Sujet: Les morsures de l'Histoire. Jeu 5 Jan 2017 - 1:58
1er jour de la 1ère ennéade de Bàrkios Automne de l'an 9 du XIe Cycle
Après avoir longé La Brande et traversé les plaines édelysiennes du Bronent, le seigneur d’Ethin et ses hommes se présentèrent au bac d’Evonan. Leur présence sur la rive gauche du Garnaad fut annoncée par des sons de cor qui vinrent secouer la région encore endormie en ces premières heures matinales de Bàrkios. Ernest, monté et encapuchonné du même manteau noir que ses hommes, put entendre le nouveau capitaine de sa garde clabauder sur les passeurs du bac. La montagne de chair qu’était Elmure de Champant, dont la taille était telle que chaque destrier coincé entre ses gigues était irrémédiablement réduit à l’échelle d’un grotesque et minuscule poney, n’avait pas lésiné sur la sécurité de son suzerain depuis son affectation. Les évènements qui avaient vu l’échouage de la couronne à Ernest ne le permettaient guère et sa venue à Edelys n’était pas sans rappeler que la première tentative d’assassinat à l’encontre de feu Charles d’Ethin se produisit en ces lieux mêmes. Elmure avait donc organisé cette visite avec réticence, discrétion et minutie. Un nombre très limité de notables de la baronnie avaient été tardivement mis au courant de ce déplacement et la présence de gardes en provenance du Rocher avait été subrepticement accrue au cours des jours précédents. L’irritation d’Elmure face à l’enthousiasme tapageur des passeurs d’Evonan mit donc un certain temps à se dissiper. « Au retour, je leur cale leurs bugles entre les naches. » finit-il par marmonner avant d’atteindre l’autre rive.
Le château de Cornels, sis en bordure du Garnaad, contrôlait l’autre quai du bac où son propriétaire, Arapienzzo Carvali, les attendait à cheval et accompagné d’une poignée d’hommes. « Qu’il est bon de pouvoir enfin vous rencontrer, messire. Nous espérions pouvoir faire la route jusqu’à Edelys avec vous, si vous le permettez. » dit-il après avoir exprimé ses condoléances au seigneur d’Ethin. Ernest vit le capitaine de sa garde s’agiter sur son cheval ; de toute évidence, les plans vétilleux d’Elmure étaient encore maltraités, par les intentions de Carvali cette fois. Le peu qu’Ernest savait d’Arapienzzo Carvali piquait sa curiosité. Seigneur scylléen d’Aggia, il fut un proche de l’Ivrey. L’ancien régent du royaume lui avait fait multiples dons de fiefs et le château de Cornels en faisait partie. A la mort de celui-ci, Carvali prêta serment à Arsinoé d’Olysséa. Dans ses correspondances avec Ernest, Charles d’Ethin n’avait pas caché le rapport ambigu qu’il entretenait avec le scyllén. L’ancien seigneur du Rocher avait laissé de nombreuses notes à son sujet. Ernest les avait parcourues avant son départ pour Edelys et avait même trouvé parmi elles une copie, retranscrite de la main de la chanoine Hérrade d’Olyssea, du serment prêté par Carvali à l’ancienne Régente du royaume et à son fils, Bohémond Ier. Si Charles s’était donné la peine de rassembler autant d’information autour de cet homme, la plus grande prudence à son égard incombait maintenant à Ernest.
La situation de Carvali à Edelys, comme celle de bien d’autres nobles de la région d’ailleurs, était pour le moins compliquée. Avec la guerre, l’ancien domaine royale était tombé dans les bras du Langecin. Et l’impénétrable et inconstante position du Duché face au fils de l’ancienne Régente forçait les notables de la région à une danse dont ils ne pouvaient jamais saisir la cadence. Certains d’entre eux avaient plié bagages avant la guerre, croyant voir leurs intérêts à jamais envolés ; d’autres avaient fui lors de l’occupation velterienne, de toute évidence, la Ligue n’aurait su garantir leurs prétentions ; enfin, ceux qui étaient restés jusqu’à voir Edelys être érigée au rang de baronnie par Langehack, ceux-là avaient espoir que leur nouveau suzerain ne les forcerait pas à se mettre en porte-à-faux vis-à-vis du jeune roi. Car, malgré cet imbroglio politique inextricable, une chose était clair aux yeux d’Ernest, de tous les fiefs de Langehack, Edelys était le plus attaché à l’idée d’une allégeance à Bohémond. De nombreux serments à son égard avaient été prêtés et si certains notables d’Edelys faisaient mine de les avoir oubliés, la crainte qui découlait de l’incertitude de leur situation n’était chose dont il saurait faire fi encore longtemps. A travers ses recherches, Ernest s’était rendu compte que son grand-père avait perçu les sentiments refoulés d’une grande partie des édelysiens et qu’il s’en était servi pour bâtir une relation fructueuse entre le Rocher et, sa nouvelle voisine, la baronnie d’Edelys. Pour Carvali et quelques autres propriétaires des environs, l’inquiétude était encore plus grande qu’ils étaient suzerains d’autres terres de la péninsule, des terres dont les relations avec Langehack n’étaient pas toujours bien déterminées et, parfois même, conflictuelles. En tant que seigneur d’Aggia, l’homme avait vu d’un mauvais œil la détérioration des rapports langecins avec le Sud. Vivant dans l’expectative de la saisie de leurs terres édelysiennes en cas de rupture totale des liens du Duché avec leurs fiefs d’origine, ces nobles de la baronnie ne savaient plus du tout sur quel pied danser. Ernest n’avait donc aucun doute quant aux réels espoirs de Carvali cachés derrière cette promenade champêtre jusqu’à la Ferté-Edelys.
Le seigneur d’Ethin accepta la requête du scylléen, au grand dam d’Elmure qui se vit obligé de passer en revue tous les hommes l’accompagnant ainsi que de faire preuve d’une vigilance exaltée tout en restreignant le dispositif de sécurité qu’il avait soigneusement établi pour ce trajet. Le capitaine de la garde aigrement satisfait, ils quittèrent les abords du château de Cornels. Les terres de la baronnie avaient tout d’un paysage pastoral idyllique. Le choix de l’Ivrey d’y établir sa résidence de vacances n’aurait pu être mieux justifié que par ces étendues vertes, ces rivières courant à travers des vallons adoucis et boisés pour finir par plonger dans le Garnaad, ces maisons à fière et riche allure et ces ribambelles d’animaux d’élevage qui circulaient librement entre les bras du fleuve. « Passerez-vous quelques jours parmi nous, messire ? demanda Carvali qui chevauchait au petit trop à la hauteur d’Ernest. - Non, malheureusement, je ne puis rester que pour la journée, répondit-il. Des affaires m’attendent à Missède. Mais je reviendrai rapidement, soyez-en assuré. - Vous serez heureux d’apprendre que la construction de nouveaux chalands, en remplacement de ceux qu’Edelys avait perdus après la chute de Diantra, est presque terminée. Vous remercierez Missède pour son aide généreuse à cet effet. - Content que les affaires reprennent, répondit Ernest qui savait tout des investissements du Comté au sein d’Edelys et des opportunités commerciales provenant de quelques grandes compagnies missèdoises poussées par l’autorité de Théobald à s’implanter dans la région. - Nous avons pour projet de convertir le bac d’Evonan en pont pour faciliter le passage des hommes et des marchandises. Bien sûr, nous voulons le meilleur. Les services de la Guilde des Mages-Maçons d’Ethin sauraient nous l’apporter, qu’en dites-vous ? - Je dépêcherai volontiers un représentant de la Guilde afin qu’il puisse vous conseiller mais les travaux ne sauront commencer sans l’aval du Comte. Visiblement la réponse d’Ernest déplut au scylléen qui resta silencieux pendant un moment avant d’émettre un coup-bas à son interlocuteur. - L’enquête avance ? demanda-t-il sur un ton faussement intéressé. Ernest répondit d’un très léger signe de tête qui aurait pu indiquer l’affirmative autant que la négative. Il ne souhaitait pas s’étendre sur le sujet, surtout pas en compagnie d’un homme qu’il venait de rencontrer. - Votre grand-père nous manque à Edelys, sachez-le messire. Un brave homme, ce Charles. Sa droiture et son pragmatisme cachaient aussi beaucoup de lucidité. Un homme intelligent, votre aïeul. Il comprenait Edelys. Mieux que beaucoup d’édelysiens. C’est certain. Il voyait les blessures de la baronnie et les potentiels de sa convalescence avec une acuité salvatrice qui nous fit grand bien après le départ des troupes velteriennes. Il avait compris que la baronnie ne se construirait pas sans les édelysiens, sans ceux qui aiment assez ces terres pour y être restés, malgré tout. Ernest voyait où Carvali voulait en venir. L’homme, dont le seigneur d’Ethin commençait à entrevoir l’intelligence que son grand-père avait décrite dans ses notes, tentait de s’assurer un avenir à Edelys en honorant la mémoire de Charles. Un fin stratagème qui aurait sans doute eu son petit effet si Ernest avait pris le temps de s’avancer sur le chemin du deuil de son grand-père et de son frère. Mais le tumulte qui suivit leurs morts ne lui en laissa pas l’occasion. Et la tentative du scylléen de jouer avec les sentiments du seigneur du Rocher n’eut pour seul effet que de renforcer la garde de ce dernier. - J’ai beaucoup entendu parler de cette abbaye, dit Ernest en changeant de sujet. Tant pour son exceptionnelle beauté que pour… son histoire. » Le groupe passait non loin de Nostredame-de-la-Bien-Venue. Le célèbre couvent qui avait été construit à l’endroit-même où la Damedieu aurait jadis apparu. Ernest savait aussi que l’abbatiale fut le lieu où Arsinoé d’Olyssea fit prêter serment à de nombreux nobles de la région ; Arapienzzo Carvali inclus. Et il en eut la confirmation indirecte à travers le mutisme prudent du scylléen jusqu’à leur arrivée à la Ferté-Édelys. S’il voulait qu’Ernest suivent les traces de Charles, il fallait qu’il s’attende à ce que le petit-fils soit tout aussi avisé que son grand-père, si ce n’était plus.
Arrivés aux abords d’Edelys, l’échevin de la ville, Hughes Franquet, les attendait. Carvali et ses hommes continuèrent à cheval à travers la ville. « J’espère vous voir aux enchères, messire. » lança le scylléen avant de disparaître. Une des premières mesures du Comte Théobald de la Courcelle après qu’Edelys rejoignit Langehack fut de recenser les terres et habitants de la baronnie. La crise politique qui amena la chute de Diantra avait laissé de nombreuses terres abandonnées, tandis que d’autres verraient leur propriétaire dans une situation délicate face à leur nouveau suzerain langecin. Le Comte avait donc jugé primordiale d’avoir une vision claire de la baronnie et s’il avait justifié cela par des raisons sécuritaires et économiques, il était évident qu’il s’agissait aussi de traquer les possibles réfractaires tout en voyant ce que les anciennes terres royales pouvaient offrir. Les propriétés abandonnées ou libérées devaient être redistribuées de deux manières. La moitié d’entre elles serait vendue aux enchères aux résidents de la baronnie. La dernière vente publique devait d’ailleurs avoir lieu aujourd’hui. L’autre moitié des terres devait être redistribuée par le Comte lui-même. Seul un tiers de ces terres avait été alloué, exclusivement à des nobles missèdois, avant que de la Courcelle ne tombe gravement malade. Depuis, rien n’avait évolué et Ernest avait pu remarquer l’impatience des édelysiens dans les notes de son grand-père. Il ne doutait pas qu’il y serait aussi confronté aujourd’hui.
Le seigneur d’Ethin mit pied à terre. Franquet s’approcha pour le saluer avec un certain enthousiasme mais se heurta à un mur de gardes rapidement formé. Ernest dut une dernière fois mettre les choses au clair avec Elmure afin qu’il allège son zèle sécuritaire. « Ravi de vous rencontrer, Franquet. Cependant, je m’attendais à voir Robert de la Herse. » s’inquiéta Ernest. « Oh, vous n’êtes pas au courant ? Un accident, il y a quelques jours. Son chien l’a attaqué. On a dû l’abattre. Le chien. Il est vieux mais il s’en remettra. Robert, je veux dire. Oui, le chien est mort mais Robert est vieux… et vivant. » L’échevin était aussi conforme à l’image qu’Ernest avait eu de lui en lisant les témoignages de son grand-père. L’homme était petit, frêle et plus jeune qu’il n’y paraissait. Il lui manquait une main. Charles le décrivait comme un homme dynamique, honnête et secoué d’anxiété. « Il m’a demandé de vous accompagner jusqu’à chez lui. De là, nous l’accompagnerons aux enchères. » Ils progressèrent à travers les rues de la ville. De petite taille, Edelys n’en resplendissait pas moins par ses constructions riches et relativement nouvelles. Le castel, qui avait appartenu à la famille olysseane, et où Bohémond Ier lui-même vécut un temps, siégeait sur un promontoire rocheux et ne manqua pas d’attirer l’attention d’Ernest. Sa beauté, ses fortifications et sa localisation rappelaient sous certains angles Balmuir, le château du Rocher. Le seigneur d’Ethin en vint à se demander si ce ne pouvait être qu’une coïncidence ; les deux édifices n’étaient pas si éloignés l’un de l’autre après tout. Il se demanda aussi si son grand-père avait également relevé les similarités dans ses notes ; une chose qu’Ernest ne manquerait pas de vérifier à son retour. De toute évidence, l’argent n’avait pas manqué à Edelys lorsqu’elle faisait office de somptueuse arrière-cour à la capitale du royaume. Mais maintenant que Diantra n’était plus, combien de temps avant que toute cette richesse apparente ne se flétrisse faute de ressources et d’infrastructures propres à la baronnie… En foulant les pavés de la ville, Ernest commençait à comprendre pourquoi la suzeraineté de Langehack n’avait été jusque-là que si peu contestée par les résidents de ces terres. Aujourd’hui, le Duché était un des derniers pouvoirs économiques de la péninsule à pouvoir maintenir une qualité de vie similaire à celle dont jouissait une grande partie des édelysiens avant la chute de Diantra. Seulement, ce n’était pas Langehack mais Missède qui avait pris Edelys à sa charge, et la seigneurie d’Ethin en particulier. Une situation irrégulière à laquelle Ernest comptait bien remédier dans le mois à venir.
Robert de la Herse était propriétaire d’une des plus belles maisons de la ville. Homme respecté et apprécié de la baronnie, il s’était lié d’amitié avec Charles d’Ethin dès la première visite de ce-dernier à Edelys. C’était un homme astucieux et ambitieux, même si son ambition était plutôt rattachée au devenir d’Edelys qu’à lui-même. Charles rappelait avec un engouement à peine caché comment l’homme, à lui seul, avait presque réussi à causer un incident diplomatique entre Langehack et Velteroc lors de la reddition d’Edelys. Sans s’étendre dans les détails déplacés, Charles mentionnait aussi la solitude de l’homme qui avait perdu sa femme dans un accident peu de temps après leur mariage et qui refusa toute sa vie de se trouver une nouvelle épouse. Sa popularité à Edelys était telle qu’il ne pouvait tourner à un coin de rue sans être accosté par des passants, mais derrière les portes de sa magnifique bâtisse, l’homme ne vivait qu’avec quelques valets, son écuyer et son seul véritable compagnon, un vieux chien infesté de puces et très protecteur de son maître. Si l’échevin disait vrai, l’animal était maintenant mort et la vie privée de Robert de la Herse s’en trouverait d’autant plus vide. Ernest ne connaissait pas le vieil homme mais son histoire lui faisait déjà de la peine.
Ce sentiment fut largement renforcé lorsque le seigneur d’Ethin vit de la Herse en chair et en os ; ce qu’il restait des deux, tout du moins. Assis sur un banc, dans la cour intérieure de sa propriété, le vieil homme avait l’air d’attendre la mort. Les cicatrices de l’attaque, son âge déjà avancé et l’accablement profond dont il était frappé depuis la mort de son chien ; tout cela avait contribué à la décision d’Ernest de renvoyer sa garde à l’extérieur de la bâtisse. Accompagné de Franquet, il s’avança doucement vers de la Herse. Il ne savait pourquoi on se déplaçait en silence autour de ceux que Tyra guettait ; comme si le moindre bruit appellerait la mort et la fin de leur vie. L’écuyer du maitre des lieux approcha finalement et se pencha à son oreille. Aussitôt, le vieil homme releva la tête et étira tant bien que mal un large sourire sur la partie gauche de son visage, celle que le chien n’avait pas broyée, visiblement. « Ernest d’Ethin, quelle joie de vous voir… votre grand-père… oh, je… je suis tellement désolé… Charles… je.. dit-t-il, pantelant. - C’est un honneur de faire votre rencontre, messire de la Herse, dit Ernest en venant s’asseoir sur le banc afin d’interrompre le vieil homme dans ses efforts cacochymes de se mettre debout. - Je… Je sais que c’est un sujet… délicat qui vous astreint au silence. Mais… je prie Néera pour que justice soit faite… Charles… Je n’ai jamais eu aussi… honte que le jour où… j’ai appris qu’on avait tenté de l’assassiner…ici, à Edelys ! Une tentative avortée… mais quand même… Et… Et votre frère… quel malheur… Au fur et à mesure qu’il parlait, son souffle devenait de plus en plus court et sa voix baissait d’intensité au point de devenir presque inaudible. - La perte de votre chien m'envoie désolé, enchaina Ernest. - Oh, oui… Malvaire… un bon chien… Il a mal vieilli, voilà tout… Toujours été… un très bon gardien… possessif… oui, toujours… et puis, l’âge… il a perdu la tête… la vue aussi… l’autre jour, il a cru… que j’étais un intrus… il ne m’a pas reconnu, c’est tout… et puis, ils l’ont abattu… pauvre Malvaire. - Malvaire a été drogué ! s’exclama tout à coup l’écuyer. Il n’aurait jamais fait de mal à messire de la Herse. Ernest et Franquet échangèrent des regards incrédules. - Sottises ! éructa de la Herse avant d’être pris d’une quinte de toux. - Jeune homme. Ce sont des propos lourds de sens que vous avez là. Des accusions qu’en tant qu’échevin de la ville je ne peux prendre à la légère, dit Franquet, suant de tout son front. Pouvez-vous nous en dire plus ? Avez-vous des preuves ? Des preuves de ce que vous avancez ? L’écuyer blêmissait à vue d’œil et ses lèvres étaient sujets à des tremblements inconstants. - Messire de la Herse, demanda finalement Ernest sur un ton sérieux aux accents autoritaires. Avez-vous la moindre raison de croire que votre chien a été drogué dans le but d’attenter sur votre personne ? - Les… Les chiens vieillissent… et… - Messire de la Herse, coupa Ernest. Le vieil homme s’embarrassa de silence et ce fut l’écuyer qui prit une nouvelle fois la parole. Cette fois, la colère qui sommeillait en lui semblait orchestrer les mots qui sortaient de sa bouche. - Les guérisseurs ont dit que Malvaire a transmis une maladie à messire de la Herse en le mordant. Une maladie incurable. Mais Malvaire, il n’était pas malade. Puceux, c’est certain. Vieux et moche, oui. Territorial, je veux bien. Mais malade, non. Et puis deux jours avant l’attaque, il a mordu les deux gigots qui servent de jambes à la fermière du Bajoue et ils ne lui ont pas trouvé de maladie incurable à elle. Elle n’est pas morte, je l’ai vue se faire culbuter par le maraicher de Montsoul derrière sa grange pas plus tard qu’hier. Elle avait l’air d’avoir bien cicatrisé. Pas comme messire de la Herse. Vous devriez voir les plaies sous les bandages de son bras gauche. Ça grouille de vers, on doit les changer toutes les deux heures. Ernest resta bouche bée face aux dires du jeune homme. Franquet avait même abandonné l’idée d’essayer d’éponger son front et seuls ses épais sourcils empêchaient maintenant des rivières de sueurs de se déverser dans les creux profonds de son visage qui servaient d’habitacles à ses yeux. Robert de la Herse, quant à lui, s’était recroquevillé sur lui-même comme s’il cherchait à se retirer du monde. Ernest se leva finalement et prit l’échevin à part. - Si le gamin dit vrai, nous avons un sérieux problème sur les bras, commença-t-il en sentant monter en lui un emportement presque irrépressible. Nous savons tous deux le rôle qu’a joué et joue encore Robert de la Herse au sein de la baronnie. Il incarne les racines d’Edelys. Il représente ceux qui se sont installés sur ces terres des générations avant même que l’Ivrey ne vienne sur le caillou d’à côté y conchier son putain de fortin de plaisance. Nous savons aussi que la baronnie est divisée de manière latente entre ceux qui ont enterré leurs ancêtres sur ces terres depuis que la Damedieu a eu la bonne idée de venir giguer dans la région et ceux qui viennent y chier depuis moins d’une décennie, attirés par l’odeur d’une merde plus grosse que la leur. C’est de la Herse qui fut le premier à accepter l’aide de mon grand-père parce que personne n’aurait osé le faire si lui ne l’avait pas fait d’abord. Mais maintenant que tout le monde entre les deux rives du Garnaad commence à se sortir les doigts du cul et que du côté de Langehack ils en sont à essayer de se faire passer le coude entre les miches, faudrait pas s’étonner si nos mouches à merde cherchent à protéger leur bouse. L’échevin s’était raidi tout au long du discours licencieux que le seigneur d’Ethin avait débité sans interruption. L’homme ne suait plus mais son teint avait viré à un rouge qui signalait sans doute qu’il était aux bords de la surchauffe. On n’avait sans doute pas l’habitude de lui résumer la situation de son pays natal en ces termes, pensa Ernest. - Mes excuses, Franquet, reprit-il, les histoires de complot et d’assassinat me font cet effet depuis… - Vous pensez que ceux qui ont tué votre grand-père et votre frère ont drogué Malvaire, le chien de messire de la Herse ? - Hein ? Non, non, non. Impossible, répondit Ernest avant d’être pris d’un doute. Non... non, non. C’est... absurde. Les motivations ne coïncident pas et puis… - Charles avait aussi essuyé une tentative d’assassinat à Edelys… ajouta le magistrat sans terminer sa phrase. - Oui, mais… fit le seigneur d’Ethin dont la confusion s’épaississait à chaque seconde. Il sentait des sueurs froides couler le long de son échine alors qu’il était sujet à cette sensation terrifiante qu’un homme éprouve lorsqu’il croit avoir maitrisé un problème épineux et qu’une épine qu’il n’avait pas envisagé s’hérisse tout à coup dans son dos. Seul le sang froid de son expérience de gouverneur militaire d’Isgaard lui permit de remonter du puit sans fond que creusaient les intrigues dans lesquelles sa famille avait été jetée. - Franquet, qu’allez-vous faire ? - Je vous demande pardon, Messire ? - Vous êtes l'échevin d’Edelys. Vous avez toutes ces informations à votre disposition. Que faites-vous ? L’anxiété prenait le dessus de l’interlocuteur d’Ernest. Il n’avait de toute évidence jamais eu à s’occuper d’une affaire de la sorte. Son regard semblait sonder le seigneur d’Ethin en quête de réponses. - Je ne peux pas m’impliquer officiellement dans cette affaire, vous comprenez pourquoi, Franquet ? demanda Ernest. L’échevin eut un moment d’hésitation avant d’hocher de la tête. - Les guérisseurs. Ceux qui se sont occupés de lui, dit le seigneur d’Ethin en regardant de la Herse toujours recroquevillé sur son banc. Commencez par eux. D’où viennent-ils ? Qui les a mandatés ? Etc. Soyez discret et tenez-moi au courant. Envoyez-moi vos lettres au Rocher. Envoyez-les à la tombée de la nuit. Elles prendront plus de temps à arriver mais elles auront moins de chance d’être interceptées. Et trouvez le cadavre du chien. Il serait utile de vérifier ce qu’il a dans le gosier celui-là. - Et vous, messire, qu’allez-vous faire ? - Je m’en vais aux enchères. Seul. De la Herse n’est pas en état de sortir d’ici. - JE VIENS… AVEC VOUS ! s’exclama le vieil homme en se redressant dans un effort considérable. Ernest avait fait l’erreur de penser qu’en plus de toutes ses tares le vieil homme était devenu sourd. J’ai assisté… à toutes les enchères… toutes !... depuis le début… c’est la dernière… j’y serai ! - Très bien, répondit Ernest. ELMURE ! Le capitaine de la garde et ses hommes déboulèrent en trombes dans la cour à l’appel de leur suzerain. Elmure, je veux que la moitié de vos hommes restent ici et ne lâchent pas d’un œil l’écuyer de messire de la Herse. Qu’ils préservent sa vie comme ils préservent la mienne, et ce jusqu’à ce que je revienne des enchères. Ne laissez personne entrer ou sortir de cette propriété. L’autre moitié de vos hommes et vous-même accompagnerez l’échevin Hugues Franquet dans ses déplacements jusqu’à ce que nous quittions Edelys, ce soir. Suivez-le sans en avoir l’air. Protection rapprochée, de loin. La garnison missèdoise prendra la relève par la suite. Avertissez d’ailleurs immédiatement le lieutenant de nos troupes que je souhaiterai le voir aux enchères. Qu’il soit discret. Quant à moi, j’en prends la direction maintenant en compagnie de messire de la Herse. » Tout le monde s’était mis en branle sauf Elmure, bien sûr, qui refusa de laisser partir son seigneur sans protection. Ernest dut se résoudre à le laisser l’accompagner aux enchères ; ce qui, au final, n’était pas une mauvaise chose car les pas de Robert de la Herse manquaient tellement d’aplomb qu’il fallait bien être deux pour l’empêcher de pencher d’un côté comme de l’autre. Elmure fit signe à son souverain qu’il pouvait porter le vieil homme dans ses bras si cela leur permettait d’arriver plus vite aux enchères mais Ernest refusa ; Robert de la Herse n’avait rien d’un sac à patate.
La vente aux enchères des terres abandonnées de la baronnie avait lieu en périphérie de la ville dans un pré gentiment aménagé pour l’occasion. L’événement avait des allures de fêtes de campagne et était visiblement l’occasion pour beaucoup de rencontrer du monde. Ernest ne s’attendait pas à autant de participants. Elmure non plus et il avait tout autant de mal à cacher sa colère face à cet imprévu pour le moins aventureux, qu’à retirer sa main du pommeau de son épée chaque fois que son suzerain le prenait à l’y laisser. Arriver en ces lieux aux bras de Robert de la Herse n’aidait pas à passer inaperçu et, bientôt, la nouvelle que le seigneur d’Ethin était présent se répandit comme du chiendent dans le pré. Un intendant de Missède qui supervisait la vente approcha rapidement. Il avait l’air alarmé. « Messire, je ne peux qu’être surpris de votre noble présence en ces lieux. - Une surprise agréable, j’espère ? Le trait d’humour d’Ernest qui n’avait pour but que de corriger l’embarras de la situation sembla mettre le missèdois encore plus mal à l’aise et força le seigneur d’Ethin à mettre les choses à plat. Je n’ai aucune intention de prendre part aux évènements. Je ne suis là qu’en qualité de compagnon de messire de la Herse. L’intendant, toujours légèrement engoncé dans cette rupture de protocole, se retira un peu plus satisfait. Ernest et Robert allèrent s’asseoir sur un banc, dans un coin, au premier rang. Elmure se tint non loin, de toute sa carrure colossale, balayant du regard l’étendue du pré tel un oiseau de proie imperturbable. - Vous pensez… articula difficilement Robert en se penchant vers Ernest. Vous pensez… sérieusement… qu’ils vous laisseront vous… vous abstenir de prendre la parole ? - Vous croyez qu’ils me la donneront ? - Donner ? demanda le vieil homme avec un rire qui suffoqua bien vite en une toux sifflante. Mon bon Ernest… Cette parole… Certains, ici, vous l’extirperont. » Il était bientôt midi et la vente allait commencer. Le pré dégorgeait de monde discutant, buvant et savourant les mets qui avaient été préparés pour l’occasion. Ernest avait demandé à Elmure d’aller chercher de quoi se sustenter : une sélection variée de produits de la région. Rien ne lui fit moins plaisir que de servir de valet pour l’occasion ; et il le manifesta en manquant délibérément de délicatesse alors qu’il fendait la foule jusqu’aux tables où était offerte la nourriture. De son côté, Ernest entreprit de raconter à de la Herse sa rencontre matutinale avec Arapienzzo Carvali. « Anxieux ? Évidemment… répondit le vieil homme. Carvali s’attend… comme beaucoup d’autres ici… il s’attend à ce que… à ce que ses terres lui soient confisquées. » Elmure revint avec un large plateau sur lequel ne se trouvait rien d’autre qu’un poulet rôti dans son entièreté et que visiblement personne n’avait encore touché. Ernest suspectait son homme d’avoir perdu patience dans la foule et d’avoir fauché le plateau des bras d’un valet tout juste arrivé dans le pré. Le capitaine reprit sa position de sentinelle et Ernest se retrouva avec le plateau sur les genoux tandis que Robert, tout en picorant le blanc du poulet de ses doigts frêles, lui donnait plus de détails sur Carvali. Le scylléen ne voyait jamais d’un bon œil la venue de Charles à Edelys mais il était toujours le premier à venir à sa rencontre ; la position du château de Cornels rendait impossible à Charles d’éviter le hâbleur suderon. Les seules fois où il n’eut pas à faire à lui furent quand Robert de la Herse venaient au bac d‘Evonan pour l’accueillir. « Carvali est un… un petit seigneur, Ernest. Mais… son influence… s’étend bien au-delà… de ses propriétés terriennes. Il fait… il fait partie… de ceux qui seront toujours fidèles… à l’Ivrey. Leur emprise sur… Edelys… s’accroit chaque jour. Et Missède… » Missède ? De la Herse fut interrompu par le début de la vente aux enchères signalé pour un son de cloche. Qu’est-ce que Carvali pouvait avoir avec Missède, se demanda Ernest. Le comité des enchères, sous la supervision de l’intendant, s’installa sur l’estrade face à l’assemblée. Le missèdois fit alors un court discours soulignant le succès de toutes les sessions précédentes jusqu’à celle-ci, la dernière, qu’il espérait aussi fructueuse que les autres. Ernest savait que l’argent issu de la redistribution des terres édelysiennes finissait dans les caisses ducales et il avait bien l’intention de l’en faire ressortir lors de son prochain voyage à Langehack.
Chaque propriété était minutieusement décrite par le comité ; le nombre exact d’arbres matures qu'elle incluait, l’inclinaison et l’orientation des collines, ainsi que leur rondeur, et jusqu’au droit d’alluvion des terres bordant le Garnaad. Elles étaient toutes clairement indiquées sur des cartes que les intéressés pouvaient venir consulter auprès de l’estrade. Ernest, malgré un certain ennui qui pointait en lui et d’autres préoccupations qui accablaient son esprit, devait bien avouer que ces ventes étaient parfaitement organisées. Robert de la Herse, lui, continuait de grappiller du poulet tout en écoutant attentivement le déroulement de la redistribution. Le vieil homme acquiesçait d’un signe de tête lorsque certaines transactions étaient conclues, comme s’il avait anticipé leur tournure. Certaines terres suscitaient naturellement plus d’intérêts que d’autres ; celles qui se trouvaient à l’ouest, en particulier, et qui s’étendaient pratiquement jusqu’aux portes de Diantra atteignaient des prix très élevés. Ernest y vit un signe avant-coureur que la capitale déchue n’avait peut-être pas dit son dernier mot.
Un homme posa sa main sur l’épaule du seigneur d’Ethin, le faisant sursauter. « Roland ! s’exclama Ernest presque trop fort. Qu’est-ce que tu fais là ? - Je suis en charge de la garnison missèdoise à Edelys, répondit l’homme à la moustache et au franc sourire. Ernest et Roland de Valmu s’étaient connus à Missède lors de leur formation au sein des Vertueux. Issu d’une petite famille seigneuriale d’Ybaen, Roland avait tout du preux chevalier et ses exploits à la joute étaient connus par-delà les frontières du Comté. Ernest, lui et Alden furent très proches à l’époque où ils étaient tous les trois en poste à Missède. Lorsqu’Ernest fut nommé gouverneur militaire d’Isgaard, il avait maintes fois insisté auprès du Comte pour que Roland soit muté dans le delta mais Théobald avait refusé, lui faisant discrètement comprendre qu’il subissait des pressions des de Valmu qui ne souhaitaient pas voir leur fils embarquer pour l’enclave missèdoise. Roland vit Ernest et Alden partir pour Isgaard et ne sut jamais ce qui avait fait obstacle à son affectation. - Qu’il est bon de voir un visage familier. Depuis combien de temps es-tu en poste ici ? - Depuis peu. J’ai été envoyé ici à la suite de la mort de ton grand-père. Je suis désolé, Ernest. Tout ce qui est arrivé, c’est… Roland laissa sa phrase en suspend et les deux hommes se regardèrent. Pour la première fois depuis les assassinats de Charles et d’Hector, Ernest sentit poindre en lui une vague d’affliction. Peu nombreux étaient ceux auprès desquels Ernest baisserait sa garde ; malgré les années qui s’étaient écoulées sans qu’ils ne puissent se voir, Roland avait conservé toute son importance aux yeux d’Ernest. - Tu voulais me voir ? demanda le lieutenant, venant en aide à son interlocuteur passablement chamboulé. - Oui, mais pas ici, répondit Ernest. Peux-tu me retrouver devant la maison de Robert de la Herse ? J’y serai dès que les enchères se terminent. » Roland acquiesça et s’en alla. Un certain soulagement gagna Ernest à l’idée que son ami de longue date était en poste à Edelys. Cela rendrait peut-être les choses plus faciles. A moins que cela ne soit une nouvelle complication ; une autre difficulté qui amenait Ernest à s’investir personnellement dans des affaires qu’il cherchait à éviter.
La vente aux enchères allait bon train lorsqu’Ernest reporta son attention sur les transactions. Jetant un coup d’œil derrière lui, le seigneur d’Ethin s’aperçu que le nombre de personnes présentes avait encore augmenté. Il fut notamment surpris de voir arriver des groupes d’hommes et de femmes qui, par leurs accoutrements en tout cas, n’avaient pas l’air d’avoir les moyens d’acquérir un quelconque lopin de terre dans la région. Son regard se heurta finalement à un autre qui le fixait avec une intensité dérangeante ; Carvali était assis quelques rangs derrière Ernest et le charme suderon qu’il avait exhibé dans la matinée s’était maintenant envolé. Son visage affichait une expression froide de défi. Perplexe, Ernest se retourna vers l’estrade et les ventes continuèrent avec des propriétés situées en bordure d’Esteria ; celles qui se tenaient proche de Missède atteignirent les plus hauts prix de toute la vente tandis que du côté de l’Adour, les choses avancèrent plus timidement. Bientôt, la dernière transaction eut lieu et l’intendant de Missède remonta sur l’estrade. L’homme affichait un sourire qu’il avait du mal à faire tenir sur son visage. Ses mains tremblaient derrière son dos. Il prit finalement la parole : « Mes chers amis, voilà donc la dernière session de ventes aux enchères qui se termine. Nul doute que notre bien-aimé Comte, Néera le préserve, sera très satisfait de savoir qu’elles se sont déroulées tel qu’il l’entendait lorsqu’il les annonça ici-même, il n’y a pas si longtemps. J’ai été ravi d’avoir eu l’occasion de faire votre reconnaissance au cours de ces ventes et je m’en retourne à présent à Missède où vos titres de propriété seront entérinés et archivés. Je laisserai le mot de la fin à sa seigneurie Ernest d’Ethin, seigneur du Rocher, gouverneur militaire d’Isgaard, Vertueux de Missède et membre du conseil comtal. » Il avait osé.
Tandis que l’intendant quittait l’estrade comme un pet dans une culotte de soie, Ernest eut un coup d’œil reflexe vers Elmure. Le colosse avait rarement eu l’air aussi furieux. Ses yeux dardaient l’assemblée à la recherche du moindre individu suspect qui pourrait saisir l’occasion pour attenter à la vie de son suzerain. Puis, Ernest se tourna vers Robert de la Herse alors que des applaudissements l’invitaient à rejoindre l’estrade. Le vieil homme eut un sourire compatissant. Il l’avait prévenu. L’intendant n’avait aucune intention d’inviter Ernest à prendre la parole avant la vente ; on lui avait évidemment forcé la main. Quelqu’un voulait qu’il se tienne sur cette estrade. Impossible de faire marche arrière face à tant de monde. Ernest se leva et se dirigea vers le podium avant de se rendre compte qu’il tenait toujours dans ses mains le plateau et la carcasse de poulet. Elmure, juste derrière lui, l’en débarrassa en envoyant voler le tout à l’orée du pré. Une fois sur l’estrade, Ernest se rendit compte de la masse réelle de gens rassemblés dans le pré. Les applaudissements s’estompèrent et ce fut au jeune seigneur de parler : « Mon grand-père avait développé un attachement particulier envers Edelys. Un lien qui dépassait celui de son seul devoir et de la charge qui lui incombait. Il avait un rapport de l’ordre de l’affectif avec cette baronnie et ses habitants qu’il jugeait dignes de forger leur propre destin au sein de notre grand Duché. Je partage cette vision et je m’engage, ici, devant vous, à la faire perdurer. Ce fut un véritable privilège d’être parmi vous aujourd’hui et de voir Edelys fermer les plaies que les récents évènements lui ont causées. Ernest, jugeant qu’il avait assez baratiné, salua l’assemblée de la main et s’apprêta à descendre de l’estrade. - Messire d’Ethin ! retentit une voix à travers les applaudissements. Le silence revint et Ernest chercha du regard l’individu qui l’interpelait. - Messire d’Ethin, reprit Arapienzzo Carvali en se levant après avoir gagné l’attention de la foule. Edelys peut-elle véritablement panser ses plaies alors que près de la moitié des terres vacantes de notre baronnie sont toujours entre les mains du Comte de Missède dans l’attente d’être allouées ? - Notre bien-aimé Comte est malade et son état ne lui permet pas de prendre ces décisions pour le moment, répondit Ernest avec sérénité. - Le Conseil exceptionnel du Comté… commença Carvali avant d’être interrompu par Ernest. - Le Conseil ne statue au nom du Comte de Missède que sur les affaires du Comté qui ne peuvent attendre. - Edelys peut attendre, messire ? Insinuez-vous que notre baronnie n’est pas une priorité pour Missède ? Le ton du scylléen devenait caustique et semblait résonner auprès de nombre d’individus présents. Des exclamations émanaient de la foule ici et là sans jamais qu’Ernest puisse distinguer le visage de celui ou celle qui les criait. Le petit jeu de Carvali prenait de l’ampleur. - Le Conseil ne peut trancher sur les affaires d’Edelys car la baronnie tombe sous l'autorité du Duché. Notre Comte n’agissait qu’au nom de Langehack et son incapacité renvoie donc tout pouvoir décisionnel à la Duchesse. En théorie du moins, pensa Ernest. - J’entends bien ce que vous dites, messire. Mais dans ce cas, permettez-moi de vous demander simplement ce que vous faites ici et quelles obscures motivations amenèrent Charles d’Ethin à s’immiscer dans nos affaires. Vous nous faites miroiter une indépendance longue à venir en nous vendant une poignée de terres qui nous appartenaient déjà… Un raclement de gorge tonitruant l’interrompit. Il provenait de Robert de la Herse qui s’était hissé sur l’estrade sans qu’Ernest ne s’en aperçoive. Une salve d’applaudissements accueillit le vieil homme. Le visage de Carvali s’assombrit aussitôt. - Messire Carvali… j’ai bien peur que… votre présence dans la baronnie… bien que… tout à fait satisfaisante… soit encore trop… adolescente… pour que vous puissiez… faire valoir vos droits de… parler en notre nom à tous. À Scylla, peut-être… La pique était acérée et suffit à mettre en déroute le seigneur d’Aggia qui quitta les lieux immédiatement. Ernest voyait bien que de la Herse était à bout de force mais le vieil homme semblait avoir encore quelque chose à dire. Jamais de ma vie… jamais… n’ai-je cherché à imposer… quoi que ce soit… aux édelysiens. Notre histoire si… particulière nous a toujours… toujours permis de nous occuper… de nos propres affaires entre nous. Difficile donc… pour nous… de subir autant… d’ingérence en ces moments… de crise. Mais, mes amis … je vous assure… qu’il en va… de notre survie... de changer nos façons de faire. Si un homme de mon âge peut… le comprendre, vous le pourrez aussi. La remarque fit rire l’assemblée. Mon cœur se serre… chaque fois que je pense à… Charles d’Ethin. Son investissement… sans relâche… pour le bien de notre… de notre baronnie est incontestable, tout comme le sera… croyez-moi... celui de son petit-fils. » Son discours terminé, Robert de la Herse agrippa les bras d’Ernest et d’Elmure, et tous les trois rentrèrent à la maison du vieil homme.
Roland et quelques-uns de ses hommes les y attendaient. L’écuyer de Robert et une partie de la garde personnelle du seigneur d’Ethin se trouvaient toujours dans la cour intérieure. On y fit asseoir Robert de la Herse avant de renvoyer les gardes. Ernest se tourna vers Roland et lui raconta tout ce qu’il avait découvert au cours de la journée. Le lieutenant de la garnison, stupéfait par les dires du seigneur du Rocher, l’amena à l’écart où personne d’autre ne pourrait les entendre. « Penses-tu vraiment que cette histoire est liée à la mort de Charles et d’Hector ? demanda-t-il. - Non… Enfin, je ne sais pas… Peut-être, s’emmêla Ernest. Roland, je sais qui a commandité leurs assassinats. C'était la première fois qu'Ernest faisait cette confession à quelqu'un. Ses propres sœurs et sa grand-mère n'en savaient toujours rien. - Comment ? Tout le monde raconte que l’enquête n’aboutit à rien. La rumeur veut que de Laval a dépensé des mille et des cents pour enterrer les preuves. - Des rumeurs… Mais tu as raison, l’enquête ne mène à rien. - D’où tiens-tu ton information, alors ? - Alden. Les yeux de Roland s’agrandirent. - Not…notre Alden ? Ton Alden ? Alden de Béjarry sait qui sont les assassins ? - Oui, son frère, Antoine, dans une lettre, a fait l’erreur de trop de jactances. - Je ne comprends pas, Ernest. - La famille de Béjarry, vassale du Rocher, est à l'origine du complot. - C’est… Mais... commença Roland, atterré. Mais pourquoi ? - Je pensais d’abord que la succession du Comté était au centre de toute cette affaire. Les de Béjarry voulant forcer Charles à la guerre avec Beaurivages en tuant Hector. Et voyant qu'il n'allait pas s'y résoudre, il tuèrent mon grand-père à son tour. Le peu de preuves à notre disposition et la disparition douteuse de Clarence de Beaurivages avaient pour but de souligner les divisions entre les deux lignées rivales. Avec l’incapacité de Théobald, le Comté plongerait dans une guerre civile dont il ne se relèverait pas de sitôt. Mais maintenant… maintenant je crois que toute cette histoire est bien plus complexe qu’elle n’y paraît déjà. - Ernest, j’ai été témoin de quelque chose d’étrange lorsque je suis arrivé à Edelys le lendemain de la mort de Charles. Malheureusement, ce n’est que maintenant que je commence à y voir plus clair. Childéric de Béjarry était en visite à Edelys deux jours seulement après l’assassinat. Sur le moment, il me parut inconvenant qu’un vassal du Rocher ne soit pas auprès des siens en temps de deuil mais j’ai pensé qu’il s’occupait peut-être des affaires urgentes que Charles avait en cours dans la baronnie. - Tu confirmes quelques-uns de mes soupçons, Roland. - Mais alors Edelys serait derrière tout ça ? - Non, Edelys n’est qu’un écran de fumée. Difficile de savoir qui se cache derrière. Ce qui est certain c’est que Missède n’est pas leur cible principale. C’est tout le Duché qu’ils cherchent à atteindre et déstabiliser. - A quelle fin ? - Qui en péninsule n’aurait pas envie de talocher Langehack ? Je dois bien avouer que même moi, ça me démange, ironisa Ernest. Les deux hommes échangèrent des sourires entendus. - Néanmoins, il y a quelque chose que je ne comprends pas, Ernest. Si tu as le témoignage d’Alden et la lettre de son frère comme preuves de la responsabilité des de Béjarry. Pourquoi ne pas les avoir fait arrêter ? - Je ne peux utiliser Alden dans cette affaire. Il perdra son nom et bien plus s’il témoigne contre sa propre famille. - Ernest, c’est de ta famille et de la paix du Comté dont il s’agit ici… - Alden restera en dehors de tout cela, répondit Ernest, catégorique. - Est-ce pour cela que tu vas le nommer Gouverneur d’Isgaard, Ernest ? Car c’est bien ce que tu projettes de faire, me tromperai-je ? La tradition veut que le Gouverneur reste neutre et ne puisse prendre part à aucune affaire interne du Comté. Tu vas écarter Alden de toute cette histoire en lui faisant prendre les commandes du delta, c’est ça ? Ernest ne répondit rien pendant un moment. Roland était un homme brillant. - Je trouverai un moyen de mettre en cause les de Béjarry, sans Alden, et avant la deuxième ennéade de Bàrkios. - Avant la deuxième ennéade de Bàrkios ? - Le conseil vassalique d’Ethin a décrété que les armées du Rocher marcheront sur Beaurivages si l’enquête ne parvient pas à innocenter Arnaut de Laval avant cette date. - Ernest ! Une guerre est inscrite au calendrier dans moins de vingt jours et tu hésites à utiliser le témoignage d’Alden ? Mon ami, les éthiniens sont reconnus pour avoir fourni, de tout temps, des hommes dont l'aptitude au commandement et l'esprit stratégique étaient remarquables mais dans ces circonstances tu prends des risques inconsidérés. C'est de la folie ! Je.. Je ne sais pas ce qui me retient d’écrire à Missède sur le champ. - Notre amitié, peut-être. Et si elle n’est plus compétente en la matière, alors notre serment de Vertueux devra faire l’affaire. L’échevin, Hughes Franquet, fit irruption dans la cour intérieure. - Mon seigneur, dit-il en s’adressant à Ernest. Les guérisseurs qui ont examiné messire de la Herse il y a quelques jours ont été vus hier prenant la route vers le sud. Le chien a disparu. Son cadavre a été déterré. »
Ernest avait la singulière impression qu’à mesure que les choses s’éclaircissaient, elles se compliquaient davantage. Il savait qu'il lui fallait agir mais il n’était pas certain du front sur lequel il devait se positionner en priorité. Sa conversation avec Roland l’avait laissé dans une effervescence qu’il peinait à masquer. « Messire de la Herse, je souhaiterais que vous rentriez avec moi au Rocher où vous pourrez bénéficier des meilleurs guérisseurs de Missède et de toute la sécurité de Balmuir jusqu’à votre rétablissement. - Non, répondit le vieil homme. Si je dois... bientôt... rencontrer Tyra, ce sera... chez moi... et nulle part ailleurs. Discuter avec un homme qui sent la mort venir était inutile. - Très bien, répondit Ernest en s’accroupissant devant le maitre des lieux. Mais promettez-moi d’accepter que mes propres guérisseurs vous examinent ; je les ferai venir ici dès demain. Promettez-moi aussi d’accepter toute la sécurité que Missède mettra dès aujourd'hui à votre disposition. Nous avons besoin de vous, Robert. Edelys, Missède, moi-même et tous ceux qui voient en vous ce que la baronnie a de mieux à offrir. Le vieil homme acquiesça d’un léger mouvement de tête et Ernest se releva pour faire quelque pas vers l’échevin. Continuez votre enquête Franquet, mais soyez prudent. Si vous devez choisir entre prendre un risque et faire preuve de discrétion, la deuxième option sera toujours la meilleure. Je suppose que vous connaissez déjà Roland de Valmu, lieutenant de la garnison missèdoise. Il est au courant de la situation et nul doute qu’il vous sera d’un grand soutien. Passez par lui si vous souhaitez me contacter, lui et personne d’autre. Ernest se tourna finalement vers Roland et l’étreignit à la manière des Vertueux. Protège de la Herse. Je trouverai une solution, murmura-t-il avant de s’éloigner, espérant que ses choix ne lui avait pas coûté son amitié.
Dehors, Elmure et sa garde personnelle l’attendaient. Les chevaux étaient harnachés et commençaient à s’agiter à l’idée du voyage du retour. Le capitaine de la garde passait en revue ses hommes et leur donnait les dernières instructions avant le départ. Ernest, lui, enfilait son manteau et s’apprêtait à enfourcher son cheval lorsqu’il vit le jeune écuyer de Robert adossé contre le mur de la bâtisse. « Ce que tu as fait ce matin, dit Ernest en s’approchant. C’était très courageux de ta part. Robert a de la chance de t’avoir à ses côtés en ces moments difficiles. - Un bon écuyer aurait tenu sa langue, répondit le jeune homme en baissant la tête. Messire de la Herse m’avait interdit de partager mes soupçons. Il n’y croyait pas. Bien trop intègre pour croire aux complots. - Tu lui as sans doute sauvé la vie en désobéissant ses ordres. Il te pardonnera, j’en suis certain. - Je ne l’ai jamais vu aussi triste que le jour où il apprit la mort de votre grand-père, messire. J’ai été témoin de leur amitié grandissante et des bénéfices qu’elle a apporté à la baronnie. C’était un grand honneur d’avoir connu votre grand-père, tout aussi grand que celui d’être au service de messire de la Herse. - Dans l’ombre des grands seigneurs grandissent toujours les meilleurs écuyers, dit Ernest avec un sourire avant de s’en retourner et d’enfourcher son cheval. - Mon seigneur, reprit l’écuyer en s’approchant. Si messire de la Herse ne… Si Tyra venait à le prendre, je… je ne sais pas ce que je… - On trouvera une solution, coupa Ernest afin de sortir le jeune homme de son embarras. Je ne t’oublierai pas. Que Néera entende mes mots. - Mon seigneur, intervint Elmure. Il nous faut partir. Ernest acquiesça d’un signe de tête et offrit un dernier signe de tête au jeune écuyer. - Il lui a légué la maison, vous savez, dit le jeune homme. A votre grand-père, j’entends. » Alors que les chevaux piaffaient d’impatience, Ernest, l’air ébahi, fut forcé, encore une fois, de glisser son regard sur la somptueuse bâtisse. Les pierres taillées à la perfection laissaient penser à du travail éthinien. Les étranges similitudes entre l’architecture de certains édifices de la région et ce qui se faisait de mieux à Ethin attisait la curiosité d’Ernest ; une visite à la bibliothèque de Missède lui en apprendrait peut-être plus. Mais qu’aurait-il aimé pouvoir se trouver dans cette maison, le temps d’un soir, lorsque Charles et Robert, dans l’intimité de ces murs, refaisaient le monde.
L’attente au bac d’Edovan se fit dans le silence. Le seigneur d’Ethin était préoccupé et ses hommes devaient le sentir. A moins qu’Elmure ne leur ait dit de la boucler jusqu’à leur retour sur les terres du Comté, ce qui n’aurait étonné personne. Le château de Cornels se dressait à leur droite. Ernest sentait le regard de Carvali percer le capuchon qui couvrait son visage. De jour en jour, le scylléen s’érigeait en figure menaçante à l’horizon d’évènements qui ne manqueraient pas de mettre à l’épreuve le jeune seigneur du Rocher. Demain soir aurait lieu le premier conseil exceptionnel du comté auquel Ernest participera. La rencontre apportera assurément son lot de nouveaux défis. Mais Ernest préférait abîmer son regard dans les eaux calmes du Garnaad que d’y penser. Les passeurs arrivaient enfin. « Qu’ils donnent un coup de trompe pour voir. » grogna Elmure.
Sujet: Re: Les morsures de l'Histoire. Dim 5 Mar 2017 - 16:16
1er jour de la 5ème ennéade de Bàrkios Automne de l'an 9 du XIe Cycle
Le vent hurlait de fureur, astreignant les hommes au silence depuis qu’ils avaient quitté le Rocher. Chaque rafale venait fouailler leurs visages ; ces salves d’une froideur cuisante annonçaient avec frénésie la déferlement imminent d’un hiver rude et impérieux. Hagardes face à ce tumulte, les montures avançaient les yeux mi-clos et la tête basse. Et en cela, les hommes s’étaient résolus à imiter les bêtes. Le groupe de cavaliers éthiniens se dirigeait vers le Garnaad sans qu’on eût pu dire qui les guidait vraiment. Ernest avait fagoté son visage dans un capuchon cousu d’une doublure d’épaisse fourrure si bien que seuls ses yeux restaient à l’air libre. Il n’en courbait pas moins l’échine, harassé de tous côtés par ces bourrasques affreuses qui fondaient sur lui et sa garde comme autant d’immenses oiseaux invisibles, vicieux et déchainés. Le bac d’Evonan devait être proche, ou en tout cas il l’espérait. À cette pensée, il commença à percevoir une odeur âcre. Ce ne fut que lorsqu’il la reconnut comme étant celle de brûler que quelqu’un lui tapota le genou droit. Elmure était à ses côtés et pointait l’horizon du doigt. Lentement, et contre le vent, Ernest se redressa. Lorsqu’il put enfin voir ce que la capitaine de sa garde lui signalait, ses yeux s’écarquillèrent et le souffle infernal sembla s’y engouffrer. Suintant de larmes, le jeune homme les referma immédiatement et s’inclina de nouveau. Mais, malgré la déflagration glaciale qui sévissait toujours dans l’enclave de son crâne, l’image qu’il avait réussi à emporter dans son inévitable retraite face aux éléments lui fit oublier jusqu’à la douleur infligée par ceux-ci.
Les hommes du Rocher prirent passage à Evonan et traversèrent le fleuve, lui-même agité par les éléments. Alors qu’ils avaient gagné les abords du château de Cornels, Ernest eut la surprise de voir le castel ceinturé de troupes missèdoises sous les commandes de Roland de Valmu, son ami et ancien frère d’armes ; celui-ci vint prestement à la rencontre du seigneur du Rocher. Les deux hommes démontèrent et durent converser l’un à l’oreille de l’autre car le vent semblait d’autant plus violent en ces terres plates sises au creux des bras du Garnaad. « Que s’est-il passé ? demanda Ernest. - Un incendie, répondit Roland alors que la chaleur de son souffle venait démanger les oreilles engourdies de son interlocuteur. À la Ferté-Edelys. Avec ce vent, tout est parti en fumée en moins de rien. La colonne de fumée qu’Ernest avait aperçue plus tôt venait donc bien de là. Ernest redoutait la réponse à sa prochaine question. - Sait-on ce qui a causé l’incendie ? - Les incendiaires ont été vu alors qu’ils quittaient les lieux. Ils s’apprêtaient à prendre la direction du Sud mais lorsqu’on s’est lancé à leur trousse, ils ont viré de bord et sont venus se réfugier à Cornels. Les portes me sont restées closes et mes demandes successives de livrer les malfaiteurs n’ont pas été entendues. - Ils sont probablement morts. Pour leur erreur de couards écervelés, Arapienzzo Carvali aura déjà achevé de les étriper. Ernest s’imaginait le scylléen fulminant à l’intérieur de ses murs majestueux. Il fallait bien avouer que le château de Cornels, ainsi sis en bordure du fleuve, retenait l’attention par l’équilibre remarquable de son architecture à la fois robuste et élégante ; rien n’étonnerait moins le seigneur du Rocher que de le savoir ouvrage de la Guilde des Mages-Maçons, comme beaucoup d’édifices de la région, d’ailleurs. Quoi qu’il en fût, ces arpètes incendiaires avaient peut-être coûté assez à leur maître de l’ombre pour qu’il en vienne à perde son impressionnante propriété, et pis encore, si son rôle dans les évènements qui avaient secoué Edelys et Missède ces derniers temps s’en trouvait confirmé. Peux-tu m’accompagner jusqu’à la Ferté ? Roland acquiesça avant de regagner sa monture. - Quelle consigne devrais-je donner à mon sous-lieutenant ? - Rien ne sort, rien ne rentre », dit Ernest en enfourchant son palefroi. Alors qu’ils quittaient les lieux, des renforts missèdois remontaient de la ville pour grossir les rangs enserrant Cornels. Carvali était assiégé et le simple fait qu’il n’avait toujours pas essayé de s’extirper de la situation en usant de ce verbiage fielleux dont il avait le secret, l’incriminait irrémédiablement. À moins que son escobarderie n’eût point été complètement exténuée, ce qu’Ernest redoutait encore.
Le promontoire rocheux sur lequel avait été bâti l’ancienne résidence royale aiguillonnait les vents. La colonne de fumée noire qui s’en échappait donnait à ce monceau de pierres des aspects de petit volcan échauffé. Un brouillard épais s’était déversé sur le bourg environnant et venait empâter les bouches et les visages. « Des morts ? demanda Ernest alors qu’ils montaient au castel. - A priori, non, répondit Roland en couvrant sa bouche de sa manche. Ton grand-père avait fait condamner les lieux. Des ruines noircies par la suie, c’était tout ce qu’il restait du castel. Les charpentes en s’effondrant, mordues par les flammes, avaient provoqué l’effondrement de la plupart des murs. Ernest se rappelait bien du bel édifice qui l’avait frappé lors de sa dernière visite par sa ressemblance avec Balmuir ; sa perte le navrait quelque peu. Penses-tu que… - … qu’un incendie de la sorte deux jours après le rattachement officiel d’Edelys au Comté soit révélateur de quelque chose ? finit Ernest. Roland acquiesça. Bien sûr. Les derniers partisans de l’Ivrey voient la bataille perdue et leur entreprise prend une nouvelle et ultime tournure : destruction plutôt que reddition. - On leur met la paille au cul ? - Attendons de voir ce qu’il advient de Carvali. - Doit-on mettre en marche les efforts de reconstruction ? - Il n’y a rien à reconstruire. Et l’hiver s’annonce rude. Non, la Ferté est finie. Qu’on récupère ce qui peut être sauvé, les pierres surtout. » Les hommes prirent finalement la direction de la résidence de Robert de la Herse.
Hughes Franquet, l’échevin de la ville, les attendait sur le pas de la porte. Dehors, une pluie fine commença à se marier au vent ; la chaleur du logis fut donc accueillie par Ernest et ses hommes avec une certaine félicité domestique. « Comment va Robert ? s’enquit immédiatement Ernest auprès de l’échevin. - Malheureusement, son état empire de jour en jour, messire, répondit celui-ci. L’homme parut réticent à laisser le seigneur du Rocher voir le vieil homme mais ce dernier insista. Arrivé dans la chambre de de la Herse, Ernest eut le souffle coupé. L’odeur absolument nauséabonde de chair brûlée qui se dégageait du lit passa presque inaperçue en comparaison à l’épouvantable aspect du vieil homme. Son visage turgide suintait d’une sueur épaisse et grasse à l’exception des endroits où, par plaques, la peau sèche était devenue noire comme la houille. Il avait, en outre, perdu tous ses cheveux et de ses yeux grands ouverts découlait une humeur peccante et jaune. - Par tous les dieux ! laissa échapper Ernest. Vous êtes certain qu’il est toujours vivant ? - Oui, les guérisseurs sont formels, répondit l’échevin. Ils font comme vous l’aviez demandé, messire. Ils l’ont gardé en vie jusqu’à ce que vous retourniez par nos terres. - Il se réveille une fois par jours, monseigneur, dit une voix émanant d’un coin de la pièce. C’était Jean, l’écuyer de Robert, qu’Ernest avait rencontré lors de sa dernière visite et à la suite de laquelle il avait juré de garantir son avenir et de le protéger. - Chaque épisode de lucidité est aussi accompagné d’intenses douleurs, ajouta Franquet. Mais messire de la Herse fait preuve de beaucoup de bravoure et utilise ces moments pour transmettre à messire Jean de la Herse tout son savoir. Ernest avait presque oublié que le magistrat l’avait informé par lettre de la décision de Robert d’adopter son écuyer. - Il faut le laisser rejoindre Tyra, monseigneur », dit Jean en s’approchant. L’adolescent affectait une hardiesse qui cachait beaucoup de sensibilités et Ernest ne pouvait que se reconnaitre en lui à son âge.
Dans le grand salon étaient réunis huit grands propriétaires venus de toute la baronnie. Triés sur le volet, ils avaient été conviés à discuter des conséquences que la décision de Langehack aurait sur leurs terres. Assis en bout de table, Ernest avait à sa gauche Roland et l’échevin, et à sa droite, le jeune Jean de la Herse qu’il avait convié à participer à son premier conseil politique. De nombreux sujets furent abordés au cours de la discussion. « A-t-on procédé à un recensement de la population ? - Oui, comme vous l’aviez demandé, monseigneur, répondit Franquet. Néanmoins, il faut prendre ces chiffres avec une certaine circonspection. Plus de temps sera nécessaire si nous souhaitons faire preuve d’exactitude. La baronnie compte environ deux cent trente mille âmes, monseigneur. - Très bien, fit Ernest avant de balayer du regard le reste de la tablée. Missède a toujours pensé que le bien-être d’Edelys et de ses terres passerait par son indépendance économique. Ainsi, bien que notre bien-aimé Comte ne soit pas à même de nommer un baron pour le moment, nous souhaitons procéder à un découpage administratif de la baronnie afin d’en faciliter son essor. Chacune des circonscriptions sera dirigée de concert par deux d’entre vous. Ernest fit signe à Franquet de distribuer les cartes préparées pour l’occasion. Au sud, sises entre la Brande et Diantra, se trouvent les circonscriptions d’Aryeoded et de Tregor. La ville d’Edelys et ses environs constituent une autre circonscription et sera dirigée par Jean de la Herse, sous la tutelle de Missède. La capitale de la baronnie, point de jonction entre la Route d'or et la Route intérieure, était devenu un endroit des plus stratégiques, surtout depuis la destruction de Diantra. Au nord, celles d’Efflam et Plestin. Ces fiefs n’ont, pour l’heure, pas vocation à devenir des seigneuries mais il ne fait nul doute que lorsque le moment sera venu de prendre une telle décision l’investissement dont chacun d’entre vous aura fait preuve jusque-là pèsera dans la balance. En filigrane, il s’agissait bien évidemment de mettre ces nobles en compétition afin d’exacerber leur loyauté envers Missède. Les dernières terres jacentes ont été redistribuées et les nouveaux propriétaires en recevront les titres sous peu. Soyez assuré que la grande majorité de celles-ci a été allouée à des édelysiens de souche. La tablée semblait se réjouir de la nouvelle. Après que de la Courcelle avait commencé la redistribution en implantant des nobles missèdois au sein des régions clés de la baronnie, il avait fallu corriger le tir en répartissant le reste avec plus d’adresse et de diplomatie. Laissez-moi vous présenter Girflet Pétronil et Maitre Éloi de Malehant. Les deux hommes se tenaient dans un coin de la pièce. Le premier, un gaillard fringuant, était un ancien contrebandier de renom, membre de la Marine Marchande, avant d’être rentré dans les rangs et de servir les intérêts commerciaux de Missède. Le deuxième, vieillard pituitaire, ayant longtemps officié en tant que conseiller à la cour du comté avait rédigé moult accords commerciaux. Si l’un connaissait parfaitement tous les moyens licites de faire prospérer un pays, l’autre disposait d’une expérience plus subreptice mais non moins efficace. Ces deux hommes sauront vous apporter conseil quant à l’utilisation optimale des ressources de chacune de vos circonscriptions. Je tiens à ce que vous vous entreteniez avec eux dès aujourd’hui et que vous leur accordiez tout le respect que leur savoir et leurs compétences inspirent.
Les discussions furent soudainement interrompues par l’arrivée de cinq soldats missèdois, tous anhélants et détrempés ; le temps avait dû tourner à la pluie dehors. A la vue de ses hommes, Roland se leva immédiatement. « Vacquard ? demanda-t-il, étonné, à son sous-lieutenant. Quel est le problème ? - Lorsque… la pluie a commencé de tomber dru, il… il a plongé dans le fleuve, répondit l’homme en se tenant les côtés. À travers une… une meurtrière. Avec le vent et la pluie… on a rien entendu. Par chance, un de nos hommes l’a vu… à la dérive. Il se noyait, le scélérat. On l’a repêché mais… trop tard. Alors que le sous-lieutenant finissait de parler, le reste des soldats approchèrent de la grande table rectangulaire et y déposèrent une masse informe enveloppée dans une couverture. Personne ne bougea, ni ne dit mot. Et puis, au fur et à mesure, les regards se tournèrent vers Ernest. Le seigneur du Rocher tendit finalement la main et souleva un pan du tissu imbu d’eau. Le visage ballonné et verdâtre de Carvali fut révélé. Et si personne ne laissa échapper de vagissements, les nobles présents ne manquèrent pas de se réajuster au fond de leur siège comme pour se prémunir de toute autre réaction. Ernest, lui, ne comprenait pas ce qui avait bien pu pousser le scylléen d’Agia à un tel acte. Espérait-il pouvoir se laisser emporter par le fleuve avant de prendre la fuite à pied ? Il fallait être fou pour penser que quiconque avait une chance de survivre aux eaux du Garnaad par un temps pareil. À moins que, se sentant acculé, Carvali ait décidé de se défaire. Ernest sentit une nouvelle fois l’attention se porter sur lui. - Il est difficile de ne pas considérer ceci comme un aveu, dit-il en fixant le corps du scylléen. Et bien qu’il soit trop tard pour que Carvali réponde de ses crimes, justice n’a pas dit son dernier mot ; et c’est à vous, grands de ces terres, de la prononcer en donnant ou refusant sépulture à cet homme. Mais pour le moment, gardes, si vous voulez bien disposer du corps. Carvali repartit comme il était venu et Ernest s’adressa à Roland : Maintenant que Cornels a été abandonné par son hôte… Ernest n’eut pas besoin de finir sa phrase que Roland acquiesçait déjà et prit la direction de la sortie. Finalement, les échanges reprirent autour de la table et se tournèrent vers la réfection des effectifs militaires de la baronnie. Ernest fit bien comprendre aux nobles présents qu’en l’absence de baron, les prérogatives militaires d’Edelys seraient toujours tenues par Missède. Néanmoins, chaque circonscription aurait droit d’audience auprès du lieutenant de la garnison missèdoise. Le dernier sujet de conversation concerna les terres du sud de la baronnie, réputée pour leur production de pain, notamment. L’aide de Missède fut demandée afin de participer à la reconstruction des moulins à grain. Ernest assura que des membres de la Guilde seront dépêchés sans délais et que les pierres des ruines de la Ferté seront utilisées à cet effet.
Sur le chemin du retour, le seigneur du Rocher pu constater que Roland et ses hommes avaient investi le château de Cornels et que tout semblait à présent sous contrôle. Les incendiaires avaient bien évidemment été retrouvés morts mais on interrogeait le reste des résidents pour essayer de solidifier les suspicions. Avant de repasser le fleuve, Ernest indiqua à Roland de transférer le quartier général des forces missèdoises à Cornels.
Sujet: Re: Les morsures de l'Histoire. Mer 24 Mai 2017 - 23:52
3ème jour de la 2ème ennéade de Verimios Hiver de l'an 9 du XIe Cycle
Un vent glacial battait la saillie rocheuse qui eut jadis arboré la résidence royale. Chaque bourrasque emportait les mots du prêtre et, mêmement, n’avaient laissé aucune chance aux arrangements floraux déposés sur la tombe du défunt. Dans cette cacophonie venteuse, enveloppé d’une lourde pelisse de fourrure, Ernest ne quittait pas des yeux le jeune Jean de la Herse. Le fils adoptif de Robert était la véritable raison de sa présence à Edelys. Bientôt, une décision devra être prise et les quelques jours à venir sauraient apporter leur lot de certitudes. Et ce fut au sommet du promontoire que, la cérémonie achevée, Ernest accompagna Jean à la demande de ce dernier.
Là-haut, le vent régnait en maitre, suscitant les larmes aux yeux, et empêchait d’apprécier la vue imprenable sur tout le pays édelysien. Une chose fut néanmoins aisée de noter : les ruines de l’ancienne résidence avaient quasiment disparu. « Une partie des pierres a été acheminée jusqu’à la circonscription de Tregor, expliqua Jean. Selon vos souhaits, elles ont servi à la reconstruction des moulins. - Vous n’avez pas lambiné, fit Ernest, un sourire dans la voix. - Les édelysiens sont prêts à aller de l’avant. Ils veulent entrer dans l’histoire du royaume des hommes, debout et sans appui aucun. Et ils semblent dorénavant convaincus que Missède saura les préparer au mieux pour cette renaissance. - Tes paroles trahissent ton âge, dit Ernest après un silence méditatif. La mort de Robert est-elle responsable de cette poussée de sagesse ? L’embrasement des joues du jeune garçon fut accompagné d’un éclair de tristesse dans ses yeux qui peina l’éthinien. Ils marchèrent un temps en silence et parcoururent les environs lorsqu’Ernest remarqua que certaines pierres étaient toujours présentes sur les lieux, qu’elles avaient manifestement été travaillées et entreposées à dessein. - J’aimerais ériger un sanctuaire à la gloire des Cinq, ici-même. La Ferté-Edelys est un haut lieu de passage grâce au Comptoir de Gernev qui accueille la Route d’Or et la Route Intérieure. Elle pourrait également devenir un lieu de pèlerinage. - Les Néerites ont-ils approuvé ce projet ? - La Haute-Prêtresse de Néera nous a fait parvenir sa bénédiction il y a quelques jours et a chargé une délégation de l’abbaye de Nostredame-de-la-Bien-Venue de consacrer les lieux dès que nous serons prêts. » Ernest ne put que féliciter le jeune homme pour cette initiative orchestrée de main de maître. Il lui fallut néanmoins résister l’envie de sonder plus avant l’esprit de son interlocuteur. Le jeune Jean s’était bien gardé de mentionner la portée politique d’un tel projet mais Ernest éprouvait des difficultés à croire qu’il ne les eût pas sérieusement envisagées.
Girflet Pétronil, Maître Éloi de Malehant et Roland de Valmu finirent par les rejoindre en haut de l’imposant promontoire rocheux. Tous les trois allèrent de leur rapport quant aux diverses missions qui leur avaient été confiées lors de la dernière visite d’Ernest à Edelys. En sa qualité de lieutenant des Vertueux en charge des forces missèdoises au sein de la baronnie, Roland participerait à la revue des troupes qui y passeront l’hiver. Il affirmait, par ailleurs, que la reconstitution de l’armée édelysienne serait achevée avant l’arrivée du printemps. Quant à de Malehant et Pétronil, deux conseillers que Missède avait dépêché à Edelys pour rencontrer les administrateurs de chaque nouvelle circonscription et leur prodiguer conseils et recommandations, ils remirent à Ernest nombreux détails qui lui seraient utiles lors de ses prochains déplacements. « Je souhaiterais que tu m’accompagnes dans mes visites, Jean, dit finalement Ernest. Nous partirons dans la journée pour Tregor, puis rejoindrons Aryeoded avant de gagner le nord de la baronnie et les terres d’Efflam et de Plestin. - Ce serait un grand honneur que de vous accompagner, messire, répondit-il avec surprise. Mais le sanctuaire… - Maitre Éloi restera à la Ferté-Edelys pour s’assurer de son suivi, n‘aie crainte. Et nous serons de retour avant l’arrivée de la délégation abbatiale, tu as ma parole. Puis-je compter sur ta présence à mes côtés ? » Le jeune homme acquiesça vivement de la tête et ne chercha pas même à enrayer un large sourire.
Le temps était plus clément en Tregor. Ces terres, les plus australes de la baronnie, sises entre la rive gauche du Garnaad et la Brande, étaient constituées de plaines vallonnées exploitées en grande partie par l’influente Coopération des Meuniers de Tregor. L’économie de la région reposait sur une culture céréalière en surplus qui permettait une exportation importante de ses ressources. Ce fut au petit castel de Banvre qu’Ernest et ses hommes retrouvèrent les deux administrateurs de la région, Mathilde de Bovel et Louis de Banvre. Tous les deux étaient à la tête des familles les plus puissantes de la région et représentaient à eux seuls près de la moitié du pouvoir économique de Tregor. Leur nomination au poste d’administrateurs avait eu pour but de les mettre en concurrence directe afin de consacrer plus aisément le vainqueur le temps venu. De toute évidence, l’effet fut tout autre : des rumeurs de mariage circulaient en creux de vallons et bien qu’ils n’en laissassent rien paraître en présence d’Ernest et de sa suite, la concordance dont ces deux individus firent preuve lors des discussions d’affaires trahirent bien de faux-semblants. Lorsque l’heure du départ avait sonné, Ernest mit en garde Jean contre cette situation. « Les tricheurs sont d’une valeur inestimable par leur esprit de finasserie à condition de savoir s’en débarrasser avant qu’ils s’éprennent de courage. Il te faudra garder un œil sur eux quand tu… - Mes excuses, messire, s’étonna Jean après quelques secondes de silence. Quand je… ? - Il te faudra garder un œil sur eux, répéta Ernest prestement. La règle établie est que, des deux, l’administrateur aux actions les plus méritoires aurait une chance de gouverner ces terres ; non pas qu’ils fassent une fin pour en arriver aux leurs. » Malgré ce soupçon de défiance, la visite se passa sans encombre. De Bovel et de Banvre exprimèrent le souhait de construire de nouveaux canaux, le printemps venu, afin d’amener la vigueur du Garnaad jusqu’aux moulins dont la reconstruction serait bientôt terminée. Ils demandèrent aussi à ce qu’une partie des effectifs militaires en formation à Aryeoded soit dirigée vers Tregor qui était peu militarisé. Ernest agréa et, trouvant le moment propice, leur demanda une faveur en retour. Il leur expliqua alors que la région subirait sans doute de grands bouleversements d’ici au printemps et qu’il souhaitait que les exportations de céréales à destination de Diantra, ville voisine et capitale déchue du royaume, excèdent le quota fixé jusqu’à faire descendre le prix du pain aux environs d’un écu l’unité. Promettant d’une mesure temporaire et usant enfin de son autorité pour justifier du flou de ses plus profondes motivations, l’accord fut conclu et après un dernier passage en revue des troupes missèdoises, le départ pour la Aryeoded fut donné.
Les pieds dans les eaux du Garnaad, la citadelle d’Aryeoded abritait dans son ombre le bourg de Vilmur. Un temps utilisé comme pavillon de chasse, elle avait retrouvé depuis peu sa fonction militaire originelle et contrôlait à nouveau le pertuis d’Evias. Riche en gibier qui quittait le couvert de la Brande pour venir se désaltérer au fleuve, Aryeoded jouissait aussi d’un élevage de moutons important. L’administration de la circonscription avait été confiée à Luc de Breval et Gislain de Vilmur.
Une pluie fine accueillait Ernest et sa suite tandis que le froid s’était fait d’autant plus ressentir à mesure qu’ils s’étaient éloignés du sud de la baronnie. Chaque déplacement donnait l’occasion à Ernest d’en apprendre plus sur le jeune Jean de la Herse et, à l’approche du bourg de Vilmur, deux révélations surprenantes manquèrent de faire chavirer Ernest de sa monture. « Votre sœur et moi-même entretenons une correspondance depuis peu, dit le jeune garçon avec une certaine appréhension dans la voix. - Irène ? interrogea Ernest, stupéfait. - Non, votre sœur Louise, messire, répondit Jean. - Louise ?! s’exclama éthinien avant de se trouver momentanément à court de mots. Et pourquoi donc ? Je n’en ai pas été informé. De quelle nature est cette correspondance ? - Je suis navré du désagrément que cette nouvelle semble vous causer, messire. Et si cela peut vous rasséréner, sachez que nos échanges n’ont jamais enfreint les règles de la bienséance. »
Ernest se mura de nouveau dans un silence, les sourcils rehaussés d’irritation. Jean ignorait sans doute que Louise était déjà promise au fils de Jules de Lavier, régent d’Ybaen, et que cette alliance ne saurait être démise. La deuxième révélation de Jean vint peu après et donna du répit aux méninges d’Ernest accaparées par des questionnements sur les motivations de sa jeune sœur. L’édelysien sous-entendit que Robert de la Herse n’était pas son père adoptif mais son véritable père et que sa mère, intendante de la maison de la Herse à l’époque, eut une courte relation avec son maître après la mort tragique de la femme de ce dernier. Ernest eut des difficultés à avaler cette histoire mais sa volonté d’y croire l’emporta. Et, naturellement, il commença de noter des similarités, physiques et autres, entre Jean et le défunt Robert. Et Ernest pria pour que le jeune garçon puisse porter en lui toutes les qualités de son aïeul.
Le séjour à Aryedod achevé, Ernest eut l’occasion de visiter la ville de Ferrel-Gavro dans la circonscription d’Efflam puis celle de Domloup dans celle de Plestin, avant de rentrer à la Ferté-Edelys. Là, il invita personnellement Jean de la Herse à prendre part à la cérémonie de son mariage qui aurait lieu dans un peu plus d’une ennéade.
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Les morsures de l'Histoire.
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