De la compagnie pour une nouvelle Dame [Ophélia]

Et voilà, c'était chose faite. Il y avait une de Milahn de moins dans la Péninsule. Elle avait troqué son nom pour celui d'un autre. La cérémonie n'était pas finie depuis une heure que déjà tous se pressaient dans la grande nef pour saluer "l'heureux" couple et leur souhaiter tous leurs vœux. Seren ne comprenait pas cette tradition. A quoi rimait de souhaiter longue vie et bonheur après un mariage arrangé ? Personne ne connaissait les sentiments du Grand Maître pour son épouse et encore moins que c'était ce qui avait motivé leur union. Et quand bien même, avait-il tenté de lui faire la cour ? Non. Sans doute pensait-il le faire plus tard. Tout du moins c'était ce qu'elle espérait.

Alric avait beau avoir de bonnes intentions, on ne pouvait appeler cela un mariage d'amour. Alors pourquoi tant de mièvreries et de mensonges ? Pourquoi afficher un grand sourire alors même que l'on de connaît pas les époux, ou qu'on ne les porte pas dans son cœur ? Seren avait un certain nombre de cousines que son oncle Sébasté qualifiait ouvertement de pimbêches. Il était vrai qu'elles n'avaient rien d'agréable. Leurs seules ambitions dans la vie était de séduire un puissant Seigneur avec leur charme et d'en obtenir le mariage. Pouvait-on faire plus superficiel ?

Mais la belle rouquine était noble et d'un caractère trop doux pour faire le moindre reproche quant à ses cousines et toutes ces fausses félicitations. On venait de l'attacher à jamais à un homme qu'elle appréciait mais qu'elle n'avait pas choisi et pourtant elle affichait un sourire à chaque personne venant se présenter à elle, remerciant chaleureusement, jouant les hypocrites autant qu'on le faisait avec elle, rendant les compliments même s'ils n'étaient pas mérités de part et d'autre, parce que c'était ainsi que le voulait les règles de bonnes conduites. En cet instant, Seren aurait préféré un peu de solitude. Rester seule avec son époux ne l'aurait pas dérangé non plus. Il était vrai qu'elle était arrivé plusieurs jours auparavant mais elle n'avait pas vraiment eu le temps de faire connaissance avec lui en tant que fiancé, pas plus que de se faire à l'idée qu'il serait bientôt son mari.
Les conventions sociales ne voyaient pas les choses du même œil et ces quelques jours s'étaient écoulés en préparation festive et en entretien des relations politiques et/ou familiales. C'était à peine si la belle avait pu voir son fils.

Le vin d'honneur se poursuivait tant que quelqu'un s'approchait à nouveau de la nouvelle épouse. Encore des visages inconnus.
Seren leur adressa un sourire alors qu'elle comprenait que c'était vers elle que l'on se dirigeait. Faire bonne figure, toujours, même si le cœur n'y était pas.

Seren gratifia la Dame d'un sourire qui se voulait sincère bien que les mots n'atteigne plus son cœur. Bonheur, amour... Voilà des mots qui ne correspondaient pas à ce moment. Mais il aurait été mal venu de fâcher qui que ce soit, surtout aujourd'hui, alors elle se contenta d'accompagner son sourire d'un remerciement.

Que grâce vous soit rendue pour cette bénédiction, Mademoiselle.

Qu'il était étrange pour la jeune fille de devoir appeler une femme plus âgée par "Mademoiselle". Cela semblait presque ridicule mais les convenances allaient ainsi. Cette personne était seule et ne portait apparemment pas d'alliance. Elle devait donc supposer qu'elle n'avait pas encore connu le mariage. La virginité la touchant toujours, elle ne devait être affublée du titre de "Madame".
Mais voilà que d'autres approchaient déjà et Seren en avait assez de voir les visages défilés. Sans même réfléchir, elle entreprit de poser quelques questions à cette personne-ci. Juste pour la retenir, ne serait-ce que quelques secondes. Pas plus, elle ne pouvait se le permettre. Mais au moins retarderait-elle un temps soit peu l'échéance de devoir saluer encore d'autres inconnus.

Vous remercierez également votre mère pour ses vœux. Quel est son nom ?

Certes, la jeune mariée n'avait pas manqué de remarquer que la Dame accompagnait le Baron de Sybrondil. On lui avait enseigner à reconnaître les personnes d'importance et ceux qui l'entouraient (et, au cas où, il y avait toujours quelqu'un pour vous le désigner du doigt...). Mais l'influence et le pouvoir ne faisaient guère partie de ses centres d'intérêts. Ce n'était donc pas la raison qui la poussait à échanger quelques mots supplémentaires avec cette femme. Sur le moment, Seren pensa qu'il ne s'agissait que d'un concours de circonstances, ce qui ne serait sans doute pas pour déplaire à son entourage. Se rapprocher des puissants étaient toujours bien vu après tout.

Seren lui sourit de plus belle. Elle n’avait pas commis d’impair. Combien y en avait-il qui était venu se présenter à elle et qui finalement était reparti sans même lui avoir donné son nom ou qui le lui avait donné tant et tant de fois qui lui aurait été difficile de l’oublier.
Dire que dans quelques semaines ou mois, on viendrait l’aborder en disant : « Mais si ! J’étais à votre mariage ! Vous ne vous souvenez pas ? ».

La fraîchement renommée « Madame de » devait hélas couper court à ce micro-entretien. D’autres commençaient déjà à s’impatienter derrière la Dame.

Je saurais probablement trouver un peu de temps à vous accorder dans les jours à venir. Je vous tiendrais informée.

Seren salua la demoiselle afin de clore la conversation puis se tourna vers ceux qui se pressaient déjà pour venir lui énoncer leurs vœux.
Fadaises et belles figures, voici comment s’acheva la journée. Le vin d’honneur fut suivi d’un festin puis d’un bal et, enfin, les nouveaux mariés rejoignirent leur chambre commune pour leur nuit de noces. Cela rigolait bien dans l’assistance, même si ce n’était pas vraiment le cas du couple qui, bien que souriant, appréhendait évidemment ce moment imposé par la tradition.

Malgré la fatigue des jours précédents et la courte nuit qu’ils avaient eue, les nouveaux mariés durent faire acte de présence dès l’aube, et ce durant tous les jours qui suivirent. Chacun dut accorder audience à untel et untel dans un entretien privé qui durait à chaque fois au moins une heure. Sans compter que toutes les occasions étaient bonnes pour que le couple s’affiche ensemble, se tenant par la main, comme si les alliances ne suffisaient pas à montrer qu’ils étaient mariés.
Progressivement, certains quittèrent le château, laissant un peu plus d’espace à la famille proche qui s’assurait que tout se passait pour le mieux ou à ceux qui attendaient encore leur tour pour s’entretenir avec les mariés. Une sorte de salon avait été aménagé en hâte afin de disposer d’un lieu privé pour chacune de ces réceptions.
Depuis son mariage, Seren avait l’impression de passer son temps enfermée, à l’exception d’une ou deux ballades dans le village aux côtés de son époux afin de faire connaître son visage à la plèbe. La salle du trône, le petit salon, la chambre à coucher, voici les seules pièces qui commençaient à lui être plus que familières. Elle n’avait pas un moment de répit ni de solitude. L’air pur et frais de l’extérieur lui manquait terriblement et faire le tour du cloître ou du jardin d’intérieur ne semblait lui donner qu’un vague aperçu de ce qu’il y avait au dehors.
Ce jour-là, la Dame avait choisi d’accorder l’entretien promis à la demoiselle qu’elle avait rencontré lors du vin d’honneur et avec qui elle avait essayé d’échanger quelques verbes avant d’être rapidement rappeler par ses obligations. Pour ce faire, elle lui avait donné rendez-vous devant la grande porte de la salle du trône après le déjeuner pour faire une promenade dans ce qui avait probablement été et qui redeviendrait sans doute un jardin propre à la balade.
Chaudement vêtue, Seren attendait sur le lieu du rendez-vous. Elle savourait ce court moment de solitude, s’imaginant déjà le bien-être que lui apporterait cette petite sortie au grand air qu’elle attendait depuis tant de jours.

Tirée de ses songes, Seren tourna la tête vers la voix qui avait prononcé son nom. Reconnaissant le visage de la Dame qu'elle avait rencontré quelques jours auparavant, elle lui adressa un sourire plus sincère que la grimace de cérémonie qu'elle avait accorder à chaque personne qui s'était présentée à elle le jour de son mariage. Il restait toutefois un brin de tristesse dans son regard, celui d'une jeune femme que l'on avait forcé au mariage. Alric n'était pas le plus mauvais des hommes, loin de là, mais ils n'avaient que peu de temps seuls tous les deux et elle ignorait encore quelle opinion se faire quant à son avenir. Cette union était-elle une promesse d'une vie douce et agréable à deux ou un ensemble de contraintes et de restrictions qu'elle devrait subir jusqu'à la fin de sa vie ?
Bref, Seren était encore en pleine méditation sur le sujet et cela pouvait se lire dans ses yeux pour qui y porterait une quelconque attention.

Les deux Dames échangèrent les civilités d'usage, la jeune mariée répondant qu'elle ne disposait hélas que de peu de temps pour se reposer avant de demander à son invitée si le séjour était à son goût et si elle ne manquait de rien. Puis la maîtresse des lieux indiqua la direction des jardins qui se trouvaient seulement à quelques pas sur la droite. Pour l'heure, rien n'avait encore été planté. Il faudrait attendre le printemps pour que l'on puisse en faire quoi que ce soit. Seules les allées avaient été délimitées et gravillonnées de manière à au moins permettre la promenade au grand air à défaut d'offrir un décor des plus agréables.

Marchant d'un pas lent, Seren posa des questions à son hôte telles que : d'où venez-vous, qui est votre père et quel titre a-t-il, où avez-vous grandie... C'était bien là le minimum pour apprendre à connaître la personne avec qui elle conversait. Ceci étant fait, elle lui demanda quelles étaient ses passions et ses aspirations mais se garda de lui parler de mariage. Elle avait remarqué que son doigt n'affichait aucune marque quant au port d'une alliance et, associé à son "grand" âge, elle se dit que la question était inappropriée.

La discussion semblait fort bien s'engager aux yeux de la rouquine. Les sujets allaient du jardinage à l'équitation en passant par le combat et l'agitation du château, sans oublier le mariage, question qui était bien d'actualité.
Seren ignorait si elle avait la main verte mais elle avait quelques notions théoriques sur tout ce qui concernait les plantes. Elle avait pu étudier un peu la chose alors qu'elle était en Ysari. Elle avait eu du mal à obtenir l'accord de son père et ce droit lui avait été retiré quelques mois plus tard. Elle se tourna vers Ophélia, un brin d'espoir dans la voix.

J'espère que Monseigneur de Vareg me permettra de poursuivre mon apprentissage de l'herboristerie et de la zoologie. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'aborder le sujet. Nous n'avons que rarement l'occasion de passer du temps ensemble, en privé. J'attends que les choses se calment un peu.

Il était vrai que le château était fort actif depuis de longues semaines. Dès son arrivée, la plupart des invités étaient déjà là, attendant patiemment que la future épouse ne passe pour la première fois le porche de sa nouvelle demeure. Seren était davantage habituée aux fastes de la Cour mais le domaine était en plus grande effervescence encore ! Elle n'avait côtoyé la province qu'en de rares occasions et redoutait quelque peu -mais avec le sourire- le départ de tous les convives.

Lorsque tout le monde sera parti, je suis persuadée que les lieux seront d'un ennui mortel. Au moins mon époux m'a-t-il assuré que plusieurs tâches m'incomberont. La décoration et les jardins devront m'occuper un certain temps, les Dieux soient loués.

La Dame écouta avec intérêt l'histoire d'Ophélia. L'évocation de ses entraînements aux armes ne manqua pas de la surprendre. On autorisait bien peu les femmes à pratiquer ce genre d'activité et elle comprenait que la chose ne soit pas étalée au grand jour. Quant à l'équitation, Seren s'avoua envieuse à son égard.

C'est un enseignement qui m'a été refusé. Cela ne convenait pas à une jeune fille de mon rang...
Mon frère m'a enseigné en cachette et cela m'a valu la suppression de mes cours sur la faune et la flore.

La question du mariage fut finalement abordée par Ophélia elle-même. Visiblement, le jeune femme ignorait elle-même la raison de son célibat, ne sachant dire si cela venait de ses parents, du potentiel prétendant ou d'elle-même. Jamais la question n'avait été discutée avec elle (Comme si elle l'avait été avec Seren...). En revanche, les derniers propos de la Dame de Sybrondil ne manquèrent pas d'interpeler la maîtresse des lieux et attisèrent sa curiosité. Prenant une seconde pour préparer sa question, elle finit par interroger son hôte afin de comprendre davantage sa position.

Je ne doute pas que quelques langues bien pendues ont d'ores et déjà porté à votre oreille les mésaventures dont j'ai fait l'objet l'année dernière. Je pense pouvoir être désabusée concernant l'amour mais vous ? Comment pouvez-vous être ne plus y croire alors-même que ne l'avez pas encore connu ?

Seren n'était pas du même avis que son hôte : elle n'était pas si âgée. Elle était belle comme un cœur et elle avait encore de nombreuses années devant elle. Elle lui adressa un sourire sincère et bienveillant.

Je ne crois pas qu'il ait d'âge pour l'amour... Voyez le Seigneur de Vareg. Il est un peu plus âgé que vous et pourtant...

Faisait-elle bien de lui dire que son époux avait de l'affection pour elle alors même que leur mariage venait d'être célébré ? Oh, après tout officiellement il se connaissait depuis plusieurs semaines maintenant. Le temps leur permettait d'avoir fait naître des sentiments. Et puis les coups de foudre existaient aussi.
Mais il valait peut-être mieux prendre un autre exemple, dans le doute.

Mon père s'est marié alors qu'il avait plus de 35 ans. Il a gagné le droit d'épouser ma mère par ses faits d'armes et il ne leur a pas fallu bien longtemps avant de finalement tomber amoureux l'un de l'autre.

Elle se tourna finalement vers Ophélia, toujours souriante.

Vous voyez ? Vous avez encore du temps devant vous pour trouver un valeureux Seigneur qui s'évertuera à vous courtiser afin de gagner votre cœur.

Un regard sur le jardin encore vierge. Il était vrai qu'elle aurait à faire ici. Le domaine était tout jeune. Tout était à bâtir et son époux prévoyait plusieurs charges pour elle. Il ne dépendait donc que de la Dame de Vareg de faire en sorte de ne jamais s'ennuyer. Et puis, il y avait son rôle d'épouse qu'elle ne devait pas négliger. Alric ayant des sentiments pour elle, cela demandait beaucoup plus d'attention que s'il n'avait s'agit que d'un mariage d'argent.

Il est vrai que je ne pratique pas les mêmes activités que vous. On ne me l'a jamais permis et je doute qu'on me l'autorise aujourd'hui encore. Surtout en ce qui concerne les armes.
De toute façon, je ne pense pas avoir l'esprit d'un guerrière. Je n'ai pas été élevée dans ce but.

Mais vous avez raison : je devrais pas à m'ennuyer ici.

Les deux Dames firent quelques pas de plus, silencieuses, avant que Seren ne s'enhardisse afin de l'interroger de nouveau.

Si vous ne prévoyez pas de vous mariez prochainement, quels sont vos projets ?

Simple question de curiosité tandis qu'elles faisaient connaissance. Il était vrai que dans le monde de la noblesse de Cour, il n'y avait que peu d'activités destinées aux femmes en dehors du mariage. Celles qui ne se mariaient pas pouvaient toutefois espérer faire carrière dans la politique ou l'armée. Peut-être était-ce que ce cette Dame souhaitait, malgré son mal d'amour ?

Bien, la question du mariage ou même de l'amour semblait être un sujet sensible et la jeune épouse préféra ne pas poursuivre sur ce sujet. Quoi que... Parler de l'avenir d'Ophélia ne soit guère plus aisé étant donné qu'elle n'y avait guère congé.

Idiote ? Non, certainement pas. Pour tout vous avouer, j'ai toujours aimé les récits d'aventures et j'espérais en secret pour en vivre une tout en sachant que cela ne se produirait jamais. Je n'avais pas à réfléchir à mon avenir, celui-ci ayant toujours été tracé. J'ai été élevée pour devenir une épouse et, malgré quelques détours, c'est ce qu'il s'est passé.

Je vous envie un peu d'avoir eu le choix. Même si j'ai toujours su que mon père choisirait avec soin mon futur époux ou qu'il me laisserait la possibilité de me marier par amour, je sais depuis longtemps que je dois suivre la route qui a été dessinée pour moi.
Vous avez la chance de pouvoir suivre votre propre route et je m'accorderai l'audace de vous enjoindre à y réfléchir avec attention, en l'honneur de toutes celles qui n'ont pas eu notre chance.

Ces derniers mots pouvaient sembler étrange à Ophélia mais... Oui, Seren se considérait comme chanceuse. Certes, elle avait obéi au commandement de son père. Certes, elle n'aimait pas Alric. Mais elle aurait pu refuser de l'épouser et Cyprien l'aurait suivi, quoi qu'il lui en coûte. Elle avait accepté cette union en âme et conscience et ce malgré le sacrifice que cela lui demandait. Par son action, elle mettait son fils à l'abri et elle se préservait du danger de devoir épouser un homme qui n'aurait pour elle ni affection ni respect et qui aurait pu vouloir s'en prendre à son enfant. Bien qu'elle souffre de son choix, elle connaissait les sentiments d'Alric à son égard et elle considérait cela comme une chance qu'elle ne pouvait se permettre de laisser passer. Si elle l'avait refusé lui, un autre aurait pris sa place...

La proposition de la Dame de lui apprendre à monter à cheval la surprit grandement. Est-ce qu'Alric le lui autoriserait seulement ? Il était certes plus ouvert d'esprit que d'autres sur la condition de la femme mais il avait toutefois établi certaines limites. Monter à cheval était habituellement réservé aux hommes et elle ignorait ce qu'il en penserait.

Oh ! Eh bien... Il faudra demander à Alric effectivement. Je ne peux présager de sa réaction et de sa réponse toutefois.
Et cela sous-entend également de se procurer une selle adéquate.