Rencontre du type indéterminé

Sujet: Rencontre du type indéterminé Mar 29 Mar 2016 - 18:42

Ce n'était pas qu'il était sans cœur. Même s'il y avait un peu de ça. Ce n'était pas qu'il ne se sentait pas concerné. Bien que ce fut vraiment le cas. C'était un mélange subtil entre indifférence, incompréhension et mépris. Le cas Äan-Sui était remarquable en bien des choses, sa psychée étant peut-être l'un des premières.

Après la non bataille de la nuit, où Cinolth le dragon avait fait pleuvoir feu et peste sur le camp adverse, Äan-Sui se retrouva à devoir, avant toute chose, prendre un bain. Il sentait l’égout et la fosse sceptique, et vu comment il était revenu du camp, sans que vraiment personne ne se souvienne de son départ de la cité assiégé – c'est-à-dire, crotté, puant, tenant une tête sans corps – il avait été jugé rationnel de l'écarter de la scène. Puis le demi-drow se retrouva à devoir officier en tant que médecin. Il soigna ceux pour qui il pouvait faire quelque chose, acheva tous les autres. Peut-être que d'autres soigneurs auraient pu les sauver, mais pas là. Et Äan-Sui avait une vision de la vie et de la mort bien particulière. Il coûta cher en hommes à Quaspiel, cette nuit.

Puis vint le lendemain, avec la cérémonie en l'honneur des « héros ». Ça, il connaissait. Les habitants du « village des marais » en parlaient, généralement avec mépris. Le petit conglomérat de bandits cherchant à se faire oublier ou d'illuminés refusant la civilisation qui acceptait de vivre dans des conditions de vie aussi déplorables n'avait que peu d'estime pour les nobles chevaliers qui sauvaient la veuve et l'orpheline, surtout si elles étaient mignonnes.
Rien qu'être assimilé à « ça » mettait Äan-Sui mal à l'aise.
Mais surtout, c'était le fait d'être glorifié pour avoir assassiner un type et lâcher un sort de maladie sur le camp adversaire qui le dérangeait. Ce n'était pas le fait d'avoir tué le Boiteux ; ça non, le métisse vivait très bien avec. Mais il avait cru comprendre que justement, les assassins, c'était, pour le commun des mortels, un truc « caca ». Quant à son sort... il évitait soigneusement d'en parler, à Quaspiel comme à tout autre. La magie s'était dissipée assez rapidement et la maladie n'avait donné aucun signe d'épidémie contagieuse, ce qui faisait que pour le moment, personne n'avait vraiment cherché à comprendre, qui, quoi, comment. Ce qui allait au demi-drow qui, encore une fois, avait bien saisi que ce genre de magie était mal vue.
Or, et indépendamment de ce qu'il en pensait en son fort intérieur en terme de « bien et mal », Äan-Sui désirait passer inaperçu. Tant qu'il ignorait tout de lui, il ne souhaitait pas montrer son visage. La peur d'être reconnu pour être membre d'un groupe, d'une famille, aux passé et ambitions le dépassant, restait sa plus grande crainte.

Après avoir empoché sa récompense, avoir planqué l'épée vol---gagnée au combat contre le mercenaire drow Kar’his, Äan-Sui contemplait son futur immédiat. Il lui était clair que ce n'était pas dans la cité de Sieur Gareth qu'il allait trouver ses réponses. Même s'il ne savait toujours pas les questions qu'il devait poser. Bien que le Seigneur eût étendu terres et richesses, il n'y avait rien ici pour lui. Cependant, il avait appris, le petit mage. Il avait notamment compris comment lire une carte et s'était fait expliqué, grosso-modo, les enjeux politiques en cours. Thaar était cosmopolite, donc restait un bon endroit pour un sang-mêlé. Il allait devoir cependant être question d'une migration vers le nord et une plus grosse cité.
En ce sens, le matin du cinquième jour après la bataille aux flambeaux, Äan-Sui était sur le point de quitter les lieux.

« Eh oh, de la Suie ! » fit-une voix derrière le demi-drow, qui sortait d'une auberge avec son barda. Une grande demi-elfe en armure, appuyée sur un mur, les bras croisés, regardait le personnage d'un air amusé.

Qaspiel n'avait pas vraiment été en forme durant les festivités. La magie qu'elle avait utilisé était très puissante, crachant des jets de flammes surchauffées à presque trente mètres, chaque tir avait été particulièrement fatiguant. Aussi n'avait-elle été qu'à moitié consciente tandis que les autres célébraient leur victoire, restant néanmoins proche de ses soldats afin de profiter, à moindre mesure, de la bonne humeur générale. De plus, bien qu'elle eût dit à Kern et Saqho de garder l'affaire de la Compagnie pour juste avant le départ de la seigneurie, elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. Kern l'avait donc rejoint uniquement pour la faire revenir, et Saqho également, mais à l'insu de Kern. Pourquoi donc cet imbroglio ?

La raison pouvait être simple comme particulièrement compliquée. Mais la deuxième option était sans doute la plus probable, avec le Vieux, ancien capitaine de la Compagnie. Peut-être voulait-il compartimenter l'information, pour être sûr qu'elle parvenait à bon port. Mais dans tout les cas, il fallait régler ce petit problème qui venait de surgir en la personne d'Aän-Sui. Qaspiel avait bien remarqué le malaise d'Aän-Sui, qui n'avait pas l'air à sa place au milieu des fêtards ; là où en réalité, il était probablement la principale raison de cette victoire.Des rumeurs racontaient comment une étrange créature à la peau sombre avait tué les deux commandement de l'ost. Et que plus étrange encore, une épidémie de peste avait décimé les mercenaires qui avaient battu en retraite. Et plus Casse-Pieds y pensait, plus elle soupçonnait le bonhomme d'y être pour quelque chose. Au premier abord, sous le feu de l'action et avec le peu de réflexion qu'elle lui accordât, il semblait être un petit homme-drow simplet, mais plus elle y pensait, plus les questions s'amoncelaient. Tout d'abord, était-il seulement un homme ? Sa poitrine n'était pas prononcée, mais sa voix était étrangement claire, et son corps fin et court. Et elle ressentait quelque chose de profondément sombre en lui.

Reste qu'il était un atout incroyable, et elle n'allait pas le laisser partir comme ça.

« T'es sûr que tu veux partir ? Il n'y a pas grand monde qui te paierait un souverain par jour pour ton travail, fit-elle en espérant faire vibrer sa corde matérialiste. Tu es sûr que tu ne veux pas nous rejoindre ? On discutera un peu avec toi pour en savoir un petit peu plus sur toi, mais une fois avec nous, on te rajoutera sans doute vingts écus sur ta paie. »

Le demi-drow se retourna, lentement, avec la grâce d'un félin. La lumière, attrapant ses prunelles, donnèrent à ses iris un reflet violacé intense alors qu'il étrécissait les yeux pour contempler la métisse qui lui rendait une bonne dizaine de centimètres. Pourtant il la dévisagea durement pendant un moment.
- « Äan-Sui. » lâcha-t-il finalement d'une voix neutre. Peut-être un zeste de froideur. « Mon nom est Äan-Sui Ank'Taysk. Je ne répondrai plus à d'autres appelations. Toute autre tentative sera considérée comme une insulte à mon égard. » Il était peut-être modèle XS, mais il avait son petit égo. Ou son grand égo. Il détestait, il s'en rendait compte, qu'on écorche son nom. La découverte de ce sentiment le surprit réellement.

Le guérisseur secoua la tête, chassant cette pensée vagabonde pour le moment. Appuyé sur son bâton, il écouta Quaspiel, son visage encore une fois neutre de toutes émotions. Seuls ses yeux, miroirs de l'âme, trahissaient parfois quelque chose.
L'argent. Oui, il en aurait besoin. Äan-Sui n'avait idée encore de combien, ni même du prix de la plupart des choses. Les concepts « d'offre et de demande » lui étaient encore bien inconnus ; ne parlons même pas de l'inflation et des frais de port. Et Quaspiel n'avait pas tort. Il y avait quelque de presque atavique chez lui à l'idée d'amasser des pièces. Dans un autre monde, on aurait pu dire qu'il avait de l'ADN de dragon. Cependant, il ne recherchait pas la richesse pour elle-même, et les contre-parties de la mage de feu le dérangeait. Fortement.

- « Il n'y a rien à savoir sur moi. Je suis d'un désintérêt total. » fit-il, tentant de s'échapper de cet entretien. « Je veux juste voyager. J'ai quelqu'un à trouver. » ajouta-t-il comme si c'était suffisant. « Pourquoi irais-je rejoindre des gens qui prennent de l'argent pour se faire tuer, ce qui veut dire ne pas profiter de l'argent ? C'est extrêmement idiot. Je n'ai pas envie de mourir pour rien, moi. » Ah, bonne chance Quaspiel. Le principe du mercenariat, c'était pour toi.

"Pour quelqu'un qui a été capable d'entrer dans une tente de commandement ennemi au millieu d'un millier d'hommes, et dérouté une armée entière... je trouve que tu fais un bien grand cas de la mort. Te voilà avec trois souverains en trois jours, une somme qu'un paysan se fait en un mois, et je suis assez sûre que les guérisseurs sang-mêlés drow avec pour seuls habits un pagne et un bandeau sur la tête ne s'enrichissent pas aussi vite, d'habitude."

Qaspiel soupira. Aän-Sui était clairement irrité par cette situation, peut-être même un peu trop que de raison. Il...Elle... Aän-Sui n'avait absolument aucune idée de ce qu'était une communauté ou un esprit de corps. Quel genre de bonhomme refusait un surnom de mercenaire ?
« Mon ami, tu es demi-drow, continua-t-elle, Tu as tout le temps du monde pour trouver ta personne, et peu d'argent pour mener tes recherches. Je ne te demande même pas de finir ta vie avec nous, juste de faire une campagne ou deux, le temps de trouver un autre guérisseur. La solde étant -presque- la même en temps de paix. Mais...»

Mais étrangement, lorsqu'elle voulut répondre plus en fond sur sa prétention contre le mercenariat, elle ne trouvait rien à dire, ouvrant la bouche plusieurs fois comme un poisson en manque d'eau. Il fallait avouer qu'il avait raison. La guerre n'était pas une chose auquel elle avait aspiré au début. Ce n'était pas non plus une chose jouissive, malgré les brefs épisodes épiques. C'était la logistique avec ses complications, la stratégie avec ses angoisses, et surtout, c'était la mort, avec toutes ses horreurs et ses drames. Comment avait-elle fait pour en arriver là, elle, la jeune aventurière Qaspiel, en quête d'épopées joyeuses ? Elle soupira.

« Si tu veux partir, je ne m'y opposerai pas. Ce n'est sûrement pas moi qui t'y forcerait. Mais comme je l'ai dit, le métier de la guerre est celui qui te rapportera le plus. Tu es payé même en temps de paix, logé, et nourri, tout autant d'argent économisé pour toi. La route de Thaar est après ces portes, en direction de l'ouest. Tu trouveras sans doute des informations, mais sache que les sang-mêlés drows de basse extraction sont source de méfiance. On t'y traitera comme un voleur, et tu y vivras mal. Ici, tu vivras autour de gens qui, à défaut de t'apprécier, te respecteront en tant que guerrier qui leur a sauvé la mise. »

Elle se décala sur le côté, laissant la voie libre à Aän-Sui pour partir.

« Maintenant, grâce au prestige de la Compagnie dont je viens de faire l'acquisition il y a quelques jours, nous travaillerons avec des nobles et des seigneurs de la haute ; je n'hésiterai pas à leur glisser un mot afin d'aider ta cause. Aussi, à partir de désormais, si tu signes avec nous, tu signes avec la Compagnie, et les gens ayant servi quelques années dans nos Centuries ont très bonne réputation que ce soit en tant que mercenaires seuls, officiers, ou même diplomates. J'obligerai même l'autre abruti de magicien de prononcer ton nom correctement, conclut-elle avec un sourire.

Qaspiel s'étonna elle-même. Elle était bien trop attaché à Aän-Sui. Les guérisseurs étaient faciles à trouver, mais elle voulait celui-là. Son instinct lui murmurait que c'était Aän-Sui dont elle avait besoin, et elle devait bien trop de vies à son instinct pour se permettre de l'ignorer.

« Dans tous les cas, l'ami, je te souhaite une bonne chance et du courage dans ta vie. Si tu veux rester, je t'invite donc à passer dans la tente de commandement pour discuter un peu. Non pas de ta vie et de tes secrets qui ne m'intéressent guère, mais plutôt de tes capacités. Mais la décision que tu t'apprêtes à prendre est tienne, et je n'ai pas à t'influencer. Adieu, donc, Aän-Sui, fit-elle avec la prononciation noirelfique, qu'elle maîtrisait très bien du fait de sa haute éducation thaarie. Et au revoir, peut-être. »

Elle aurait bien voulu posséder le même choix que le drow, mais l'héritage de la Compagnie relevait de la dette d'honneur. Qaspiel se devait d'au-moins remettre l'équipe sur les rails et de comprendre ce qui s'est passé avant de reconsidérer sérieusement ses perspectives professionnelles.

Äan-Sui eut un sourire de drow. Vous savez, le genre de sourire tout en croc, avec un quelque chose d'indéfini mais de définitivement sombre, ce on-ne-sait-quoi qui vous faisait remonter un frisson glacé le long de la colonne vertébrale.
- « Comme si j'avais réalisé un exploit. » ricana-t-il. « J'avais la diversion parfaite. En d'autres circonstances j'aurais sûrement dit non. Et bon, de vous à moi, j'avais des meilleures chances de réussir cette mission que de survivre à un de vos sièges non ? Encore une fois, j'ai juste agi pour sauver ma peau. » Comme quoi, il était peut-être métisse, mais il avait l'attitude hautaine propre à sa race. C'est fou ce que la génétique peut faire. « L'argent ne m'intéresse pas plus que ça. C'est un monde étrange que le vôtre. »

Et là, il soupira. Lourdement. S'appuya contre son bâton encore une fois, la joue contre la boule en verre qui surmontait le bois. Contempla longtemps Quaspiel et les nuages par alternance.
- « C'est un monde étrange que le vôtre. » finit-il par répéter d'une voix lasse. « Je ne comprends pas. Pourquoi faire de cet argent le but de vos vies, et pas simplement un moyen. Comme si avoir pleins de ces pièces faisait le bonheur à elles seules. Pourtant, tout le monde ici dit vouloir être heureux, avec sa famille. Mais qu'est-ce qui les empêchent de l'être, heureux, avec leur famille ? »

Il n'était pas stupide. Il comprenait parfaitement l'intérêt de vivre en collectivité, avec des guerriers pour protéger des bandits et des bêtes féroces, des paysans pour nourrir, des artisans pour pallier les besoins quotidiens. Mais le système d'argent le déconcertait au plus haut point. Äan-Sui en avait compris le principe merci beaucoup. Mais quelle idée saugrenue. Tout le monde était esclave de ses pièces et écus, bien plus que leurs races ou passés.
Quaspiel venait de le lui dire : peu importe qui il était. Parce qu'il avait trois sous en poche, alors il était devenu quelqu'un qui pouvait faire des choses. Sans ces trois pièces, il n'était qu'un demi-drow avec un pagne et un bandeau – bon, un pantalon et un bandeau. Tout cela le déconcertait profondément.
Il l'avait écoutée, et son discours l'avait inquiété. Le pas si jeune drow que ça avait compris que son sang, mêlé ou pas, posait problème. Alors même qu'il avait cru saisir que les drows étaient monnaie courant dans le coin. Dans le cas précis d'Äan-Sui, le besoin pour ses aptitudes ayant surpassé la traditionnelle méfiance, il s'en était bien sorti, mais Äan-Sui savait bien qu'il n'allait pas trouvé que des cités sous la menace de siège à chaque tournant de route.
La Compagnie offrait une protection, un moyen de transport, et un moyen de gagner ces petites pièces dont il n'avait pas grand besoin. Cela lui permettait de rester anonyme, tout en gagnant, potentiellement, une renommée lui ouvrant des portes.
Et d'amasser de l'argent. Ça lui plaisait, cette idée, de devenir « plus que les autres ». Car le demi-drow, plus qu'en quête de son père, était en quête de lui-même. Il n'avait juste aucune idée de la place à laquelle il pouvait prétendre dans ce monde. L'appel de l'or faisait miroiter en lui de l'ambition et de l'avidité pour la grandeur dont il ignorait tout. D'un autre côté, c'était un sentiment logique de survie: quitte à devoir rejoindre cette société, autant le faire de manière à être au sommet de la chaîne alimentaire.

Il hésitait. Si Quaspiel n'était pas intéressé par son passé, elle voulait connaître ses aptitudes. Bah, c'était une part de son passé et il n'était pas prêt à lui dévoiler tout ce qu'il pouvait, ou se pensait capable de faire. Ce n'était pas qu'elle lui inspirait de la méfiance, juste qu'il ne lui faisait pas confiance. En ce sens, le mage était plutôt une bête sauvage. Pas forcément agressive mais pas à même de se faire capturer et papouiller tout de suite. Quant à être dressée...
Avec un soupir à déchirer les âmes, Äan-Sui décida. Ce n'était pas forcément le bon choix, mais il allait vivre avec. Le bon, le mal, encore une fois, il savait négocier avec les définitions.
- « J'ai faim. » annonça-t-il en guise de préambule. Faisant fi d'une éducation qu'il n'avait jamais eu – bonne ou mauvaise, et encore une fois, on en revenait toujours à cette dichotomie du monde qui ne le concernait pas – il s'assit dans un fauteuil, les genoux croisés, avec un bol de de fruits piqué sur le bureau de la Chef entre les jambes. Là, il entreprit de consciencieusement vider la tente de Quaspiel de tout ce qui était éligible, en commençant par les poires. Äan-Sui avait découvert qu'il adorait les poires. Et les noix. Il se mit donc en mode écureuil en attendant que ça se passe.

S’il y avait un calme avant la tempête, il y avait indubitablement des discussions où Saqho était absent. Les efforts déployés lors du siège l’avaient vidé, tant psychiquement que physiquement. Il avait mis plusieurs jours à s’en remettre et avait prétexté diverses excuses allant de la communication avec les démons aux visites de gourgandines pour qu’on n’ose point le déranger. Il avait, en réalité, passé ses journées à se remettre de ses maux de tête et à consommer des plantes médicinales en quantités prohibées. Ce qui fit que le bonhomme était soit en proie à de douloureuses céphalées, soit complètement en train de planer. Ce qui, à vrai dire, ne le changeait pas vraiment. Puis il avait surmonté l’effort et avait gagné les tables de jeu, où, fort de sa renommée, personne ne voulait plus le confronter aux dés, aux cartes … ou tout autre jeu de "hasard".

« Hey, Casse-pieds … oh, salut p’tit. » fit le curieux personnage, entrant sans prévenir dans la tente de l’elfe.

Il joignit les deux doigts sur son front en un salut rudimentaire puis s’avança sans crier gare vers une des bouteilles de la réserve personnelle de la Capitaine. Il s’empara d’un vin au hasard et en arracha le bouchon d’un coup de dents avant de s’emparer d’une coupe qui pendait à sa ceinture – visiblement empruntée.

« Je vois que t’as trouvé de quoi faire rester notre médecin de la mort préféré. » fit-il, tout en se versant un verre.

Il sourit en faisant un signe de tête vers les noix et les joues replètes d’Äan-Sui. Mais sous ses facettes fantasques, le mage avait des travers qui refaisaient rapidement surface. Notamment sa curiosité insatiable et ce besoin irrémédiable de tout savoir. Il vida son verre d’un seul coup, grimaçant à cause des tanins astringents.

« La magie de la vie, donc. C’est intéressant. Immatériel, élémentaire, vie. On a tout ce qu’il nous faut dans la pièce. » commenta-t-il, adressant un regard à Qaspiel.

Evidemment, chacun des mages ici présents avait son domaine d’aspiration, dans les diverses branches de chaque magie. Mais ils rassemblaient là les principaux sujets de préoccupation d’académies entières. L’enfumeur se passa une main dans la barbe avant de se servir un nouveau verre. Il s’assit sur le bureau de fortune de la Capitaine. Il faudrait qu’elle s’habite à son titre, d’ailleurs.

« Je bois donc à notre futur. Aujourd’hui la défense de ce fort, mais demain, qui sait, le monde ? » ricana-t-il en levant le verre.

« Heu … enfin, je suppose que Suie a signé ? » grommela Saqho, avant de suspendre son geste en l’air.

Qaspiel s'assit sur une chaise, lasse, à côté sur la table de campagne, jetant un regard incertain dans la direction du drow qui dévalisait plusieurs jours d'en-cas nocturnes.

"On va dire que oui ?", grogna-t-elle sur un ton ennuyé.

Restant assise tout le long, elle prit la bouteille des mains de Saqho, la fit tinter avec le verre de l'enfumeur et en but quelques gorgées. Secouant imperceptiblement sa tête pour faire passer le goût acre, elle prit deux parchemins, un dans chaque main, pour appuyer ce qu'elle était sur le point d'annoncer.

"J'ai reçu deux missives. La première est de Kodratos d'Hanning, duc des Sept-Monts, un cousin du seigneur Gareth qui semblerait avoir bien besoin de nous. Il sembleraient qu'ils soient dans la mouise, et que notre aide ne sera pas de refus. Ce qui nous amène à la seconde lettre. La Compagnie a été mise au courant de notre dernière aventure, et j'ai pris la liberté d'envoyer Kern les rejoindre, afin de faire jonction à Solon de Trys. Nous lèverons le camp dès que nous sortirons de cette tente.."

Elle reprit la bouteille et engloutit quelques gorgées de trop et tapota nerveusement sur la table. Incapable de contenir ses émotions, sa tension était perceptible. Elle fixa la bouteille d'un air agacé. Le problème des demi-elfes, c'est que leur constitution incroyable métabolisait parfaitement l'alcool, et il lui terminer une bouteille d'alcool fort pour se sentir ne serait-ce qu'éméchée, ce qui faisait des demi-elfes d'excellents clients de tripots. Mais hélas, la piquette qu'elle avait sous les yeux n'était même pas un alcool fort.

"Bien que ça m'emmerde personnellement, avoua-t-elle en agitant la lettre, c'est une bonne chose qu'on quitte les dépendances Thaaries. La Compagnie a une histoire qui lui a fait des ennemis, en particulier avec les drows, et je ne suis presque pas étonnée d'apprendre que le Vieux est mort assassiné, et pas à cause de sa maladie."

Casse-Pieds soupira un coup, afin de laisser le temps à Saqho pour digérer la nouvelle -s'il ne l'avait pas su par un quelconque artifice mystique. Qaspiel fixa le demi-drow avec un air légèrement suspect, avant de se rappeler qu'il était celui qui comptait quitter la base incognito. Il n'était sûrement pas là pour tuer qui que ce soit. Elle soupira, honteuse d'avoir pensé une telle chose à celui qui avait réussi à la sauver, elle et un paquet d'hommes, d'un destin funeste. Mais il avait vraiment l'air étrange. Ou elle. Plus Qaspiel fixait son visage et plus elle se demandait quel pronom utiliser...

"Si vous n'avez rien à me dire, il est temps de faire nos tentes. Nous recruterons en route, et une fois arrivé en destination. Quoique j'ai qu'une petite question à te poser, Su... Aän-Sui", se reprit-elle de justesse. "T'es un gars ou une fille ? C'est euh... Pour le registre."

Marrant. Äan-Sui ne se rappelait pas d'avoir dit qu'il signait. Ils étaient au contraire venus sous la tente pour discuter de son enrôlement définitif dans la Compagnie, mais ce détail semblait échapper à tous. D'un autre côté, il n'en avait rien à faire. Ce n'était pas comme s'il avait mieux dans son agenda, et sa curiosité de drow avait été interpellée en entendant tous ces noms étranges. Le guérisseur avait vu une carte du monde, une fois, très rapidement, depuis la rue. Un marchant de parchemin l'avait déroulée pour un client, puis une fois l'accord trouvé, l'avait repliée prestement. Mais Äan en savait assez pour savoir qu'il n'en savait pas assez. Et les dires de Quaspiel confirmaient ses promesses : la Compagnie pouvait lui ouvrir des portes.

Il haussa donc les épaules aux questions peu discrètes de ses compagnons, et s'empara à son tour d'une bouteilles d'alcool à sa portée, histoire de faire passer les noix. De l'alcool, il savait ce que c'était. Même dans les Marais, le Village avait sa bibine locale. Quoi de plus normale pour une communauté composée de brigands en fuite et de rêveurs hippies ? L'alcool de racines de mandragore, ça a un arrière-goût pas désagréable, par contre, il fallait pouvoir digérer. Quelle chance pour Äan, il pouvait soigner ses propres coliques. Mais l'alcool n'était un bon mélange avec la magie, et il avait appris à se méfier. Après avoir reniflé d'un air sceptique le goulot et prit une gorgée circonspectes, il tira la langue. Horrible. Mais qu'est-ce que le monde civilisé pouvait s'infliger de tortures ? A la place il tira une flasque de dessous son espèce de manteau-poncho-pelure, et s'enfila du jus de groseilles. Il aimait le jus de groseilles. Le sucre surtout lui donnait un boost considérable.

- « Ch'est où, cha, Cholon de Tryche ? » s'enquit-il la bouche pleine. Il ne comprit pas forcément le regard de Qaspiel, si ce n'était qu'elle semblait lui en vouloir. Il laissa donc tomber d'un air penaud la dernière poire du panier, qu'il avait bien espéré pouvoir boulotter en paix... et redirigea son appétit vers le pain et le fromage qui traînaient sur une table basse pas loin. Faisant preuve de son agilité, il s'assit on-ne-sait-comment sur le coussin à côté, et continue de dégarnir le garde-manger. « Pourquoi tu ne veux pas quitter Thaaries ? Et qu'est-ce qu'ils viennent faire ici, les drows ? Je croyais que même si ici, ils pouvaient circuler, ils n'étaient pas bien vus ? Et t'es sure que ton capitaine, il est mort à cause de la Compagnie et pas à cause d'un truc qu'il aurait fait ou dit, personnellement de lui à un autre ? »

On ne pouvait pas dire qu'il n'essayait pas de comprendre.
Il voulait surtout savoir si sa peau de fesses de demi-drow était en sécurité toute relative, ou pas du tout. Avant tout autre chose, Äan-Sui était un survivant. Un demi-drow. Avec des résurgences ici et là d'une nature profondément sombre.
A la question de Quaspiel, il s'arrêta de manger pendant une seconde ou deux, contempla les différentes réponses qui s'offraient à lui, avant d'avoir un sourire malicieux. Mais il y avait quelque chose d'un chouïa dérangeant dans son alignement de dents blanches et dans la façon dont il se balança avec désinvolture sur son coussin.
- « Hum, d'après toi ?» Il en ronronna presque, et sa tentative d'humour devint, malgré lui, une approche presque sensuelle, comme une dragueuse expérimentée qui déjouait des avances trop brusque. Puis il redevient le sauvage qu'il était.
- « T'as qu'à mettre, indéterminé, sur ton registre. Pff, les civilisés, et leurs manies de tout mettre dans des cases. Je suis qui je suis, et mes capacités sont carrément indépendantes de mon sexe. L'important, c'est que je vous garde en vie, non et pas ce que j'ai entre les jambes ? Tiens, passe-moi le saucisson, là. J'vous en coupe des tranches ? »
Sinon, il y avait des fortes chances qu'il se l'avale entièrement, sans vous en laisser.

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