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| L'arbre Manbok | |
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Arsinoé d'Olyssea
Ancien
Nombre de messages : 262 Âge : 31 Date d'inscription : 10/05/2012
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 28 ans Taille : Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: L'arbre Manbok Sam 24 Mai 2014 - 18:19 | |
| Cinquième ennéade de Favrius de Printemps, An 8, Cycle XI, en la gaillarde ferté d'Edelys
Douce dame jolie, Pour dieu ne pensés mie Que nulle ait signorie Seur moy fors vous seulement.
S'alanguissant sur la molle ottomane, bercée par les chants moults mélodieux de sa petite cousine Aélais, la Louve d'Olyssea porta à ses lèvres le kalioun que lui tendait une camérière et en aspira les doux parfums aussi longtemps que ses poumons le lui permirent. Le tuyau d'ivoire vêtu d'or effilé, vaguement phallique par ailleurs, passa alors à l'amie Mélisande qui se tenait plus près de l'âtre ardent du gynécée. Les drogues : jusquiame, sauge et force de solanacées du Ponant, avaient été mixturées par ses médicastres scylléens dans leur sage pharmacopée. Si bien que tout, dans ce le lieu enfumé, n'était qu'ordre et beauté ; luxe calme et volupté.
Mais vo douce maistrie Maistrie Mon cuer si durement
Qu'elle le contralie Et lie En amour tellement
Ce chant, d'une douceur indicible, péchait toutefois par l'absence du Favori (constat qui pouvait être étendu sans heurts à la pluparts des petits plaisirs pavant la route du bonheur). Cette pénurie lui était tout bonnement insupportable et la mélancoliait grandement. Et tel était le dessein de Madeleyne, les Berdevins et tous leurs fripons qui adoncques la séparaient d’Aedán, ce parangon d’abnégation, et de son ost. Dans le brouillamini de ses pensées, l’odalisque en oubliait jusqu'à la raison profonde de leur venue du nord lointain, sinon pour se repaitre de ses larmes salées. L’idée la révoltait, et elle se révolta à l'accontre de ces divinités qui se plaisaient à la mettre à persécution. Car pour vrai, rien n'est plus horrible que l'injustice armée de puissance. ********
Occupé à se curer ses ongles noircis à l’aide d’un glaive qui l’était tout autant, Deux-Geules odit plus qu’il ne vit les battants de la grand’porte s’entrouvrirent. Juché sur un hongre de guerre à la robe noir pangaré brossée pour l’occasion, il mâchait un caillou. Un galet dont il s’était entiché tandis qu’il sorguait à la dure dans les environs du Mal-Moutier. Toujours est-il qu’il le mâchonnait vigoureusement, et que ce va et vient méthodique donnait à la ruine de sa frimousse des airs franchement dantesques. Avisant la coterie odélianne, dégoulinante de fatuité, l’homoncule se rendit soudain compte que ces sapajous s’attendaient à ce qu’il leur serve de cicérone. La pensée l’ulcérait littéralement, d’autant plus qu’elle n’était pas, à proprement parler, erronée. Il fut pris d’une puissante envie de cracher sa pierre sur la truffe de cette créature minaudière qui se présentait à ses devants ; mais la marque d’un bon capiston est de savoir dompter ses ardeurs, et le caillou s’en alla plutôt percuter le front d’un page à la triste méschance de s’aventurer une dizaine de toises plus loin. C’était que le bougre, d’usage malpropre, malplaisant, malivolent - en bref un véritable concentré de goujaterie – savait se faire prud’homme quand le besoin s’en faisait sentir ! La couvant d’un regard infect qui lui procurait presque autant de jouissance que de s’essuyer les bottes sur de saintes reliques, il prononça ces quelques mots à l’adresse de la danselette d’Ancenis et ses portes-vexilles d’une voix pareille à un torrent de rocaille : « Sachez, dame, que le grand deuil et la grande mélancolie qu'éveillèrent en mon cœur le trépas de votre époux, honorable et vaillant, y demeurent adès enclosent. »
Soulagé, comme libéré d'un lourd faix, ses muscles se relâchèrent distinctement. C'était qu'emporté par une surprenante verve poétique, il avait ouvragé toute la nuit durant à cette plaintive élégie, et que si l'aube n'était venue chasser sa muse, il ne faisait nul doute que l'œuvre aurait outrepassé les berges de sa mémoire. Certain désormais de s'être gagné les faveurs de la veuve, Il se fendit d'un sourire inquiétant et prit en mains les rênes d'icelle. Tout en la promenant en bonne volonté à travers la lice en direction de la cour intérieure, il imagina malgré lui ce cercle de l'enfer qui était la chasse gardée des sodomites, où messer Verdevin régnait en roy par la force et l'ampleur de ses bougreries. ********
Le minuscule verger se gorgeait du printemps au teint pourpré qui succédait aux frimas de l'hiver. L'air était embaumé de l'odeur des chèvrefeuilles aux étamines parfumées rampant vivaces le long des colonnades. Une lumière paresseuse filtrait au travers les frondaisons des paumiers, lauriers et amandiers. Les fruits abondent, l'arbre bourgeonne, l'herbe verdoie, les fleurs odorent, et la brise est tiède. C'était en ce lieu de plaisance, édénique au sens le plus pur du terme, que patientait la régente et le reste de sa mesnie. Accoudée contre la chaire qu'on y avait disposé, elle observait d'un œil materne les nouveaux venus qui n'étaient autre que la marquise flouée et six nobliaux tout de sable vêtus. Voirement satisfaite, la supercoquentieuse se fendit d'un modeste sourire, plein d'espoir. « Dame Madeleyne. Tendre amie. J'attendais en bonne dévotion avis de votre arrivée par-delà, je suis désormais comblée. Méconnaissant votre dessein et vos dispositions, j'ai élu de vous recevoir en ce lieu qui n'a de cesse de me solacier. Je prie que ses vertus ébaudissantes aient tout autant d'emprise sur votre cœur. »
D'un discret moulinet de ce sceptre qui n'était plus qu'un prolongement de son bras, elle actionna le plan ourdi de longue date. Deux hommes figurés en la forme de moricauds se détachèrent d'un arbre : noircis leurs viaires, bien richement drapés de soies, touailles blanches enveloppées parmi leurs chefs, comme si ce fussent des Zurthanides. Ils portaient un coffret à bout de bras, si finement ouvragé que seul le plus Inéssique des affiquets pourrait y siéger, et le déposèrent aux pieds de la jeune douairière. Un des noirauds, le plus grand, se pencha et glissa une clé d'argent dans l'écrin, permettant enfin à la noble congrégation de se repaître de ses trésors. Seyant sur un coussinet vermeil, quelques glands miroitaient. « Il est une île, non loin d'une terre fabuleuse que les négrillons du Puy qualifient eux-mêmes d'Outremer, où pousse un arbre étonnant. » Expliqua doctement Arsinoé, désormais assise « De fruits sucrés et fleurs parfumées il est dénué. Ses branches nues ne s'épanouissent que de formes humanoïdes, d'agamètes dépourvus de génitoires qui, mûrs, tombent à terre et peuplent cet îlot. » Les gazouillis de oiseaux, les frisoulis des feuilles : tous se firent silencieux, ne sachant encore s'ils assistaient aux prodromes d'une amitié naissante ou d'une guerre mortifère. |
| | | Madeleyne d'Odélian
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Mar 27 Mai 2014 - 14:00 | |
| Madeleyne passait quant à elle un midi nettement moins agréable. Penchée en dessus d’un pot de chambre, elle vomit. La confrontation diplomatique qu’elle avait appelé de ses vœux et que le conseil de régence odélian lui avait accordée était maintenant à portée d’yeux. Le long voyage, l’équipée de trois mille de ses gens pendant des dizaines de jours allait connaître son dénouement. Bientôt, la jeune veuve ferait face à la régente. L’attente et l’appréhension, nés des espoirs et des craintes que le voyage, par sa lenteur, avait excité chez l’Ancenoise, arrivaient à son paroxysme. Aussi la Madelon, abritée par les toiles du pavillon que l’on avait dressé devant les murailles du château d’Edelys, vomissait-elle toute son angoisse. Aemone, toute proche, tenait ses longs cheveux sombres. Elle susurrait à son oreille des paroles réconfortantes, mais la marquise ne les comprenait pas. Derrière les tentures de son refuge, tout n’était que bruit et fureur. Les dizaines de centaines de sabots battaient la terre du campement ; les chevaliers criaient des ordres aux soldats qui débarquaient les tonneaux, les coffres, les lances et les flèches. Ils scandaient un air binaire « un-deux-un-deux ! » aux pauvres diables qui dressaient les grandes tentes qui serviraient de réfectoires, d’entrepôts ou de dortoir. Sous le claquement sec d’une trique ou d’un fouet, les animaux partageaient le labeur des hommes. Bœufs et chevaux, quand ils n’étaient pas regroupés dans les enclos, tractaient inlassablement les caisses d’un point à un autre du campement, bousculant sur leur passage les poules et les chèvres qui parcouraient l’aire au hasard des obstacles ou encore les chanceux qui avaient terminé leurs corvées ou tuaient le temps en battant le carton. La machine de guerre odéliane s’activait avec méthode mais Madeleyne pouvait sentir la tension qui traversait les hommes. Chaque voix, chaque bruit laissaient paraître un peu de l’excitation qui atteignait ici son pinacle : dans quelques heures, on saurait s’il y aurait de nouveau la guerre. Une guerre fratricide. Aussi la Madelon, dans l’intimité de ses quartiers, vomissait-elle toute son angoisse. Elle soupçonnait que son état eût été aggravé par les mixtures que sa grand-mère lui avait fait ingurgiter le matin même. « Ca va passer. » « C’est bientôt fini. » Aemone répétait ces mantras tandis qu’elle caressait sa petite-fille avec douceur, ce qui éveilla la suspicion de la marquise. Mais l’esprit de Mad était trop dispersé et elle ne put dire si la vieille moniale utilisait ces expressions de manière générique ou pour se déculpabiliser d’avoir provoqué par ses potions un tel état de tension chez elle. La demoiselle passait d’une peur à une autre, de la crainte de la mort à celle de détruire Odélian et tout ce qu’elle se devait de protéger pour son fils. « Pleure » Quand Aemone lui avait ordonné, entre deux régurgitations, une telle chose, Madeleyne, un peu par fierté, s’était cabrée. Elle s’était redressée et éloignée. La pensée que sa tante Orengarde ne la surprenne dans un état si humiliant la bloquait. Mais comme elle s’écartait de l’aura bienveillante de son aïeule, son imagination afflua à nouveau et peignit mille hypothèses plus horribles les unes que les autres pour elle et les siens. Après avoir ravalé un premier spasme dans un hoquet fort disgracieux, elle plongea son visage dans le sein de sa grand-mère pour libérer une explosion de larmes. * Il était déjà tard quand la marquise fut présentable mais elle valait bien une chandelle ce jour-ci. Portée par un char de guerre odélian qui la tractait jusqu’à la porte d’Edelys, la marquise douairière, dans ses grands voiles noirs et sa longue robe sombre, avait captivé les yeux du campement entier. Elle partit avec seulement six porte-bannière jusqu’à l’Estréventine, autant dire toute seule, mais son port digne et le deuil dans lequel elle s’était drapés revêtaient aux yeux des Odélians quelque chose d’illustre. La Veuve, celle qui gardait l’âme de leur suzerain disparu, prenait, sur ce char qui la menait vers le danger, des allures de sacrifiée. Accueilli par le fameux Deux-Faces, qui s’était fait agneau pour sa présence, le fantôme, derrièreses linceuls, répondit à ses condoléances d’un hochement de tête. On la mena jusqu’à un petit jardin encadré de loggias et de murs, où les rayons solaires s’attardaient dans la blancheur des fleurs d’amandiers tandis qu’à l’ombre des arbres fruitiers, la régente et sa suite l’attendaient. Passant outre le caractère informel d’un tel accueil, la délégation odéliane rejoignit leur hôtesse. Madeleyne dévoila son visage avant de se courber dans une révérence gracieuse. « Dame Arsinoé, Odélian vous remercie de recevoir si promptement son ambassade. » Répondit-elle aux salutations de la régente dans un sourire. Son regard quitta le visage de son hôtesse quand, à ses pieds, l’un de ses exotiques révéla les noix de Manbok. Elle considéra un instant les fruits avant de retourner aux yeux de sa suzeraine. La situation décalée entre les motifs qui avaient poussé la marquise d’Odélian à venir en ce lieu et l’exposé sur les fruits d’ailleurs sembla chatouiller l’esprit de Madeleyne : son sourire après s’être élargi laissa échapper un rire qu’elle réfréna le plus rapidement possible. « J’ai entendu parler d’un tel arbre. Un elfe m’a même raconté un jour sa légende. Il prétendait qu’aux temps d’autrefois, cet arbre, dont les racines s’enfonçaient jusqu’aux tréfonds de la terre, touchait au faîte de sa cime le soleil. Arcam Maître des Îles avait pris ombrage de la superbe de l’arbre, qui ne régnait point sur la basse terre mais se targuait d’être seul sur l’île à pouvoir jouir de la lumière glorieuse du soleil. « Le dieu aux deux visages, qui travaillait à sa perte, dit un jour à l’arbre qu’il était d’autres éclats du soleil. Dans l’or sommeillaient, captifs, les rayons de l’astre. Ces paroles du dieu éveillèrent les passions du seigneur arbre, et ses racines partirent se saisir de toutes les pépites de la terre. « Fatigué d’avoir délaissé la terre pour l’or mais rempli d’orgueil, l’arbre fit savoir à Arcam qu’il possédait maintenant toute la lumière glorieuse du soleil. Le dieu des passages rétorqua que les éclats de l’astre à l’aube et au crépuscule s’offraient encore à tous, et que la nuit, quand il se cachait de l’autre côté du monde, l’arbre ne possédait plus sa lumière. L’arbre en convint et prit le soleil dans ses feuillages. « Brûlant mais fier d’avoir capturé le soleil, l’arbre fit savoir à Arcam qu’il possédait maintenant toute sa lumière glorieuse. Mais le dieu lui rétorqua qu’il restait un éclat qu’il ne possédait pas et qui résidait dans le regard de Chrysale, une de ses enfants. L’arbre en convint et séduisit Chrysale pour que ses yeux jamais ne le quittent. Il fit naître une branche d’un homme pour elle, et elle le regarda. « Un temps. Il dut en faire naître une autre, puis une autre, et une autre, cependant que ses racines mourraient de soif et ses feuillages mourraient de feu. En fin de compte, il ne lui resta plus que ses branches. Car à force de vouloir tout gagner, le seigneur arbre avait tout perdu. »
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 2 Juin 2014 - 15:48 | |
| La montagne accouchait d'une souris, mais d'une souris à la faconde intarissable. Sondant sa rivale putative, Arsinoé devina qu'elle était suspendue à la mamelle des rhéteurs musqués des sombres heures, du chœur des pleureuses. Son troisième œil distinguait clairement le cortège des salamalecs, phrases benoîtes et logomachies dont s'était armée la douairière : toute la débile argumentation sophistique qui l'userait outre mesure, et ce malgré les deux hanaps de vin framboisé drainés à cet effet.
L'heure des siestes faisait raisonner ses gros sabots.
Or, Arsinoé jouissait d'inclinations soporeuses dont le tatou géant aurait à peine pu rêver, et s'en trouvait puissamment effarouchée. Tant et si bien qu'elle ne chercha guère à réprimer une bâillée placide et léonine qui menaça de silencer à jamais les deux choeurs de l'empyrée. Au bout d'un temps indéterminé, Arsinoé entrouvrit ses paupières et constata, non sans quelque déplaisir, que la crapoussine ne s'était point volatilisée. Pire, les influences vernales qui tantôt faisaient sourire le ciel d'azur s'étaient dissipées. Des nuages menaçants s'étaient formés au-dessus de la ville. Ils semblaient oblitérer le ciel tout entier. En prenant acte, elle se débarrassa nonchalamment du tortil de son état et se fendit d'un sourire rayonnant.
« Un conte à la saveur agreste et sauvage des temps anciens ! Doulce amie, je puis d'ores et déjà dire que ta chevauchée n'aura été vaine, quel qu'en soit l'aboutissement. Or, le sommeil vient aisément à iceux forts de pareilles assurances, un sommeil à même de chasser la fatigue dont t'accable le poids de tes labeurs. » Et de Phillinte ajouta intérieurement celle qui était si pleine de prévenance « C'est cela que je t'offre ma mignarde, en espérant te retrouver leste et alerte lorsque viendra le temps des plaisirs de l'ademain. »
Elle s'en alla alors, laissant aux bons gentilshommes alentours le soin de conduire la nicette et ses gandins endimanchés à leurs nouveaux quartiers : Une tourelle qui s'élevait altièrement dans la cour, le donjon d'une race fanée d'où elle pourrait rincer ses yeux candides sur le spectacle à venir. Peu après, messire Tiburce d'Erdhleim et son neveu Guy issirent du chastel et gagnèrent les bailles du campement du Sénéchal par une circonvolution, convoyés par une forte troupe sigilée de diverses insignes armoiries. Voilà le vélin qu'ils lui remirent :
- Citation :
Croyant trop légèrement mauvais conseil, la dame s'en est venue tracer sillon vermeil. Elle est sèche et sans cœur, revêche et aigrelette. Elle désire ardemment ma perte, rien de moins que d'être couverte de tous les monts et merveilles que lui promirent les corneilles. Las! les qualités des barons à la Stryge ne sont que vestiges chez cette enfant qui nous y oblige. Toi pour qui mon cœur bat, toi qui veille jalousement sur ma vie, je t'en conjure et t'en prie : que tu les chasses hors de ma vue, tous ces vauriens, tous ces tout-nus.
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| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 2 Juin 2014 - 15:57 | |
| Amor fati Et maintenant, quel autre choix lui restait-il?
Rageur - non, terriblement désappointé - , Aedán le Preux froissa l'ordre de vélin entre ses doigts avant de parcourir du regard l'assemblée réunie sous la tente de commandement. Une atmosphère rouge sang baignait la salle et ses hôtes, la lumière se roussissant lors de son passage à travers le tissu carmin, leur conférant tous l'allure de beaux diables mussés dans un quelconque enfer. Sous cette apparence de conciliabule démoniaque se dissimulait en vérité la fine fleur de l'aristocratie des domaines royaux, qui rongeait son frein depuis des jours. Encore ignorante du contenu de la missive, elle était pendue aux lèvres de l'archifiélon assis droit comme un i dans une haute cathèdre de bois noir, au fond du pavillon. Son air était grave, souligné par les reflets fauves de sa chevelure et une raideur empreinte de puissance tout juste contenue. D'un sec hochement de tête, il désigna Aymerigot le Réchin, qui s'avança de trois pas, puis lui parla en ces termes : "Sire Aymerigot, hâtez-vous vers la sortie du camp où je vous y ferai adjoindre une escorte. Vous partez pour Edelys sans plus tarder. Je veux que vous transmettiez personnellement un message à la Régente." l'homme gonfla d'importance à s'en faire friser les favoris tandis que le Sénéchal poursuivait : "Dites-lui...oui dites-lui que demain elle sera débarrassée du fardeau qui l'accable."
Après qu'il se fut éclipsé le sire de Vercombe se releva avec une lenteur toute calculée de sa cathèdre et dit : "Messires, hommes de courage et d'acier, rempart de la civilisation contre la barbarie des Marches, l'heure pour vous est venue!" le Sénéchal laissa ces mots faire leur effet avant de poursuivre "Autrefois enfant fidèle de la couronne, Odélian s'égare, Odélian se perd, Odélian...se meurt. Vicieuse, la maladie la ronge, un mal retors qui ne se montre qu'une fois ses méfaits accomplis. Ce mal est sa haine envers la couronne, couronne à laquelle elle doit tout! Faute d'entente, cette haine perdurera, se renforcera pareille à une mauvaise herbe qui prend racine. Déjà elle prend la forme d'une armée, à deux pas de Diantra, prête à faire couler le sang des faibles et des innocents! Une entente, seule, permettrait d'éviter le massacre." il marqua une nouvelle pause, tant pour reprendre son souffle que prendre le temps de s'appesantir sur les réactions de chacun, puis reprit "La Régente dit "tout accord est impossible.". Le temps des mots n'est plus, messires. L'heure n'est plus à la valse des chambellans et des antichambres de palais mais à celle de La Camarde et de l'acier, du fer et du sang! Il est venu l'heure de servir votre roi, d'agir pour le bien du Royaume! D'amputer un membre malade dont l'existence même est une insulte aux lois sacrées! Au petit matin, nous lèverons haut nos bannières et marcherons sur l'envahisseur. Alors, d'un coup irrépressible, nous tuerons les velléités de sécession dans l'œuf! GLAIVES ET SANG!"
"NOTRE-DAME!" répondirent en premier les indomptables chevaliers de Diantra "VENTRE SAINT-ECARLATE ! HARDI!" surenchérirent les gens du marquisat "FOUDREE PANTOUFLE!" s'emballèrent les bannerets d'Olyssea et "GLAIVES ET SANG" reprirent les lanspessades d'Aedán. Une fois de plus, la Guerre, la Bête Immonde, allait aboucher son groin visqueux au Royaume des Hommes et le drainerait de sa jeunesse. Insensibles à l'oppressante présence de ce vampire, les officiers regagnèrent leurs quartiers pareils à une légion de diables fondant sur le Monde, prêts à donner les instructions qui scelleront tant de destinées.
Seuls deux méchants sires demeurèrent dans la tente en compagnie du Sénéchal. Le premier, un vieux routier, n'était autre que Boscaud le Bon-Heur, l'homme de main du Favori. Le second, dont le visage disparaissait dans la tourmente d'une barbe hirsute, répondait au nom de Brumant. Sous son air farouche se dissimulait un bâtard de feu l'ancien sire de Vercombe et le véritable maître de ce qu'il restait des domaines familiaux, Aedán ne s'étant jamais préoccupé de ce pue-la-vase. Il leur tint le discours suivant : "Mes craintes étaient fondées. Ma dame, mon aimée, a sombré. Si le pouvoir corrompt, n'est-il pas vrai que le pouvoir absolu corrompt absolument? Aujourd'hui, elle m'ordonne de marcher sur ma cousine. Et demain?" Sans plus attendre, il déplia une carte fort détaillée sur la table qui lui faisait face et, lorsque le volumen voulut se replier comme il est de coutume de le faire pour ces choses là, le chevalier se fendit d'une pièce de bois à l'effigie d'un archer du Val pour le subjuguer.
"Que pouvons-nous face à une si manifeste destinée si ce n'est l'embrasser?" déterminé quoiqu'amer, il poursuivit tout en plaçant d'autres pièces sur le plan "Boscaud, je veux que tu escortes Aymerigot et prévienne tes hommes dans la place... renvoie les plus redoutables chevaliers présents ainsi que les fils de grandes familles sous couvert de leur offrir l'opportunité de se couvrir de gloire" d'une main leste, il plaça deux figurines d'Heldirois sur le castel de la Régente et en retira une de cavaliers "Un membre de ton escorte prétextera devoir retourner au camp pour se détacher de votre colonne et, entre chien et loup, préviendra les Odélians." le Sénéchal plaça alors de nombreuses statuettes de béliers tout autour d'Edelys "Lorsque les cloches de Notre Dame de Deina sonneront les douze coups de minuit vous agirez. Ne néglige aucune issue. Un brassard rouge sera votre signe distinctif. Va, mon compagnon, - mon frère ! - cette nuit nous gagnons un royaume." Alors, les deux bougres s'accolèrent longuement, se saisissant au corps comme pour s'assurer que cet instant était réel. Demain, ils régneraient ou ne seraient plus.
Aedán aurait voulu s'excuser, retenir Boscaud tandis qu'il franchissait le seuil de la tente, lui expliquer...mais lui expliquer quoi? Aemone s'était montrée intransigeante. Nulle gloire n'attendrait le lanspessade. Un autre sacrifice nécessaire sur le chemin de sa destinée, un simple vie face à la régénération de tout un royaume...Brumant ne lui dit rien mais le regard qu'il lança au Sénéchal suffit.
***
Tandis qu'Aymerigot transmettait les mots de l'amant à la Dame, le Bon-Heur réunissait les hardis de la place forte et les chargeait de retourner auprès du Sénéchal. Ainsi, on vit notamment Guillaume d'Olyssea, le puiné de Sharas, Godefroy de Saint-Aimé ou encore le Captal de Sillé former un conroi qui franchit la grande porte dans un formidable cliquetis d'acier. Ce spectacle saisissant ne manqua pas d'attirer les regards qui ratèrent du même coup ce membre de fyrd heldirois, chargé de tenir la délégation odélianne à l'œil, transmettre le message suivant : "Aux douze coups Deina. Les brassards rouges vous soutiendront."
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"La plume l'emporte sur l'épée et c'était une mise double! La Chance, cette fieffée putain, me sourit enfin!"
Désœuvrée, la garnison se livrait à une fiévreuse partie de Kjall, ce soir là, dans le corps de garde d'Edelys. En guise d'accompagnement, l'un des archers hautvalois s'était même fendu, les Cinq savent comment, d'un tonnelet de vin qui empourprait maintenant les joues des hommes réunis là.
Le chanceux qui venait de s'exprimer n'était d'autre qu'un officier de la Régente, d'une indéfectible loyauté, et qui déjà ramassait les mises. Face à lui, se trouvait un coquin à col dentelé de Caruw qui paraissait encaisser sa défaite avec philosophie, un sourire canaille sur les lèvres. Le lieutenant ne put retenir une moquerie à l'adresse de son adversaire. C'est qu'on l'avait connu plus pugnace, le drôle! "Chercherais-tu à laisser un bras dans cette partie, l'ami? J'ai entendu dire que votre baronne les aime les manchots!" lança-t-il, goguenard.
Adossé à une meurtrière, Boscaud contemplait la scène d'un air paterne, lançant des œillades aux croquants assemblés dans la salle. Les loyalistes étaient accoudés aux tables, les Hautvalois et archers d'Heldérion, eux, déambulaient. C'était à leur tour d'effectuer les rondes, après tout! Mis à part l'agitation du corps de garde, la place forte avait sombré dans une bienveillante torpeur. Le Sénéchal n'agirait pas avant le lever du jour. Un frisson parcourut l'échine du lanspessade tandis qu'un vent frais s'immisça à travers la meurtrière. Le calme avant la tempête.
Là-bas, quelque part dans la nuit, se dressait le clocher de Notre Dame de Deina...
***
Comme chaque nuit depuis bientôt trois ans, le sonneur de cloches de la cathédrale les fit chanter douze fois afin de marquer la fin d'un jour et le renouveau tout à la fois.
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Le lieutenant fixait toujours le coquin à col dentelé de Caruw mais, cette fois, ses mains ne saisissaient plus les mises. Elles s'accrochaient, sans comprendre, à la lame qui lui perforait la gorge.
A l'appel des dames d'airain, les coutelas avaient mordu la chair et les viretons cloué la soldatesque au mur, brossant une scène de carnage. Seuls les ultimes hoquets de l'officier, gorgés de sang, résistaient encore au silence qui s'était abattu sur la scène. Les loyalistes n'avaient pas même eu le temps de tirer la lame du fourreau. Désormais, les portes étaient tombées sans même que la garnison ne se sache assiégée. Se saisissant d'une torche, Boscaud donna le signal aux Odélians.
Tandis que l'ost du Bélier pénétrait dans le castel, un groupe d'Hautvalois marchait déjà sur les appartements de la Régente, la dague ou l'arbalète au poing, fauchant sur son passage une garde prise au dépourvu. "Coopérez, madame, et votre vie sera sauve!"
Au même instant, Boscaud, l'âme damnée du Favori, dévalait quatre à quatre les marches du corps de garde afin de se porter à la rencontre des envahisseurs...
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| | | Madeleyne d'Odélian
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 2 Juin 2014 - 16:04 | |
| Sa fable terminée, la régente somnolente congédia la suite odéliane. Madeleyne se courba une dernière fois dans une élégante révérence, son sourire coincé sur son visage comme une bernique sur un rocher et conclut l’entrevue. « Je suis persuadée, Marquise, que demain vous trouvera plus disposée à entendre Raison. » Et sur cette phrase sibylline, elle fit ses saluts et rejoignit les quartiers qu’on avait mis à sa disposition, solidement encadrée par les hommes d’Arsinoé.
* A l’intérieur du campement odélian, sous les immenses chapiteaux qui servaient de domicile à la soldatesque, les armées se livraient à un étrange rituel. Pour l’observateur extérieur, la démarche était en effet saugrenue, car les guerriers, sous les regards des seigneurs, enfilaient des chaussons. Assis sur les coffres qui servaient à certains de litière, sur la paille ou les tapis à la terre même, les soldats du Bélier s’attifaient de manteau de laine grossière, enroulaient autour de leurs bottes des étoffes sombres. Au dehors, les cavaliers quant à eux s’échinaient à chausser leur monture de sur-sabots en chanvre.
Quand le glas du Temple de Deina tonna dans l’air frais et nocturne, les enseignes étaient regroupées et comme un seul homme se murent jusqu’à la porte d’Edelys. Le cliquetis des armures et le bruit des bottes étaient étoffés par le tissu qui recouvrait l’armée fantôme. Tranquillement, les troupes odélianes investissaient la place-forte de la régente du royaume dans ce qui plus tard serait nommé « l’Assaut en Chaussons ». Ce long flot noir, sans lumière, s’avançait en ordre sous le regard des sentinelles achetées à la cause de la Veuve, Hautvalois et Heldirois faisant leur ronde, torche à la main, s’arrêtant parfois pour admirer le spectacle du ver pénétrant la pomme quand ils ne poinçonnaient pas un malheureux qui avait l’infortune de se trouver dans le mauvais quart au mauvais moment.
* Quand elle entendit les premières rumeurs du combat, Madeleyne courait sur l’enceinte d’Edelys. Encadrée de sa demi-douzaine d’atouts, ce qui l’avaient suivi comme porte-bannière, elle s’était dépêtrée du nid de vipères où on l’avait assigné, se taillant parfois un passage à coup de glaives. Maintenant revenue à un air plus pur, dominant la cour centrale, elle pouvait contempler les enseignes de ses troupes éclairées par la lumière des torchères. Les deux mille hommes d’Odélian investissaient par surprise tous les corps de logis. Les corps de garde et autres lieux de garnison, où les traîtres les avaient menés, se virent envahir en force dans leur plus grand sommeil. Et tandis que le gros les Estrelins se jetait à la gorge des troupes loyalistes dans une fulgurance, le reste des armées prenaient, conseillés en cela par les Hautvalois, les points stratégiques de la place.
Madeleyne avait vu sa suite grossir à mesure qu’elle se rapprochait des appartements de la régente. Dans les grandes pièces, les soldats d’Odélian commençaient déjà à réveiller le feu des âtres, qui jetaient sur les pièces les ombres des corps allongés. A mesure qu’elle enjambait les cadavres, elle nota avec plaisir que le gros des morts était à Arsinoé. Dans les garnisons, le tumulte des armes s’était peu à peu tu. L’attaque avait porté ses fruits, le nombre, la traîtrise et la surprise avaient eu raison des résistances futiles. Il était maintenant temps pour la régente d’accorder à la Veuve une discussion plus substantifique.
« Là » On l’indiqua jusqu’à la régente. Arsinoé était encerclée de gentilhommes d’Odélian et une fois passée la porte, Madeleyne ne perçut aucune trace de lutte. Si on omettait la soldatesque qui grouillait dans le château à remparer les fortifications et sceller les portes d’Edelys, l’atmosphère avait des airs d’après soirée aristocratique tout à fait banal. La Veuve se plia dans une nouvelle courbette gracile. « Dame Arsinoé. » fit-elle, un sourire doux collé aux lèvres. |
| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 2 Juin 2014 - 16:09 | |
| Arrachés des bras de Morphée par une estafette du Sénéchal, les bannerets des domaines royaux et du Médian avaient, un à un, gagné la tente du sire de Vercombe. A en juger par l'agitation qui parcourait soudainement le camp, un évènement d'importance était survenu. - Peut-être que la Régente leur avait fait livrer des ortolans ? - Selon un premier rapport des guetteurs postés entre le campement et Edelys, les Odélians fomentaient quelque rouerie. Du fait de l'obscurité, beaucoup - ou, disons le tout de go, trop - de temps avait été perdu par les éclaireurs pour tenter de déterminer la cause de ces troubles. A l'heure où la nouvelle était arrivée à l'ost d'Arsinoé, le castel était probablement déjà aux mains de l'ennemi.
Tout en distribuant les différents commandements à ses hommes, Aedán revêtait une imposante armure plate avec l'aide d'un écuyer. On ne pouvait plus perdre une seconde au profit de ces mécréants : la vie de la Régente était menacée! Bientôt, fifres et tambours battirent la cadence tandis que les milices formaient les régiments. A leurs côtés, la chevalerie se réunissait en hardis conrois, plus à même de manœuvrer les chars de l'adversaire, levant bien haut les lances qu'ils escomptaient utiliser pour démonter les Odélians.
Alors que les premiers rayons du Soleil ne s'étiraient pas encore sur la plaine, l'impressionnant ost royal, à la tête duquel chevauchait Aedán, marchait déjà en direction d'Edelys. Dans sa suite, les reîtres aux chausses bigarrées et tenues moirées, ne tardèrent pas à pousser la chansonnette pour se fouetter le sang avant la bataille. L'entrain de ces spadassins fut si communicatif que le chant fut aussitôt repris jusque dans les milices bourgeoises.
Un bélier, honneste animal comme oncques ne vy Avait des loups, des cerfs et des lys en beaux amy, Toujours et partout, ses bon amy estoient gentilz et luy-mesme favorisait leurs petitz.
Il advint en un triste jour de printemps Qu'iceluy bélier sentit sa panse glouglouter, Et ses amy gentilz il ne manqua pas de les oublier, C'est que cézigue avait vraiment la dent!
Alors fourrant un chaudron dans sa besace, Il galopa vers le lys la bave aux lèvres Et lui dit qu'il l'aurait avec de la vinasse! Ce faisant le bélier se montra fort chèvre.
Ses beaux amy lui firent prière pour le retenir Mais le vilain bélier, aveuglé par sa passion Ne sut voyr et ouir les bontés d'iceulx qui le chérirent, et causa par la même la ruine de sa maison!
Les amy alertés lui firent gouster sa médecine, En le chaudron bouillonnant ils firent cuire l'animal qui les pissenlits bientôt croqua par la racine, Ainsi périt celui qui pourtant ne pensait pas à mal!
Amy il te faut retenir de jamais croquer le lys Sans quoy toi aussi tu finiras en saucisse!
Lorsqu'enfin ils arrivèrent aux pieds de la forteresse, Aedán s'en trouvait à devoir refuser à ses impétueux chevaliers de se jeter, séance tenante, sur la grand'porte, la hache à la main. Espéraient-ils, ces pendards des Marches, échapper à l'irrépressible puissance amassée sous les murs par le truchement de quelques rocailles? Accompagnés de ses porte-étendards, le Sénéchal se présenta à la poterne où, tout en arborant une attitude de matador, il lança à l'adresse des remparts : "Hohé du château! Croyez-vous seulement que cet édifice vous offre la moindre sécurité? Vous voila faits comme la poiscaille dans un vivier! Bientôt, pour votre plus grande horreur, vous pourrez découvrir l'étendue de l'ingénierie de Diantra. Mangonneaux, onagres, catapultes et trébuchets ne tarderont pas à s'élever sous ces murs! Rendez-vous sur l'heure sans quoi nous investirons la place et la libérerons à la pointe de l'épée!" Agitant un poing ganté de fer à l'adresse des Odélians, il ajouta "Si cela s'avère nécessaire j'abattrai cette forteresse, déchaînerai les forces royales si fort qu'il ne restera pas deux pierres intactes dans cet édifice! M'entendez-vous?!"
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| | | Madeleyne d'Odélian
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Mar 3 Juin 2014 - 16:50 | |
| Cependant que les ostes du roi fonçaient sus à Edelys, celle-ci s’activait comme une termitière. Les Estrelins avaient pris leurs quartiers et établissaient les garnisons en préparation d’un siège. Les sacs de chanvre s’amoncelaient dans les grand-salles qui se transformaient pour l’occasion en autant de zone de stockage en attendant que l’intendance ait fait le point des celliers et greniers de la ferté. Vestibules, courtines, tours et chambres étaient infestés d’Odélians qui dormaient l’arme à la main, réunis en enseigne pour parer au plus court en cas d’attaque. Sur les chemins de ronde des élégants remparts de la résidence royale, le nombre de guetteurs avait triplé tandis que les tourelles servaient d’autant de repaire pour des essaims d’hallebardiers et d’arbalétriers.
Quand les ostes royales furent à vue, le moral était encore bien haut. L’attaque fulgurante avait laissé place aux explications de l’après-bataille : Madeleyne avait été, comme le duc Asdrubal et tant d’autres aristocrates, été enlevée par Arsinoé et mise en geôles. Aidé par des preux, le sénéchal Philinte s’était jeté dans la brèche pour prendre l’imposante place-forte et renverser la situation. Arsinoé était maintenant gardée dans ses quartiers, tandis que les fameux preux, des Hautvalois et des Heldirois, festoyaient à leur aise dans le corps de garde qui leur avait été mis à disposition.
Ces derniers étaient plus exubérants que l’Odélian moyen qui, par esprit collectif, obéissait aux ordres de ses supérieurs dans une forteresse ennemie prise dans une terre étrangère. Les traîtres avaient quant à eux oublié toute prudence et se félicitaient d’avoir fait tomber un château comme Edelys à force de coutellerie. Festoyant pendant les petites heures de la nuit au frais de la marquise douairière, le gros des hommes avaient sombré dans le coma peu après la minuit, mais Skevar, celui qui le premier frappa les hommes de la régente et que les hommes libres d’Helderion considérait comme leur chef, digérait ses soupçons entre deux rasades de vin. Celui-ci avait un arrière-goût amer et abrutissait ses esprits. Les serviteurs qui avaient fait rouler les tonneaux jusqu’à lui avaient prétendu qu’ils étaient de la « cuvée spéciale d’Aemone, mère du Borgnat ». Le clairet, sous le palais expérimenté d’un habitué des vignes d’Hautval, fit grimacer les traîtres. Une bonne partie des conversations alterna entre parties de kjall où l’on pariait chacun le prix de leur trahison et les plaisanteries sur le mauvais goût des Ancenoises en termes vineux.
Skevar fut le dernier à tomber. Et comme il s’assoupissait sur la table qui lui servirait de literie pour la nuitée, il entendit certains de ses compagnons rendre le breuvage. Quand il fut tout à fait endormi, la plupart vomissaient comme ils pouvaient un poison que leur corps avait décelé trop tard. Les autres se courbaturaient sur leur dernière paillasse.
Loin des assassinats des derniers traîtres de la place, Philinte le Sénéchal s’était rendu sur le chemin de ronde dominant la poterne où se trouvait l’ambassade du Vercombe. Quand on lui eut répété les propos qu’il avait tenu, le petit bonhomme réajusta sa plate avec orgueil et tendit la tête par un créneau.
« Ho hé en bas ! Nenni ma fi, vous ne ferez rien de tout ce qui fut dit. Car tant cette ferté nous donne bonne sûreté, il en est de même pour votre dame, la régente Arsinoé. Et si nous goûtons de l’ingénierie de Diantra, qui nous dit que votre amie ne goûtera pas au bon acier assarois ? » |
| | | Aedán de Vercombe
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Mar 3 Juin 2014 - 17:58 | |
| "Ah, croquants! Quel genre d'honneur prétendez-vous posséder pour vous terrer ainsi derrière une faible femme!" pesta le beau chevalier tandis que sa monture caracolait nerveusement sous les remparts. D'un ton plus posé, il reprit "Vous tenez entre vos mains la mère du roi. Une dame de haute naissance et une servante zélée de la couronne. Toutefois, la régence ne fait pas la reine. En tant que Sénéchal du Royaume, il est de mon devoir d'agir dans l'intérêt du trône, non pas de ses serviteurs, fussent-ils des familiers. Ne vous montrez pas trop gourmand, messire l'Odélian, n'escomptez pas mettre en balance le roy et sa mère, sans quoi vous me contraindrez à donner l'assaut."
Après avoir jugé les remparts et ses sentinelles d'un rapide coup d'œil, il conclut : "Voila plutôt ce que je vous propose: élisez des représentants parmi vos gens. Dans moins d'une heure, je veux les voir franchir cette poterne afin de venir me rejoindre dans ma tente pour y négocier les termes de votre reddition et la libération d'Arsinoé d'Olyssea" Cette crise, le Sénéchal en était conscient, ne pouvait pas plus qu'elle ne devait s'éterniser. Seul un dénouement rapide éviterait au Royaume de subir les guerres intestines des tyranneaux qui gangrénaient la noblesse. Si la paix obtenue se révélait déshonorante, alors un nouveau conflit éclaterait dans le mois.
Intérieurement, il bénit les Cinq de lui avoir accordé leurs faveurs jusqu'ici. La place était tombée et sa douce vivait encore. Désormais, restait à parvenir à un accord - non, le mot était trop faible. au Renouveau! -. Les Anciens Droits étaient foulés aux pieds. Depuis trop longtemps, les vassaux manquaient à tous leurs devoirs avec la bienveillance complice de la couronne. L'ordre devait être rétabli avec toute la fermeté nécessaire.
Un Nouvel Ordre qui démarrerait alors un âge d'or pour le genre Humain. Qui lui permettrait enfin d'embrasser sa Destinée Manifeste! Plutôt que de s'entredévorer, se chevaucher, trop à l'étroit dans ses domaines, son regard se porterait à l'extérieur de ses frontières. Ce n'était pas à l'un de ces despotes en devenir de réaliser cela, il corromprait l'ensemble, le dénaturerait! Non, la tâche incombait à un être de vieille race, désintéressé, dont l'ambition seule était de régénérer le Royaume. "Qui mieux que moi?" s'était convaincu Aedán.
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| | | Madeleyne d'Odélian
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Jeu 5 Juin 2014 - 17:08 | |
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Les paroles du sénéchal avaient été entendues et les Estrelins envoyèrent une députation sur l’heure. Elle était réduite : seuls trois cavaliers se dirigeaient vers le campement, le même qu’avaient déserté les Odélians à la minuit. Une fois les chevaux tenus par les palefreniers et les ambassadeurs introduits dans la tente du Vercombe et de son conseil de guerre, les trois hommes en noir esquissèrent une courbette. Odélian, expliquèrent-ils, refusait la proposition du sénéchal. Non, ils ne le craignaient pas ni ne doutaient de sa parole, mais ne se rappelaient que trop bien des dernières errances de la Couronne. Le premier rafraichit la mémoire de chacun sur quelques faits choquants pour appuyer leur bonne volonté et un second ajouta que la marquise et son baronnage proposaient que les deux camps se retrouvassent dans le monastère de Néera-Aventine, à Notre-Dame-de-la-Venue, si les gens du roi acceptaient la trêve sacrée de ce lieu . Quiconque briserait la trêve serait maudit et châtié, qu’il amenant la violence par les actes ou en entrant armé. Les détails convenus, chaque partie se retira jusqu’au lendemain. * Début de la cinquième ennéade, Du Favriüs printanier, De la huitième année, Du onzième Cycle.Les deux armées s’étaient arrêtées au bord de la Garnaad, le long fleuve qui transperçait les domaines royaux du Médian à leur nord jusqu’en Sybrondie à leur sud. A quelques lieues d’Edelis, située au sud de la cité royale de Diantra, s’érigeait le monastère de Néera-Aventine. Sise sur une île dessinée par les méandres du fleuve paresseux, elle allait gratter un ciel piqueté de nuages en bandeau avec les tours des galilées du monastère. Quand les députations des camps percèrent les bandes de soldats pour traverser le fleuve profond à dos de chalands, elles purent admirer de plus près le temple qui avait été offert à la damedieu sur le lieu de sa Venue sur terre. Une grande bâtisse de pierres claires s’éclatait en cinq corps de logis où chaque extrémité se concluait dans des absidioles chapeautés par des demi-dômes et vêtus de hautes fenêtres. A mesure que la vue des observateurs put se faire plus minutieuse, ils purent constater que le détail n’avait pas encore terminé. Certains vitraux étaient absents ou remplacés par des planches de bois chargés d’isoler un peu l’énorme édifice, les murs n’étaient pas encore tout à fait peints et certains endroits manquaient encore leur toiture. Autour du temple votif venaient s’attacher les Locaemènes, les cloîtres et autres structures hébergeant l’activité des moines, des novices et de leurs gens, tandis que plus loin, une fois que l’on eut passé les hôtelleries, auberges et maisons qui couronnaient le lieu sacré et accueillait pèlerins et marchands, de longues bandes de maisons de toiles, de peaux et de bois s’étiraient sur les rives de la Garnaad, près des lieux de débarquement des matériaux, des forges et des maisons des confréries des différents Arts qui, peu à peu, s’étaient établies près de l’immense chantier. Aujourd’hui cependant, le lieu était moins bourdonnant que d’habitude. Quand les religieux furent mis au courant des événements de la veille, chantiers et processions avaient été ajournées le temps des négociations. Pendant la cérémonie du matin, où les deux députations avaient juré dans l’une des absidioles, au-devant de l’autel de Néera Aventine, qu’ils entraient ici sans malice ni fureur, sans arme et sans haine, et qu’ils eurent fait serment de mener les palabres avec honnêteté et loyauté, au dehors les oblats du Temple chassaient les foules de curieux à coup de cri et de badines. La suite, après le dîner de midi, fut plus calme. Du moins à l’extérieur. Installés dans le réfectoire d’un des Locaemènes qui avoisinaient le Temple, les ambassades étaient maintenant face à face. Les tréteaux des tables avaient été retirés, et les seigneurs des deux camps, installés sur les banquettes de pierre de la longue et droite pièce, se fixaient. Au fond de la salle, une grande et large fenêtre où étaient représentées deux grandes ailes bleu ciel dégageait sur le sol de pierre froide une lumière douce. La place était environnée d’une fraicheur bienvenue et un silence presque sacré. Les négociations commençaient dans de bonnes conditions. Le chef de l’ambassade Fernand de Braudel, un vassal de Dens, était un homme blanchi sous le harnais. D’une stature encore droite bien qu’accusant un peu trop de poses, il était connu pour sa gravitas apaisante et son timbre posé. Quand il finit de tousser pour recueillir l’attention de ses pairs, il débuta les demandes préliminaires. Car pour, disait-il, que ces palabres trouvent un autre dénouement que celui des armes, il fallait une trêve, afin de que la concorde régnât ici mais surtout auprès des capitaines et seigneurs qui s’opposaient et ne se trouvaient point dans ces lieux saints. Car les petites guerres qui auraient lieu hors du temple seraient autant de blessures qui exciteront la colère des deux parties et qui rendraient l’invention d’une paix heureuse impossible. Les hochements et murmures d’approbation des Estrelins furent coupés par la suite de la harangue du sire de Braudel. Il fallait, ajoutait-il, que cette trêve et cette concorde soient accompagnées de la justice. Il s’envola alors dans un dithyrambe lent et structuré où les mots « raisons » « bon ordre » et « équité » s’enchaînaient les uns les autres et à tour de rôle jusqu’à ce que le vieux seigneur décida d’achever le raisonnement dans une conclusion : il fallait que les mauvais conseillers de la Régente, qui avaient perpétré de mauvaises actions contre des seigneurs comme Asdrubal de Soltariel ou encore Altiom d’Ydril soient saisis et jugés ces dits actes. Car même si les prud’hommes des armées d’Odélian et du sénéchal se juraient bonne entente lors de ces pourparlers, qui les préviendrait contre les agissements des renards qui avaient fait tant de mal aux nobles gens ?
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| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 9 Juin 2014 - 23:57 | |
| La coterie du Vercombe se composait tant d'aristocrates des domaines royaux comme le comte d'Estaria que d'Olysséens et de nobles gens issus du marquisat tels que Guillaume d'Olyssea ou encore Godefroy de Saint-Aimé. Néanmoins, malgré la diversité de leurs origines, dont seule la bannière du Sénéchal maintenait d'ordinaire l'unité, ils réagirent comme un seul homme aux paroles des Odélians. Ah! Ils étaient bien prompts à réclamer la justice ceux qui tranchaient la gorge des innocents durant leur sommeil! Justice pour Diantra mais point pour Edelys? Que nenni! Si elle devait frapper, que la badine de la Justice ne fasse pas de distinction entre les différents criminels sans quoi elle deviendrait celle de l'Arbitraire, cousine honnie!
Cela ne manqua pas de faire exploser la rangée du sire de Braudel, dont les occupants accusèrent les hommes du roy de chercher à inverser les fautes. Des deux côtés, on se regimbait et pointait un doigt accusateur, on alla même jusqu'à frôler la mêlée générale. Finalement, à force d'efforts de quelques modérés, sans qu'on ne soit encore d'accord sur des coupables ou des victimes, on parvint de part et d'autre à certaines concessions liminaires, ce dans l'espoir d'assurer la sauvegarde des négociations. D'un côté, que certains intrigants abusèrent de leur position et qu'il convenait d'enquêter sur leurs agissements. De l'autre, qu'un juste dédommagent devait être et serait versé aux famille endeuillées par l'assaut nocturne des Odélians. En guise de bonne foi, le Sénéchal s'engagea à ce que les biens des conseillers confondus de trahison soient saisis afin notamment de participer à ces frais. Ne tenaient-ils pas, ces coquins, une part de responsabilité là-dedans?
Toutefois, les débats s'envenimèrent lorsqu'il fut question de donner un visage aux scélérats. Chacun y alla de sa théorie, certains n'hésitant pas même à régler quelques comptes personnels dans l'affaire ou protégeant parfois un puissant pour se le rendre redevable. A ce jeu, Aedán n'était pas le dernier, défendant peut-être plus que nécessaire les courtisans dont il espérait se faire des obligés face à Braudel qui, aiguillé par Aemone d'Ancenis, avançait des noms de personnages pourtant innocents. Et puis, à mesure que le temps filait, on commençait à s'agiter dans les rangs de la couronne. Les Odélians, ces geôliers de la Régente, ne cherchaient-ils pas à imposer d'autorité leurs conditions? Aux regards que s'échangeaient certains représentants on ne pouvait que douter de la valeur du résultat de pareilles négociations. Pas même la parole d'honneur du Sénéchal semblait à même de les entraver!
Alors, afin de couper court à toute velléité de briser le serment, le Vercombe exigea des Odélians qu'en gage de bonne foi ils livrent à leur tour des otages. Souhaitaient-ils une solution raisonnable et par-dessus tout acceptable ou cherchaient-ils à imposer ce qui ne pourrait que provoquer l'indignation de tous? Cela provoqua une grande confusion. Tant de noms s'échangèrent de part et d'autres, untel comme coupable, un autre comme otage en devenir que face au chaos et aux oublis qui menaçaient, Braudel avança l'idée de consigner par écrit toutes les décisions qui seraient prises en ce jour. L'esprit n'avait-il pas la fâcheuse tendance à se révéler défaillant? Il arrive que ce qui devrait être durable et perpétuel est bientôt facilement livré à l'oubli! Ce fut pour le Sénéchal l'occasion de rassembler ses troupes en rappelant à tous la sacralité du lieu qui les hébergeait et de proposer alors que quelques théologiens, astrologues et autres docteurs en droit soient invités à rejoindre les discussions. Le résultat y gagnerait en justice et légitimité! Que l'on consigne, soit, mais qu'on y mette les formes!
Ereinté, on convint donc d'une pause et, à la reprise des pourparlers, chacun disposait désormais d'un agenda plus détaillé à défendre. En effet, l'agitation des premières heures retombée, tous commençaient à percevoir qu'ils disposaient ici de l'opportunité d'influer sur la destinée du Royaume. D'imposer des principes qui dépasseraient bien dans leur portée la vulgaire querelle à l'origine de l'affaire...
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| | | Madeleyne d'Odélian
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Mar 17 Juin 2014 - 23:42 | |
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Deux jours plus tard les choses on en était arrivé aux premiers points d’achoppement. Ces deux jours étaient certes assombris par l’inquiétude de beaucoup, mais les palabres eurent des tons et des discours plus animées en cette après-midi de ciel alourdi et sombre. Le présage de tempête sembla pénétrer dans la salle où parlementaient les deux députations, mais de façon fulgurante. Elle s'était lentement accumulée, elle s'était ramassé sur elle-même, avec le temps jouant pour elle, puis avait éclaté tout à coup. La fin de journée avait vu se succéder des apports mineurs et quelques noms d’obscurs à rajouter sur la liste des proscriptions. Cependant les députés du sénéchal subodorèrent que derrière certains reculs ou certaines acrobaties sur quelques sujets d’importance, les Odélians avaient dissimulé quelque chose quelque chose jusqu’à présent. Ce fut en cet instant, alors qu’on passait une chicane à propos de péages, que le sire de Braudel se leva, un parchemin à la main. « Messeigneurs, on a beaucoup disserté sur le pardon qu’on offrait à la comtesse de la marche la Marquise Madeleyne. » Il y eut, il est vrai, quelques mots sur cette affaire, mais les Odélians éludaient sans cesse la question. « Qu’elle avait agi malhonnêtement et déloyalement en prenant la forteresse d’Edelys nuitamment et par intelligence de l’intérieur. Cependant, nous savons de témoins dignes de foi que le Sénéchal avait reçu l’ordre de frapper sus à l’ambassade odéliane ! » En disant cela il leva la main qui tenait sans doute la preuve accablante de cet ordre secret. La tension se convertit un instant en doutes puis les interrogations affleurèrent. Braudel continuait sa diatribe. « Après avoir dévoyé un fils d’Odélian qui devint traître et félon, après avoir attenté d’assassiner les seigneurs de la Marche venus en doléance et pour se protéger de la malice de cette ère, est-ce, vraiment, la marquise Madeleyne que nous devons pardonner céans ? »
L’assemblée bouillonnait. Au dehors la chaleur étouffante faisait vibrer la terre tandis qu’une laine noire, dans les cieux agités, laissait déjà rouler un tonnerre dans ses nuées. La fraîcheur de la pièce n’arrivait plus à contrebalancer la moiteur qui s’y était introduit, qui depuis quelques minutes viciait la salle et les débats. C’était donc des hommes fatigués qui réagissaient soudain à la pointe odéliane. L’accusation de fausseté d’Arsinoé avait d’abord soulevé des protestations des rangs du sénéchal, mais comme ce dernier garda un instant la parole et que Braudel continuait à se dresser pour défendre sa parole, les protestations des députés se transformèrent en autant de questions adressées au Vercombe, qui continua à tenir la pose un instant encore. La cour se calma quand il prit la parole. Au dehors les nuages d’orage se bousculaient et se déchiraient en éclairs tonnants. L’une des dagues étincelantes éventra finalement le ventre grisâtre qui se vida de son eau. Au moment où s’était rassemblée la tempête pour enfin faire pleuvoir sur une terre qui depuis des jours s’assoiffait, se tordait de chaleur, se craquelait de désir, la tension se relâcha immédiatement, se délia aussi vite qu’elle s’était liée. La danse magnétique que ciel et terre avaient joués durant tous ces jours trouvait enfin une résolution que tous attendaient, aussi les seigneurs, comme lavés de la peine et du labeur de cette trêve, écoutèrent dans un silence attentif le sénéchal.
Paraissant jauger du regard certains membres de sa coterie, comme s'il escomptait dénicher celui qui s'abouchait avec les Nordistes, le Vercombe répliqua d'une voix grave : « Messieurs les Odélians, si la situation ne se révélait aussi dramatique, ces mots seraient fort cocasses dans votre bouche. Si tel ordre fut donné... » L'homme dut marquer une pause devant la vive réaction du parti adverse « Si un tel ordre fut donné, disais-je, il est le fruit gâté de vos négociations. La Régente m'a adressé une missive dont le contenu se révéla sans appel : vos pourparlers n'avaient abouti à rien d'autre qu'une guerre ouverte. Qu'espériez-vous donc en encaquant vos gens d'armes sous les murs d'Edelys pour y déclarer la guerre? Ce que NOUS avons fait, mes braves et moi, ne fut que répondre fidèlement à un ordre de la couronne. » Un courant de protestations traversa la ligne odéliane. Ce fut Albéron Coquelet, de la noble maison Coquelet, qui prit à son tour la parole, la nervosité ayant comme vidé de ses dernières forces de la journée le sire de Braudel. « Messire, nous croyons tous à votre bonne foi, cependant il m’est nécessaire de vous détromper : les préliminaires à toute discussion n’avaient pas encore été observés que la régente enleva dame Madeleyne d’Odélian dans ses donjons. Par intelligence, nous fûmes prévenus des faits et capables de porter secours à notre suzeraine, vilainement capturée. »
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Mer 18 Juin 2014 - 23:06 | |
| Le ciel versait des ténèbres que la lune, sereine mais lointaine, combattait mollement. Edelys l’effarouchée, Edelys l'engrossée, Edelys cauchemardait. Un cauchemard protéiforme et sans trêve, peuplé de lémures au chant grêle que secrétait un soupirail infernal, une fente donnant sur les reliefs d'un génocide. C'était que l'artère souterraine - qui d'usage assurait la bonne circulation entre donjon, cellier et logis de tous les gens de maison - portait en gésine nombre des victimes des nuiteuses sarabandes. Parmi cette chair tailladée, une forme se détachait aussi bien par son immensité que l'horribleté de ses navrures. Un homme qui, jadis, n'avait compté que Deux-Gueules.
Pourtant, sa reddition n'avait-elle pas été rondement menée ? De toutes les légendes qui encensaient son malheureux sobriquet, aucune ne le taxait d'une bravoure déraisonnable. La tribu lupine d'Olyssea ne manquait pas d'autres fougueuses semailles, alors à quoi bon faire du zèle après la bataille ? Seulement voilà : le bon capiston, par quelques bravades et turlupinades bien senties, s'était tantôt gagné l'inimité d'aucuns de ces soudoyers qui épaulaient la garnison par la volonté du Sénéchal. Des Heldirois qui plus est, aux petites natures ombrageuses, gorgées de fiel. Lesquels se firent ses bourreaux une fois l'avoir suffisamment bassiné de leurs forfanteries. Ainsi mourrait le diable de Canosse, porte-glaive caduc, héros d'une autre ère.
*****
Comme autant de phalènes, les ombres tournoyaient autour d'un fanal haut perché, un donjon carré et grenelé. À son chef, une fenêtre s'offrait à la brise, dévoilant une chambre tiède, très lambrissée. Au pied du lit, Une cassolette refroidie embaumait les airs d'oliban et de myrrhe. Lequel lit était défait et abritait une maigre épave à la toilette négligée. Ses formes, que laissaient deviner les suaires, étaient molles et tordues ; un filet de bave mouillait sa blondeur échevelée tandis que ses yeux révulsés scrutaient la voûte. Un bras sans moelle, pendouillard et flasque, semblait accuser l'appareil mortifère que l'on devinait mussé derrière le dais. Un baume, un népenthès, pour toute sa déveine ? Suc de ciguë, pour assouvir soif léthéene ? Ou était-ce quelque houka, ventru de toute la vie pompée avec sa trompe punais.
Balayant ces apriorismes morbides, un râle s'insurgea. Un râle tiraillé entre le ronflement gras et le gargarisme, qui témoignait d'une vitalité mal débourrée. Arsinoé vivait et ne semblait s'en offusquer. Baillant et soupirant, elle étira ses membres comme le fait le chat angora. Elle fit mine de se redresser, pour finalement mieux se vautrer dans une position des plus équivoques. À quoi bon veiller, si c'était pour veiller dans un bouilli de mauvais rêves ? Ses cerbères, féconds en cruautés, la maintenaient dans une brouillasse qu'elle comblait de visions nonpareilles : Une Mélisande transfixée de dondaines, un Dancelin poinçonné à-même ses couches, un Grelots jeté dans le puits ! À quoi bon cingler vers ce Styx limoneux où guettaient des monstres, des cadavres dans la vase, quand une somnolence providentielle portait vos pensées, comme autant d’alouettes, vers les berges de l'Olienne. Sur ces rivages heureux embaumés de tamariniers, l’âme de cette grande louve allongée dans l'abysse des solitudes était refleurie.
L'aube perçait quand ce sopor, ce dictame s'esbigna derechef. Non-pas qu'elle s'en soit lassée, loin s'en faut, mais le sérail de femmes s'était animé de chuchotis mystérieux et passionnés : un charivari. Percevant le monde avec une acuité fabuleuse, elle sentit la lumière orangée qui s'insinuait sous la porte, le vacarme mécanique d'une serrure que l'on déverrouille. Sa tête raisonnaient encore des recommandations des argousines, des « Tout va très bien madame la marquise » d'une haquenée bien lippue qui la laissait pâmoison de rage.
Un mâle se dessina dans l’embrasure. |
| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Sam 21 Juin 2014 - 12:36 | |
| A ces mots, le Sénéchal, pourtant inflexible jusqu'ici, parut chanceler. Pire! La situation se révélait bien pire qu'il ne l'avait craint! Sa belle se trouvait aux abois, prête à dégainer à tout instant, à trancher la gorge de l'émissaire dont le message déplaît pareille à ces tyrans orientaux. L'époque de la raison se mourrait, elle laissait échapper un dernier souffle dans un râle pathétique avant de gagner la tombe. A ses côtés, il sentit sa noblesse empruntée. Ho, il y en eut bien pour mettre en doute la parole des Odélians, aisé qu'il était pour eux de brocarder une absente, mais la conviction manquait. Le terrain sur lequel ils progressaient n'était-il pas savonné par la Régente elle-même?
Profitant de l'occasion, les Nordistes avancèrent leur volonté de conserver la dame en otage jusqu'à leur retour à Odenhem. Comment s'assurer, sans cela, qu'elle ne piétinerait pas immédiatement le résultat de ces négociations? Qu'elle ne chercherait pas, dans l'heure, à mettre à mort la délégation odélianne? La confiance se révélait un vain mot quant on parlait de l'Olysséenne et sans personne pour retenir son bras qui sait quels sombres projets elle mettrait en œuvre? On ne doutait pas de la fidélité et de la droiture du Sénéchal et de ses hommes mais entre les mains d'Arsinoé ces qualités se voyaient dévoyées.
Comprenant la délicatesse de leur posture, Aedán temporisa en soulignant la préméditation des Odélians. Intelligence de l'intérieur? Voila qui ne s'improvise pas! Ils avaient beau jeu de jouer les pucelles effarouchées ceux dont la renardise avait été ourdie bien en amont! Cela équilibra quelque peu la balance et on préféra mettre un terme aux débats pour le jour : tous avaient grand besoin de repos. En outre, le Vercombe exigea le droit d'être introduit auprès de sa belle, en premier lieu pour s'assurer qu'elle était traitée dignement et en second lieu pour obtenir sa version des faits. En vérité, l'homme caressait un autre projet, celui qui lui permettrait d'obtenir la libération de sa mie.
Sauver Madeleyne. Sauver Arsinoé. Sauver le Royaume. Plus que deux.
Peu désireux de fournir un nouveau prisonnier de valeur aux Odélians, les gens de la Régente exigèrent des otages pour toute la durée de la visite du Sénéchal. Que les Nordistes s'avisent de le retenir prisonnier et gare à leur tête!
**
Que dire à celle que l'on a mise à bas? Aucun mot, aucune parole ne pouvait espérer panser le cœur meurtri de la Régente. Ces Odélians bouffis de renardise s'étaient certes efforcés de remettre un semblant d'ordre dans le castel, retirer les corps et les draps souillés des couloirs, il n'en demeurait pas moins qu'Aedán savait. Pire, il avait vu le sang qui, par endroit, croûtait encore la pierre, senti la mort qui prenait ses aises derrière certaines portes closes. S'il avait pu, le chevalier aurait veillé à ce que l'assaut se révèle indolore, que la place tombe sans même que les épées ne soient tirées du fourreau. Toutefois, cela lui était impossible. Il fallait faire des choix, établir des priorités. Pour sauver le Royaume, il lui avait fallu mettre en danger Madeleyne et Arsinoé. Pour l'heure, la première était sauve, quant à la seconde...
"Arsinoé!"
Faisant irruption dans la chambre pareil à un loup dans une bergerie, le Sénéchal se rua derechef sur la marquise qui, dans un râle, tira les draps à elle afin de se couvrir : "Es-tu blessée? T'ont-ils malmenée?". Tout en parlant, il inspectait le corps de la belle, au mépris du tissu qu'elle pressait contre son sein, à la recherche de quelque meurtrissure qui fuirait son regard. "Ah les Cinq soient loués tu es sauve!". Tandis que son soulagement s'apprêtait à prendre ses quartiers, la détresse de cette femme parut naître seulement à cet instant devant ses yeux. Ce n'était plus la jeune veuve désemparée, dépassée par le poids du pouvoir, qu'il avait croisée dans ce même château quelques mois auparavant. Non, désormais, face à lui, se trouvait un être brisé, confus, dont les sombres pensées lui déformaient vilainement le visage. Le mirliflore en eut le cœur brisé et, paradoxalement, sa résolution s'en trouva renforcée. Il se refusait à vivre avec l'idée d'avoir fait subir, en vain, pareil traitement à ce doux tyran oriental dont le règne s'étendait tant sur la Péninsule que sur ses sentiments. Le chevalier les sauverait tous! Le Royaume, sa famille et sa belle! Après avoir tant sacrifié, il s'apprêtait à réitérer. Les priorités l'exigeaient. A nouveau, ses actes menaçaient de blesser la louve. Tout cela pour la sauver d'elle-même. Pourrait-elle seulement le comprendre?
"Mon amour, sitôt prévenu j'ai chevauché avec nos armées pour encercler Edelys et m'assurer qu'ils ne te fassent aucun mal...Las! Ces démonolâtres, ces zoomans, ont je ne sais comment réussi à entrer avant même que nous n'arrivions" la serrant contre lui, comme s'il souhaitait s'assurer qu'aucun ensorceleur ne cherchait à le duper par le truchement d'une illusion, il poursuivit : "Si nous lancions l'assaut ils menaçaient de s'en prendre à toi. Je ne pouvais m'y résoudre. Je m'y refusais.". Déposant un baiser d'une tendresse non feinte sur le chef de l'Olysséenne, Aedán reprit : "Je ferai tout pour te sortir de là." à contrecœur, il ajouta : "Toutefois, pour l'heure, ils nous contraignent à négocier. Nous nous efforçons de tenir bon à leurs fols requêtes mais..."
Plongeant son regard dans les yeux en amande de son aimée, il s'exclama : "Si tu savais comme j'ai craint pour ta vie Arsinoé!"
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Sam 21 Juin 2014 - 14:00 | |
| Mussant sa truffe humide dans le creux du bras du sigisbée, Arsinoé caressait fiévreusement l’espoir – non, la certitude ! - d’un sauvetage opportun. La voix du lovelace se faisait dictame des inquiétudes, rassérénait son cœur en débandade. Déjà, ses tribulations ne lui semblaient plus que vagues souvenances, autant de chimères. Ses pensées que l’on avait voulu encager s’envolaient à l’encontre d’un lendemain gorgé d’amour, riche en gémonies. Sapiente, elle alluma même quelques cierges en l'honneur de la tempérance : pas plus de deux coupes par jour, trois les jours de faste.
Qu'il était bon d'être un poisson dans l'eau, un bigorneau sur sa grève.
Accotée à son oreiller de chair fraiche, les lallations d'icelui étaient aussi indistinctes et agréables qu'elles le sont dans l'amnios maternel. Tout au plus s'indignait-elle vaguement que son oreille demeure sèche. Dans une sorte de danse insouciante, ses doigts lutins parcouraient le torse aimé. Impérieux, ils réclamaient la preuve de cet amour qu'elle lui rendait sans lésine. La satyresse jouissait alors de cette tactilité propre aux seuls sourds-aveugles. Aux lèvres de ce bourreau plein de remords, elle s'offrait avec ivresse et molle gourmandise.
Le baiser vint comme un faux accord dans la dive harmonie.
Les yeux perçants comme une vrille, elle fouilla ceux tachetés d'impuissance du cerveau congénère. Bien plus que ses paroles absconses, son faciès, un masque de contrition, restitua l'étendue de la débâcle. Il n'était pas venu la secourir, mais plutot s'excuser. Réprimant un accès de faiblesse coupable, elle se fendit d’un hoquet douloureux avant de se tirer de son lit comme on le fait d’une fange. L'ergastule, ce donjon aux insondables tristesses ou le fatum l'avait relegué, sembla se resserer. Adieu, le plaisir vaporeux.
S’accoudant à l’ajour en mansarde, insensible à la froidure matutinale, elle contempla l’ost que sa vie enchaînait. Elle voyait les semis fleurdelysés, la pourpre et le sinople, onduler aux plis de leurs bannières. Cerf et louve se dressaient à l’encontre du bélier abhorré, et la visu la réconfortait un petit. Ces cancrelats, assez rosse pour la laisser longtemps macérer dans son angoisse, venaient d'imprimer une nouvelle torsion vicieuse à la dague figée dans son flanc en la dégrisant par l’entremise de ce tigre désolé.
Elle ravala l’écume de sa haine, cette bile où baignaient ses molaires opalines, afin de mieux la cracher. « Ma vie n’est pas si une grande chose qu’il faille tout sacrifier sur son autel. Il faut, pour penser cela, un terrible fond d’égoïsme. » Osant enfin croiser ce regard aux élans compassionnels qui lui déchiraient l’âme, elle reprit : « Si ces damnés prétendent se cacher derrière un si frêle plastron, il te faut les en désabuser ». Elle balaya une larme grasse de l’orgueil des martyres avant de soupirer tristement : « Ne mêles pas les choses de l’amour à celles du devoir mon ami, c’est une fallace. »
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| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 23 Juin 2014 - 15:42 | |
| "Arsinoé ô Arsinoé! Souffre que je désobéisse à tes ordonnances!" répliqua vertement le chevalier. Saisissant les mains de la régente dont l'autorité chancelait, le Preux expliqua : "La Justice me paraîtrait être un concept bien creux si je pénétrais dans ce castel pour t'y trouver sans vie. Non, si ta bravoure face aux procédés nauséabonds de nos ennemis, qui ne sont pas sans rappeler les heures sombres de la Péninsule, mérite d'être louée jamais je ne pourrai la contenter. Aucun mot, aucun serment, aucune supplication ne saurait me détourner de ma volonté. Je te sauverai, ma doulce, que tu le souhaites ou non." un sourire lourd de mélancolie s'étira alors sur le visage du sigisbée tandis qu'il ajoutait : "Ne porte pas le fardeau de ces négociations auxquelles ils nous contraignent. Je te soulage de ce poids, il est désormais mien."
Il la tint encore longuement, tout contre lui, murmurant parfois quelques vers tirés d'un agréable poème, afin d'apaiser au mieux les nerfs malmenés de l'Olysséenne. Bientôt, le Sénéchal devrait lui porter un nouveau coup. Sa belle l'ignorait encore mais son sort, malgré toutes les promesses de son amant, demeurait disputé. Informés de la jonglerie dont avait fait preuve Arsinoé, de ses promesses creuses de négociations tandis qu'elle ordonnait à son ost de marcher sur les Odélians, les hommes du Bélier se refusaient à la voir remonter sur le trône. De quelles garanties disposeraient-ils que la Madrée du Médian ne jette pas la Grande Charte au feu sitôt leur dos tourné? Qu'elle n'ordonne pas à ses gens d'armes d'aller saccager le marquisat des Marches?
Des chaînes, seules, paraissaient à même de contenter les nordistes. Soit en faisant de cette louve une otage, qu'ils retiendraient aussi longtemps que nécessaire à Odenhem, soit...
"Mon aimée, ma mie!...les Odélians, aveugles à tes vertus, demandent tant et plus et parmi leur salmigondis de requêtes nombre s'en prennent directement à ta personne. Ces faisans cherchent en vérité à te garder tout pour eux, à te mettre en cage on le ferait d'un oiselet aux plumes colorées! Nous nous efforçons de les détourner de leur projet mais ils s'y accrochent comme un ladre à sa bourse. Ah! Mais c'est qu'ils te craignent, si tu les voyais trembler! Ici, bien à l'abri derrière les remparts, ils jouent aux matamores avec leur attitude rogue mais ils te considèrent comme on considère un lion en cage : avec défiance! Dès lors que ces barreaux ne seront plus, ils ont acquis l'intime conviction que tu viendras planter tes crocs dans leur chair molle. Tu leur fais peur, Arsinoé!"
Quelque part, le Vercombe espérait avoir rassuré un peu la marquise par ces paroles avant d'être contraint de la prévenir de la crevasse dans laquelle sa botte d'acier menaçait de l'entraîner : "C'est pourquoi nous piétinons aujourd'hui. Ils se refusent à te relâcher sur ta seule bonne parole. L'assurance ne suffit plus à ces ogres! Chaque heure qui passe nous avançons pourtant de nouvelles colonnes d'arguments, faisons pénétrer des cohortes d'arguties tant juridiques que théologiques là où leurs raisonnements cherchaient à s'installer mais ils campent toujours fermement sur leurs positions. La confiance qu'ils nous donnent, ils refusent de t'en faire don."
Le chevalier poussa un soupir empreint d'une grande douleur tandis qu'il reprenait : "Ah je ne vois qu'un moyen d'éviter que d'autres innocents ne périssent mais ce serait bien trop m'avancer, demander une faveur bien trop élevée! Pour parvenir à te sortir indemne de leurs griffes, ma douce, je ne dois pas parler en serviteur. Mes mots sont solides mais je ne puis malheureusement les élever bien haut. Autrefois, après ma visite dans ce même castel, tu m'as offert une faveur et ce fut un baiser que je réclamai. Aujourd'hui, je frappe à nouveau à la porte de tes sentiments en quête d'une faveur. Arsinoé, maîtresse de mon cœur, veux-tu être mienne pour la vie?"
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 23 Juin 2014 - 20:42 | |
| « Ces singes, ils corrigeraient le Magnificat ! »
Cette saillie en coq-à-l’âne, quoique frappée au coin du bon sens, détonnait singulièrement avec la supplication de l’Antinoüs. Insensible, l’esclave-reine ? Non-pas, elle sentait son cœur pressé comme une vieille orange. Circonspecte tout au plus. Pareil au madrian que l'on promet au petit ange s'il biberonne à satiété, l'amour félicieux semblait bien lointain ; ses courbes sensuelles drapées d'orties. Cet âpre lait, tiré des pies faméliques du malice : ce vase de fiel, ne menaçait-il pas de lui faire perdre goût pour tout ce qui est sade et agréable dans ce monde ?
« Ils posent en triomphateurs éclairés, les tartarins ! »
La cracheuse d'apophtegme errait désormais, pleine d'agitation, dans le réduit de sa cellule. Elle tripotait distraitement un affiquet, une petite tanagra vert myrte aux relents du ponant. Ses doigts filaient le noir des nielles d'une chevelure lourde et nattée, tandis que son intelligence avisait la seyante logorrhée de son amant. C’était qu’il savait dégoiser le muscadin ! Il se répandait en déclarations lénitives, parées d'enluminures adoucissantes, avec l'aisance des plus sublimes félibres. L'essence desquelles, la substantifique moelle, en était d'autant plus amère.
« Ces coquins que grise la vendette. Ta cousine à l’œil pétillant de malice qui me gratifie de moues sardoniques : c'est Tyra l'aveugleresse qui réclame l'irénisme. »
Pour parapher ces oiseux coups de lancettes, la figurine s'envola par le pertuis, fuyant ce régime claustral, cette touffeur insupportable. Sur le coussiège attenant, la fierette se gorgeait de l’enivrante monotonie du paysage, du soleil oblique qui sortait lavé des flots. En réfléchissant, elle fixait un point indéfini dans le panorama guerrier, encaissé entre les babines de la claquemure. Sa peau où le soleil chamarrait son teint vermeil, elle reflétait son esprit bariolé : un désordre de caravansérail.
« Bel astre, doux parfum d'ambroisie... »
L’exorde fit long feu, et ses yeux saturniens se voilèrent derechef d’une rage impotente. Ces patriciens rutilants, elle avait craint qu’ils eussent été trop occupés à rivaliser de morgue pour forger convence. La vérité était autre, mais tout aussi terrible à sa manière. Le Bélier, aiguillonné par cette tendresse blessée dont dégoulinait le Favori, abouchait son groin visqueux sur le cœur sensible et suppurant. Tant qu’il resterait aveugle à la cruelle simplicité de leur situation, cette même tragédie qui se répétait depuis les premiers Chants, le bellâtre serait battu et rudoyé dans chacune de ses menées. Comment lui faire comprendre ? Elle croisa à nouveau son regard fervent et sut qu’une nouvelle tentative serait aussi vaine que la précédente. Par amour, il ferait d’elle une gueuse déguenillée et dont les fripes laissent voir la poitrine sans linge. Ce front puissant, il cachait un cerveau de pucelle énamourée. Cet œil vif qu'elle chérissait, ses balafres qu'elle adorait avec toute la dévotion du prêtre pour son idole : autant de damasquinures qui vous ensorcellent, et même pire, vous typisent un personnage jusqu'à en faire la figure incarnée de la vieille race : un homme à qui se fier. Un bon sigisbée. Voilà ce qu’il en coûtait de mélanger l’amour et le métier.
L’idée de mourir seule dans ce nord humide, terrassée par quelque consomption galopante, ses poumons rongés de phtisie, l’effarouchait puissamment. Elle se mit alors à pleurer comme une madeleine, et hoqueta la syllabe sacramentelle.
« Oui »
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| | | Aedán de Vercombe
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Sam 19 Juil 2014 - 22:44 | |
| "Là, là, bientôt ces spectres malfaisants seront loin dans les gâtines qu'ils nomment foyer et nous...nous vivrons heureux, mon Arsinoé" cajola Aedán tout en la serrant contre lui. Peut-être qu'au final il parviendrait à sauver plus encore que sa famille, sa mie et le Royaume. Par ce mariage, le chevalier obtenait l'absolution pour la perte d'Edelys, il lui permettait d'éviter de voir quelques vilaines rumeurs suinter ici et là. Le Vercombe n'était pour rien dans cette affaire et la Régente lui renouvelait sa confiance - et de quelle manière ! - en lui conférant les titres qui avaient toujours, il avait la certitude, manqué à un homme de sa stature. Devait-il éprouver quelques repentances pour l'énormité des actes qu'il avait commis? Le Sénéchal ne le pensait pas. Il souffrait de la douleur qu'il infligeait à l'Olysséenne mais ne regrettait rien. A certains tournants de l'histoire, un homme et un royaume se confondent. Ce qui grandit l'un grandit l'autre, ce qui nuit à l'un nuit à l'autre. Ce beau parleur aux yeux embués de rêves se figurait en réformateur, en sauveur, en homme de la Providence! Le Royaume s'était affaibli, ankylosé, ses griffes cyanosées incapables de se projeter sur le Monde, trop affaibli par la maladie qui le rongeait de l'intérieur. Lui, Aedán de Vercombe, serait l'orviétan miraculeux qui le sauverait, lui purifierait le sang des humeurs malignes qui l'habitent et rendrait leur vigueur à ses membres. Il avait pour lui sagesse des vieilles races, qui ont connu la gloire tout comme les vicissitudes de l'existence, jusqu'à développer une connaissance quasi intime de l'âme de la Péninsule, cette mangeuse d'hommes. Ses actes, la défenses de ses intérêts personnels, ils lui profiteraient à lui comme à la couronne! Ce qui ferait la grandeur d'Aedán de Vercombe ferait la grandeur de Diantra!
Pour le dire simplement, ce matin là, ce n'était pas Arsinoé qu'il mettait dans son lit. C'était le Royaume.
***
Assis dans de hautes cathèdres adornées de ciselures aux motifs pastoraux, ici des grappes de raisin, là un berger guidant son troupeau vers les collines, les Odélians encaissaient le coup comme un paysan découvre les dommages après la grêle. Quelques heures auparavant, les hobereaux du septentrion, faussement contrits, justifiaient de ramener dans leurs bagages la Régente de par le fait que, faute de partage de son pouvoir, l'acceptation du résultat des négociations reposait sur ses déloyales épaules seules. Depuis, le Sénéchal avait obtenu publiquement leur confiance à bon compte - que pouvait l'homme si la marquise ne le rejoignait pas sur ses engagements ? - avant de leur annoncer son union. Lorsque viendrait l'heure de parapher le document, il ne le ferait plus en simple prébendier.
Pareil à un ogre retrouvant l'appétit après une méchante poussée de fièvre, le Vercombe relançait les débats avec une soif intarissable d'en découdre sur les articles à ajouter au texte. Une fois la charte rédigée, il pourrait se marier puis apposerait sa signature au document, en échange de quoi les Odélians libéreraient la belle Arsinoé d'Olyssea. Tout comme il se gargarisait du pouvoir qui était le sien à cet instant, le brave avait hâte d'épouser sa dulcinée. Aussi, tel un gargantua claquant des mains pour qu'on lui apporte trois nouvelle outardes à la peau croustillante, le chevalier n'avait de cesse de héler les scribes pour que telle ou telle décision soit consignée avec tout la célérité dont ils pouvaient faire preuve. Bientôt, le réfectoire devint un véritable capharnaüm où plénipotentiaires et lettrés formés à la scolastique se marchaient dessus, se disputaient un coin de table ou s'apostrophaient d'une voix fatiguée, le tout dans une atmosphère rendue moite par l'assemblée.
En parallèle, on préparait l'édifice à accueillir les noces. Quel lieu plus sacré pour célébrer un mariage que celui où la Damedieu en personne s'était montrée à son peuple pour lui redonner espoir? Ainsi, un cortège de moniales, camerlingues, circateur et autres épulons défilaient dans le temple d'un air affairé. A leur suite, des laïcs venaient entreposer de quoi accueillir les aristocrates qui assisteraient à l'évènement, le tout sous la garde serrée des Odélians comme des gens de la couronne, chacun soupçonnant quelque fourberie de la part du camp adverse.
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Dim 20 Juil 2014 - 15:07 | |
| Cafardeuse, son front encore moite des langueurs de la nuit, l’Arsinoé cavalière était sur les traces de la Dasmedieu, la Très Sainte. Voilà qui aurait dû raviver ses pieuses entrailles. Foulant du sabot une terre grasse et pleine d’escargots, jonchée de fleurs et de rameaux, elle n’en restait pas moins sous farouche surveillance. Sa rutilante société l’encadrait d’un peu trop près, soulignant l’équivoque de la situation. Les cagots et artisans que l’on croisait parfois sur le raidillon escarpé la dévisageaient insolemment : n’était-ce pas cette louve, cette mère du roy, trahie par ceux-là mêmes qui assuraient sa protection ? Dévorée par ces regards, elle se sentait comme une étique, gueusant trois heures avant sa fin. En outre, elle suait abondamment sous sa maigre toilette. Aussi prenait-elle des airs de chasseresse incomprise que l’on traine devant Mogar trismégiste ; de pucelle conviée aux sabbats de feue Morgane d’Estaria.
Ils furent introduits dans le monastère par l’abbé en personne : un escogriffe sur le retour qui aimait se farder d’un mysticisme fuligineux auprès des grenouilles de bénitiers, et d’une déférence retorse avec les puissants. Confronté à son avoueresse mise à bas, il se fendit d’un hommage poncif et se fit le cicérone de la petite troupe, les invitant à gravir une volée de marches donnant sur l’étage supérieur. Il faisait plus lourd que jamais. Une galerie aux murs évidés par de grands vitraux ovoïdes - ils transfiguraient le ciel de plomb et masquaient la cohorte de nuées effilochées à l’horizon – donna sur l’aile de l’hôtellerie qui était dédiée aux Odélians. Quelques badernes désarmées en gardaient l’antichambre, et les convoyèrent à leur tour jusqu’à une salle étrangement dépourvue d’ovidés ruminants. Une sorte de loggia à arcades lancéolées, la voûte en pendentif, spacieuse à souhait et ouverte sur les flots du Garnaad.
À l’intérieur, L’attraction la plus voisine était une ample table sur tréteaux, poncée et marquetée, où seyait quelques douceurs melliflues. Principalement des fougassons et massepains que violentait messire Tiburce et ses compagnons de jactage : Le puîné de Sharas et un adipeux qu'elle tenait pour le bailli des bois d'Edelys. Avisant leur suzeraine, ces dancelons s’empressèrent de lui appliquer quelques pommades, rivalisant de commisération. Elle en profita pour parcourir l’antre du regard, et fut bien forcée de constater qu’il ne s'y trouvait que ses féaux, soutiens et obligés. Mais n’y avait-il pas anguille sous roche ? L’expérience salée avait fini par déteindre sur son bon fond, et elle ne se lassa dès lors pas de guetter un sicaire derrières les colonnades cannelées et rudentées, sous les vélums de soie où l’on faisait bombance.
Godefroy fut le prochain à se présenter à ses devants. Hâve, pâle, les yeux caves, le seigneur accusait durement le coup. Très engourdie, Arsinoé n'opéra pas immédiatement le subtil rapprochement : l'homme avait perdu son fils aîné. Sa voix, une onde mélancolique, tirait davantage vers le Schéol ou l'on avait jeté son Lancelin que les tristes grèves de l'Olysseane. Elle ressentit un légitime pincement au cœur à la déveine de son cousin, qu'elle eut la grâce de taire par égard pour sa fierté. Formulant une politesse vétuste, celui-ci la gratifia d'un regard peu amène avant de se retirer. À cet instant, le spectre d'une beauté délavée prospéra sur ses traits. Une évanescence.
Adonc, ayant laissé la préséance au grand deuil, les autres seigneurs l’entourèrent. S’enquérant d'abord sur son état, ils louvoyèrent assez-vite vers le coup de main qui l'avait ruinée, le comble de l'hypogamie qu'on leur imposait. Tout ce bienvouloir en pantoufle, cette sollicitude qui se faisait litanie des adieux, les protestations et gesticulations simiesques du Réchin. Toutes ces choses à la banalité étouffante qui dégoulinaient l'ennui comme nulles autres : elles l’écœuraient. Ranimaient chez elles des spasmes impérieux, une rancœur qui menaçait de déformer son masque dolent. Prétextant une diminution passagère, elle leur arracha son répit.
Le suaire déchiré des nuages se mit alors à donner de la bruine, ressuscitant des prairies brulées par le soleil et écorchées par les tombereaux. À l'évent des galets du Garnaad se mêla une odeur de terre mouillée, d'écorce humide. Au moins les noces ne se feraient pas dans une étuve ronchonna-t-elle intérieurement, sur son banc de pierre. En pleine églogue, elle mirait les landes désertes, caressait du regard la galbe du pays Missédois. Cet idéal inaccessible, ce rivage aux amours interdits, le sillonerait-elle jamais ? Bref, l'Impuissante rêvassait sec ; elle mettait une sourdine sur le flot d'anathèmes que composaient les esprits de ses leudes. Un exploit, car iceux cabalaient tout aussi sec. Ces murmurateurs qui s'exprimaient à demi-mot, ils bouillaient. Par litotes et ellipses, ils vilipendaient les turpides épousailles, mouflette d'une faiblesse coupable ensemencée par la plus rogue des renardies.
Après un instant qui dura une éternité, le Captal se départit de la compagnie du sire de Karhak et de ses deux fils pour venir se poser à ses côtés. À tu et à toi avec celle qu’il avait suivi en exil, il saisit sa main mignonne à pleine pogne, délicatement, comme animé d’une émotion puissante refoulée à grand’peine. « Ce n’est rien », marmonna-t-elle brouillonne, « il m’en passera l’envie. Le chagrin me donne de l’aigreur, voilà tout. » Mais dans les prunelles du chevalier grisonnant, noires comme un puits, elle devina un voile qui eut l’effet d’un tord-boyaux. « Je ne l’ai plus revue depuis cette nuit…Elle m’était comme une sœur tu sais...Ça n'est pas ma coulpe. »
« Et c’est ma sœur de remariage » rétorqua-t-il d’une voix abrupte que sa grammaire adoucissait.
Elle savoura coiement l’instant avant de répondre. Mélisande, cette grande mâtine qui avait été nourrie avec elle d’enfance, elle vivait ! « Aedán vous a donc porté de ses nouvelles ? Tyra l’a épargnée ? »
« Pour l’heure à tout le moins. Diable ! Ces croquants n’y sont pas allés de main morte. » Estienne semblait déjà regretter la tournure qu’avait prise la conversation, et s'excusa après avoir dépeint d'un trait sobre le ravage des viretons. En se levant, il passa près de l’oreille ourlée d’Arsinoé et y glissa quelques mots détonants. Sitôt, comme pour s’assurer qu’elle ne goûterait au moindre plaisir clandestin, une cloche au gosier vigoureux se mit à jeter loyalement son cri religieux. Elle annonçait les siestes méridiennes. La toilette nuptiale.
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| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Mer 23 Juil 2014 - 20:47 | |
| Organiser un mariage n'est jamais une mince affaire, si l'on fait exception de ceux célébrées au petit matin par un prêtre aviné. Ca l'est d'autant moins lorsque deux osts se font face, prêts à en découdre et que l'on s'échange des otages pour toute la durée de la cérémonie. Si Aedán sentait la fatigue s'en prendre à lui, il n'en montrait rien. A cet instant, le jouteur vivait sur ses nerfs. Depuis l'annonce, Brumant l'avait informé que nombre des gens de la marquise avaient émis le souhait de s'entretenir avec lui, leur futur suzerain. Qui dans le but de lui arracher quelque faveur, qui par esprit de cour. Tous ces conciliabules défilaient comme un songe devant ses yeux, une sorte de brume aux formes indistincte qui égare le voyageur. Parfois, le beau sire avait le sentiment diffus que ce n'était pas lui que l'on allait marier tant il se dépensait en activités subalternes, qu'il n'occuperait au fond que le rôle de maître de cérémonie, attribuant les places sans jouir du résultat. Et pourtant, c'était bien lui, Aedán de Vercombe qui par l'amour et par le sang regagnait la place dont les siens s'étaient vu déposséder. La Fortuna, le Prince d'Orient l'avait rudoyée comme un amant traite une putain trop rêveuse tout en la séduisant par mille promesses. D'une main il la frappait de sa détermination, de l'autre il la caressait avec tendresse. Elle aurait dû le haïr mais elle ne le pouvait : son cœur lui appartenait. Alors, elle s'était donnée à lui, corps et âme.
Cela ne pouvait signifier qu'une chose, les Cinq, et plus précisément Néera qui, à sa façon, présiderait la cérémonie, désiraient l'ascension du chevalier de Vercombe. Ils avaient un plan pour lui! Combien ne vivaient que pour lui servir de pion? Le voudrait-on qu'on ne pourrait s'opposer à pareille destinée. Les dieux le voulaient et Aedán ne pouvait plus que modestement suivre la voie qu'ils lui avaient tracé.
Juché sur un magnifique bucéphale d'un blanc nacré, le beau sire en tenue d'apparat quitta le camp accompagné de nombre des représentants de ce qui deviendrait sa noblesse. Sur les bas côtés, de jeunes pages faisaient parade des bannières de ces gens ainsi que de rameaux d'olivier qu'ils agitaient avec l'insouciante vivacité de leur âge. Cà et là, on avait laissé les petites gens se masser afin qu'ils puissent s'ébaudir des tenues rutilantes que portaient ces aristocrates et apporter leurs vœux de bonheur au Sénéchal. Alors, des écuyers aux surcots orgueilleux se chargeaient de distribuer oublies, dragées et nougats noirs aux enfants afin d'assurer que jamais ne périsse le souvenir de ce jour.
Enfin, on arriva en vue des dômes de cuivre vert de Néera-Aventine, dont les flots bleus de la Garnaad servaient d'écrin. Sur la berge les attendaient les maîtres de jurandes, grands négociants et autres ambassadeurs qui avaient participé aux frais de la cérémonie. De là, il n'était plus question de poursuivre à cheval, aussi on laissa là les montures avant de monter à bord de splendides barges d'albâtre. Ces dernières, transformées pour l'occasions, étaient ornées de colonnes torsadées entre lesquelles s'étiraient de paresseuses guirlandes de fleurs et garnies de lampions aux coloris éclatants. "Souquez qu'on les marie!" lança un muscadin à bord de l'une des embarcations, bientôt repris par toute l'assemblée "Souquez! Qu'on les marie! Qu'on les marie!".
Sur l'autre berge, une délégation d'ecclésiastes en grande tenue les attendait, flanquée de deux chœurs de jeunes fidèles vêtus de longues tuniques d'un blanc virginal. Ho, peut-être y eut-il quelques malséants personnages pour maugréer que, pour des troisièmes noces, un blanc cassé aurait été plus à propos, mais aucun ne parvint à se faire entendre. Arsinoé d'Olyssea et Aedán de Vercombe s'unissaient fièrement à la face du Monde et non à la dérobée comme les protagonistes d'un amour impossible.
Alors, mettant pied à terre, ce fut une coterie populeuse qui suivit les pas du chevalier tandis qu'il remontait le chemin de pétales de roses qu'on avait établi à son attention.
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Jeu 24 Juil 2014 - 19:31 | |
| L’Hallali s'annonçait superbe.
S’engouffrant dans l’antépurgatoire, Arsinoé fuyait ses maritornes. Tout sur elle respirait cette débilité, cette prostration morale, qu'a le daim sagace quand la curée montre ses crocs. Comme pour s'assurer qu'elle ne revienne par sur ses voies, un sacristain la barricadait derechef. Le gêneur, tout frais émoulu de l'école des Bons-Anges, lui présenta alors un petit vase d'eau pour lui être agréable. Une décoction vivifiante à base de livèche qu'elle régurgita incontinent, mouillant le gonze et le marbre du sol. Pantois, ému comme seuls peuvent l’être ceux chaussant du cuir humide, le frocard gratifia notre héroïne d’un regard franchement hostile tandis qu’elle expulsait ses dernières humeurs : Un filet de bave natté de bile qui semblait se calcifier au contact du dehors.
Par une entrebâillure, du côté de septentrion, la biche se glissa dans l’arène. Elle déboucha sur une perspective obscure d’arcades en ogives à six voûtains, dans un de ces croisillons aux airs d’arc boutant massif qui étoilaient la basilique. Des piliers filiformes se déployaient de part et d'autre, des figuiers aux cannelures torses qui ouvraient sur une clairière où des formes falotes se coudoyaient dans la demi-lumière. Elles l’attendaient ; et ses chevilles, dans la molle étreinte d'une brume vaporeuse, répondirent spontanément à l’appel. Elle s’achemina vers le cataracte avec le pas précautionneux de la donzelle s’aventurant dans un bouge particulièrement malfamé. Trop tard, elle le troqua pour la démarche empesée de celle qui singe la sobriété.
C’était pourtant précisément la sobriété qui l’affligeait ; la débauche d'austérité, le stupre d’ascétisme : ces choses vous rongent l’âme comme nulles autres, c'est bien connu. Elle n’avait pas pipé mot depuis la collation dans la loggia marine, se lovant plutôt dans un mutisme sinistre qui l’avait toujours aidé à pleurer sur son sort. Et naturellement, elle avait dû sacrifier sur cet autel acariâtre tout espoir de retrouver sa lucidité, de rassembler quelques forces à l'aide d'un mulsum entremetteur. Aé ! Quand les tropismes s'affrontent, l’âme saigne. Aussi, elle hésitait, tergiversait à l’orée du parterre. Dans la pénombre trompeusement vespérale, ses repères étaient chamboulés. Elle ne décelait plus, dans ces courbes fantasques où le porphyre dispute de prix l'émail, le génie qui avait su y imprimer un soupçon de vétusté. Elle était plaisamment myope, failli s'abandonner aux caresses des ombres...Mais uniquement pour mieux en surgir, comme une étrave frappée par l'écume, prête à affronter le premier cercle des noblaillons, des calotins géminés qui balançaient leurs encensoirs.
Moins fraîche qu'à ses premières épousailles, moins ferme qu'à ses secondes, elle avait le visage complexe de celle que l'on promène à l’échafaud. Un visage chiffonné par les tracas, aux yeux brillants d'insomnie. Elle ne parvenait à se départir d'une sensation ténue d'irréalité. Ses sens peluchaient, fébriles et duveteux. Le temps s'était comme aboli, et la procession solitaire s'étirait, longuette. Elle songeait que tout ceci était tout de même sacrément louche lorsque une rémanence d'outre-tombe vint lui nouer les lombaires. Une ecmnésie, un vertige des abîmes, qui lui fit craindre qu'une divinité gageuse ne l'étale sur l'ébauche minérale du dallage. Cette même déitée qui compissait opiniâtrement la coupole et faisait carillonner les tuiles des corps du logis ; qui recouvrait le soleil d'une crêpe nuageuse et ne laissait percer, par les hautes verrières des absides, que quelques rays qui éclaboussaient ci et là le dallage en grandes flaques de grenat et de péridot. Cette salope qui paraît d'un halo sa Némésis.
La chapelle vira au rouge. Le vrai coup de sang.
À la vérité, c'était d'abord sur Philinte que son regard s'était posé. Ce faune canaille qui avait étrillé sa maisnie, il était gonflé de morgue. Suivait une duègne, une caducité qu'elle pensait trépassée depuis long, sur laquelle son regard glissa pour mieux côtoyer l'insupportable. Elle se tenait à moitié hors du cercle lumineux, la Madelon ; elle à la nature si rogue, fantasque et brutale : à peine sortie de la chrysalide qu'elle l’avait frottée de son aile rude. Mauvaise, elle était venue enduire ses plaies de soufre et de poix à coups de demi-sourires : en vicier les emplâtres afin qu'elles ne perdent jamais rien de leur piquant. Arsinoé aurait voulu l'apostropher vertement. Se prodiguer en colères postillonnantes. Démontrer que non, l'injustice commise ne devient pas une grâce lorsqu'elle cesse. Sans parler de ces impérieuses envies de meurtres qui s'épanouissaient dans une efflorescence vénéneuse, ces tiges vivaces qui lui enserraient le cœur et chatouillaient le membre fantôme à sa dextre. Autant d'élans qui émoustilleraient en vérité trop la guivre. Et puis, comme le disait jadis un sapient : quand le vin est tiré, il faut le boire. Alors bernique, on noie sa haine.
Arsinoé s’arrêta au lieu qu'elle jugeait idoine, emmaillotée d'une arantèle de regards qui se croisaient et se fuyaient dans un enchevêtrement muet de défis et de complicités. À quelques toises, légèrement surélevée, la Dasmedieu s’abîmait dans un acte d'adoration éperdue, insensible aux deux prélats encaqués sous ses ailes. Adoncques, Le plus proche avança vers le bord du dais, dévoilant une tunique de lin clair au scapulaire richement émaillé. Gorman de Sales, grand prêtre de la foi, avait cette bonhomie pateline que rendait proprement insupportable quelques rumeurs de nicolaïsme. Il usa et abusa de l'homélie, se fendit véritable laïus qui manquait cruellement d'à-propos : taisons le et dépeignons plutôt l'Olysseane.
Elle était drapée d'une cotte de samit fauve brodée d'entrelacs floraux, évasée et échancrée jusqu'à l'épaule pour révéler une carnation veloutée qui fleurait bon le benjoin. La toilette était sublimée par deux pendant d'oreille sertis, et un menu baudrier mordoré que maintenaient un fermail et quelques fibules. Sa blondeur satinée se disposait en tresses orgueilleuses coiffées du tortil de son état. À sa dextre miroitaient deux bagues : la lourdeur archaïsante des marquis de l'Atral côtoyait un diamant gris-jaune enchâssé d'un petit bijou d'orfèvrerie karhakienne. Bien cambrée, bien lavée, elle s'était plâtrée d'un hiératisme de statue. Fière et nerveuse, elle faisait bonne contenance pour une ombre ratatinée, un relief d'humanité.
Savait-elle seulement avec qui elle s’apprêtait à faire corps ? L’amant racé d’hier tombait dans l’anonymat. Treize pieds Diantrois les séparaient : un gouffre. C’était avec une conscience aigüe qu’elle ignorait chacune de ses ouvertures, de ses semonces en œillades. Tout plutôt que de le reconnaitre pour ce qu’il était : Un astre ascendant qui la rejoignait au firmament, un ver à ventouse qui se gorgeait de son miel. Une puissante interrogation se distinguait dans l’inénarrable de ses sentiments : Sa tignasse, qui n’était pas sans rappeler l’éclat d’un soleil d’hiver, occultait-elle un cœur qui battait Ancenis ? Ancenis !
Une pirouette optique l’amenait sur le marbre de la Déesse qu’allumait une vague phosphorescence. Ce jeu de lumière qui vous rendait miraud, quoi de plus à propos ? On ne mirait pas la divinité : on l'entr'apercevait fugitivement entre deux oraisons. L’idéale d’une pureté surannée dressait sa silhouette sous la rotonde crépusculaire, sous les arches obscures, piquetées de bougies. Nue sous une tunique de gaze givrée, la délicatesse de ces natives grandeurs tranchaient avec la ruine de son encolure : la chair y était tuméfiée et parcheminée, vergetée par la ciselure sensible d’une âme suicidée.
Un faux-fuyant de plus et elle toisait l’assemblée en lunule. Hermétique à la solennité, le Captal s'échauffait, glissait des œillades entendues, susurrait à l'oreille de l'Östmar. Son regard croisa le sien, avec une signification sans équivoque.
Comme un charmant surin jaillissant de son étui, et qui découvre à son malheur qu’un miellat insoupçonné l’y retient, Arsinoé se raidit, contractura sa mâchoire. Elle demeura interdite lorsque Gorman se fendit d’une ultime toux mâtinée de flegme, puis lorsque l’abbé vint se poser derrière le tabernacle au milieu de l’autel. Ce n’est que lorsque celui-ci leur tendit une main qu'il avait de tavelée et d'embaguée, tenant dans l’autre un style aiguisé, que la veuve se fit une raison. Pour la première fois, elle permit à Aedán d’entretisser son regard au sien – révélant deux billes où tout s’accouple dans la plus confuse alchimie, au point de perdre toute consistance. Et à elle de faire le premier pas vers l’autel.
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| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Dim 27 Juil 2014 - 22:39 | |
| Si la marquise se révélait moins éclatante que lors de ses précédentes épousailles, le Vercombe, lui, subjuguait l'assemblée par son port royal. Son menton volontaire émergeait comme une promesse d'un splendide pourpoint à crevées couvert d'une cape de velours que lui retenait à l'épaule une fibule d'or rose. D'or également resplendissait le bandeau frontal duquel émergeait en multitudes ses mèches blondes, pareilles à des épis de blé bien mûrs, mais malgré tout ce faste c'était son regard, surtout, qui retenait l'attention. Nul n'aurait pu disputer à ces yeux comme deux lames de givre leur parenté avec l'Ivraie. On les sentait couvrir la foule de leur superbe, fouiller les recoins secrets de leur âme pour ensuite laisser transparaître la sacralité de l'instant. A son faîte, Aetius d'Ivrey, le Prince du Sang, avait cherché à apporter la paix au Royaume. Disparu trop tôt, son œuvre inachevée s'était effondrée. Par la paix qu'achetait ce mariage, le Favori marchait dans ses pas avec l'ambition à peine voilée d'aller au-delà, de réussir là ou son prédécesseur avait échoué.
Alors, comme si la Damedieu elle-même donnait son assentiment à cette union, les cloches du temple chantèrent à neuf reprises. Les promis s'avancèrent. Le prêtre gourmé, bien que légèrement patelin, saisit tour à tour leurs mains, la senestre pour Arsinoé, la dextre pour Aedán, et les trempa dans un patène d'airain empli d'eau consacrée. Une fois les ablutions achevées, il demanda d'une voix haute et claire : "Jurez-vous devant Néera Ultima de pourchasser votre bien commun comme Alm et Iben se pourchassèrent, de chérir et de protéger les dons de cette union comme le Soleil et la Lune veillent sur leurs enfants?" Alors, les deux amants prononcèrent les paroles consacrées.
"Là où tu es Alm, je suis, moi, Iben."
"Où tu seras Iben, je serai Alm."
Saisissant les mains précédemment purifiées, le prêtre les entailla de la pointe de son stylet avant de les joindre, ruisselantes de sang, au-dessus d'un calice où fumait un mélange de vin, de beurre, de cardamone et de malt, symbole de fertilité. Là, sans les délier, l'ecclésiaste porta le breuvage à leurs lèvres, au risque de leur poisser le menton. Ils en avalèrent le contenu avec avidité - quoique la dame se retint davantage que le chevalier - . Après les Dieux, la tradition exigeait de s'unir devant le monde matériel. Aussi, afin qu'aucun œil innocent ne demeure ignorant, on procéda à l'échange des alliances.
Enfin, le maître de cérémonie les fit pivoter de manière à ce qu'ils fassent face à la foule à laquelle il s'adressa en ces termes : "Que tous ici soient témoins de l'union devant Néera Ultima qui dès cet instant lie Aedán de Vercombe à Arsinoé d'Olyssea. Hosanna!" Alors, sous les vivats de cette assemblée, le couple se fit face et le chevalier déposa un tendre baiser sur les lèvres rouges comme une grenade ouverte de sa belle.
La suite prit la forme d'une sarabande confuse au sein de laquelle le jeune couple fut assailli de vœux et de félicitations tandis qu'on lui faisait gagner les jardins attenants au temple, où devait se dérouler un festin pour célébrer leur union. Là, sous des tonnelles sur lesquelles glycines, jasmins et sarments de vigne s'ébattaient, on avait dressé, à l'abri de la pluie du matin, de longue tables déjà lourdes de mets pour accueillir les hôtes. Au rythme imposé par une troupe de bateleurs aux chausses bariolées qui sautelaient dans l'herbe humide, tous gagnèrent leur place en louvoyant entre les valets aux bras chargés de victuailles. Quant aux sièges du couple qui s'apprêtait à régenter le Royaume, ils se dressaient, majestueux, sur un fond de roses et de lys auprès desquels les Grands étaient également installés. Face à eux, on trouvait de grands plats d'argile rouge, rehaussés de dessins noirs, qui proposaient à leur palais des hérons fourrés aux figues de Thaar, des choux braisés de la Toranne, des loirs confits et pour contenter le beau sire de Vercombe un brouet de chapon. Suivirent sur des plateaux d'ambre jaune des faisans gorgés de miel, des sangliers arrosés de camelin ainsi que des lamproies, vandoises et ombles suivies de leurs œufs humectés d'une sauce à la Sharasienne. A leurs côtés, dans de lourdes casseroles de cuivre, venaient des gravés d'écrevisses accompagnées de pétoncles sautées et d'huîtres citronnées. Tant dans les mets que dans les breuvages on faisait la part belle aux aventures estréventines d'Arsinoé comme d'Aedán. Ce n'était plus un menu mais un véritable parcours de vie! Ainsi, à ces plats se mêlaient des vins de jujubier, d'orange et de lotus dont la découverte de ces saveurs, pour beaucoup inconnues, ne faisaient qu'exciter l'appétit de la foule.
Bientôt, sous leurs assauts, on vit les orgueilleuses tours de fruits dressées à la gloire du Printemps s'effondrer sur un empire d'assiettes d'argent dont débordaient couppeaux, coqueluces et encore bien d'autres pâtisseries aux amandes. Alors, comme pour redonner un souffle aux convives, on substitua aux vins orientaux les vins framboisés du Médian et ceux pétillants dont faisait négoce la Compagnie du Ponant. Ces nouveaux parfums appelèrent davantage de mets. Qu'on apporte les pluviers aux orties et les chaudumées, hurla-t-on! Cà et là, à travers les brumes que l'alcool instillait dans leurs esprits, les aristocrates pouvaient voir se produire une myriade d'artistes entre lesquels leur marmaille galopait : musiciens aux luths et bouzoukis marquetés, almées aux voiles lestés de sequins, acrobates au pied sûr et bouffons qui rivalisaient de tours pour distraire la noble assemblée. Qu'il faisait chaud! A cette heure, de la bruine matinale ne restait plus qu'une certaine moiteur dans l'air qui amplifiait les exhalaisons des plats et des fleurs. Certains invités, déjà, s'esbignaient en direction de la Garnaad afin de se rafraîchir dans ses flots ou de digérer leur vin sur ses berges.
Les mariés, eux, ne bénéficiaient pas cette chance. Tout au plus leur apporta-t-on un bol empli d'eau dans laquelle on avait pressé un citron afin de lutter contre les effets de l'astre solaire. C'est que tandis que d'autres prenaient du repos ou se retiraient en galante compagnie, l'heure des présents avait sonné. Ainsi, un flot ininterrompu se présentait à la table de ce qu'il convenait maintenant d'appeler les Régents pour s'attirer leurs bonnes grâces par l'entremise d'un cadeau. Parmi tous ces bonnes gens se trouva notamment être un chevalier dénommé Bertrand qui, se présentant en l'ami d'un défunt parent, remit à Aedán un monocle poinçonné sur la bague d'un ours crachant des flammes afin "qu'il fasse preuve de la plus grande clairvoyance dans les affaires du Royaume". L'intéressé le remercia d'un air entendu et tandis que d'autres se présentaient à leur tour pour faire don d'un codex à fermoir orfévré il posa sa dextre fraîchement bandée sur la cuisse d'Arsinoé pour lui murmurer d'un air béat : "Ah! Dire qu'il y a quelques jours encore je te croyais perdue à jamais! Aujourd'hui, je suis bien le plus heureux des hommes!".
Cette journée encore était tout entier dédiée à la fête mais, dès le lendemain, la Grande Charte, devrait être signée sans quoi un drame ne manquerait pas de survenir. Après quoi, pour en cimenter les fondations, on s'échangerait pages, écuyers et échansons. Un vocable bien noble pour qualifier des otages. Toutefois, le Sénéchal nourrissait l'espoir qu'une fois l'affaire tassée chacun y trouverait son compte. N'en allait-il pas toujours ainsi? Ceux qui seraient envoyés et ceux qu'ils recevraient seraient bien traités, bénéficieraient d'une éducation louable et feraient de bons alliés par la suite.
Chassant ces pensées trop prosaïques pour le jour d'un geste irrité, Aedán se retourna vers sa mie et lui murmura, caressant, au creux de l'oreille : "Si nous allions danser une fois l'heure des présents passés? Je crains de finir aussi raide que les statues du temple si je demeure assis une heure de plus."
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Lun 28 Juil 2014 - 13:33 | |
| Sous le vélum des liserons et les ramages des peupliers parasols, la Lunaire ruminait, comme s'il y avait plusieurs réponses possibles et qu'elle débattait avec elle-même sur la meilleure à donner. « À la vérité mon biau seigneur, j'aimerais mieux bécher la terre » à la saillie son pendant : une paume saignée qui se dressait défensivement « voire, c'est désolant mais terriblement vrai : je ne suis plus bonne qu'à sucrer les fraises, mes membres flageolent et mes os piaulent. Ta compagnie m'est un viatique, mais elle ne peut guérir les maux du corps. » Ce menu lamento, répandu avec l’autorité de celle qui sait, laissait poindre une cohorte de non-dits. Toute la merveilleuse fructification des semailles de feux ces portes glaives attachés au service de la Stryge. Elle s’épanouissait en ecchymoses olivâtres, en plaie contuses et marbrures violâtres. Cela zébrait les cuisses et mouchetait la croupe ; faisait des caresses de l'amant les brusqueries d'un purotin : un pue-la-sueur aux mains festonnées de rugosités, de cals et de durillons. Autant de chimères qu’il balaya de sa belle voix d’aède :
« Les Olysséens sont de bonne constitution mais Néera m'en est témoin je prierai tout de même pour ton prompt rétablissement, belle amie. J'attendrai, alors! N'avons-nous donc pas toute la vie pour danser ensemble, désormais? »
Caressant d’une halenée épicée la naissance du cou puissant, elle marmotta derechef, très bas. « Mais nos vies entortillées, trédoux sire, ne les brulera-t-on pas comme des phalènes à la lumière d’un luminaire ? » Elle se mussa alors, dans le creux qu’épargnait sa barbe à l’eraçonne. Qui l’eut cru ? Arsinoé, que l’on avait amenée au jubé parée comme une sainte châsse, golgothant comme une Berthe en croix ; elle se fendait de perles d’amour pleines de phébus ! Un œil vif, à la subtile clairvoyance, aurait pu deviner dans son maintien l’estampille d’une inflexion. La grande perche se tenait raide comme un échalas, mais un certain nonchaloir s’immisçait dans sa roideur : une grâce molle. Son œil réfléchissait l’indolence et la demi-lumière du ciel, tandis que sa chair s’allumait d’une aurore radieuse, tirait vers l’églantine. Toutefois, la preuve irréfragable se dérobait au regard : un palpitant de bachelette énamourée, qui quille et cabre comme l’aze en rut.
La cause était limpide, elle résidait dans le creux de ces hanaps pansus et aiguières à long col. Dans le grenat des vins opiacés, bouquetés par l’âge et la bonne garde ; dans les effluves des capiteux hypocras, chargé de cannelles, d’amandes et de musc ; dans l’atavisme elfique de ce mistelle rouge aux esprits d’abricots. Son intelligence que la fatigue et les cordiaux élargissaient, elle sentait bien qu’elle accédait à un degré supérieur de conscience. Une lucidité qui arasait durablement les rancœurs, faisait le deuil de l’amour clandestin, pour des raisons que l’esprit étriqué de l’ademain oublierait.
La qualité improviste des épousailles leur avait épargné une partie des vicissitudes coutumières, des entremets et discours prolixe. La chair, une fois passées les premières extravagances, se faisait un peu chiche, l’agape se tarissait. C’était des civets d’anguilles, des chaudumels de brochet que l’on disposait désormais sur les planches à tréteaux de la tourbe, des habitués du tinel. Le haut parage, s’il n’était pas certes pas réduit à ces extrémités, n’en fuyait pas moins la boucane que remuglaient les brasiers. Des toniques pleins les musettes, ils s’en allaient flatter les grèves de la Garnaad en gaillarde compagnie. Ils plastronnaient au rythme syncopé des hautbois et des guiternes, s’étourdissaient dans toutes ces blandices des sens. Félicités et mansuétudes s’infiltraient en tapinois : on estimait venins angoissant être orviétans ; doctrines perverses être louable exemple ; fiel amer, miel doucereux ; laidure horrible être beauté solacieuse. On pardonnait l’ennemi d’hier, oubliait les haines insolubles et stériles. Les conversations se déliaient, se délitaient, et puis mouraient. Certains transvasaient les clairets des flacons dans les flots ; d’autres s’étalaient sur les grèves pour mieux siester, dormaient comme des souches sous la surveillance de quelques estafiers.
Arsinoé mirait ces choses, arrimée à sa cathèdre armoriée en bois de mérisier. Elle devinait, entre deux arbrisseaux, dans le lavis des jonchaies abritées, l’épure des poivrades. Cette faune interstitielle, plantigrade et membrue, elle oubliait que le mieux est l’ennemi du bien quand les damoiselles n’étaient pas là pour le lui rappeler. Cette carence de féminité accablait aussi l’Olysseane, qui n’avait rien d’une garçonnière. Elle se prenait à songer à Hérrade, Mélisande, Aélaïs, toutes ces pauvrettes qui n’étaient pas logées à la meilleure enseigne. Entretemps, les entrechats des musicastres rivalisaient d’indigence, et Aedán était parti se soulager. Elle dodelinait du chef, reposait ses yeux par à-coups, lorsqu’une odeur musquée, fine et fauve, lui agrippa soudain les narines.
La hure d’un cerf blanc la toisait, l’intimidait de ses andouillers ramifiés. Dépassant sa première frayeur, cet instinct primitif du ouistiti que surprend un félidé, elle avisa le cristal dans ses orbites, l’étrange rigidité de son mufle naturalisé. Arsinoé se désintéressa alors du bachique en livrée de trouvère, glissant plutôt son regard sur la châsse de bois doré qu’il portait, pour finalement l’arrêter sur celle qui promenait l’aveugle. Elle la connaissait, l’imposante lamie, à la silhouette plus fière qu’une figure de proue. Elle savait pourquoi elle s’encombrait de cette ébauche de masque, de ces bandes de cuivres émaillées qui cachaient les narines et la lèvre supérieure, remontaient la crête nasale pour parer son front d’un diadème. Elle découvrait l’élégance mûre d’un faciès aux joues bistrées et à la chevelure filasse, au menu menton et front puissant. Ferraillait de caractère contre ces yeux changeants comme une éclaircie sur l’océan.
Douce, troisième du nom, châtelaine d’Aubignas, présentait ses hommages et ceux de son suzerain, messire Godefroy de Saint-Aimé. Lequel s’était esbigné dès les paroles sacramentelles prononcées. Mais si le présent venait à sa coutance, on devinait aisément l’intelligence plumitive qui s’y terrait. Et pour cause : dans le précieux coffret se terraient trois volumens, au parchemin sorti tout droit d’une époque enfouie où respiraient encore des choses éteintes, et sur lequel se creusaient les glyphes implexes du Moyen-Oliyan. D’une prosodie maniérée, Douce se proposa pour en faire la lecture quand la régente serait mieux disposée. Puis l’étonnant dyptique prit congé d’elle.
****
La nuit tendait ses grandes draperies obscures sur les frondaisons. La cire s’agglomérait en concrétions sur la ferronnerie des candélabres. A cette heure mélancolique où le ciel oblique, chacun avait regagné son caquetoire, rabâchant et clabaudant dans un grand cancan, bramant secrètement vers son lit douillet. La délivrance vint assez vite, quand une députation de flamines, chapeautée par un cellérier au cheveu rare, vint sonner l’heure de la consommation. Afin de ne pas plonger les calotins dans l’embarras, nul cortège sardanapalesque n’accompagna les époux dans l’hôtellerie.
Dépassant un linteau de jaspe noir, merveilleusement sculpté au-dessus de la porte, ils s’engouffrèrent dans une chambre sévère. Les ouvreaux étaient solidement cadenassés, leur laissant la lueur trouble et vacillante des flambeaux. Le lit, long et lé, parfumait comme un nuancier d’acanthes, d’achillées, de thym, d’aigremoines et de germandrées - les moines en avaient gracieusement fourrés les courtepointes et traversins. L’intéressante savait, de par ses précédentes visites, qu’une vierge orante imageait le ciel de lit, dégageait une saveur religieuse. Elle connaissait les lettrines du phylactère sis sous les pieds nus de la moniale : « Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle? »
La callipyge aux airs câlins ôta la fine pelisse qu’elle avait enfilé quand dardait la froidure, et opina que « Ce lit qui craque, je ne l’aime point. »
Dernière édition par Arsinoé d'Olyssea le Ven 29 Aoû 2014 - 16:27, édité 1 fois |
| | | Aedán de Vercombe
Humain
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Jeu 31 Juil 2014 - 21:34 | |
| "Cela, ma mie, c'est parce que jamais encore tu ne l'as entendu craquer pour une plaisante raison!" asséna le chevalier priape qui, déjà, se pourléchait les babines à l'idée d'offenser la morale dans ce temple dédié à la vertu.
Insensible aux avertissements des symboles pieux, le Vercombe attira à lui sa belle en la saisissant par la taille avec la ferme intention de la faire taire d'un baiser impérieux. Les yeux plein de larmes, la vierge orante se découvrait impuissante à prévenir leurs ébats impies. A l'ivresse du vin se mêlait maintenant celle du succès ; pour le muscadin, cette nuit scellerait la réussite de son entreprise. Plus le Sénéchal y pensait, plus il se convainquait que le Monde entier avait cherché à le défier, à provoquer sa chute en s'échinant à le prendre au piège du déshonneur. Pourtant, ce soir, sa Madeleyne de cousine, le Royaume et désormais Arsinoé étaient saufs. Comment dénier qu'il s'agissait là de son œuvre, se figura l'ingrat aristocrate?
Le pouvoir qu'il s'accaparait, la place qu'il s'octroyait dans la légende, la tension de ces derniers jours, la proximité complice de sa dulcinée et son parfum si distinctif tout cela lui fouettait le sang et enflamma son cœur et le reste d'une passion dévorante. Son regard, concupiscent, se perdit sur les formes de la Régente. Aussi, quand elle se fendit d'une anecdote sur les lieux, le sigisbée répondit tout go : "Que nous importe les autres, mon Arsinoé? Cette nuit est à la nôtre, ils n'ont rien à y faire!". Désormais, sitôt que sa compagne ouvrait la bouche, il s'empressait de la sceller en saisissant ses lèvres entre les siennes tandis que ses mains se perdaient sur le galbe généreux de ses courbes. Bientôt, le samit fauve n'eut d'autre choix que de choir alors qu'Aedán guidait sa femme vers la couche nuptiale.
Quatre coudées au-dessus du couple enlacé, la moniale - oubliée - paraissait lancer un ultime avertissement aux deux impudents, rendu inaudible par les gémissements de ces derniers qui vinrent sans tarder se mêler aux grincements de la couche.
***
Si la nuit suivit le cours agité mais néanmoins décidé de leur passion, le matin, lui, se révéla plus chaotique. Les excès de la veille étaient bels et bons lors de leur consommation mais prenaient des apparences traîtres au réveil. Etait-ce Mogar en personne qui lui martelait le chef? Se risquant à un pied en dehors du lit, l'amant fait mari se découvrit un pas peu assuré. Pareil à ces manchots hantés par les démangeaisons de membres fantômes, le chevalier croyait percevoir le roulis des vagues à travers le dallage. L'espace d'un instant, le drôle alla même jusqu'à se demander si un danger de noyade le guettait en quittant le confort de ses draps. Pour mener à bien cet ambitieux projet, il saisit à grande peine - peste soit de la pénombre ! - l'une de colonnes de bois chantournée dont il usa comme d'un bras secourable venu le tirer d'une ravine. Se guidant à la force de ses souvenirs, le mirliflore réalisa qu'il n'avait guère prêté une grande attention à la configuration des lieux la veille. D'autres reliefs, autrement plus accueillants que ceux, sévères, de la pièce, monopolisaient alors son attention. Bientôt, le coin, assurément fourbe, d'un meuble punit douloureusement ce manquement coupable. Il jura.
Finalement, après une déambulation qui parut durer une éternité, le proclamé Prince d'Orient atteignit la porte salvatrice par laquelle il put s'esbigner dans l'optique d'aller réaliser ses ablutions. Intérieurement, le brave était parvenu par quelques prouesses de réflexion à se convaincre de la grande discrétion dont il avait fait preuve pour s'extraire de la chambrée, preuve s'il en est que l'équilibre n'était pas le seul de ses sens encore endormis. Chemin faisant, l'admirable chevalier qui arborait les sobres couleurs d'une chemise de nuit ne manqua pas d'houspiller quelque peu la valetaille, histoire de se mettre en jambes en ce lendemain de noces. Fallait-il qu'il parte lui-même en quête des noix de pécan? Diable!
Ainsi, ce fut un mari un peu plus frais bien que toujours gauche qui regagna la couche nuptiale, sa barbe à l'eraçonne venant chatouiller l'épaule offerte de sa belle : "Ma mie? Ma mie, es-tu éveillée?"
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| | | Arsinoé d'Olyssea
Ancien
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| Sujet: Re: L'arbre Manbok Sam 2 Aoû 2014 - 0:17 | |
| Sans doute s’attendait-il que la vénuste, esprit lutin aux grâces câlines, froufroute dans ses couches parfumées, qu’elle mime la narcose et joue la mignarde. Imaginez son désappointement lorsqu’elle se redressa avec brusquerie, la respiration haletante, et repoussa la courtepointe piquée. Pareille à une Euménide avec ses cheveux épars, Arsinoé était encore gourde de rêves, trémulante et moite, les yeux ronds comme deux calots. Instinctivement, elle blottit sa nudité pâle contre la chemise du faraud, lui transmettant les cognées sourdes de son palpitant. Des spasmes de paniques absolus. Elle planta ses prunelles fumées au fond de ces grands yeux si fervents et si tendres, dessina cette bouche où son cœur se noyait, puis s’extirpa du lit souillé.
On avait ajouré la chambre, et les fenêtres à meneaux s’ouvraient désormais sur un paysage de reverdie, gonflé de sève, qui s’étirait sous le soleil levant. L’astre caressait ses appâts éventés tandis que la matinée frisquette les mordillait. Mais elle n’en avait cure, et jetait plutôt son regard vers les lointains, où la Gliève s’encaissait entre les piémonts de la Brande. Plus près, les méandres du fleuve paressaient, son chevelu et ses tresses sillonnant des prairies gorgées. S’y élevaient quelques coteaux empennés d’herbes hautes et drues, des villages blottis dans les combes qui se décomposaient à vue d’œil. Les saignées, rigoles et rus sauvages ne mouillaient plus les cultures en jachères, cela s’accumulait en fondrières et flaches. Tout allait de guingois, et Arsinoé finassait contre la lumière crue du matin qui s’ingéniait à lui faire clore les paupières.
C’était qu’elle avait sommeillé par à-coups, la mélopée obsédante de ses craintes enfouies l’empêchant de se musser dans les bras de Morphée. Un demi-sommeil boursouflé de rêveries ; une somnolence de licheuse, de pythonisse, qui s’évanouissait cauteleusement au moindre vrombissement du conjoint. Aussi, elle écarquillait ses yeux, lors même que ses pupilles fussent dilatées. Tout plutôt que de se retrouver sur les berges du lac de sang hanté de larves. Dans l’ombre d’une hêtraie vierge aux tannins opiacés. De la sebkha qui s’étendait à perte de vue, brulante et salée. Dans les bras du quidam, dont seul le crane de saindoux transperçait la marne, qui la tirait, l’entrainait dans la vase qui voilait le monde du dessous.
« Damedé ! Se sentir seulette alors même que nous faisons corps, c’est durillon. C’est ce lit, faiseur de mauvais sommes, qui m’accable de mystères horrifiques. Je ne l’aime point » renauda-t-elle d’une voix que la fatigue rendait chassieuse.
Elle se nippa comme elle le pouvait, dépourvue de chambrières, puis marmotta quelques matenôtres. Qu’elle ait les fleurs n’y changeait rien : ça n’était pas vraiment pour la semence très mâle de l’Ancenis qu’elle priait, ou pour une matrice gravide, mais plutôt car il le fallait bien. C’était qu’Arsinoé n’avait rien d’une nesciente ! Ayant été très bien endoctrinée quand elle était danselette, sa tête raisonnait encore des leçons, recommandations et prédications de toute une cohorte de tousseux. Un amas polymorphe, une olla-podrida sapientielle. Tout cela structurait le cours d’une vie, et en rendait plus plaisantes les occasions où l’on passait outre ses bornes moussues.
Ores, il était question de chausses. Les heuses de cuir montant, les bottes fauves des élégantes, elles rendent leurs pieds terriblement cambrés et voutés, incapables de s’aplatir. A terme, il devient impossible de marcher vite, de descendre un talus ou de sautiller aisément. La liberté du pied enfantin les déserte ; elles adoptent au mieux l’allure cadencée du pas de pavane, au pire se balancent comme des canards. Tout ceci est bien connu, et c’est aussi pourquoi les thètes bronzés du bassin Oliyen se meuvent plus lestement que le petit-peuple du royaume : tout l’avantage des socques et babouches sur les sabots vermoulus. Si ces pensums sourdaient, et si l’émoi de la supercoquentieuse se faisait aussi palpable, c’était qu’un béjaune l’avait flouée : disposant au pied du lit une botte ocrée au talon haut, en cuir de margouillat plutôt que de Tatzelworm, une bottine qui n’était pas sienne. Elle chaussa donc les restes de la veille.
Un autre précepte s’agença à son meilleurement : pour rétablir l'estomac languissant, il convient d'y convoyer un chapelet d’électuaires et contrepoisons : on enrobe ainsi le trochisque d'yeux d'écrevisses dans une subtile confection d'hyacinthe, le tout cortégé d'un lait d'amande miellé ; lequel, faisant d'une pierre deux-coups, combat aussi l'excès d'atrabile. Elle abusa pour ce faire de la sollicitude de son devancier, qui derechef quitta la pièce. Tandis qu’il allait à la provende, Arsinoé en profita pour achever sa toilette, puis pour chapitrer une moinesse qui musardait au détour d’un couloir. « Dans les maisons noble où l’on veut faire chère comme il convient, il est coutume de servir le pain peu après la tierce » morigéna celle à la sapience livresque.
Adoncques, le héros revint de son apostolat, des expédients plein la musette. « Oh le-lève tôt ! Te voilà digne d’être de lauriers couronné ! » Le héla-t-elle un peu crânement, sans fiel. C’était qu’elle commençait à sérieusement se barbifier, seule à sa table bien dressée, colonisée de mets lipidiques. Grignotant un pain d’épice, elle s’était amusée à compter les bélandres qui lézardaient sur la Garnaad, contournant mollement l’ile-sanctuaire. Mais l’étincelle estivale qui à l’agape brasillait dans son regard avait suri, la fatigue y disputait désormais une lueur inconstante, volatile qui la portait vers l’est et le nord, vers les landes incultes. Peut-être étaient-ce des liqueurs mal décuvées qui l’accablaient d’une sensibilité à fleur de peau, car elle trouvait dans ce panorama un certain je-ne-sais-quoi de mélancolieux, se découvrait une compassion profonde pour ces besogneux oblitérés dans le nimbe sacré de la divinité. Une humanité endolorie, et de laquelle Arsinoé se proposa d’extraire le vice. A peine le céladon fait époux posé qu’elle lui coula un sourire énigmatique, et déclara uniment :
« Il m’apparaît parfois que si ce temple est si merveilleux, si sa coupole s’élève aussi altièrement et brille d’une si éclatante splendeur, si il y est fait un tel étalage de majesté, de justesse et de richesse, c’est pour mieux conjurer cette male heure que caressaient les miasmes délétères de la folie, quand les dieux torpides yssirent de l’empyrée. Mais comment ne pas voir toutes ces métairies et moulins au morne maintien, qui se décatissent coiement : tout pour moi se pare alors d’allures mélancolieuses.» Cette idée qui la lancinait avec l’opiniâtreté rageuse d’un chancre, elle la délaya ainsi assez longtemps, acontissant et atigeant le sort des scories. Parfois, le vacarme du foirail des chevaliers, varlets d’armes, coutiliers et trepelus sur les berges cachées lui faisait perdre le fil, mais elle le retrouvait toujours dans son élan catabatique, n’avisant même pas la coccinelle venue se recueillir sur la naissance de son cou. « Pour tous ces manges-pains condamnés à fondre comme la cire, pour me donner confort et soutenance : pardonne mon outrecuidance et raconte-moi quelque églogue ou pastourelle ; c’est en dessous de ton art je le sais, mais c’est ce pour quoi mon cœur brame. »
Dernière édition par Arsinoé d'Olyssea le Ven 29 Aoû 2014 - 15:56, édité 1 fois |
| | | Aedán de Vercombe
Humain
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Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 30 ans Taille : Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: Re: L'arbre Manbok Mer 6 Aoû 2014 - 23:12 | |
| Espérait-elle donc le prendre au dépourvu? Lui réciter une pastourelle de si bon matin! Pour un fugace instant, le muscadin se figura que la donzelle cherchait à le pousser dans une chausse-trappe, le réduire à quia lui le beau parleur! Toutefois, si tel était son projet, la drôlesse mésestimait grandement l'agilité toute féline du Vercombe dans ces jeux là. Dame! Il en avait vu d'autres et, ma foi, dans des jours sans, avait connu pire publique que des miches de pain d'épice. Des épices, les pastourelles n'en manquaient pas, d'ailleurs. Un choix pour le moins cavalier pour entamer sa journée mais le chevalier mit cela sur le compte de sa superbe : n'était-il pas le plus désirable des hommes?
Aussi, face à celle dont il prenait les interrogations pour des œillades lascives, l'amant fait mari entreprit de s'éclaircir la voix tout en lui flattant négligemment la chevelure d'une main comme un cavalier le ferait à sa monture. Dépourvu du soutien secourable de son luth ou d'un bouzouki, le chanteur ne pourrait compter que sur la puissance des mots. Estimant que l'on n'était jamais mieux servi que par soi-même, ce fut dans son propre répertoire qu'il alla piocher une histoire riche en morale sur les serments et l'importance de les garder. C'était de circonstance! Un choix qui, malgré l'aspect polisson de ses vers, ne pourrait qu'obtenir l'aval de Néera en sa maison. L'autre printemps en m'en venant d'Edelys, J'entendis tout près venant d'un champ Gémir une bergère qui s'offrait à son amant Que l'on devinait mirer son entrecuisse.
A la vue des taches de son sur ses seins Je sus qu'avant la nuit j'y aurai les mains. Dans leurs ébats ils négligèrent leur bête, Que bientôt je dissimulai au-delà d'une crête.
Hurlant de détresse en en découvrant le crime, La belle abandonna l'amant pour partir en quête D'une bête dont je promis le retour si elle devenait mon intime Car d'elle je voulais sans plus tarder faire ma conquête.
De ses lèvres milles promesses fusèrent Et aussitôt je la guidai là où se terrait l'animal. Cependant, une fois arrivée, elle se refusa à l'adultère, M'affirmant que jamais elle n'avait pensé à mal.
Devant la déception que j'avais grande, Elle affirma que jamais promesse volée n'avait rien fondé d'honnête à revendiquer. Courroucé par le serment violé, je réitérai ma demande.
"Beau sire votre noblesse vous l'interdit!" m'asséna la drôle au mépris de mes envies. "Ma dame mon bon droit m'y commande" assénai-je en lui retirant sa houppelande.
"Ce bien que vous convoitez ne saurait vous revenir!" S'offusqua-t-elle en résistant à mes insistantes avances. "Bergère, alors à votre chenal je ne toucherai, pour les angles arrondir" Répondis-je en lui saisissant sa croupe dont je fis bombance. Voila qui, plus sûr qu'une coupe de vin, ne manquerait pas de rendre leur roseur aux joues satinées de la marquise.
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