« N'oublie jamais d'où tu viens.»

Le port militaire se dressait majestueusement face à lui. Ces quais n'étaient pas ceux de Velmonè, cela ne faisait aucun doute. Ici, tout était bien plus grand, bien plus important. En ce milieu de Barkios, les rayons du soleil frappaient le port de plein fouet et la chaleur laissait s'échapper une odeur d'algues séchées. Le vaisseau de son père, « La Valeureuse », se tenait à présent face à lui et rayonnait par rapport aux autres navires qui se trouvaient également à quais. Alors qu'il s'était mis en tête de préparer ses biens et affaires en vue de rejoindre la cité royale, un des hommes du patriarche des Anoszia était venu le quérir. L'homme accoutré d'un pourpoint rouge et noir, aux couleurs de sa maison, était venu l'avertir que le seigneur, son père le convoquait sur le champ. Sans attendre, le jeune Capitaine abandonna sa monture pourtant prête à partir et suivit l'homme de son père. Il traversa la passerelle et se retrouva en quelques secondes sur le pont. Il y aperçut les hommes s'afférant aux tâches journalières, ainsi que plusieurs hommes d'armes qu'il ne connaissait que trop bien. Sans s'attarder plus longtemps, Oschide pénétra dans la cabine de son père lorsqu'il l'autorisa et il le découvrit la mine tendue. Mais à vrai dire, depuis le tournoi, son père s'était fait comme absent en se retirant sur son vaisseau.

Tout en lui proposant une coupe qu'il accepta de pleins gré, son géniteur évoqua plusieurs points qu'il avait déjà entendu maintes et maintes fois durant son éducation. Le patriarche lui parlait de descendance, des noms des anciens et surtout, de l'héritage. Bien sûr, en tant qu'aîné, Oschide savait à quoi s'en tenir. Mais le vieux, tout en regardant à travers le hublot de sa cabine lui évoqua d'autres points sur lesquels le jeune Oschide était plus sensible. Tous les honneurs allaient une fois de plus pour son frère Oscario et cela l'irrita quelque peu. Mais le capitaine se rassura lorsqu'il pensa au poste de Sénéchal de l'armée royale qu'il pourrait conquérir après quelque temps passés au service de la régente. L'aîné des Anoszia rompit alors le silence.

« Je porterais ce nom fièrement, ainsi que mes fils après moi, je vous le garantie père », son ton se voulait solennel, « Quant à Oscario... Ses nouvelles me sont aussi parvenues et je l'en félicite, mais je crois pouvoir dire que ma place au sein de l'armée royale pourra vous apporter peut être plus qu'une cité sudiste ».

Oschide avait parlé avec un soupçon d'arrogance dans la voix, mais sa stature droite et ses yeux figés sur le patriarche empêchaient qu'on l'en accuse. Il ne supportait pas qu'on le compare à son frère. Bien entendu, celui-ci jouissait d'une stature, d'une femme et d'une progéniture, mais pour Oschide, il manquait d'ambition et ne faisait qu'obéir aveuglément à leur père.

« Je gagnerais les faveurs de la régente. Je me plierais à ses volontés et exécuterais ses basses besognes s'il le faut. Mais soyez sûr d'une chose, père. Tout ce que je ferais et entreprendrais sera au nom de notre famille. Alors quand je serais Sénéchal, un mot ou un signe de vous et je gagnerais Diantra à notre cause. Cela vous suffit-il...père ? ».

Ces derniers mots cristallisèrent l'ambiance de la petite cabine. Alors qu'il ne pouvait percevoir le regard de son père, toujours perdu à travers le hublot. Oschide se sentit comme soulagé d'avoir pu justifier sa volonté de rejoindre l'armée royale.

Quant à sa position dans l’armée, il ne devrait pas se montrer autant arrogant. Il n’était pour le moment qu’un simple capitaine d’une des nombreuses compagnies, le chemin vers le sénéchalat était encore long et risquait de prendre du temps si aucune main ne le poussait dans le dos. Ce coup de pouce Arichis le provoquera, il ne savait pas encore comment mais il ne pouvait pas regarder son fils patientait encore une dizaine d’année pour gravir les échelons pas à pas.Exécuter les basses besognes, ce n’est pas ainsi qu’un Anoszia devait se comporter, où est la fierté suderone dans tout ça ? Oschide devait commencer à apprendre par lui-même tant que ses choix n’interféraient pas avec ceux du patriarche. Quant à rallier Diantra à leur cause, un jour peut-être. Arichis en sourit, il est bon de se remplir d’ambitions.

« Très bien. »

Il avait répondu sur le même ton. Ce qu’Oschide ne comprenait pas sans doute c’est qu’il devait se demander si cela lui suffirait à lui et non pas à son vieux père. Il posa les yeux sur son fils, le regarda dans un silence avant de le briser à nouveau.

« Saisissez les opportunités qui vous seront offerte. Tranchez et brûlez toutes les têtes de l’hydre avant qu’une autre ne repousse Oschide, vous ne resterez pas capitaine indéfiniment. Je vous laisse jusqu’à la fin du printemps pour monter en grade. Passez ce délai, et On vous trouvera quelque chose d’utile à Ydril. »    

A la base Arichis n’appréciait pas l’idée de donner un fils aux compagnies royales, sa main a été en quelque sorte forcée de l’accepter. Cela le mettrait mal à l’aise de savoir Oschide à la capitale des hommes, à Néera sait quelle besogne pendant que lui gouvernerait Ydril.

Spoiler:

Les propos de son père l’avait fait bouillir, mais qu’avait-il à faire, mise à part se résigner ? Seulement, il ne pouvait pas avoir le dernier mot si facilement, non, il ne le pouvait pas. Il faisait en sorte que son père approuve ses actions et il eut le sentiment ici, qu’il ne lui accordait aucune confiance. Le patriarche venait de lui poser un ultimatum pour qu’il gravisse les échelons, et il ne pouvait le supporter. Une colère s’empara alors soudainement de lui lorsqu’il entendit son père lui affirmer que s’il échouait, il serait renvoyé à Ydril pour y faire quelque chose d’utile. Malgré tout, Oschide tenta de garder son sang-froid et essaya de cacher sa frustration auprès de son père. De toute façon, le patriarche des Anoszia l’avait mis au monde et il saurait tôt ou tard remettre le tout nouveau capitaine à sa place. Mais il lui fallait néanmoins dire les choses avant de partir prendre son poste auprès de la régente.

« Quelque chose d’utile à Ydril ?! », son ton frôlait maintenant la défiance, « Je suis aux ordres de la régente maintenant. Seule elle disposera de moi jusqu’à ce qu’elle me juge trop inefficace ou que je trouve la mort sur un champ de bataille », son regard se perdit à cette pensée.

Il sentit le regard de son père peser sur lui, totalement impassible et imperturbable, Oschide attendit une réponse qui se faisait attendre. Même s’il craignait que le patriarche lâche les foudres. Il ne l’avait vu sortir de ses gonds que quelque fois et cela aurait dû le dissuader de l’affronter. Mais il était à présent dans les compagnies royales et tenterait de réussir là où son père avait échoué. Bien sûr que sa famille passerait avant tout et qu’il pouvait reconnaître à son frère, le mérite d’avoir accompli des faits. Mais après tout, si on lui en avait donné l’ordre, alors cela ne faisait aucun doute qu’il aurait également accompli les mêmes choses qu’Oscario.

« Auriez-vous préféré que je continu à vous suivre, père ? que je manque d’ambition et que je me contente d’obéir aveuglément ? Ne faut-il pas qu’un de vos enfants fasse son chemin de son côté pour qu’il devienne à son tour un meneur ?! »

Si son père avait pu rester silencieux jusque-là, alors ses derniers propos ne manqueraient surement pas de le faire réagir. Du moins, c’est le sentiment qu’il avait. Et l’atmosphère dans la cabine du patriarche ne manquerait pas de se faire de plus en plus froide.

« Aux ordres de la régente ? Oh vraiment ? Est-ce la régente qui vous a vu naitre ? Peut-être êtes-vous l’un de ses bâtards thaaris ? N’oubliez jamais d’où vous venez Oschide d’Anoszia ! »

Il n’avait pas haussé le ton, son fils ne l’avait pas encore entièrement énervé mais il en était proche. Son regard n’avait pas perdu de sa dureté, qu’est ce que son fils ne saisissait pas ? Il voulait trainer dans la boue de longues années durant ? Soyons honnête, gravir tous les échelons pour passer de capitaine à sénéchal demandait des années ! Bien sûr qu’il devait provoquait le destin. Arichis a été le conseiller militaire de deux rois, il était plus proche du poste que quiconque et pourtant ce fût toujours un autre qui lui prenait sa place, son dû. Oschide devenait presque insolent, il voulait apprendre à être un meneur ? Qu’il apprenne donc.

« Ne devenez pas ridicule Oschide. Devenir à son tour meneur ? Soit, vous avez jusqu’à la fin du printemps pour apprendre et trouver votre chemin. Un vrai meneur ne cherche pas un chemin, il le crée ! »

Arichis souhaitait seulement que son fils parvienne à leur but au plus vite. Il faut savoir reconnaitre une cause perdue quand on est devant un fait. Etre un simple capitaine était ridicule pour les aspirations du patriarche. Il entendait déjà d’ici les moqueries des seigneurs du soltaar sur le lézard qui se croit dragon. Hors de question de rester ridicule plus longtemps.

« Vous avez des responsabilités au sein de la famille. Vos sœurs attendent encore d’être mariées. Pensez-vous une seconde qu’un grand seigneur aimerait épouser la sœur d’un simple capitaine ? Est-ce que vous voulez ? Condamné vos sœurs à de vieux misérables hobereaux ?! Jusqu’à la fin du printemps, tenez vous-y et cessez vos jacasseries. »

Lui tournant le dos, il mit fin à la conversation. De toute façon, Oschide obéira, il n’avait pas d’autres alternatives à cela. Le capitaine savait que c’était pour le mieux, le faisant toujours dos pendant qu’il écrivait quelque chose sur un bout de parchemin, il ajouta avec un sourire dissimulé maintenant qu’il s’était calmé.

« Ne vous faîtes pas tuer avant de devenir Sénéchal. Une obsession ? Mais non voyons ! Vous aurez deux ou trois centaines d’hommes sous vos ordres, rentrez à Diantra servir d’amusement à la régente. Entre temps, j’ai une campagne en Ydril à continuer. »

Sa gorge s’était nouée, ses dents serrées et ses yeux fixaient le patriarche avec une intensité qu’il n’exprimait qu’aux seules fois ou des personnes pouvaient le mettre en colère. Mais que pouvait-il faire ou dire de plus, à part acquiescer une fois de plus. Pourtant, son corps était raidit et ses mains crispées. Par la suite, il entendit qu’un meneur se devait de créer son propre chemin et non de le suivre. Qu’avait-il fait pour mériter autant de hargne ? La question restait sans réponse malheureusement, mais Oschide ne sut alors plus très bien s’il faisait le bon choix. Il était de toute façon trop tard pour reculer, il s’était engagé.

La suite des propos ne résonnèrent que faiblement aux oreilles du tout nouveau capitaine. Ses sœurs ? Impossible à marier de par sa faute ? Toute la pression familiale reposait sur ses épaules donc, et l’ainé des Anoszia ne sut pas s’il réussirait à accomplir les ordres du chef de famille. Jamais, il ne se pardonnerait d’empêcher le mariage d’une de ses sœurs, et le patriarche le savait. Son attachement pour elles était trop intense pour qu’il puisse échouer. Le vieux cessa alors de parler pour revenir à ses parchemins et lui donna un conseil qu’il n’oublierait certainement pas de ci-tôt. Ne pas se faire tuer pour devenir ce que son père n’avait jamais pu être. Réussir ou lui avait échoué, voilà ce qui comblerait le père.

« je n’oublierais pas vos paroles, père ! Non, je ne les oublierais pas, je vous le jure », fit-il comme pour avertir le père, « Je veillerais à ne pas mourir trop tôt pour ne pas vous décevoir, sachez-le. Et si j’échoue dans ma tâche, alors je ferais en sorte que la honte ne soit pas trop importante sur notre famille en me faisant passer pour tel si cela peut vous contenter… »

Oschide ne se rendit compte de la teneur de ses propos qu’après les avoir dit. Bien sûr que son père ne laisserait pas, mais pourrait-il vivre encore avec cette honte. Son jeune frère réussissait ou lui ne l’avait pas encore fait, ses sœurs se marieront avec des jeunes nobles important et deviendront puissante à leur tour. Lui, n’avait plus que ses rêves et ses ambitions pour réussir et rétablir sa position d’aîné indétrônable au sein de la famille. Avant de tourner bride à son père, ses pensées allèrent à sa première sœur. Oschide savait qu’elle serait surement la première à devoir épouser un homme qu’elle n’aimerait probablement pas et cela lui fit mal au cœur.

« Embrassez Cornélia de ma part et faites en sorte qu’elle soit heureuse…au moins cela… »

Oschide devait ressentir de la pression, c’était le but. Il avait tendance parfois à prendre les choses à la légère contrairement à son cadet qui se faisait un souci de toujours remplir sa tache au plus vite et avec le meilleur rendement. Peut être parce ce qu’il devait tout le temps prouver qu’il était à la hauteur, qu’il pouvait aussi bien faire que s’il avait été l’ainé. Il avait inculqué à tous ses enfants les valeurs essentielles des Anoszia, mais de tous c’est Oscario qui lui ressemblait le plus, Oschide lui avait plus le tempérament de son oncle Ansaldo dont même les carrières commencent à coïncider. Le fils prodigue prodigua des phrases au ton théâtrale, autant de mélodramatise aurait fait sourire Arichis en temps normal, mais il réfléchissait déjà à quand son fils devra prendre les armes pour la Couronne. La Reine-Régente voudra surement mettre à l’épreuve son dévouement et le mettra en première ligne, anticiperait-elle l’action du père qui voudrait surement protéger son héritier ? Pas si sûr qu’elle soit autant maligne.

« On ne se contentera jamais de vos échecs Oschide. » Un Anoszia n’échoue pas, il se place du côté gagnant pour profiter du soleil. En y pensant, il faudrait envoyer un émissaire s’entretenir avec la Duchesse de Soltariel, l’entreprise de Maciste pourrait bien échouer si les dieux n’y étaient pas favorables.

Depuis le moment où l’Archonte Altiom d’Ydril s’est montré félon au jeune roy Bohémond, puis que Maciste et Alastein aient prononcé leurs vœux de fidélité, Arichis avait su qu’il aurait un choix à faire, un choix qui déterminerait dans quelle cour les Anoszia évolueront, celle des grands ou celle des miséreux. Maintenant que les dés étaient jetés, la famille sera mise en avant et pourra se recouvrir d’honneur. Avant qu’Oschide ne s’en aille, le Vicomte l’interpela une dernière fois sur un ton conciliant cette fois-ci.

« Oschide, nous jouons parmi les grands maintenant. »

Il se replongea dans ses papiers laissant son fils quitter la cabine, chacun devait s’occuper de ses affaires dorénavant. Oschide de Diantra et Arichis d’Ydril où il doit porter secours à son second fils, car mise à part la prise du castel de la capitale, Oscario a réussi à s’enfermer dedans encercler par ses ennemis avec Nérea sait combien de provisions pour tenir Tyra sait combien de temps. Le départ de la flotte en était presque imminent.