L'Eda Vengeur [ Shynrae ] [ Terminé ]

Pour le puriste usuel, Sol’Dorn n’avait rien à envier aux infrastructures Drow que caractérisaient l’Elda, mais à sa façon, il était plaisant à l’œil de voir qu’aussi loin s’étendait la culture de ce sombre peuple. Non seulement les noirelfes l’avaient-elle façonner à leur manière, mais aussi se sont débrouiller pour que la diversité raciale d’icelle n’irradie pas le cœur de cette citée qui autrefois, avait pour but d’être l’extension du berceau d’Uriz. Que ce soit par la grandeur de la forteresse qui centre la citée, ou par la panoplie de temple qui dominent le quartier voué à cet effet, on devine en entrant qu’il s’est joué en cette citée bien des batailles afin de conserver le patrimoine Drow. Bien que, évidemment, on ne peut lui enlever que la racine Drow qui l’avait bâtie se soit noircie au côtoiement des mœurs, us et coutumes d’autres peuplades qui décidèrent jadis de s’y installer. Reclus dans le noyau d’un Volcan, il est aisé d’honnir quiconque serait souillé d’impureté par le sang, mais lorsque le commerce oblige, que le voisinage pullule d’humains ou même de nains,  la chose est toute suite plus complexe. Éloignée de l’Elda, Sol’Dorn s’est corrodée, s’est vue corrompue et aura perdu tout son lustre au profit d’une épaisse couche de moisi ; du moins c’était là le fond de la pensée du Prima qui, on se doutera, exécrait cette citée autant que celle de Thaar.

La Veille, à leur arrivée, Velkyn lui avait confié les clefs d’un domicile lui appartenant. L’endroit fût acheté jadis afin d’avoir un pied à terre en la citée Doeb, lors de ses passages épisodiques. Loin d’être digne du manoir Irvin, l’établissement possédait tout de même un charme hors du commun ; il était en tout point calqué sur la décoration typique de l’Elda. La peinture, les fioritures qu’ornaient les murs, les meubles et même la séparation des pièces se différenciaient de ce qui se faisait en Thaar. Transpirant le luxe et le bon goût, personne ne pourrait deviner que l’établissement appartenait au sombre guerrier. Bien qu’il n’y avait mis le pied depuis moult années, étrangement, tout avait été emménagé, nettoyé et proprement préparé pour l’arrivée de la Sirène. Deux serviteurs avaient attendus son arrivée sagement, le garde-manger débordait à outrance et par-dessus tout, à l’étage où elle irait dormir, un gigantesque lit l’attendait ainsi qu’un duo de surprise : une fenestration imposante à laquelle les rayons lunaires pouvaient pénétrer à l’instar de sa propre couche, ainsi qu’une garde-robe renouvelée et à la mode du Puy. Bref, tout avait été pensé et administré afin qu’en Sol’Dorn, son invitée y trouve une once de confort.

La noirceur s’estompait et dès lors, se chassait le temps frais qu’avait instauré cette nuitée venteuse. Les primes rayons lumineux de cette journée offraient déjà quelques caresses doucereuses et chaleureuses à ceux qui s’y exposaient. Les rues désertiques laissaient comprendre qu’il était fort trop tôt pour amorcer cette journée qui s’annonçait évidemment prospère en beau temps. Qu’à cela ne tienne, un quatuor de Drow lourdement harnachés talonnaient de près leur chef de file ; Velkyn Xaran. Quatre soldat ayant comme garde-robe de rutilants harnois qui on aura deviné, trimbalaient les symboles sacrés d’Uriz en guise de décorations. Leurs chefs étaient voilés d’un casque à corne couvant pratiquement l’entièreté de leur faciès, n’en laissant paraitre que la rougeur de leur regard perçant. Enfin, leur armement se couronnait d’hallebarde aussi longue qu’imposantes. Velkyn, quant à lui, se présenta accoutré d’un long mantel cascadant jusqu’à ses genoux et aux teintes ténébreuses. Lui aussi armé, mais seulement d’un équipement qui se voulait léger – c’est-à-dire de son épée, d’une armure de cuir cloutée ainsi que d’un poignard -, n’avait vraisemblablement pas desseins à engager de sérieuses rixes.

Quelques passants dévisagèrent le groupuscule à leur passage, mais sous un masque d’indifférence, iceux continuèrent leur lancée vers les appartements de la Sirène. Le quatuor s’installa deux par deux de chaque côté de la porte, tandis que Velkyn patienta en faisant les miles et uns pas devant le « manoir ». Les deux mains croisées à son dos, son regard vagabondait aux alentours, explorant le quartier duquel il s’était privé pendant nombres d’années. L’endroit n’avait pas changé, bien que la populace s’était enlaidie ; les nabots s’étaient reproduits, de même que l’avait fait les péninsulaires. Une moue dégoutée flottait sur le faciès de Velkyn, mais bien rapidement chassée par la sortie de Shynrae hors de ses appartements. Sitôt sortie, les hallebardes se redressèrent, tandis que leurs manches léchaient le sol en un « toc! » à l’unisson, en guise de garde-à-vous. Velkyn se retourna vers Shynrae, s’approchant d’elle d’un pas léger et avenant, lui tendant un bras afin qu’elle puisse s’y percher. « Tu as su trouver un sommeil réparateur ? » Le questionna le guerrier. « Une monture nous talonnera de près, s’il advenait que ta blessure t’éreinte. Notre journée sera consacrée entièrement à la visite des différents quartiers. Nous aurons longuement à marcher. »

Ainsi débuta leur marche dans les dédales de la citée. S’aventurant au cœur même de cet endroit historique, ils foulèrent d’abord les murailles de la forteresse centrale. En décrépitude et peuplée d’une garde minimale, icelle semblait fait d’avantage office de décoration que de réelle protection ou de castel. « Cet endroit fortifié fut jadis le nid du Quatrième Ost. D’abord érigé afin d’en faire une place stratégique, la citée fût bâtie autour d’elle dans l’espoir de vivre paisiblement sous sa protection. Le temps faisant ses ravages, et le cœur des hommes étant ce qu’il est - aisément corruptible-, firent de ce fort un endroit laissé à l’abandon et aux traîtres. Désormais, les voyageurs et autres civils tirent la couverture afin d’obtenir un bout de cet endroit qui encore aujourd’hui, bien qu’il n’ait rien d’un palais, offre une place stratégique. » Leur marche continuait tandis que de temps à autre, le Haut-Prête lorgnait vers sa compagne accrochée à son bras, afin de quérir son état. « Ce quartier n’est point but premier de notre escapade, mais je trouvais important de te montrer le noyau de cette citée. » Affirmait-il, alors qu’il la guidait finalement vers la sortie de ce district.

Aurait-elle pu lui tenir de plus doux propos ? Païenne de prime abords, son questionnement laissait sous-entendre qu’une graine avait germé en sa psyché et avait fait son bout de chemin, creusant à qui mieux mieux quelques racines encore fébriles mais qui à terme, serait les fondations de sa foi. Mais d’elle à lui, il était vrai que les récents évènements, dans les bonnes comme les mauvaises nouvelles, dans leurs discussions et leurs révélations, en remettre la faute sur les Dieux arrangerait franchement les choses. Lorsqu’elle lui demanda ces quelques mots, vraisemblablement incertaine, sa prise contre son aille se raffermit aussitôt, comme si elle avait pincé une corde sensible du Prima. Sans lui accorder un regard, préférant plutôt poursuivre la marche à juste titre de guide spirituel, il lui répondit seulement : « La bonne fortune sont deux choses en qui nul ne peut se fier, or je n'y crois pas. Par contre, les Dieux sombres récompenses aux matines et châtie aux vêpres, en cela, tous peuvent s'accorder pour y croire. Peut-être l’un comme l’autre, avons-nous mérité leurs bonnes grâces ? »  Le tout sagement dicté, accompagné d’un sourire juvénile, mais qui croissait à vue d’œil, sans doute au sous-entendu de sa dernière tirade. Ou bien était-ce parce qu’ils franchissaient enfin l’arche, celle-ci même souhaitant la bienvenue aux habitants de Sol’Dorn dans les quartiers religieux ?

La garde s’étant scindée en deux binômes, à l’avant comme à l’arrière du couple improvisé, retrouvait à l’arrivée du quartier une formation plus distante, moins rapprochée et prudente. Ils se rassemblèrent derrière la Sirène et son Guerrier, leur laissant le soin d’ouvrir la marche, ici en ces lieux ou Velkyn en devenait le maître. « Voici, ma bonne amie, le seul endroit de Sol’Dorn qui s’attire encore le peu d’affection que j’ai pour icelle. » Incroyable, majestueux, grandiose et à couper le souffle, étaient les maisons de campagne dédiées au Panthéon des ténèbres. Une pause était, croyait-il, de mise afin de pouvoir capter tous les détails de ces bâtiments autant historiques, que sacrés. Certains temples transpiraient la richesse, l’abondance et l’opulence, alors que d’autres, plus sobres et discrets, se démarquaient du lot par leur singulière architecture. Dans un semblant d’ellipse, les temples se regardaient tous les uns vers les autres, comme des membres rassemblés autour d’une même tablée. Autour d’elles, tous les membres étaient invités, ce même si leurs assises manquaient de fioritures, de décorations ou de lustre. N’y manquant pas, gouvernant cette assemblée divine, Uriz et Teiweon, main dans la main, avait assis leur toute puissance côte à côte, surplombant leurs fils et filles en tous les aspects. D’entre tous les établissements, nuls ne pouvaient l’ignorer ; leurs maisons étaient plus que temples, palais ou castel, ils étaient mines dans lesquels deux yeux n’étaient suffisant pour en admirer et contempler toutes les richesses. « Vois ces Temples, ces maisons pour les Dieux qui nous ont façonnés à leur image et dit toi, qu’au Puy, c’est pis encore. » Le tout dicté, dans une once de fierté. Un ton de voix qui n’avait jusqu’à maintenant, jamais été utilisé devant elle.

Le bras toujours en appuis à celui de Shynrae, Velkyn poursuivait sa visite bien qu’il se montra pour le moment un brin plus muet, question de la laisser admirer. Ce n’était pas tout de posséder or et main d’œuvre, encore fallait-il avoir l’audace de créer et d’ériger de tels établissements, ce en tentant au mieux de copier le style artistique du Puy qui eux, à leur avantage, usent de la solidité du Roc du Volcan. Derrière eux, la garde fit tinter leurs harnois ainsi que leurs armes à l’unisson, comme si du tac au tac, ils avaient raidit l’échine et s’était parés à intervenir. « Le Haut-Prêtre ! C’est le Haut-Prêtre d’Elda ! » Cria un Drow lambda, puis un autre, ainsi qu’un autre … Ces étonnements isolés devinrent tôt des cris rassembleurs, ce jusqu’à ce qu’ils viennent près d’eux baiser le sol en psalmodiant le nom d’Uriz. Hautain, Velkyn ne leur adressa pas même un coup d’œil, préférant plutôt poursuivre d’un pas soutenu sa marche non pas jusqu’au Temple de leur créateur, mais plutôt à celui de sa fille : Natha. « Ces Drow agenouillés sont l’unique raison pour laquelle je n’ai jamais eu l’audace d’embraser ce nid de félons et de couards. Ces gens entretiennent  la reconnaissance qu’ils ont envers les Dieux car iceux reconnaissent qu’ils ne seraient rien sans leur intervention. Cela peut te sembler tiré par les cheveux, mais je t’expliquerai dans un avenir rapproché, alors tu pourras enfin t’ouvrir les yeux. » Quelques marches étaient à braver pour qu’ils puissent pénétrer dans le palais de Natha où un étrange évènement attendait la sirène.


Que pouvait-on d’abord raconter à propos de l’endroit ? Mystérieusement isolé du son extérieur, l’air transportait de douces fragrances et à son passage, l’impression qu’une certaine sérénité dominait le Temple. Un couloir de voiles transparent  violacé semblait être le seul obstacle entre le portail d’entrée et l’épicentre de moult prières silencieuses.  Certaines assises en position de l’indien, d’autres agenouillées les mains devant, tandis que les autres marchaient comme des ombres, ayant contres elles ce qui ressemblaient à de jeunes poupons naissants. Alors Velkyn resta immobile un moment, toujours dans l’espoir que sa compagne s’abreuve de tous les détails possibles, espérant que ces images de ferveur puissent l’inspirer. Un cri aigu et strident, déchirant le calme, s’imposait par-dessus tout ; un jeune enfant couinait à gorge déployée. Comme si un coup de fusil avait attiré l’attention des femmes, elles se retournèrent tous à l’unisson pour se redresser, puis se lancer aux pieds non pas du Prima, mais de la Guenaude. D’un pas sur le côté, Velkyn délaissa sa compagne à ses adoratrices qui de leurs mains, parcouraient le corps de la Sirène comme si elles ne le croyaient pas, comme si elles venaient d’apercevoir Natha en personne. Un regard  rassurant se déposait sur les mires de Shynrae, ajoutant par la suite « Natha n’a jamais octroyé sa fertilité de la sorte à ses filles. Nulle n’a jamais mis au monde autant d’enfants que tu ne l’as fait, Shynrae. »

L’avait-il fait exprès ? Avait-il mit en scène ces femmes pour qu’elles s’inclinent, qu’elles la vénèrent à l’instar de ces gens qui avait fait la même chose au-devant du Haut-Prêtre ?  Ou avait-il simplement mit au fait ces prêtresses des prouesses de son amie ?  

Aux salutations débordantes de respect, le Prima Sanguis se contenta d’hocher la tête en un salut protocolaire plus sobre, mais qui cherchait en son mutisme à préserver la quiétude du sanctuaire. Se refusant d’user d’une partielle de l’autorité relative à ses prérogatives de Chef de Culte, c’est en quelque sorte, à juste titre de servant de Natha qu’il semblait se présenter. Pourtant, tous savaient qu’il n’était du genre à prendre le chapeau de l’incognito, préférant plutôt de loin à faire courber l’échine des gens et ployer le genou devant le maître de la Guerre. Non, ce qu’il fallait y comprendre, c’était l’importance qu’il accordait à toutes les Divinités du Panthéon. Pouvait-il simplement se dévouer à une seule Entité, alors que c’est d’un tout qu’ils avaient réussi à façonner et modeler ce qu’était la race des Drow ? Uriz et Teiweon seuls n’auraient su y parvenir, l’entièreté de cette divine famille ont dû mettre main à la pâte et pour cela, le soldat d’Uriz ne pouvait se résoudre à devenir le serviteur que d’un seul membre. D’autant plus que Natha, plus que nulle autre, entretenait la pérennité de leur race via le don de la Vie.


De l’extrémité de ses phalanges, la Grande-Prêtresse dessinait quelques doucereuses caresses en l’endroit de la protégée de Velkyn, décrivant et explorant l’abdomen de Shynrae. Parfois en dérobant une caresse par l’entremise de la paume de sa patte, ses attentions particulièrement délicates délivraient à leur passage une ribambelle de frissons et de sensations tous aussi étranges les unes que les autres. Une bouffée de chaleur spontanée, un essaim de papillons qui cherchaient à lui chatouiller l’estomac, mais par-dessus tout, la baroque sensation que la Grande-Prêtresse cherchait à ressentir en avant-première, le petit être qu’elle avait prophétisé en la panse de la Grisonne, même s'il en était rien -ou du moins, point encore-. En retrait, Velkyn escalada la garde de sa lame pour y poser paresseusement une main, se contentant d’observer la scène, mais surtout, d’éterniser à jamais les réactions de sa protégée. Évidemment, pouvait-il réellement se prévenir de sourire, en retroussant les lèvres avec satisfaction, alors que la Prêtresse venait de livrer d’aussi saintes paroles ? La perfection, l’union de deux êtres aux origines ancestrales, l’un se faisant le protégé d’Uriz, tandis que l’autre, semblait avoir développé à son insu quelques accointances avec dame Repalninkiz. Pouvait-on alors s’attendre à moins ?
« Je tenais absolument à vous la présenter. Shynrae, ma protégée, n’avait alors jusqu’à aujourd’hui la moindre idée du pouvoir qu’elle détenait. Muni de quelques doutances sur le sujet, j’ai préféré que vous puissiez-vous-même lui expliquer. » S’était-il exprimé, avec une déférence certaine, loin des familiarités.

Ainsi, le vaisseau de Natha détacha son attention de Velkyn, non sans un sourire tant radieux, qu’il en aurait chassé les ténèbres du Temple. Sa main quitta le ventre de Shynrae qu’elle avait réchauffé presque affectueusement, préférant plutôt loger une caresse à ses pommettes, à l’instar d’une doucereuse attention à une enfant. « Ma pauvre fille … Velkyn m’a expliqué que tu croyais ta fertilité due à tes relations avec … » Elle chercha un terme adéquat, les lèvres s’écrasant en une moue incertaine. « La carcasse mortelle de ton jadis mari. » Mais cette fois, un sourire rassurant, presque envouteur, lui était réservé, alors que ses mires plongeaient corps et âme en les siennes. « Tu ne dois ton confort à la fertilité qu’aux bonnes grâces de l’abondante, l’opulente et mère de tous les Drow, Natha. Nombres de femmes jureraient et tueraient pour n’avoir qu’une partielle de ton don. À chaque heure qui passe, quelques Clans s’éteignent, des familles perdent leur dernier héritier, des patronymes s’effacent, car leurs filles n’auront su enfanter. » La Prêtresse invita Velkyn d’un hochement de tête, tandis qu’elle s’accrocha au bras de Shynrae qu’elle guida vers un petit salon où une panoplie de bâtonnet d’encens se consumaient à petit feu, laissant derrière eux les effluves de quelques parfums agréablement odorants.


« Velkyn, veux-tu bien nous réciter l’Eda Vengeur, s’il te plait ? Il y a fort longtemps que je n’ai entendu d’aussi belles histoires. »  Évidemment le tout, accompagné d’un ton si doux et fondant, qu’il n’aurait pas été surprenant qu’ils se connaissaient depuis fort longtemps. Le Haut-Prêtre prit ses aises en faisant face à la Guenaude, se laissant choir sur un castel de coussins de velours. Une œillade non dissimulée s’égarait contre la Grande-Prêtresse qui s’installa, elle, dans l’ombre de Shynrae pour amorcer le désarmement de quelques tentions que lui guettait le cou.


« Au tout départ, rien n’était. Nous n’étions rien, pas même pensés, pas même … Le monde n’existait pas. Seul le magma primordial habitait le sol et dans les cieux, une glace aussi froide que la mort, figeait l’univers dans l’état présent où il est. De cette étendue infinie et glaciale, se détacha un glaçon qui chuta dans cette mer de magma. D’une explosion telle que tu n’en auras jamais imaginé, naquit Uriz. Dans cette explosion titanesque, quelques gouttelettes embrasées touchèrent le plafond glacé, créant à son tour Kerhel. Conjointement, les deux Divinités créèrent notre monde tel que tu le connais. Les montagnes ainsi que les cours d’eau sont d’ailleurs le résultat et l’œuvre d’Uriz qui, par le puits sans fond de colère qui l’animait, fit jaillir du magma, de la lave et du feu, une pluie torrentielle et ardente qui fit fondre ce ciel immuable et glacé. »


« Uriz créa le soleil, tandis que Kerhel voulu l’imiter en créant la lune. C’est d’ailleurs pour cette raison que la lune tente toujours de rattraper la course de l’astre diurne, n’y arrivant pourtant jamais. Créatif, Uriz façonna les premiers animaux qui pour se repaître, devaient suivre la chaîne alimentaire et tuer pour assurer leur survie. Dans sa bonté, Kerhel créa les plantes, afin que les plus faibles n’aient à tuer pour vivre … Mais tôt, les deux Dieux s’ennuyèrent et eurent une autre idée ; la création d’un corps qui n’aurait de défaut, qui serait en quelque sorte la race dominante de Miradelphia. Une charpente sans défauts, qui ne pourrait pas même se faire dompter par le temps. Or Kerhel créa les elfes, auquel Uriz y créa leur cœur à partir d’une pierre qu’il avait embrasé de son souffle. Il leur promit en échange la colère et la force, tandis que Kerhel leur enseigna la tempérance, la compassion et la paix. Le premier elfe naquit de la sorte et avec lui, engendra le premier conflit des dieux. » Sa voix était depuis le début de son récit teinté d’une émotion franche et fidèle à lui-même, comme s’il croyait la véracité de ce récit jusque dans les plus pointilleux détails. Pendant ce temps, la Prêtresse continuait à dénouer les muscles du cou de Shynrae, sans jamais piper le moindre mot, bien que son visage fût illuminé d’un sourire rêveur.


« Évidemment, comment pouvaient-ils accorder colère et paix, force et compassion ? Le désordre se manifesta, au très grand mécontentement de Kerhel. A l’insu de son partenaire, elle créa des monstruosités qu’elle nomma chimères, celles-ci commandées pour surveiller le peuple Elfique et ainsi les contraindre à la servir. Cherchant à l’en empêcher, Uriz se fit vaincre par Kerhel aidée par ses chimères et au détour d’un affrontement titanesque, elle décida de l’enfermer au sommet de la plus haute des montagnes, lui privant au passage de son Feu Primordial. Sa cage, toute faite de glace, loin située des steppes volcaniques, lui privait de toutes ses forces. Son Feu fut quant à lui, balancé dans les tréfonds de l’océan. Avec le temps, les Elfes oublièrent les leçons d’Uriz et louèrent Kerhel comme leur Mère fondatrice. »


« Tu te douteras, Uriz était loin d’être vécu. De son cœur maintenant glacé et froid, il en extirpa un morceau et façonna une nouvelle entité, une Divinité presque aussi puissante que lui : Teiweon. » Il avait appuyé sur le presque dans un sourire non dissimulé. « Contrairement à son créateur, Teiweon était glaciale et dotée d’une âme pure. D’un revers de la main, elle s’extirpa de sa cage pour retrouver le feu Primordial de son créateur. Lorsqu’elle revint vers son maître, Uriz ayant récupéré ses forces et sa vigueur, s’unit avec elle afin de mettre au monde trois nouvelles divinités : Kiel, Tesso et Natha. »


« Lasse des êtres parfaits qu’elle avait déposé sur Miradelphia, pour son amusement, Kerhel créa de faibles être munis d’une carcasse fragile et qui pourrissait au gré du temps : les humains. Barbares, sauvages et dénudés d’intelligence, iceux se jetèrent contre les elfes, une guerre sanglante. Uriz, même trahit par Kerhel, ne permit pas telle chose et d’un cri rageur, fit exploser ses entraves de glaces. Il demanda à sa fille Natha de mettre au monde pour lui, une légion de guerriers. Encore aujourd’hui, cette légion, recluse dans les montagnes, se nomme les Nains. Le plan devait se jouer sur deux plans. D’une part, la légion de nain allait attaquer le Royaume de Kerhel, tandis que Teiweon ainsi que Kiel avaient ordre de protéger les elfes. Tesso, quant à elle, devait embrouiller l’esprit de Kerhel pour qu’elle préfère attaquer les nains, plutôt que de repousser Teiweon et Kiel. À son arrivée sur le champ de bataille, Uriz lui tendit un guet-apens et fonça tête première contre elle dans le but de la vaincre. Pendant ce temps, Teiweon chercha à libérer l’emprise de Kerhel sur les elfes, cherchant à la convaincre à quitter la foret. Peu suivirent, car retenus par la peur et la crainte, ceux-ci préféraient l’emprise de leur Mère Lorsque les Elfes quittèrent pour l’Exode, derrière eux les pourchassaient des chimères ainsi que les humains. Kiel s’interposa pour les sauver et leur firent gagner trois jours et trois nuits, le temps d’un ultime affront qui, malheureusement, se termina par le total démembrement de son corps. Seulement lorsque les elfes qui fuyaient trouvaient refuge en dehors du Royaume de Kerhel, Kiel s’autorisa à trépasser, bien qu’il fût sauvé in-extrémis par son frère Tesso. Pendant tout ce temps, le combat d’Uriz et sa consœur dura, et perdura jusqu’à ce qu’ils soient tous deux exténués. Nul vainqueur ne fut déclarés et c’est dans leur royaume respectifs qu’ils se retirèrent, un dans la forêt tandis que l’autre dans le magma primordial. Parfois, à tous les quelques mille années, on dit que Kerhel et Uriz engagent à nouveau le combat, raison pour laquelle le soleil et la lune croisent le fer. »  Velkyn marcha une pause, comme si le prochain segment de son histoire demandait d’avantage d’écoute et d’attention.


« Et c’est là, où tu comprendras tout l’importance de Natha. Maudits par Kerhel, les exilés devinrent infertiles et ne pouvaient plus assurer la survie de leur race. Teiweon ordonna a sa fille Natha, de leur offrir une partielle de sa capacité à donner la vie, en paiement de quoi leur âme furent offertes à Teiweon, expliquant la noirceur de leur derme cendré. Se faisant, ils gagnèrent en contrepartie la luminosité du feu d’Uriz au cœur de leurs yeux, expliquant ce rouge vif qui nous caractérise autant. Évidemment, Kerhel n’avait point dit son dernier mot et tenta de nouveau de prendre l’emprise sur les Exilés qui heureusement, se firent couvrir par le givre de Teiweon, raison pour laquelle aujourd’hui, nos cheveux devinrent naturellement immaculés. Guidés par Teiweon, ils prirent finalement maison l’endroit où Uriz déchaina le magma primordial pour créer le monde, l’épicentre du commencement de ce monde qu’ils nommèrent le Puy d’Elda, en l’honneur de la première Elfe qui eut confiance en Teiweon. Là-bas, Uriz donna deux autres enfants à la Reine des Âmes, Isten et Meingal. Tous réunis, ils offrirent ce qu’ils avaient de mieux en eux, ce pourquoi ils avaient vu le jour et enseigna au peuple noir ces nouvelles vertus. Éduqués et motivés par ceux qui les avaient délivrés de l’emprise de Kerhel, le Maître de la Guerre ordonna et prépara la Vengeance. Une Vengeance sacrée qui chercherait à faire payer le prix de la couardise au peuple qui resta fidèle à Kerhel. Enfin, pour y parvenir, Uriz enfanta Natha par trois fois afin de mettre au monde ceux qui complèteraient sa famille : Leetha, Zhak’Bar et les jumelles Kiran. »


« Aujourd’hui, tu peux maintenant comprendre ce pourquoi nous faisons encore et toujours la guerre contre les Elfes. La guerre nourrit Uriz, les âmes perdues satisfassent Teiweon et le jour venu, lorsque la Lune et le Soleil se croiseront de nouveau, les Dieux pourront déchaîner tout leur fiel sur ceux qui nous crachèrent dessus, le jour de l’Exode. »


Velkyn en termina, le regard n’ayant qu’en quelques fois dévié sa trajectoire de sur son amante, celui illuminé d’une foi sans pareille. « Voilà, tu sais tout. » Les mains de la Grande-Prêtresse quittèrent finalement les épaules relaxées de la Sirène, se laissant choir à son tour sur un château de coussin, afin de questionner du regard la marchande. Après tout, c’était un gros morceau à avaler, même si tout semblait s’expliquer.

Ses paupières se soulevaient-elles pour la toute première fois, offrant un prime regard sur l’étendue de ce qui jusqu’alors lui était inconnu ? Velkyn dévora avec appétit toutes les réactions de sa jeune amante qui tétanisée par les révélations qu’elle venait de recevoir, semblait en retour du balancier éprouver un nombre incalculable de questionnements. Les étoiles dans les yeux, curieuse à l’instar d’une gamine qui commençait à comprendre le sens de la vie, elle s’adressa à lui d’un ton aux arômes d’incertitude et de curiosité. « Rien n’est certain, quant au dernier Voile qui couvrit notre monde. Tout ce que nous savons ce sont les faits ; au Royaume des Nains, des volcans ont déchirés les cieux sous d’extraordinaires explosions, en Péninsule des voix d’outre-tombe donnant sur des puits lumineux ont été aperçus aux quatre coins du Royaume, tandis qu’en Anaeh … » Une inspiration profonde venait arroser d’air ses poumons d'une bouffée mélancolique. « Les racines calcinées, des arbres tronçonnés, des macchabés à perte de vue … » Son regard semblait pour le moment perdre le focus, comme s’il défilait devant ses mires une vue de cette page d’anthologie. « Encore aujourd’hui certains nous le reprochent. Nous avons rebroussés chemins, alors que nous avions le dessus. Quelques semaines de marche, voir même une dizaine de journées et nous aurions à jamais écorché le cœur de ces damnés enfants de Kerhel … Non, le Voile s’était levé, ce que firent derechef tous les arbres mourants ou encore en pousses. Tôt, notre campement était encerclé de verdure, d’arbres et de racines bien vivantes, en santé et prospères. Nous avons rebroussés chemin par obligation, la forêt protégeait plus que jamais sa progéniture puisqu’elle-même ne pouvait y parvenir. » Velkyn marqua une seconde pause, passant une main contre son menton d’un air songeur, comme s’il cherchait à faire le legs de son savoir en des termes sagement choisis. « Concrètement, je ne sais ce qu’est advenu du choc Divin entre notre Père et ce simulacre de Dieu Kerhel, mais une chose certaine m’a été confirmée ce jour ; il y a effectivement eut combat. » À ce stade d’explication, il chérissait l’idée de s’appuyer sur des faits concrets, des témoignages qui auraient apperçus les deux Entités croiser le fer, mais faute d’en avoir, il espérait que seule son immuable foi soit suffisante.

Entre-temps, derrière le portail de rideau que séparait l’antichambre du cœur du Temple, les femmes entreprirent de faire s’élever leur voix à l’unisson en des psaumes qui tranquillement mais sûrement, gagnaient en vigueur. Ce qui tantôt paraissait comme de candides chants religieux, cherchaient de plus en plus à atteindre les cieux, si tant qu’on aurait cru qu’elles criaient et hurlaient, sans jamais s’arrêter. En tendant l’oreille, au travers ce qui semblaient avoir muté en chant distordu d’hurlements, s’était faufiler les douloureux criements d’une femme qui se mourrait à mettre au monde son propre sang. À cet appel du devoir, la Grande-Prêtresse couvrait d’un sourire maternel la marchande. Udos orn kyorl weth byr ulnin, Shynrae. Natha sel dalharuk d'Natha ssrig'luin ussta xxizz.

« Nous aussi avons à faire, viens. » Lui indiqua-t-il à peine quelques secondes après le départ précipité de la prêtresse, une main tendue vers Shynrae pour l’inviter à quitter les lieux sacrés. Ainsi le deuxième volet de cette pieuse journée arriva. Ils retournèrent sur leurs pas, puis arrivèrent accompagnés de leur garde restreinte sur le parvis du Temple d’Uriz, là où jadis le Prima avait corrigé de sang-froid une jeune fille un peu trop arrogante. « Avant que tu ne montes, tu dois savoir quelque chose. Les Légions Drow s’accordent pour former leurs soldats pareillement, basés sur un modèle d’excellence et d’obéissance. Ici, seule la force du bras et de la foi mènent le soldat d’Uriz. » De nombreuses marches leur empêchait l’accès au lieu sacré, commençant dès lors leur ascension tout en poursuivant ses avertissements. « Rien n’entrave l’esprit du Guerrier, sa férocité, sa colère ou sa cruauté sont mis de l’avant en accord avec le feu qui les poussent à se battre, le Feu d’Uriz. » Touchant pratiquement les cumulus qui s’assombrissaient, en accord avec l’affaissement des rayons lumineux du soleil, le portail du Temple était enfin accessible. À leur entrée, le hall interminable débouchait sur moult alvéoles et une autre panoplie de couloirs richement décorés. Au fond du baril, complètement au bout du hall d’entrée, régnait maître une statue ouvragée avec minutie, représentant un Drow dont le genou était ployé, tenant en ses pattes une épée bâtarde en offrande. C’est précisément près de l’œuvre d’art que Velkyn stoppa la découverte du sanctuaire, afin que Shynrae puisse jouir de tous les détails de ce pionnier immortalisé en roche. « Il s’agit d’un des deux membres fondateurs de ce Temple. Son nom est Kezal’Kyr Vaen’Thru, qu’on disait direct descendant des fondateurs du Puy d’Elda, faisant également de lui le premier Prima Sanguis à consacrer sa vie à Sol’Dorn. » Même avec les hauts le cœur que lui procurait tout le dégoût qu’il avait envers la porcherie Thaarie, la vision d’un confrère aussi pieu et important lui arracha un sourire rêveur.

Le mariage de ses deux pattes se déroulait à son dos, tandis que son regard analytique observait les mimiques faciales de la Sirène, glissant parfois vers la statue pour l’admirer une énième fois. Ses babines se retroussèrent d’amusement lorsqu’elle le bombarda d’un trio de questions tous aussi pertinentes les unes que les autres. « Le second bâtisseur se nommait Jaeg’Khil Voskat. C’était un homme de peu de mots, qui préférait errer sous le regard d’une chandelle agonisante, à y passer le plus clair de son temps à rêvasser, à écrire, mais aussi à y dessiner. Jamais officiellement, travaillant dans l’anonymat et œuvrant la plupart du temps sans reconnaissance, ce dernier préférant léguer son savoir à d’autres qui sauraient briller à sa place. Le talent de Jaeg’Khil n’avait d’égal que l’étendu de sa foi, gribouillant dans l’unique but de faire rayonner la grandeur des sombres déités. En accord avec le culte de Teiweon, le Haut-Prêtre d’Uriz ordonna à Kezal’Kyr de trouver un architecte aussi brave que talentueux, pour convoyer en sa compagnie et se rendre en Sol’Dorn, pour y ériger les deux plus grandioses demeures jamais construites à l’étranger pour nos parents. D’une manière qui nous est encore inconnue, Kezal’Kyr s’est porté volontaire et compte tenu de tout son bagage d’expérience, je n’ai pas à te dire qu’il fût engagé aussitôt. De fil en aiguille, les choses se concrétisaient et tôt, Kezal’Kyr goûta pour la première fois la reconnaissance des gens. À son inauguration, les gens avaient tant habitude de le côtoyer qu’il reçut pratiquement tout le mérite de sa construction, ce au grand mécontentement de son partenaire. Deux statues furent construites non pas par notre duo de bâtisseurs, mais bien par le peuple qui paya la roche, ainsi que le marbre nécessaire à leur production. D’ailleurs, la statue de Jaeg’Khil dominait le portail d’entrée par son immensité. En Elda, satisfait des résultats, l’ancien Héraut d’Uriz leur offrit l’opportunité de devenir ses yeux en Ithri’Vaan. Seul pépin ; ils devaient trancher qui d’eux deux gagnerait les honneurs. L’un prétendait être le prolongement du bras d’Uriz, tant par sa fougue, sa manière de guerroyer et de gouverner. L’autre, plus posé, avait le soutien du peuple, avait également la foi, mais ne savait se battre. Le conflit ne dura pas bien longtemps, car sans doutances, sans même hésiter le moindre instant, Kezal’Kyr délia un poids des épaules à son concurrent, faisant rouler la toute première tête sur le parvis du Temple. Il ordonna à son … couronnement, si on veut, qu’on détruise sa statue et qu’à jamais on taise son nom. »

Hochant quelques fois de la tête, alors qu’icelle se manœuvrait adéquatement pour faire l’observation des lieux, comme en souvenir de son bâtisseur. « Quant à son sang, il est vrai qu’il n’était pas de souche Prima Sanguis … Et pour te répondre, oui, le regard d’Uriz passe outre le sang. Quiconque aspire à se faire connaître et recevoir le regard approbateur d’icelui, le peut, en y mettant les efforts en suffisance. La méritocratie de notre nation enseigne ces mêmes valeurs. Les Primas Sanguis n’offrent généralement aucun avantage quant à la place qu’un homme ou une femme peut occuper au sein du Puy. Certes, ces familles sont pour la pluparts bien positionnées et baignent dans l’opulence et la richesse, ce qui en quelque sorte peut solidifier le tremplin d’une carrière … Mais quelqu’un ayant vu le jour dans les dédales d’une ruelle pourrait à terme, venir à bout de se faufiler au travers les mailles et ainsi parvenir à ses fins. »  Son regard allait souvent recueillir les avis de sa compagne, comme pour tâter le pouls de cette dernière. Elle en comprenait sûrement les enjeux, mais au fond de ses yeux, il envisageait d’ores et déjà les prochaines questions. « Même si … »  Hésitait-il, les lèvres pincées, comme s’il pensa aux mots à employer. « Même si j’ai toujours crus les Prima Sanguis plus enclin aux bonnes faveurs des Dieux. »  Se contenta-t-il de dire, sans argumenter d’avantage. Sa main se hissa à l’épaule de Shynrae, à laquelle il déroba une caresse près de sa nuque d’un effleurement. Sous-entendait-il que son lignage à elle remontait à plus loin qu’elle le croyait, ou était-ce simplement pour lui signifier qu’il avait tords depuis toujours ?

La pointe d’un sourire naissant s’installait confortablement sur le minois du sombre Drow, offrant à sa protégée un regard complice. La voir exprimer ses interrogations de la sorte, de constater les efforts qu’elle entreprenait pour ne pas l’offusquer, à ne point paraître ignare, à ne pas se faire juger. « Ce qu’on nomme aujourd’hui Prima Sanguis, est le lien le plus étroit qui nous unis avec les Nobles Elfes du Linoin. Il intime le respect simplement par le fait d’exister, d’être encore présent et d’avoir survis au travers les âges. C’est la preuve de l’Exode. Le dernier héritage de ceux qui ont élevés leur nom à la création de ce monde. Ce sang noble est tout ce qui nous reste de cette époque révolue. » Il marqua une pause, son timbre de voix se faisant désormais plus sérieux et transparent quant à l’importance qu’il considérait à ce sujet houleux. « Ce qui n’empêche pas tout de même aux autres Drow de gagner en gallons, de s’élever et de se démarquer, il va s’en dire. »

Elle vint alors à lui poser une question qui le désarma abruptement, lui clouant le bec dare-dare. Pourquoi ô grand pourquoi se comportait-il de la sorte avec elle qui, de sang noble était démunie ? La réponse est pourtant forte simple et faisait preuve d’une évidence hors du commun ! Bien qu’il considérait que ni le temps, ni l’endroit ne se prêtait à de plus amples explications. Il avait en tête l’idée de lui annoncer en moment propice une révélation qui changerait à jamais sa vision du monde et des siens ; Les Deadhels. Sera-t-elle à même d’agir à la hauteur de ce que les siens attendrons d’elle, à prendre sur ses épaules le déversement de moult nouvelles responsabilités ? Non, il devait attendre. Attendre qu’elle murisse suffisamment pour que ses pétales ne fanent sous le poids de la tempête qui l’attend. « Si j’ai bonne mémoire, te faire l’éducation des tiens, de nos croyances, de nos us et coutumes faisait partie de notre commun accord. N’en retiens-tu pas les grandes lignes que nous avions établies, lors de ce souper … ? » Il chercha mot pour qualifier ce souper qui de souvenir, lui avait marqué l’esprit à jamais. Il préféra plutôt taire ses mots. Quant à son excuse, c’était là belle preuve de ses talents médiocre de manipulateur. Piètre menteur, son faciès parlait à sa place. Là où les mots se montraient indifférents envers elle, son visage quant à lui, faisait la démonstration de son affection par le biais de ses yeux anormalement doux. « Khernal peut ne pas t’apprécier, cela le regarde. Mais il ne se montrera jamais en obstacle par rapport à nos ambitions. Autrement … Je le briserai. » Tandis que sa voix calquait le ton de sa protégée, plus durement et franchement. Mais il fallait qu’elle enchaîne sur un thème encore moins joyeux, un sujet qui avait tendance à lui faire perdre tout sourire.

Il inspira profondément en réfléchissant, cherchant les mots adéquats afin d’exprimer les tréfonds de sa psyché. « Je ne sais plus trop comment le considérer, Shynrae. Il fût un temps où je lui aurais tout donné, où je l’aurais suivi jusque dans les pâturages péninsulaires, s’il me l’avait demandé. À l’époque, certains le virent fouler les champs de bataille en compagnie d’un dragon qu’il montait comme on le ferait d’un étalon. Il rasait d’un souffle des lignes ennemies, tandis qu’il en faisait autant sinon plus lorsqu’il nous faisait l’honneur de combattre à nos côtés. Uriz l’a autrefois désigné comme son envoyé, le réceptacle de sa toute divinité, son Avatar. Mettre la main sur son épaule équivalait à plonger les doigts dans un brasero. D’un bras il pouvait soulever une charrette de bœuf. Non, à l’époque, je lui aurais même offert mon soutien, si des gens avaient manifestés leur mécontentement lorsqu’il arracha la vie de notre ancien Roi, Brylyan Naerth. Je lui aurais mis la couronne sur la tête dans le moindre doute … » Il laissa planer un certain silence, laissant sous-entendre que l’histoire se poursuivrait. Entre-temps, il lui demanda la présence de ses doigts puis la guida vers un couloir où ils s’enfoncèrent tous les deux. « Mais maintenant, j’ai peur qu’il se soit éteint. Son esprit est … Il s’est ouvert, devenu calculateur, concilient et … réfléchi. » Cracha-t-il, comme si c’était vraiment des défauts … Ou l’était-ce vraiment ? Après tout, le Haut-Prêtre n’était-il pas en tout point ce que Tebirahc semblait être ? « Il veut gouverner, devenir Roi. Il veut s’asseoir là où il n’a pas su poser son séant la dernière fois qu’il a piéter dans la salle du trône. Pourtant, il ne reste de lui que des cendres et des poussières qui n’attendent plus juste que d’être soufflées et éloignées à jamais. »

Dans les lointaines alvéoles du temple rugissaient et feulaient épées, lances et rapières les unes contre les autres, agrémentant la mélopée des bêtes qui hurlaient à tue-tête leur envie de performer et de se démarquer. Ces tonalités considérées comme bruits indésirables semblaient pourtant rassurer Velkyn et apaiser son esprit. À l’entente de ces cris de ralliements, il constata et profita du vent de fraîcheur qu’emporta avec elle sa dernière recrue, Phar’roos. La pointe d’un sourire naissant s’installait confortablement sur le minois du sombre Drow, offrant à sa protégée un regard devenu complice. « Le feu, le vrai, le voilà. » Ils pénétrèrent dans une salle bruyante à outrance où le portail qu’ils franchisèrent menait vers une estrade circulaire qui donnait vue périphérique sur ce qui semblait être une arène. De plus haut, accompagnés d’une foule incroyable de personnes –autant croyante que non – dévoraient des yeux des rixes aussi sanglantes que violentes. Des initiés allaient gagner le titre de prêtre, ou pousser leur dernier souffle.

Qu’il était doux et plaisant de la voir réagir de la sorte face à si peu de violence. Pouvait-il simplement comprendre l’effet que procurait le visionnement d’une telle rixe ? Le sol tapissé du sang des néophytes, se mêlant même par moments les viscères d’un maladroit qui aurait embrassé goulûment la lame d’un des contrôleurs, pouvait effectivement retourner l’estomac des bizuts en la matière. Un sourire d’une part amusé, et d’une autre empathique, la paluche du sombre elfe se souleva pour se déposer à la nuque de Shynrae, à laquelle il y déroba une attention rassurante, voir même affective. « Le but initial de cette accrochage n’a pas comme but premier de mesurer leur adresse au combat, mais plutôt d’y voir l’étendue de leur volonté à être intronisé au sein du Culte. Pour la majorité, sinon la totalité, le jeu ne peut qu’aller dans un sens ; personne ne peut vaincre un des contrôleurs. Et ceux-ci possèdent un véto sur leur vie, pouvant juger leur performance comme insuffisante, allant même jusqu’à la juger insultante pour notre Créateur. Évidemment, tu te douteras, au Puy, les critères de sélection sont plus … Plus strictes encore, si tu vois ce que je veux dire. Peu sont ceux qui s’essaient et se dressent avant leur deuxième siècle, parfois même leur troisième. » Il marqua une pause, sans toutefois interrompre et se soustraire au petit nid qu’il s’était creusé sous la tignasse de son amante, les doigts traitant son derme avec bienveillance. La journée s’achevait, les sujets traités le satisfaisait et accompagné de sa protégée, il assistait à un spectacle qui faisait par la voie des armes, la démonstration la plus simpliste et sincère de l’étendu de la foi des rejetons d’Uriz, que pouvait-il demander de mieux ? « Toutes les épreuves ne sont pas identiques et il n’existe aucune manière officielle d’être élu prêtre officiel, bien qu’une liste de cérémonies ait déjà été mise au point. Ces combats de gladiateur, si nous pouvons les appeler ainsi, en est une. »

« Quant à moi, si tu veux savoir … Ça ne s’est pas passé tout à fait comme cela.» Sa main tiqua légèrement contre la nuque de la Sirène, comme si un souvenir venait de secouer tout son être. « Une épreuve similaire avait été préparée pour les festivités du Grand-Prêtre, à l’époque. Il y a de ça pratiquement six ans années, le sol du Puy fut recouvert d’une couverture sableuse afin d’y faire se confronter les initiés à de monstrueuses bêtes. Affamées comme jamais, les animaux se ruèrent contre les pauvres jouvenceaux qui devaient non plus lutter pour leur promotion, mais pour leur vie. Plus sauvage encore que ces rixes auxquelles tu assistes ce jourd'hui, seul la vie, ou la mort, n’était envisageable. » Le fil de l’histoire se faisait interrompre par le soulèvement de la foule qui acclamait un nouveau champion, là-bas dans l’arène. « Toute la cohorte fût décimée. Dix initiés âgés entre une centaine d’année et trois cents venaient de pousser leur dernier souffle. » Son regard se retourna vers Shynrae avec des étoiles dans les yeux, comme s’il se souvenait de chaque détails de cette journée mémorable. « Je t’expliquerai un jour ce qui m’y poussa, mais armé d’une masse d’arme et d’un pavois, je décida d’entrer dans l’arène, sous le regard ébahi de la foule qui croyait le spectacle achevé. Je suis entré vêtu d’un masque d’anonymat, et j’en suis ressorti avec la bénédiction du Grand-Prêtre qui vint lui-même me recommander au culte. »

« Alors oui, je me suis levé ainsi, Shynrae. »

Il aurait en effet été étonnant qu’il bâillonne son fourreau et qu’il s’abstienne de quelconque acte de violence, ne serait-ce que l’espace d’une journée. Il retourna vers sa pupille en cherchant son souffle, l’air éprouvé mais le corps ne portant aucune altération, arborant un sourire satisfait. Arrivé à son niveau, sans se soucier de l’état de ses menottes tachetées d’écarlate, les déposa contre les frêles épaules de la Sirène plus tout à fait grisonne, pour entendre sa doléance. Il hocha quelques fois, alors que son pouce se soulevait pour effleurer sa joue, évidemment en y laissant au passage un chaud tracé d’hémoglobine ; « À ta guise, Ussta valsharess. »  Le sport auquel s’était adonné le noirelfe semblait l’avoir adoucit, à un point tel qu’on pourrait pratiquement y lire l’affection qu’il avait pour elle dans le creux des rubis qui lui servaient d’yeux. Il la couva d’un bras au dos, puis emboîtait le pas vers la sortie du sanctuaire.

Il faisait maintenant nuit noire, le soleil s’était retranché pour de bon jusqu’à son prochain assaut, laissant le monopole des cieux à son Némésis la lune. Franchissant le portail du temple, quatre boites d’acier se redressèrent au garde-à-vous, reprenant dare-dare de leur service. « Rompez. Je saurai m’occuper de mon invitée. »  Affirmait-t-il, au même moment que son aile libre se déposait naturellement au sommet de la garde de sa flamberge. La fraîcheur surpris l’entièreté de Sol’Dorn, la prenant d’assaut sauvagement. Quelques habitants sortaient pour couvrir les fleurs qui devaient courageusement dormir à la belle étoile, afin de les préserver du froid. Tandis que d'autres fermaient à double tour leurs fenestrations pour ne pas donner chance à la température. Pour le Puysard qu’était Velkyn, cette température ne le laissait pas indifférent. La chaleur émanant de la fournaise naturelle de l’Elda lui manquait cruellement et son pas légèrement empressé le confirmait. Il se fit étrangement muet durant leur balade nocturne et raccompagna Shynrae jusqu’à son manoir personnel, duquel il l’avait proclamée propriétaire temporaire. « Je compte rester encore quelques jours, peut-être une ennéade. Les prochains jours risquent de ne pas faire preuve d’autant de mouvement, mais seront tous autant éducatif. D’ailleurs, demain, la Grande-Prêtresse voudrait t’avoir à ses côtés le temps d’une cérémonie. »  

Elle devait apprendre et mûrir, afin de pouvoir prendre possession de son plein potentiel.

Si seulement elle savait …