Mise au point. [Nimmio]

Début de la 9ième ennéade de Bàrkios de la 8ème année du 11ème cycle

Nimmio s’était réveillé et à vrai dire, cela n’avait pas plus ému Blanche que cela. Cette dernière se comportait en digne épouse sur le fait de « bien prendre soin de lui » lorsque le Comte était malade. Elle faisait venir les meilleurs médecins, veillait à ce que ce dernier soit entre les meilleures mains qui soit et à ce que son alimentation soit des plus saines dans le but qui se rétablisse au plus vite. Pieusement, elle priait les Cinq : matin, midi et soir. A ce titre, Blanche était une figure exemplaire dont beaucoup de femmes et de nobles qui plus est prenaient en exemple. Définitivement, Blanche n’avait rien à se reprocher lorsqu’il s’agissait de s’occuper de son époux… Hélas, hélas… L’affectif lui ne suivait pas. Si elle prenait les bonnes dispositions pour s’occuper de lui, elle manquait cruellement de sentiments à son égard depuis quelques mois. Les absences, les guerres avaient rongé sa patience et désormais, il mettait le sort de ses filles en péril ce qui avait annihilé tout bon sentiment à son égard. Ne parlons même pas de son mutisme lorsqu’il avait été insensible à ses charmes. Peut-être le Comte avait-il demandé après elle lorsqu’il fut remis d’aplomb ou peut-être pas. Il avait aussi remarqué qu’elle ne partageait plus sa couche, prétextant que c’était pour son bien, pour qu’il se repose. Mais Blanche ne pouvait pas l’éviter ainsi éternellement et ainsi fut cette entrevue.

Était-ce dans les appartements si généreusement prêté par le Baron d’Apreplaine ou encore dans un des salons ou bureaux ? Quoiqu’il en soit, Blanche était introduite au sein de la pièce. La Dame du Val d’une pâleur à faire peur était seule. Odeline patientait dehors. Sa robe bleue ciel où se melait une dentelle blanche immaculée allait parfaitement à son teint et ses si troublant yeux cérulés. Sa chevelure d’ébène cascadait en quelques ondulations jusqu’à son gracieux fessier. Elle salua respectueusement son époux d’une révérence et se dirigea dès lors vers un buffet pour extirper une carafe de vin et se servit une coupe. Elle regrettait le breuvage de ses terres qu’elle préférait. Le calice calé entre ses lèvres rouge sang, elle but une gorgée. Puis elle évolua sans réelle cohésion dans la pièce. En fait, elle semblait attendre que Nimmio prenne la parole car elle demeurait silencieuse. L’été viendrait bientôt et pourtant la pièce était désormais si froide.

L’archiduc du Médian s’activait derrière son bureau depuis plusieurs heures déjà. Entouré de quelques conseillers, il rédigeait des notes, des lettres et autres décrets à faire publier. De même, il s’afférait sur les brouillons de la charte qu’il avait obtenue suite à ses discussions avec Niklos. Les choses ne se goupillaient pas aussi bien qu’il l’aurait espéré, mais il s’agissait là d’un début. Les annotations allaient bon train et il ne s’interrompit qu’à l’annonce de l’arrivée imminente de sa femme.

Cette dernière venait le voir, sans doute afin de discuter de la charte et de la suite des événements. A n’en pas douter, s’il était insatisfait de certains points présents, il en était loin du niveau de déconvenue qui devait être celui de son épouse. Aucun point qu’il repérait dans ce texte ne pouvait lui convenir au premier abord. Ainsi fallait-il se résoudre à l’évidence, elle ne pesait politiquement pas assez pour influer lourdement sur une telle charte.

Alors qu’elle allait entrer dans le salon qui avait été mis à sa disposition par le baron d’Apreplaine, il congédia ses conseillers afin de garantir une plus grande intimité. Ils en auraient sans doute besoin car beaucoup était à dire et la discussion serrait sans doute des plus longue. Après tout, bien des choses restaient à démêler et bien des angles demeuraient à arrondir.

Une fois qu’elle fut entrée, et que, l’air de rien, elle se servit un verre de vin en attendant qu’il entame la conversation, il s’avança dans sa direction, avec un air solennel qu’elle ne lui connaissait pas et qui dénotait d’une certaine froideur.

Ma femme… Vous voici donc ici devant moi. Cela faisait un moment que nous ne nous sommes pas retrouvés seuls afin de parler… je dirais même, depuis Le conseil qui aurait pu clôturer cette guerre qui dure toujours et lors duquel vous m’avez trahie en tentant de retourner vos gens et les mécontents contre nous et qui n’a aboutit qu’à affaiblir nos positions communes et donner plus de place à Harold et sa clique. Dois-je comprendre, à la lecture des premières ébauches de charte et à votre présence ici que vous avez évalué le poids réel qui est le votre en dehors de notre alliance ?

Ses mots étaient durs et connaissant le tempérament de sa femme, il savait qu’elle risquait une fois de plus de faire parler ses sentiments en non sa raison. Cependant, il lui fallait faire comprendre à sa femme toute l’étendue de la faute qu’elle avait commise à son encontre, à leur encontre. Mais les choses étant dites, il se détendit finalement un peu.

Cependant, ma femme, vous pouvez voir stipuler, dans la première ébauche de charte, votre nom aux côtés du mien dans un certain nombre de garanties. Il s’agit là d’une volonté de ma part de ne point vous tenir rigueur de vos agissements et de vous ménager un maintien honorable dans ces négociations et un retour discret dans notre coalition. Il s’agit également de ne pas porter atteinte a votre image et à celle de votre famille en vous permettant de sortir de cette épreuve par le haut.

Car comme vous le voyez, je suis prêt à vous pardonner vos errances, tout comme je comprends votre amertume a mon égard et vos reproches quant à mes décisions. Cependant, et j’espère que vous le comprendrez, il ne pouvait en être autrement. La situation était bien trop instable et le putsch des partisans d’Harold vous le montre clairement, pour qu’il fut imaginable un instant de porter une enfant sur le trône en remettant en cause la loi salique en place sous Eliam et en rejetant les deux Bohémons revendiqués à Soltariel et Sainte Berthilde. Pas plus qu’elle n’aurait été acceptable pour les territoires du nord déjà fort peu intéressés par le maintien du Royaume. Il m’était ainsi impossible de soutenir une entreprise vouée à l’échec et j’ai été fort blessé que vous fassiez alors parler votre cœur en lieu et place de votre raison. Car il ne faut pas s’y tromper, les sentiments n’ont pas leur place dans la conduite de la politique et les affaires du royaume.

Blanche sirotait son verre de vin, humant les arômes en décomposant la composition. Son palais savait faire la différence désormais entre les saveurs mais cela n'était qu'en accédant à Hautval qu'elle devint œnologue et à force de pratiques et de visites au sein de ses vignobles et chez les vignerons indépendants et réputés. Les yeux se levaient sans réelle expression vers Nimmio. Elle notait cette attitude sans pour autant s'étonner. La silhouette pivota lentement de sa grâce forgée à force d'éducation et l'écouta. Elle ne protesta pas et ne releva même pas le fait qu'elle l'avait soi disant trahie. Parlons en de trahison ? N'avait-il rien à se reprocher ? Etait-il blanc comme neige ? La réponse était évidente. Les reproches fusaient et Blanche considérait que le Comte ou Duc – si il préféra – déversait son poison sans ménagement. Cependant à sa grande surprise, la Dame du Val ne répondit pas ni même par les mots ou par son corps. Non loin, d'un canapé de style classique, elle se déporta légèrement pour s'appuyer contre ce qui s’appellera plus tard un « accoudoir ». Les doigts caressaient distraitement son calice tandis qu'elle se mordilla la lèvre, arrachant quelques lambeaux de peaux sèches. Elle aurait bien ri lorsqu'il se targua d'être l'instigateur de son nom collé à certaines garanties. Et la prendre par les sentiments en parlant de famille n'impliqua encore aucune réaction de sa part. Elle précisa un point.

« En Hautval, les femmes sont en droit d'hériter au même titre que les hommes et à cela, j'ajoute que je n'ai jamais vu de la charte officialisant ladite loi salique qui est en fait, un règle rédigée pour des cas bien précis, je te renvoie à l'histoire. Ce n'est là le fait de la gent masculine qui se croit supérieur au femme. Enfin ce n'était qu'une parenthèse. »

Un peu de féminisme dans la discussion ne ferait pas de mal. La Péninsule à ce titre était bien en retard. Et elle avait appris que bien des civilisations ne possédaient pas cette idée fixe que le patrimoine et l'héritage se transmettent par le chromosome Y. Elle pourrait lui en donner des exemples. Mais là n'était pas la discussion.  Les yeux se baissaient sur le liquide vermillon qu'elle fit tourner dans son verre. Que dire, que répondre à part acquiescer ? Puisque de toute façon, il ne semblait pas vouloir faire l'effort de la comprendre ou même de s'inquiéter pour elle si elle allait bien moralement ou non. Elle aurait bien voulu lui dire qu'à ce train là, peut-être fallait-il mieux qu'ils se séparent mais garda cela pour elle.

« Donc ? Mise à part cela auquel je te donne l'assurance d'avoir parfaitement compris ton discours… Que veux-tu me dire d'autre ? »