Le papier d'un coeur épris | Roderik

Il lui fallut du temps pour se décrocher son regard de la fenêtre, la nouvelle de la mort du Comte d’Arétria la touchait plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Assise à son bureau, elle prit un vélin puis sa plume à la main. Elle tenta alors d’écrire des mots mais rien ne vint. Cette scène, elle l’avait répétée maintes fois. Que pouvait-elle bien lui dire après tout ? Ils s’étaient quittés si vite, si précipitamment, un simple baiser d’adieu sans réel échange verbal. Les sentiments qu’elle allait lui avouer, ces mots qu’elle était sur le point de prononcer,  mais qu’on lui avait volés, l’empêchait d’exprimer quoi que ce soit d’autre dorénavant. Malgré cela, depuis ce jour, il n’avait jamais quitté ses pensées, ni ses rêves. Mais dès qu’elle voulait franchir le pas, lui écrire, ne serait-ce que quelques mots, la peur l’immobilisa.

Une longue inspiration puis un soupire, sa main se mit enfin à écrire. Grâce à ce Comte et à ce qu’elle ressentait à son égard, elle pût enfin se libérer de ce poids et exprimer ses plus profonds sentiments.

Citation :

Au Seigneur de Wenden.

2ème jour de la 2ème ennéade de Vérimios, an 8 du 11ème cycle.

Messire, je me permets de noircir cette page pour quérir de vos nouvelles. L’on m’a rapporté la victoire de la coalition concernant la reprise de Nebelheim ainsi que la disparition tragique de sa Grandeur Alwin de Karlsburg. Je ne vous cache pas mon désarroi, ainsi que ma profonde tristesse des suites de cette terrible nouvelle. Le nord vient de perdre un grand Homme. Dorénavant, le Comte ainsi que tous ceux tombés à ses côtés auront une place dans mes prières à l’encontre de Tyra.

Je me sens néanmoins égoïste car je me réjouis d’apprendre que vous vous portez bien. Le temps me parait long depuis votre départ et je ne cesse d’espérer votre retour.  Je vous avouerai qu’il n’y a pas un seul jour où je ne crains pas pour votre vie tout comme je crains pour le Nord.  J’admire tous ces hommes courageux, prêts à faire face à ces noirelfes, prêts à sacrifier leurs vies si nécessaire pour nous protéger de cette menace.

J’espère que cette lettre vous arrivera comme j’espère qu’un jour, vous me reviendrez.

Que la Dame-Dieu puisse vous ramener sain et sauf.

Maélyne de Lourmel

Maélyne évita toutefois de parler d’Ewald ainsi qu’à la renonciation de ses droits de successions. C’était une chose qu’elle estimait bien moins importante, du moins, pour l’instant. Elle relu plusieurs fois, comme pour se graver ses mots dans sa mémoire. Puis elle la scella de son seau et appela le messager.

Une ennéade passa, et après avoir esquivé la mort, cet homme, porteur de nombreuses missives à l’encontre du camp de la coalition arriva enfin. Le parchemin destiné au seigneur de Wenden était assez en piteuse état comme s’il avait subi la pluie. Certains mots étaient indéchiffrables mais l’essentiel restait lisible.

HRP:

Il est des choses qui ne peuvent se coucher par écrit, à moins d'être un homme de lettres ; et Roderik n'en était pas un.

Lorsqu'on lui avait porté la lettre que lui adressait la dame de Lourmel, Roderik avait congédié tout le monde autour de lui, pour se retrouver seul dans sa tente. Assis sur une chaise en bois, les pieds posés sur la table où s'éparpillaient des cartes de la région, il lisait et relisait les lignes tracées par la plume de Dame Maélyne, serrant de ses mains moites le parchemin comme s'il s'était agi d'une relique.

Si le courage ne lui manquait pas pour affronter le péril drow, il semblait fondre comme neige dès lors qu'il lui fallait affronter ses sentiments. Il y avait tant de choses qu'il aurait voulu lui répondre, mais il était incapable de l'écrire ; il se dit qu'il serait plus facile de le lui dire en face, lorsqu'il la retrouverait une fois la campagne achevée. En fait, rien n'était moins sûr, mais c'était une manière pour lui de temporiser, de reculer le problème, de renvoyer la difficulté à plus tard.

La réponse, criblée de ratures à moitié illisibles, fut finalement des plus laconiques.

Roderik de Wenden a écrit:

4ème jour de la 3ème ennéade de Verimios, an 8 du 11ème cycle

Ma chère
Chère Maél
Chère Dame Maélyne

Dame Maélyne de Lourmel

Vous lire est d'un réconfort inespéré en ces heures sombres. Ayant accompagné le comte Alwin jusqu'aux derniers instants, je sais qu'il se réjouirait de vos prières.

Je me languis de mon pays et de vous-même, dans l'attente que cette guerre trouve enfin son terme et que nous puissions tous profiter d'une paix durable. Mes pensées s'accrochent à cet espoir de jours meilleurs, où nous serons enfin réunis ne craindrons plus l'avenir.

Bientôt, peut-être, nous nous retrouverons seuls tous les deux si mes pas me reconduisent à Lourmel.

Roderik de Wenden

Allongée sur son lit, son regard fixait le plafond. Il était tôt. Le soleil n’avait pas encore pointé le bout de son nez. Pourtant, Maélyne était déjà réveillée, ou alors… ne s’était-elle tout simplement pas endormie. Les servantes avaient pris l’habitude de se lever plus tôt, apprêtant la Dame aux petites lueurs du jour. La fatigue pouvait se lire sur leurs visages.

Cela faisait maintenant deux ennéades qu’elle avait envoyé sa missive à Roderik. Ce serait mentir de dire qu’elle n’attendait pas impatiemment sa réponse. C’est en buvant son thé qu’on vient la déranger pour apporter le courrier. Plusieurs lettres du front, notamment ses cousins. Elles les lu toutes une à une avant de finalement tomber sur celle du Seigneur de Wenden.

Le parchemin tant attendu, celui qu’elle avait espéré… pourtant il resta scellé. Maélyne avait tant écrit dans sa missive, tant dévoilé, tant espéré en retour. La peur la gagna à nouveau. Peur d’être déçue de sa réponse, peur de découvrir les mots écrits de sa main. C’est au diner qu’elle prit enfin le courage de la lire. Une lecture rapide, pour ne pas susciter l’intérêt de ceux et celles qui l’entouraient à table.

Malheureusement, elle lut trop vite et ne prit pas la peine d’essayer de déchiffrer les ratures. Cette lettre était des plus laconiques, restant vague sur son retour, sur son éventuel passage à Lourmel. Elle se répétait sans cesse «J’ai été trop loin».

De retour dans sa chambre, le soleil s’était couché. Elle sentit la fatigue la gagner alors que cela faisait maintenant deux jours qu’elle n’avait pas fermé l’œil. Assise dans son fauteuil, devant le feu de cheminée, elle voulut relire une dernière fois cette lettre mais n’y parvint pas. Celle-ci finira sur la cheminée alors que la Dame s’empressa de soulager son corps de la fatigue, n’ayant plus que pour seul espoir; la victoire du Nord.