Nocturne mineure - Blanche

Les pas en question étaient celle d’une démarche agitée. Les talons ne cessaient de claquer comme de lourds sabots sur le dallage ou la terre avec la frénésie d’un cheval enragé. Des éclats de voix résonnaient, ceux de deux femmes. L’une semblait presque hystérique et l’autre d’un calme olympien malgré la situation.

« Laisse-moi, je te dis ! Je veux être seule, laisse-moi tranquille ! »
« Il est de mon devoir de vous escorter et surtout lorsque vous êtes dans cette état. »
« Quel état ! Je vais bien, je vais par-fai-te-ment bien ! Alors fiche moi le camp »
« Non, vous n’allez pas bien. Je ne voudrais que vous retrouviez cette chose et puis nous sommes en territoire compromis, un accident est vite arrivé. »
« Et alors, MORTE tout le monde serait content ! »
« Votre Altesse… »
« QUOI !? »
« Votre Altesse, nous ne sommes pas seules. »

La lieutenante, dans son armure de cuir noir, eut un mouvement de son menton masqué par son casque. Elle retint un soupire consterné quant à la position délicate dans laquelle elles s’étaient mises vis-à-vis du Marquis de Saint-Berthilde. Blanche pivota afin de constater qui était l’importun qui osait les déranger en pleine dispute. Elle réalisa alors qui il était et combien le destin ne pouvait pas la mettre dans de plus mal position. Son visage devint alors rouge pivoine tant la honte la submergeait. Elle serra les poings et se mordit la lèvre inférieure pour reprendre contenance. Les premières notes du Colosse sonnait comme une moquerie à ses oreilles bien que cela ne soit sans doute pas le cas. Après une difficile déglutition, Blanche replaça une mèche torsadée derrière ses oreilles. La transformation était plutôt dérangeante. Le port redevint altier tandis qu’elle se tenait droite comme un « i ». La sorcière se plia d’une élégante révérence tandis qu’elle se rapprocha d’une démarche posée.

« Monseigneur le Marquis, je suis fort aise de vous rencontrer ici. Je n’aurais pas cru que les bienfaits de la Déesse Kyria vous séduirait tant… »

L’œil s’en tourna vers sa lieutenante.

« Je te prie de nous laisser. »
« Mais Bl…Votre Altesse… » Fit Odeline en posant son regard lourd de signification sur le Marquis.
« Va, j’ai dit. »
« Bien. » Sans un mot de plus, Odeline salua militairement sa Dame pour s’évaporer dans la nature. Enfin ça, c’était ce qu’elle laissa croire car telle une mère, Odeline a tendance à un peu trop materner sa douce. Elle veille et sans doute ne doit pas être loin.

Blanche voua à nouveau toute son attention au Marquis.

« Vous n’auriez pas dû entendre tout cela… »

La Dame du Val espérait qu’il n’avait pas entendu un traitre mot de leur conversation. Aujourd’hui, elle arborait une robe de couleur émeraude avec quelques paillettes d’or. Le tout était composé de voile naturellement en ces temps chaleureux bien que le Nord demeurait tout de même plus frais et qu’une fois le soleil couchant, la brise devenait glaciale. C’est pourquoi sa robe comportait des manches – faisant écho aux tissus composant ses pans –  couvrant ainsi ses bras mais dénudant ses épaules. Quelques bijoux discrets teintaient à ses poignets et une ceinture ornementale cerclait sa taille. Après un soupçon d’hésitation, elle consentit à se joindre, assise, à côté de lui.

« En quoi est-ce une surprise ?... Les temps sont que trop peu souvent propice aux tournois… Ce sont des festivités qui sont normalement agréables… Bien que je regrette désormais d’avoir quitté mon antre. J’aurais dû rester chez moi. »

Conclut-elle avec amertume.

« Votre fils s’est vaillamment défendu. »

Un maigre rictus tordit un instant ses lippes à la remarque concernant son teint. Elle qui faisait tout pour paraître irréprochable physiquement parlant angoissait désormais. Les doigts se glissèrent contre la peau de son propre minois témoignant d’une inquiétude passagère. Elle cessait si tôt ses tâtonnements et reposait machinalement les phalanges contre l’étoffe de sa robe. A contrario du Marquis, la Dame du Val avait les yeux rivés sur sa personne. Les jardins étaient pourtant un endroit qu’elle appréciait mais elle avait le cœur trop lourd que pour admirer la beauté artificiellement sauvage. Le menton obliqua en signe d’approbation.

« Je tacherai de le lui présenter si j’ai à nouveau l’occasion de le croiser. … J’imagine que Sainte-Berthilde doit en tirer une grande fierté. »

Personne n’avait représenté Hautval, ni même Ancenis ou même une autre terre du Duché. C’était bien dommage. Cependant, elle avait décidé de venir au dernier moment en Serramire pour le Grand Tournoi. Les billes marines devinrent un instant morne. Elle aurait juré que le Marquis s’intéressa, non pas par politesse à sa fille mais simplement pour tâtonner du terrain. En effet, il serait certainement enquis de la santé de sa cadette et de ses deux fils, si c’était le cas. Elle se mordilla la lippe pour garder son calme et éviter de s’embraser comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’une chose lui déplaisait. Cependant, son tempérament tempétueux n’était pas la meilleure stratégie à adopter en compagnie du Colosse. Les doigts froissèrent quelques instants ses étoffes et Blanche répondit d’un air détaché.

« Ma fille continue de grandir comme il se doit. Je la juge cependant encore trop jeune que pour fréquenter ce genre de festivités. … Ma cadette et mes deux fils se portent, eux aussi, bien. Je gage que pour l’instant, ils n’ont pas la santé de leur père du moins concernant mes fils. Et votre cadette, je n'ai pas eu plaisir de la voir. »

La politique, encore de la politique. Je finirais par vous en faire bouffer par le cul pensa-t-elle pour elle-même. Blanche s’enflammait elle-même et pour faire taire l’ardeur de sa conscience, la silhouette se redressa. Désormais, son altesse offrait les courbes de son dos couvert en partie couverte par sa chevelure d’ébène. Elle s’était tue et avait clos ses yeux en secret. Après une profonde inspiration, le talon pivota et offrit un sourire de circonstance. Alors qu’elle s’était éloignée de quelques pas du Marquis, elle réduit la distance de quelques foulées puis se pencha vers lui.

« Monseigneur le Marquis, il m’est plaisant de vous savoir à mes côtés. J’ose espérer que notre entente perdurera, faisant honneur à votre réputation de loyalistes. »

Enfin cela s’avérait davantage pour les arétans et les olysséens. Les Berthildois étaient à dire vrai davantage une source de problèmes.

« J’espère pouvoir sous votre règne, retrouver la paix avec mon voisin d’Olysséa. J’ai déjà eu le plaisir de rencontrer votre champion, le comte Roderik. »

L’Ancenoise demeurait pencher, mains jointes dans son dos, vers Godfoy et naturellement attendait une réponse de sa part. Est-ce que la joie aussi artificielle, soit-elle, était-elle suffisante pour lui ?

Là n’était-il pas une remarque quant à son décolleté pigeonnant ? La Dame du Val n’eut pas lumière de suite à ses énigmatiques propos jusqu’à ce que l’œil bleu ne descende jusqu’à ses deux monts. Les billes vrillèrent en sens inverse et là devait-elle à nouveau faire face à l’imposant colosse qui devait la surplomber d’au moins deux têtes. Un pas fut amorcé vers l’arrière.

« Je gage que mon auguste réputation de catin doit sans doute provenir de ces hommes tentés si promptement ».

Les bras se croisaient machinalement contre son ventre tandis qu’un sourcil s’arquait, accompagné d’un sourire entendu. La seconde tirade lui aurait arraché un rire si elle ne s’était pas contenue. Ses lippes s’étirèrent davantage en un rictus dont il pouvait à loisir tirer quelconque allégation. Cela l’importait peu… Quoiqu’elle fasse, même les actes les plus altruistes se muaient souvent en manifestation de la plus vile engeance. Et cela, elle le devait naturellement à ses détracteurs. Alors parfois, l’espoir la quittait et elle baissait bien vite les bras sans tenter de se défendre tout simplement car elle était lasse, comble du comble dans une société où l’image était primordiale.
Sans doute, voulait-il la tester. Godfroy de Saint-Aimé avait néanmoins raison sur un point. La paix revêtait bien des atours selon qui l’employait.
Blanche plissa un instant le front. Son intuition ne l’avait pas trompé et il était raisonnable de se méfier comme la peste de ce nouveau personnage. Elle ne le connaissait pas encore et sans doute était-ce là l’opportunité d’en apprendre un plus sur lui et de décrypter les traits de caractères qui composaient le Colosse.
La subite distance qui séparait le Marquis de la Duchesse réduite à néant en quelques secondes, surprit la Dame qui se raidit aussitôt. Le diaphane bloqué, les lèvres s’étaient closes l’une à l’autre sans y laisser le moindre bouffée d’air passer. Les deux océans ruisselèrent sur le minois du noble dont elle sentait le souffle caresser sa peau opaline. Ses paroles sonnaient comme d’âpres menaces à son oreille. Et puisqu’il avait décidé d’être aussi peu conventionnel, il ne s’offusquerait pas qu’elle agisse de la même façon que lui. La proximité avait ranimé ses instincts diablement taquins.
L’Obsidienne se saisissait sans aucune douceur, ni brutalité du menton du barbu. La silhouette pivotait en même temps et elle calait son minois à la hauteur du sien pour ancrer ses yeux bleus dans ceux de son homologue.

« Sachez que tout vient à point qui sait attendre. Précipiter les choses est souvent source d’échec surtout par les temps instables qui couvrent la Péninsule et s’il n’est pas bon de vous avoir comme ennemi, ne sous-estimez pas non plus les dessins de la femme qu’on surnomme la sorcière du Médian à juste titre ou non. »

Les phalanges cessèrent dès lors toute pression contre la peau du Marquis. D’un mouvement, elle lui offrait désormais son dos.

« Après tout, n’ai-je pas enterré deux de mes époux, sachant que le troisième côtoie plus souvent les marches de l’au-delà que celles des vivants. »

Son attention dévia sur un amas d’hortensia vers laquelle elle se dirigea. Elle s’y pencha pour en humer le parfum. Cette fleur était aussi belle que toxique, à son image ?

« Maintenant que nous avons tous deux montrés les crocs, serait-il possible de revenir à des humeurs plus propices ? »

A moins que le loup n’avait pas dit son dernier mot et qu’il n’avait pas renoncé à dévorer le petit chaperon.