la première fois, déversant du fluide corporel sur l'herbe humide, pourtant il n'était plus sur un champ de bataille, mais dans une rue sécurisée. Et toujours cette peur qui revenait, lancinante et stressante, dans l'esprit d'Alric: était-il bien en sécurité? S'il un ennemi était présent non loin, que faire? En profiterait-il pour l'achever, profitant de son état de faiblesse?
Quand les deux moines vinrent le soulever pour l'emmener au temple, le mercenaire cru voir deux fantassins ennemis venus l'exécuter, deux infâmes forbans qui riaient de la souffrance qu'il endurait et qui attendrait l'ultime moment pour l'achever! Bien sûr le chevalier n'était pas destiné à se laisser faire et commença à se débattre.

-"Lâchez-moi bandits! Traîtres à votre race! Relâchez-moi que je vous mette en morceaux!"

Bien vite il se retrouva sur un fauteuil, tremblant du froid de la mort qui l'envahissait, il perdait beaucoup de sang et le précieux liquide n'avait pas eu le temps de se reconstituer entièrement depuis la dernière guerre. Il voulait se lever, frapper ces imbéciles qui venaient le bâillonner avec leurs morceaux de tissus -en réalité des bandages-, peut-être voulaient-ils le tuer par strangulation? Les monstres! Deux robustes hommes d'églises le maintenaient fermement sur sa chaise pendant qu'il délirait. Oh Alric n'osait rien dire trop haut, mais s'il avait pu il les aurait menacé de morts, tous autant qu'ils étaient, mais ses forces commençaient à l'abandonner au fur et à mesure que son agitation ouvrait d'autres plaies.

Relevant la tête, ce qui eu pour faire retomber sur son visage ses longs cheveux blonds poisseux, Alric allait envoyer aux manants une dernière malédiction quand il aperçut entre deux flous un visage familier. Non, cette jeune fille ne pouvait être une ennemie, un rêve plus sûrement... Et on ne pouvait lutter contre un rêve, aussi l'errant retomba-t-il sur le dossier de son fauteuil, arrachant des soupirs de soulagement aux praticiens qui pouvaient enfin travailler tranquillement.

-"Je suis peut-être pas si en danger que ça finalement, courage belle Dame, la fin est toujours proche...

Ses yeux commencèrent à se fermer, ses jambes à devenir molles, ses bras à retomber sur les accoudoirs. Son souffle se fit plus lent quand il entra dans le monde du sommeil, épuisé par le sang perdu et par la course effrénée et la peur de la mort...

Seren ne comprit pas pourquoi l'homme avait cherché à se défaire des deux moines venus l'aider devant le Temple. Si Ewen avait été là pendant qu'on l'apprêtait, il lui aurait dit de ne pas entrer dans la chambre où on essayait tant bien que mal de le soigner. De toute manière, elle aurait agi comme bon lui semblait. Ce chevalier l'avait sauvée, elle serait morte de honte d'être rester derrière la porte sans avoir eu le courage de l'ouvrir.
Ainsi, toute parée de blanc, elle poussa le pan de bois, déjà apeurée qu'elle l'était par les cris qui raisonnaient jusqu'à l'autre bout du couloir.
Finalement, l'homme la vit et... il s'apaisa aussitôt, s'effondrant sur le fauteuil sur lequel on l'avait installé à son arrivée. Seren eut un geste instinctif, se précipitant d'un pas vers lui de crainte qu'il ne se blesse en tombant... Mais elle s'arrêta voyant qu'il ne faisait que retomber sur l'assise qui était derrière lui. Un moine reprit alors sa tâche tandis que le deuxième observa la jeune femme. Sa seule vue avait apaisé l'homme. Est-ce parce qu'il s'agissait d'une femme ? Ou l'avait-il reconnue ? Peu importait, elle était venue et il valait mieux pour lui (ou pour les moines) qu'elle demeure à leurs côtés.

Seren aida du mieux qu'elle put, nettoyant le sang pendant qu'un des patriciens tenait un tissu fermement sur la plaie, essayant ainsi de stopper l'hémorragie. Une fois les blessures nettoyées, il avait encore fallu les panser, difficile à faire sur un homme inconscient. Enfin, on lui enfila une chemise de lin puis on l'installa sur un lit attenant.
La jeune fille s'absenta le temps de retirer ses frusques ensanglantées, de se laver les mains rougies et d'aller chercher son fils. Elle s'installa sur le fauteuil après l'avoir rapproché du lit. Léandre dormait dans une sorte de couffin en osier qu'on lui avait prêté, paisible. Après un moment, un moine apporta des repas : des légumes cuits dans l'eau bouillis et du pain pour Seren et une soupe pour le blessé. Rien de bien extravagant mais cela suffirait.

Debout devant le lit, l'écuelle de soupe à la main, la jeune femme se demanda comment elle allait bien pouvoir s'y prendre pour faire boire quelqu'un qui dort... Elle ne pouvait le redresser seule et elle ne voulait pas le réveiller mais le patricien avait bien insisté : il devait manger pour reprendre des forces.

La tête devenue lourde reposait sur le coussin, placée délicatement sur le tissu rembourré de plumes, dans son sommeil Alric rêvait de la bataille à laquelle il venait de s'en sortir. Il tombait de son cheval, sentait une lame ennemie traverser son armure et sa cotte de maille pour trouver son foie, le mercenaire cria de douleur avant de s'effondrer tandis qu'un millier d'épées transperçaient chaque partie de son anatomie.

Le chevalier se réveilla en sursaut, manquant de renverser le bol de soupe que la jeune Seren lui amenait. Il tint sa tête entre ses mains, regardant avec angoisse les bandages qui parsemaient ses bras et son corps en général.

-"J'ai survécu? Je ne suis pas mort?"

Morceaux après morceaux les souvenirs de la journée lui revinrent: il avait sauvé une jeune fille et son enfant, ses blessures s'étaient rouvertes et il avait été emmené par des moines. D'ailleurs c'était la dame qui était devant lui qu'il avait secouru... Sa tête lui faisait si mal et il avait si faim, il aurait pu manger un cheval. C'est alors qu'il aperçu la soupe tendue par la jeune mère. S'en s'attarder plus que de raison, il la saisit pour la boire presque d'un trait, il en avait si besoin! Evidemment la nature lui rappela bientôt son état quand tout son corps le fit souffrir de ce trop plein d'efforts.
Son visage était crispé par la douleur quand il remercia l'ancienne noble, un sourire tenant aux lèvres.

-"Merci pour la plat, ma Dame, je suppose que j'ai une petite dette envers vous maintenant. Je ne me suis d'ailleurs pas présenté, Alric de Hortelant, pour vous servir."

Seren sursauta au réveil du chevalier. Son sommeil avait apparemment été très agité et, alors qu'il sortait de son cauchemar, il s'y croyait encore. S'en sortir ? Mais oui... Pour quelle raison aurait-il pu en être autrement ? La jeune fille ne pouvait vraiment comprendre, n'ayant vécu de batailles qu'à travers ses livres ou lors de chamailleries avec son frère. Elle ne pouvait imaginer ce qu'était un véritable combat, et donc ce que cet homme avait pu traverser.
Alors qu'elle était resté prostrée sans savoir que répondre à ses questions, l'homme lui prit le bol des mains, manquant d'en renverser la moitié au sol. Le tout fila droit jusqu'à son estomac et ce fut à nouveau estomaquée que Seren prit le bol qu'il lui rendait.

Merci ? Mais je n'ai fait que porter le plat mon Seigneur...
Vous... Enfin. Avez-vous encore faim ? Je peux aller vous chercher quelque chose de plus consistant en cuisine si vous le souhaitez.

Le nom de l'homme ne lui dit rien... Peut-être l'avait-elle déjà entendu mais il n'avait pas marqué sa mémoire. Hortelant ne devait pas un être un grand domaine sans quoi elle saurait dire où cela se trouvait et qui en était le Seigneur.
A son tour, elle se présenta d'une voix douce, presque timide.

Seren de Milahn...

Alors qu'elle le prononçait, elle se demanda si elle pouvait encore utiliser son nom ? Elle l'ignorait à dire vrai. Certes elle avait toujours le sang de sa famille dans les veines mais elle avait perdu le titre qui y était associé.
La belle demoiselle posa le bol sur le plateau.

Une dette ? Vous m'avez sauvé la vie et celle de mon fils. Ce serait plutôt moi qui en aurait une envers vous car je n'ai rien fait qui soit à la hauteur de votre geste.
Et j'ignore comment vous remercier.

La soupe faisait déjà son effet à l'intérieur de l'estomac d'Alric, diffusant sa douce chaleur à travers son corps meurtri autant qu'elle échauffait son gosier vu qu'il avait tout avalé trop vite. Sa journée n'était pas si mal tout compte fait, il avait sauvé une demoiselle en détresse et son fils qui elle-même lui avait rendu la pareille en soignant ses blessures... Voilà le genre d'histoire que des bardes se feraient une joie de chanter si ils l'apprenaient!
Mais l'heure n'était pas à la gloire, le nom de cette damoiselle ne lui disait rien, mais il possédait une particule ce qui signifiait qu'elle était noble, malgré ce que ses vêtements laissaient à croire.

-"Un beau nom pour une belle dame, si vous me le permettez. Pour me remercier... Disons que si vous restez non loin pour illuminer mes jours pendant ma convalescence, vous auriez une dette complètement effacée. Enfin, si votre époux le permet bien sûr, chercher querelle n'est pas ce que je désire."

Un large sourire se lisait sur le visage du chevalier errant, son air timide lui inspirait des envies de protection chevaleresque! Commencer une discussion était sans doute le meilleur moyen d'en savoir plus sur elle...

-"Si vous me permettez, depuis quand vivez-vous dans cette ville et qu'est-ce que vous pouvez me dire dessus? Ca me serait utile pour remplir mon devoir qui est de protéger le vassal!"

Si il avait été tout à fait honnête Alric aurait avoué qu'il n'en avait strictement rien à cirer de ces questions. Il se sentait seul, cette fille avait l'air sympathique, discuter avec elle lui ferait le plus grand bien et au diable les commérages! Il faut dire qu'à part elle il n'y avait que des moines pour ce qu'il en jugeait à ceux qui passaient dans le couloir et parler théologie ne l'enchantait guère... Et qui savait? Peut-être la belle Dame avait-elle de jeunes amies?
Plus d'un chevalier se serait damné pour être à sa place en ce moment...

Le chevalier lui demanda de bien vouloir rester en sa compagnie. Seren esquissa un sourire timide en guise de réponse. Elle ne comprenait pas vraiment son intérêt pour elle. Peut-être cherchait-il simplement à mieux connaître celle qu'il avait sauvé, ou qui l'avait soigné, ou que savait-elle encore. La réponse à ses questions viendrait sans doute plus tard.

C'est bien peu en paiement de ma dette.

Elle marqua une courte pause avant de reprendre avant de reprendre.

Je demanderai...

Elle manqua d'ajouter "à mon frère" mais n'en fit rien. Il semblait persuadé qu'elle était mariée et elle n'avait pas envie qu'il sache la vérité. L'amie de la famille qui les avait reçu à leur arrivée et les moines du Temple avaient peut-être eu de la compassion à son égard mais elle n'escomptait pas que tous en feraient de même. Cet homme était noble et pour les sangs bleus la pureté d'une femme était la première chose à laquelle on se souciait. Elle n'aurait pas toujours la chance de rencontrer des personnes qui accepteraient de faire l'impasse sur son erreur de jugement.
Léandre se mit à gazouiller doucement dans son couffin. Alors qu'Alric entamait une série de questions sur la cité, elle alla le voir. Elle le sortit délicatement du panier et le prit dans ses bras pour retourner s'asseoir dans le fauteuil. Visiblement, le bébé était totalement remis de ses émotions. Il regardait sa mère en souriant, essayant d'attraper une mèche de ses longs cheveux roux. Ces derniers avaient été attachés en demi-queue le temps de soigner le chevalier et n'avaient pas été détaché depuis.

Oh, je ne saurais pas vous renseigner sur la cité davantage que vous n'en savez probablement déjà. Je ne suis arrivée que depuis quelques jours à peine.

Décidément cette jeune femme avait le don de paraître innocente et un peu perdue en toute situation, sans jamais avoir de réponse, avec un regard pur et son air angélique. Bêtement Alric lui décocha un sourire, avant de se mettre une claque mentale: il ne devait pas s'amouracher d'une apparence, d'autant plus qu'elle avait déjà mari et enfant et que lui repartirait bientôt au combat. Il n'empêchait: ce portrait d'une mère jouant avec son fils était très touchant et attendrissant. Quelque part le chevalier était un peu envieux, il avait vingt-quatre ans et pourtant aucun enfant, il lui semblait passer à côté de quelque chose, même si il avait encore un peu de temps devant lui pour se marier.

-"Pourrais-je tenir votre fils quelques minutes?"

La demande était étrange et la maman assez réticente, fallait bien dire que voir un homme demander à prendre un gosse dans ses bras n'était pas courant. Le regard que porta Seren au mercenaire montrait bien que la méfiance n'était pas dissipée, même si il l'avait sauvée, Alric prit ça à la rigolade.

-"Allons, je suis blessé et affaibli, que voulez-vous que je lui fasse, Dame?"

Quelques instants plus tard, l'errant se retrouva avec un bébé dans les bras, la petite créature semblait inquiète de se trouver là, devant un inconnu et une moue de peur se lisait sur son visage poupin. Ne voulant pas qu'elle pleure, Alric lui adressa son plus beau sourire, bien qu'un peu crispé par la douleur de ses muscles.

-"Un jour tu seras grand, mon petit. Tu défendras ta famille contre ceux qui lui voudront du mal et ton père te regardera avec un air fier tandis que tes frères et sœurs te souriront, conscients que tu leur auras apporté une existence de paix. Tu as un grand destin devant toi, j'en suis certain. Et surtout n'oublie pas: la compassion, l'abnégation et la générosité sont les vertus qui doivent mener ta vie.

Le chérubin fixait Alric sans comprendre ce que le grand blond lui racontait. Il y avait bien peu de chances que l'enfant ne se souvienne un jour de ce le chevalier venait de lui dire, cependant si ça pouvait rassurer sa mère sur ses intentions, ça ne serait pas plus mal. L'errant continua de regarder le bébé quelques minutes, le bordant un peu avec un demi-sourire avant de le rendre à sa mère. Il était fier de lui quelque part: l'enfant n'avait pas pleuré.

-"Vous avez un beau fils, gageons qu'il deviendra un chevalier exemplaire."

La demande du chevalier ne manqua pas de surprendre Seren qui regarda Alric d'un air inquiet et indécis. Jusqu'à présent, elle n'avait laissé personne ne prendre, hormis la servante qui avait pris soin d'elle de sa déchéance à son départ, son père, et son frère bien sûr car elle ne pouvait le porter en permanence durant leur voyage.

-"Allons, je suis blessé et affaibli, que voulez-vous que je lui fasse, Dame?"

Son regard se posa à nouveau sur son fils. Oui, il ne s'en irait pas avec. Et puis elle pouvait rester à côté pour s'assurer qu'il ne porte bien et qu'il ne le lâche pas par fatigue.
Finalement, Seren se leva et avança vers le lit. Elle installa l'enfant dans les bras du chevalier et, au besoin, lui indiqua comment le porter. Alric se montra bienveillant avec le bébé, essayant de lui sourire et lui parlant pour le rassurer.

-"Un jour tu seras grand, mon petit. Tu défendras ta famille contre ceux qui lui voudront du mal et ton père te regardera avec un air fier..."

Seren serra les dents, se forçant à ne pas détourner le regard par honte, et avala sa salive en pensant que jamais son fils ne pourrait jamais vivre une telle chose. Elle ne pourrait même pas lui mentir en lui disant que son père était mort à la guerre car une femme qui faute avant le mariage cela fait scandale et, si elle parvenait à se rapprocher de la noblesse, il aurait vite connaissance de sa situation de bâtard. Elle ne pourrait donc rien lui cacher et devrait lui trouver une autre figure paternelle.
Son frère dans un premier temps sans doute...
Et peut-être un jour, un mari. Si celui-ci l'accepte au sein de sa maison, bien sûr.

"... la compassion, l'abnégation et la générosité sont les vertus qui doivent mener ta vie."

La jeune femme esquissa un sourire tandis que Léandre babilla quelque chose au grand bavard. C'était de bien belles vertus que celle-ci, proches de celles qu'elle souhaitait lui inculquer. Si cette homme lui avait fait peur lors de leur rencontre, il paraissait à présent bien plus appréciable, voire même gentil.
Seren récupéra son fils, essayant de le saisir correctement sans s'approcher des blessures d'Alric pour ne pas lui faire mal.

-"Vous avez un beau fils, gageons qu'il deviendra un chevalier exemplaire."

La jeune femme lui sourit à nouveau.

Puissiez-vous dire vrai mon Seigneur.
Il est rare de trouver des chevaliers tel que vous... Tous ne respectent pas leur serment.

Seren hésita un instant puis alla s'asseoir, hésita à nouveau puis osa...

Comment en êtes-vous venu à choisir cette voie ?...
Si cela n'est pas indiscret de ma part.

Le regard perdu dans le vide, Alric se remémora chaque parcelle de sa vie de chevalier militaire avant de devenir un errant mercenaire. Une bien longue histoire, un récit qu'il n'avait jamais rechigné à raconter, que ça soit à des nobles, des riches, des pauvres, hommes d'églises ou simples paysans. Alors pourquoi ne pas lui dire à elle aussi, ce n'était pas comme si elle pouvait y changer quelque chose...

-"J'espère que vous avez de la patience, ma Dame, car mon histoire est un tantinet longue.

Comme vous devez vous en douter je suis né il y a vingt quatre années dans le bourg d'Hortelant, dans le marquisat de Serramire. Mon père était le seigneur du village et de ses environs, nous vivions avec ma mère, une femme douce mais ferme, mon grand frère Félix, aîné d'un an et bien sûr les servants du château. Etant noble vous connaissez les lois qui régissent les fratries: l'aîné doit régner après le père et les autres frères l'assisteront. Dans mon cas j'ai été formé toute ma jeunesse à être un guerrier accompli et un stratège hors pair... Je ne sais pas pour la stratégie mais j'ai hérité d'un certain don pour le combat, c'est certain.

Le combattant souriait en repensant à ces longues années d'entraînement qui lui semblait désormais si lointaines... C'était le bon temps, où tout allait bien.

-"Mon enfance a été bercé par les récits chevaleresque et c'est tout jeune que je me suis juré de toujours les respecter, ce que j'estime avoir fait jusqu'à aujourd'hui. Mais pour Félix... C'était différent, il était pessimiste, amer, colérique et orgueilleux, le soir certains servants juraient le voir sortir du donjon pour aller s'encanailler dans les quelques lieux de perdition du village.

C'est ainsi que mon père est arrivé à un dilemme: il ne voulait pas de mon frère sur le trône mais d'un autre côté outrepasser le droit d'aînesse pouvait conduire à des problèmes. Je devais avoir vingt ans quand il a commencé à songer à cela, je parcourais les terres avoisinantes avec une troupe d'hommes-d'armes, nettoyant la contrée des tonnes de bandits qui l'infestaient. Je me forgeais d'ailleurs une solide réputation de guerrier vertueux, me faisant apprécier de tous.
Le seigneur mon père eût alors une idée pour nous départager, Félix et moi: il nous remis à chacun une épée et nous dit en ces termes: "accomplissez un exploit et vous aurez ma place". L'exploit en question était de terrasser un chef bandit qui fédérait les bandes moins importantes que la sienne.

Avec une cinquantaine d'hommes nous avons attaqués son campement, au milieu de la mêlée je me suis retrouvé seul contre lui, je suis parvenu à le mettre à terre... Et au moment de l'achever, mon traître de frère m'a mis une bourrade pour me dégager et à décapité le criminel, proclamant qu'il avait accompli l'exploit. Personne n'avait rien vu, ou ceux qui avaient vus préféraient se taire par peur d'un homme qu'on disait autoritaire voire cruel.
Finalement mon père a abdiqué en sa faveur avant de partir vers le Sud pour ne pas en revenir. C'est l'esprit en ruine que j'ai continué mon combat contre ceux qui voulaient du mal aux innocents"

Mon frère m'envoyait des missions, de plus en plus dangereuses, jusqu'au jour où je compris, lors d'un assaut que je devais mener à un contre dix, qu'il ne voulait que se débarrasser de moi en me faisant tuer lors d'un combat trop dangereux. Je suis donc parti avec les hommes que je devais mener à la mort le lendemain, c'était il y a moins d'un an.

Et me voilà, parcourant le monde avec mes mercenaires, aidant l'innocent, qu'il soit riche ou pauvre, combattant pour des causes justes."

Les poings serrés de rage, Alric ravalait sa fierté à chaque mot, qu'il détestait cette situation, quel malheur qu'il n'ait une armée capable de régler tout les crimes!

-"Quelque part je ne suis pas vertueux de nature, je le suis car c'est tout ce qu'il me reste..."

J'espère que vous avez de la patience, ma Dame, car mon histoire est un tantinet longue.

Seren lui sourit et attendit la suite. Si elle n'avait pas été prête à l'écouter, elle ne lui aurait pas fait cette demande.
L'histoire dura de longues minutes durant lesquelles l'attention de la jeune femme ne faiblit pas un instant. Elle avait presque l'impression d'être revenue à Ysari et d'être en train d'écouter l'une des histoires que les nobles de la Cour se comptaient lors de leurs longues séances de lecture. Un souvenir agréable et encore très frais dans sa mémoire.
Lorsque le chevalier eut fini, Seren posa les yeux sur son fils. Celui-ci c'était endormi, bercé par la voix grave d'Alric. La jeune dame sourit, à la fois amusée et attendrie.

J'avoue avoir du mal à comprendre votre frère...
Il est vrai qu'il n'est aucunement question de succession ou même d'âge entre mon frère et moi mais nous avons été élevés dans l'amour et le respect l'un de l'autre.

Un petite rire s'échappa des lèvres de la belle demoiselle tandis qu'elle prenait un peu de recul sur ses propres paroles.

Même s'il passe plus de temps à essayer de me mettre en colère qu'à me dire qu'il m'aime.

Elle rit encore quelques secondes puis marqua une pause.

J'imagine que vous ne pouvez plus rentrer chez vous à présent ?

Même si leurs histoires étaient totalement différentes, Seren se sentait assez proche de lui. Aucun d'eux ne pouvaient rentrer chez eux parce qu'ils avaient été trahis par un être cher à leur cœur.

Comment une personne extérieure pouvait-elle comprendre la réaction de Félix? C'était impossible, tout venait de lui, de sa nature mauvaise, de son éducation qui ne l'avait pas remonté, de ses envies de pouvoir et de son désir pour la chair. Tant d'hommes étaient comme lui, fourbes et retors, se délectant de la souffrance des autres... Quelque part il représentait ce qu'Alric combattait.

Et arriva la question fatidique: "pouvez-vous rentrer chez vous". La réponse était aussi évidente que cruelle: non.

-"Je ne puis. Si je rentrais au pays, clamant que je ne suis pas mort au champ d'honneur, que m'arriverait-il? Je serais au mieux renvoyé à mes missions suicides, au pire tué comme déserteur. Non, c'est une impasse pour moi."

Alric soupira et replaça les draps sur lui, cette situation lui semblait si familière et si insupportable...

-"Et puisque nous parlons d'habitation, je suppose que vous n'habitez pas le temple même, les couples mariés n'y étant pas vraiment logés. Où habitez-vous sinon? Quelque part dans la ville?"

Seren sourit et baissa la tête. Il était vrai que sa question était un peu idiote. Un petit rire lui échappa.

Pardonnez-moi.

La question suivante laissa la jeune femme beaucoup plus indécise. Son sourire s'effaça dans un grand "Euuuh...". Elle ne savait pas mentir et redoutait sa réaction en apprenant qu'elle avait eu un enfant hors mariage. Et elle avait honte... Pas de son acte, mais d'avoir été si naïve.
Alors qu'elle cherchait comment entamer sa réponse, la porte de la chambre s'ouvrit. Seren se retourna et constata que son sauveur n'était autre qu'un moine portant dans les mains un plateau contenant des bandages et de l'alcool.

Excusez-moi. Je viens désinfecter les plaies de notre blessé et changer ses pansements.

Puis, portant son regard sur la jeune femme...

Vous devriez peut-être sortir ma Dame.

Oh... Oui. Bien sûr.
Je vais en profiter pour coucher Léandre.

Elle se leva, son enfant toujours dans les bras. Elle se tourna une dernière fois vers Alric avant de partir.

Voulez-vous que je vous ramène quelque chose des cuisines, mon Seigneur ?

En voyant l'alcool et les bandages posés sur le plateau que tenait le moine, Alric déglutit bruyamment. La suite allait être réglée comme du papier à musique: on allait lui enlever ses bandages, mettre de l'alcool sur les nouveaux bandages ainsi que sur ses plus grosses plaies et le moine allait tout lui remettre. Ce serait long, ce serait douloureux, ce serait aussi classique qu'énervant. Par chance une charmante dame se proposait de lui ramener quelque chose à manger pour se délasser...

-"Je ne serais pas contre un nouveau bol de soupe avec du pain! Avec un peu de chance ce saint homme aura terminé quand vous reviendrez."

Comme prévu; les événements suivants se révélèrent longs et plein de souffrance, les bandages étaient rouges de sang et l'alcool arracha des grognements de douleur à Alric. Il avait beau être un guerrier, l'alcool faisait toujours aussi mal! Certaines blessures avaient virées au brun, engageant le moine à verser double dose du liquide sur elles. Le supplice aurait fait rugir de douleur n'importe qui et l'errant ne fit pas exception à la règle.

Tout cela sembla durer une éternité bien qu'en réalité le moine eût fini en moins de vingt minutes. Saluant avec un sourire au lèvre -il devait avoir été abreuvé de menace en début de journée- le moine se leva après avoir terminé pour sortir et laisser la place à une Seren tenant soupe et pain dans ses douces mains, les posant non loin du chevalier errant, celui-ci s'empara d'un quignon qu'il tendit à la demoiselle.

-"Vous devriez manger, ça vous remettra de ce qu'il s'est passé tout à l'heure. Au fait, en parlant de ça, qu'est-ce qui vous a pris de vous aventurer dans ce genre d'endroit? On en ressort plus souvent dans une caisse de bois qu'en vie."

Avec un peu de chance ce saint homme aura terminé quand vous reviendrez.

Seren lui sourit pour lui donner du courage puis elle sortit après avoir échangé quelques civilités avec le moine. Elle se rendit dans sa chambre pour coucher son fils. Après s'être assurée qu'il dormait toujours et qu'il était bien couvert, elle se dirigea vers les cuisines pour récupérer un repas pour le chevalier. Passant dans les couloirs, elle repassa non loin de la chambre d'Alric. Un cri raisonna sur les murs de pierres et la jeune demoiselle s'arrêta net, regardant dans la direction de la porte d'où émanait le son. Les soins du moine semblaient très douloureux... Mais il fallait bien nettoyer la plaie pour éviter l'infection.
D'autres cris retentirent avant que la douce dame ne se décide à poursuivre son chemin.

En cuisines, on lui servit une nouvelle soupe contenant plus de morceaux que dans le premier bol. Puisqu'il était capable de manger, autant lui donner de quoi tenir au corps. On ajouta une bonne portion de pain enveloppé dans un linge et on donna le tout à la jeune femme.
Une fois devant la porte, Seren n'osa entrer... Les cris avaient cessé mais le moine était toujours là. Elle ne voulait pas l'interrompre dans ses soins. De plus, le chevalier se trouvait dans une situation où une femme inconnue n'était pas censé pouvoir le voir car sa chemise avait probablement due lui être ôtée.

Alors elle attendit en silence que le patricien lui ouvre sorte. Il lui garda la porte ouverte et referma derrière elle. Elle s'avança et posa le tout près d'Alric. Celui-ci lui proposa un peu de son pain qu'elle refusa d'un geste poli de la main accompagné d'un doux sourire.

J'ai mangé tandis que vous dormiez, mon Seigneur. Il ne me manque plus qu'une nuit de sommeil et mes émotions seront passées.

Seren s'éloigna de quelques pas. Elle s'arrêta devant une table sur laquelle étaient posées une bassine vide et une cruche d'eau. La dame versa un peu d'eau dans la bassine avant d'y tremper un linge et de l'essorer.

Au fait, en parlant de ça, qu'est-ce qui vous a pris de vous aventurer dans ce genre d'endroit? On en ressort plus souvent dans une caisse de bois qu'en vie.

Tout en revenant à ses côtés, Seren lui répondit d'une voix douce.

Je vous l'ai dit, je me suis perdue... Je cherchais un berceau pour Léandre. J'étais seule mais je pensais pouvoir me débrouiller. Seulement, je ne connais pas la ville.
Je n'ai presque jamais quitté la Cour et j'étais toujours accompagnée...

La jeune femme se pencha et appliqua le tissu humide avec délicatesse sur le front du chevalier car la douleur l'avait humidifié de sueurs. Une fois que cela fut fait, elle retourna à la bassine pour le rincer et l'essorer à nouveau avant de le poser sur le bord du récipient.

Et vous ? Vous ne deviez pas être loin pour intervenir aussi rapidement, n'est-ce pas ?

Oh ce linge salvateur qui vous sauvait de la douleur tel un miracle divin! Alric ferma doucement les yeux en retombant dans son lit, profitant chaque instant un peu plus des gouttes fraîches perlant sur son front puis son visage. Sortir de son état de bonheur pour écouter Seren parler lui demanda mille efforts, mais il comprit qu'elle était partie chercher un berceau et qu'elle s'était perdue... On faisait difficilement plus stupide comme manière de mourir, mais ça, le chevalier n'oserait jamais l'avouer.

Restait à expliquer sa présence là-bas, à vrai dire il avait juste fait une balade et était tombé sur elle par pur hasard après l'avoir entendue hurler...

-"J'étais en train de longer les quartiers pauvres à la recherche d'une échoppe où dépenser mes deniers en pitances. Je vous ai ensuite entendu crier et j'ai foncé à votre secours, comme tout brave chevalier devrait le faire! Ou du moins tenter..."

Il profita avec plaisir à un nouveau linge sur le haut du crâne, les blessures semblaient beaucoup moins douloureuses présents et ce n'était pas pour lui déplaire. Et si il lui racontait comme il l'avait sauvée? Ca ne pourrait que plaire à une jeune demoiselle si charmante...

-"En fait je vous ai entendu hurler et j'ai foncé vers votre position, tentant de m'y retrouver à travers les ruelles sombres, tout à coup je vous ai vu courir, poursuivi par cinq bandits. Je me suis interposé en décollant un coup de poing au premier, ralentissant les autres qui se demandaient ce qui se passait. Quelques instants plus tard j'étais sur vous, la suite vous la connaissez."

Le chevalier resserra un de ses bandages, tentant de se donner un peu de prestance après la véritable boucherie qui avait suivie la course. Ce n'était pas gagné cela dit, enfin, les cicatrices impressionnaient les dames, même les femmes mariées...

-"Vous dîtes que vous n'étiez jamais sorti de la Cour avant, mais de quelle cour? Celle de Milahn ou celle de votre père?"

Spoiler:

Le goût de Seren pour les récits pris le pas sur la raison de la jeune demoiselle qui écouta le récit du chevalier avec un grand intérêt, sans même voir qu'il en rajoutait un peu. Elle avait beau avoir participé audit évènement, elle semblait le redécouvrir et ne s'en lassait pas. Après son point de vue, elle avait maintenant celui de son sauveur. Le preux chevalier à l'âme pure qui avait accouru à son appel au secours.
Elle était admirative devant tant de courage et de dévotion pour la noble cause qu'était la sienne.

Je n'ai certes pas été très prudente mais vous ne l'avez pas été non plus en volant à mon secours tête baissée et alors que vous étiez encore en convalescence.
C'était très dangereux. Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez compris qu'ils étaient cinq contre vous ? N'avez-vous pas eu peur ?

Les yeux grands ouverts, les oreilles prêtes à boire chacune de ses paroles, Seren se sentait comme un romancier qui interrogerait son propre personnage avant de décrire son ressenti, ou comme un biographe qui rencontrerait le héros de l'histoire qu'il s'apprêtait à écrire.

Un tissu humide se posa à nouveau sur le front du blessé. A ses réactions, elle comprit sans peine qu'il appréciait ce contact, aussi réitéra-t-elle le geste régulièrement.

Vint ensuite la question à propos de la Cour à laquelle Seren avait fait allusion. La jeune femme ne fit pas la distinction entre la Cour "de Milahn" et celle de son père, oubliant totalement que le chevalier la croyait mariée. Aussi répondit-elle sans réfléchir.

Oh non, les de Milahn n'ont pas de terres. Nous vivions à la Cour du Baron d'Ysari.

D'aucuns disaient que la mort était la compagne du soldat, c'était là de sage paroles, mais plus sages encore étaient ceux qui disaient que la peur était la maîtresse du guerrier. Les légendes et les bardes vantaient les chevaliers valeureux qui fonçaient vers l'ennemi sans crainte, trompant le destin par leurs gestes agiles! Ce n'était que des histoires, à la guerre ceux qui allaient à l'affrontement sans peur de mourir étaient les premiers à périr, c'étaient eux qui recevaient les premières flèches et les premiers coups de lances...

-"Oui, ma Dame, j'ai eu peur pour ma vie, j'ai eu peur de mourir en venant vous aider. Mais je craignais encore plus les supplices qu'ils auraient pu vous faire subir, à vous et votre fils, alors j'ai dû la braver, tout en la gardant en moi pour ne pas me suicider inutilement."

Et revint le linge mouillé qui devait porter la bénédiction des dieux pour faire autant de bien au corps endolori du jeune homme! Il aurait aimé que ce contact dure éternellement, mais ce ne fût malheureusement pas le cas, il en profita donc pour écouter la réponse de la mère. Elle fût bizarre d'ailleurs, elle disait que les Milahn n'avaient pas de terres et qu'avant elle vivait à la cour du baron d'Ysari... Mais dans ce cas pourquoi s'être mariée? Elle n'était plus à la cour d'Ysari, c'était donc qu'il y avait eu un accident...

-"Mais si vous viviez déjà à la cour du Baron, quel besoin d'épouser un mari sans terre? Votre situation était-elle dangereuse?"

Seren ne chercha même pas à masquer son expression de surprise lorsqu'Alric mis en avant l'illogique de ses propos. Le regard de la belle devint rond tandis que son visage se figea. Elle se sentait comme une enfant prise en faute. Elle avait cherché à lui cacher cet élément de sa vie le plus longtemps possible mais ce sujet semblait revenir trop souvent... Jusqu'à présent, elle avait réussi à éluder ses questions mais une nouvelle fois elle était au pied du mur et il y avait peu à parier que le moine reviendrait avec son plateau de soins pour la sortir du pétrin...

Le regard de la douce demoiselle se baissa sur ses doigts qui se trituraient les uns les autres. Ce n'était définitivement pas facile à avouer... Elle s'était couverte de honte par amour, l'amour d'un homme qui s'était enfui sans qu'elle ne comprenne pourquoi.
Finalement, les mots finirent par sortir de sa bouche avec une grande difficulté.

De Milahn... n'est pas le nom de mon époux.

C'est... celui de mon père.

Un silence traversa la pièce tandis que Seren n'osait plus relever les yeux pour voir la réaction d'Alric. En quoi cela lui importait-il ? Elle n'en avait pas la moindre idée... Peut-être parce qu'elle l'appréciait en dehors du fait qu'il lui avait sauvé la vie.

Mon fils devrait s'appeler Léandre de Valdegarde. Mais... Joshua... son père...
Il ne me donne plus de nouvelles...

Le choc que ressentit Alric fût si puissant qu'il en resta hébété et que sa peau rose vira au blanc pâle, ainsi cette jeune fille à l'apparence si innocente avait fauté, elle avait commis l'irréparable avec un bougre qui l'avait immédiatement laissé tombé. Ce simple fait aurait suffit à la placer dans la case des "femme de faible vertu" par le chevalier, mais le nom du père, ce nom, il le connaissait, cela remontait à lui mais il le connaissait... C'était le nom d'un guerrier grand charmeur d'un comte pour enfant que sa nourrice lui racontait quand il était petit, ce nom une personne l'utilisait lors de leurs jeux d'enfants, quand les bambins prenaient des épées en bois pour tuer le dragon et sauver la princesse. Ce pseudonyme était le préféré de Félix de Hortelant, son frère.

Mais ce ne pouvait être qu'une coïncidence! Un Joshua de Valdegarde pouvait bien exister de part le monde sans que ça soit un nordiste! Néanmoins, Alric dans sa peur, posa la question fatale.

-"Avait-il un accent Serrois?"

Quand la jeune femme répondit par la positive, son sang ne fit qu'un tour, alors il commença à décrire son frère, demandant à Seren si Joshua ressemblait bien à ça, et elle répondit par la positive à tout. Il avait les cheveux bruns très longs, les yeux verts, la même taille qu'Alric mais moins musclé sans être gras, avec un accent serrois prononcé, la manie de dire "voilà tout" à chaque fin de phrase. Quand il eût terminé, l'errant se laissa retomber comme une masse sur son lit, envahi par ses pensées.
Quelques secondes passèrent, peut-être qu'on lui parlait, il n'en savait trop rien, toujours est-il qu'il se releva à toute vitesse, sortant presque du lit malgré la douleur pour laisser sortir un sobre mais furieux:

-"Félix, sale enfoiré, qu'est-ce que t'as encore fait comme conneries..."

Il leva son regard bleu rempli de colère vers le jeune demoiselle face à lui. Il avait envie de la frapper, de l'injurier pour son acte mais d'un autre côté il connaissait son frère et savait à quel point il était convainquant. Puis restait la question de l'enfant, il était légitimement son oncle. Qu'en faire? Il en avait sa petite idée, mais d'abord la colère devait sortir. D'un doigt menaçant il montra la porte à Seren.

-"Foutez le camp et revenez quand vous n'entendrez plus rien."

Une fois chassée, Alric attrapa le plateau de métal resté posé là et l'explosa contre un mur avant d'envoyer se fracasser la cruche d'eau sur la porte. Cette situation l'écoeurait, il se sentait presque coupable de la situation... Le gosse devait avoir un gros mois, deux peut-être, ce qui correspondait à la date d'un voyage de Félix vers Ysari... Le doute n'était plus permis et toute cette histoire le faisait sortir de ses gonds. Finalement, à bout de nerfs il s'assit contre son lit, l'anxiété et la colère ne le quitteraient pas aisément...

Une lueur d’espoir apparut dans les yeux de Seren alors qu’Alric commençait à décrire celui qu’elle avait aimé au point de risquer tout ce qu’elle avait. A mesure qu’il le dépeignait, son visage commença à s’illuminer. Oui… Oui c’était bien lui !! Elle avait trouvé quelqu’un qui le connaissait !! Elle n’aurait jamais espéré…

Savez-vous où je puis le trouver mon Seigneur ?

Peut-être que s'il voyait son fils...

La douce enfant questionna le chevalier à plusieurs reprises mais il ne semblait rien entendre, plongé qu'il était dans sa torpeur. Lorsqu'il en sortit soudainement, Seren recula d'un pas, surprise. Puis il se tourna vers elle et lui cria une nouvelle fois dessus. Qu'avait-elle bien pu faire pour mériter cela ? Que venait faire son frère dans cette histoire ?

La jeune demoiselle ne comprit pas et resta prostrée une seconde tandis que les larmes lui montait progressivement aux yeux. Finalement, elle sortit précipitamment. Derrière elle, la porte s'était mal refermée et resta entrouverte. Le regard trouble, elle courra jusque "chez elle" et claqua sa porte derrière elle. Les bruits de la colère d'Alric déferlant dans la chambre lui parvinrent et elle pleurait tout son sou de peur et d'incompréhension. Une chose était sûre : elle ne retournerait pas le voir, pas pour risquer de subir une nouvelle fois ses sautes d'humeur.

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