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| Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] | |
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Enrico di Montecale
Ancien
Nombre de messages : 430 Âge : 28 Date d'inscription : 10/04/2014
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| Sujet: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Lun 29 Mai 2017 - 21:00 | |
| 5ème jour de la 6ème ennéade de Verimios, An 9 du XIème Cycle
Le port de Merval n’était pas beau, l’hiver. Non point qu’il le fut plus en été, cependant, le froid et la grisaille rajoutaient une touche moribonde à ce qui n’était déjà pas très engageant. Seul l’imposant Porphyrion, pièce maîtresse de la Cité Haute réservée à l’élite, embellissait la vue. Car sous ses fondations de marbre et de pierre s’étendaient les quartiers moins favorisés, les quartiers des communs. Si le visiteur n’était pas forcé de les traverser pour se rendre aux beaux endroits de la ville, il ne pouvait pas non plus passer à côté sans les voir et rebrousser narines devant l’odeur.
Enrico revenait en l’ancienne cité pharétane, et il ne revenait pas les mains vides. Accompagné de sa fidèle escorte de soudards, tous habillés tels des pontes du bon goût suderon et armés jusqu’aux dents, l’homme de la mer avançait en compagnie de Marco Solomeo et de Gregorio Calabassa, lequel tenait dans ses sacoches des biens d’un intérêt capital. Une petite surprise pour le Roy et ses conseillers. Enrico n’avait encore rien dit de ses manigances à son cercle familial, ni à ses plus proches collaborateurs. Il agissait seul, et de son seul avis. Un jeu dangereux, mais qu’il se devait de jouer.
Une main à la poignée de son épée, l’autre posée négligemment sur sa hanche, l’estropié marchait d’un pas sûr en direction du Porphyrion. Le son de sa jambe artificielle sur le sol dur et pavé de la capitale régionale était noyé dans le brouhaha des basses extraces se trémoussant de rue en rue, d’étal en étal, ou d’une carriole à l’autre. Les soudards formaient un groupe compact censé bousculer les petites gens, dont les seules protestations ne dépassaient jamais le grognement et le murmure agacé. Enrico marchait la tête haute, comme si le monde lui appartenait. Les habitudes avaient la vie dure, et ce n’étaient pas ses récentes déconvenues qui allaient l’empêcher de se comporter comme il l’avait toujours fait.
Une curieuse bannière apparut au détour d’une maison aux murs défraîchis par l’iode. Enrico leva la tête afin de la regarder, à l’instar de Gregorio et de sa lame-lige Marco. Les yeux de l’unijambiste s’écarquillèrent lorsqu’il vit claquer au vent l’ardente salamandre. Une créature de feu, composée d’émaux visibles à vingt lieues. Des armoiries qui étaient loin de lui être inconnues. La salamandre de Missède. Et qui était comte de Missède, à présent ?
« Ernest d’Ethin. »
Le nom était sorti de la bouche d’Enrico un peu plus fort qu’il ne l’avait prévu. L’intéressé s’arrêta et tourna sa tête vers lui. Pour la première fois, Enrico put voir de ses propres yeux ce fameux gourdiflot qui, non content de lui avoir pris sa femme, l’avait mariée sitôt les vœux rompus. Il n’y avait aucune trace d’animosité sur le visage d’Enrico. En réalité, il n’appréciait pas encore pleinement la situation pour que ses muscles faciaux se tordent dans l’expression démoniaque de ses grandes colères. La surprise était encore de taille, de trouver cet homme ici-même. Après quelques regards épars, le vaillant Soltari ne trouva pas Cécilie. Il devait être venu sans elle. Tant pis.
Marco voulut poser une main sur l’épaule d’Enrico, mais ce dernier se dirigea vers Ernest, le visage soudain affable et avenant. Il fit quelques pas en direction du nouveau comte du Missédois, tendant sa main.
« Ça par exemple ! Vous, ici ? Quelle surprise… Vous me reconnaissez, n’est-ce pas ? »
Enrico faisait un grand sourire, se rapprochant d’Ernest. Les soudards suivirent leur maître, Marco se pinçant les lèvres en tentant de rattraper son seigneur. Gregorio, quant à lui, restait légèrement en retrait, toisant ce grand bonhomme à la mine jeunotte.
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| Sujet: Re: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Mer 31 Mai 2017 - 23:15 | |
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La descente jusqu’à Merval avait été d’un ennui innommable. Le sud, l’hiver, d’autant plus lorsque celui-ci était rude, ne pouvait se parer d’un quelconque charme hivernal à la manière des contrées du nord de la péninsule. Le frimas y était un étranger reçu sans invitation et bien trop embarrassant ; il retardait les départs, clouait les gens chez eux et engourdissait ses hôtes jusqu’à ce que messire printemps chasse, enfin, sa présence.
Ernest et sa suite arrivèrent à Merval en début d’après-midi. Tout avait été arrangé pour qu’ils passent la nuit à la résidence de Madame de Clairmont avant de se présenter au Porphyrion, le lendemain matin. Le Comte de Missède était accompagné d’Elmure de Champant, de quinze hommes de sa garde personnelle et de cinq Vertueux, triés sur le volet. Tous portaient les insignes de Missède. Après une escale aux écuries, ils se dirigeaient en direction du port lorsque le Comte se fit apostropher par son nom de naissance dont il s’était défait quelques ennéades plus tôt. Il eut à peine le temps de tourner le visage en direction de celui qui l’appelait, qu’Elmure, d’un pas de côté, s’était interposé de toute sa masse de surhomme. Il fallut à Ernest se décaler pour voir arriver vers lui un estropié suivi d’une bande de tout ce qui se faisait de plus suderon en péninsule.
Ernest nota bien quelques caractéristiques physiques significatives mais ce fut le murmure d’une de ses hommes qui se tenaient dans son dos qui le conforta dans ses spéculations. « Montecale ? fit le Comte en rendant une poignée de main ferme au baron de Nelen. J’aimerais affecter pareille surprise face à votre présence ici. Certains à Langehack se languissent de vos nouvelles. Mais je dois admettre que je ne suis guère étonné de voir que vous avez… échoué à bon port. »
Le hasard de cette rencontre avait quelque chose de risible. Pourtant, Ernest resta impassible. Il ne connaissait rien de cet homme malgré qu’ils aient beaucoup en commun. Et par cela, il fallait entendre qu’Ernest avait ce que le Nélénite n’avait plus. Il l’avait néanmoins imaginé plus jeune, plus grand aussi. Il se demandait si la posture de l’ancien époux de sa femme n’aurait pas à gagner d’une jambe de bois un peu plus longue. Mais c’était peut-être parce qu’il était trop près qu’Ernest le trouvait penché. Et puis, la bienséance voulait qu’on ne juge pas les hommes sur la longueur ou l’apparence de leurs membres, qu’ils soient de chair ou de bois, d’ailleurs. Seule la vigueur et la capacité comptaient dans l’appréciation de la valeur d’un homme. Mais, à bien y réfléchir, tout cela était peut-être lié ; après tout, le Culte avait annulé le mariage de Montecale pour une raison et une seule : un problème de membre.
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| | | Enrico di Montecale
Ancien
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| Sujet: Re: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Sam 3 Juin 2017 - 7:08 | |
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La poigne était ferme, tout autant que l’était celle d’Enrico tout du moins. Les deux hommes se regardaient, chacun jugeant l’autre par le prisme de leurs pupilles. Enrico, lui, cachait bien son jeu, par un subtil sourire et un masque de caméléon, cachant toute la colère bourdonnante coincée à mi-chemin entre son œsophage et sa bouche. Se moquait-il de lui ? Prenait-il un malin plaisir à essayer de le provoquer ? Ernest le Missédois était sans doute comme tous les nobles de sa condition ; prompts à rappeler au baronnet qu’il était un homme du peuple, et à user de cette rhétorique pour le discréditer et le faire tourner en bourrique.
Son sang ne fit qu’un tour. Soudain, le masque tomba, et la main d’Ernest, qui voulait que cesse cette gênante poignée de main, se retrouva coincée dans l’étau colérique d’Enrico. Une vraie pince de homard. Du homard également, le visage d’Enrico prit toute la couleur. Et de ses yeux cachant naguère la vérité ne subsistaient plus que deux orbites folles, transmettant par d’immondes œillades tout le ressentiment de ces dernières ennéades. C’était un véritable homme en colère, qui venait de se révéler à son ennemi tellle une armée en prenant une autre par embuscade. Enrico se fichait bien de savoir qu’un béhémoth flanquait son abject rival.
Il lui envoya un monumental coup de boule sur le visage…
Et tout se passa extrêmement vite.
Enrico fut tiré en arrière par les efforts conjugués de Marco Solomeo et de Massimo de Rialto. Le baronnet avait lâché le Missédois dans la confusion, pour tenter de le couvrir de poings imaginaires, qui ne rencontraient que le vent devant lui. Un flot d’injures de toutes langues et tous acabits sortirent de sa bouche, transformée en boîte de Pandore. Il avait vraiment envie de lui mettre une trempe digne de son défunt paternel.
Devant les gardes du comte, qui semblaient vouloir venger l’affront, les soudards d’Enrico écartèrent les pans de leurs grandes capes de cuir, certains s’armant de leurs rapières et de leurs dagues, tandis que d’autres se saisissaient de minuscules arbalètes, pas plus grandes qu’un avant-bras, les pointant sur les hommes en armure.
Par mégarde (ou était-ce de l’empressement?), un homme d’Enrico, Salik, un Thaari au visage buriné, décocha un trait mortel en direction d’un membre de l’escorte missédoise. Un trait qui sembla allumer le plus grand des brasiers, pis encore que celui bordant la salamandre écarlate brodée sur les bannières flottant au vent morne de midi…
Le brasier de la discorde.
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| Sujet: Re: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Mar 6 Juin 2017 - 20:20 | |
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Une ombre passa sur le regard du Nélénite. Ernest resserra sa poigne. Elle repassa. La presse d’Enrico se fit brusquement virulente. Et, soudain, la rage troua la sombreur de son visage ; son front se forjettant vers lui en un instant. Ernest sentit sa lèvre inférieure éclater sous le choc et une douleur lancinante remonta de son menton jusqu’à son crâne, lui brouillant la vue. Le coup le fit aussi pivoter sur lui-même, mais dans ce mouvement irrépressible, il eut encore le réflexe de décrocher un mot, un seul. « ELMURE ! » s’exclama le Comte de Missède alors que sa bouche se gorgeait de sang. Le capitaine s’immobilisa comme un molosse rappelé à l’ordre par son maitre. Loin d’être un grand bêta, Elmure de Champant nourrissait une loyauté telle pour son suzerain que toute attaque sur sa personne déclenchait en lui une suprême fureur aux conséquences les plus terribles. Ainsi, aussi curieux que cela puisse paraître, avec le temps, Ernest avait appris à faire d’Elmure une priorité dans ce genre de situation ; le maitre ménageait sa bête.
Lorsqu’il retrouva progressivement la vue, la douleur retombant au bas de son visage, Ernest fit face au corps de Melvil de Viron, un homme de sa garde personnel, gisant au sol, un trait d’arbalète en travers de la gorge. Le souffle court, l’échine toujours courbée, le Missédois fronça des sourcils. Son visage s’obombra d’incompréhension. Le coup de boule avait une certaine logique ; celle du fruste primaire. La mort d’un de ses hommes, en revanche, souffrait d’une inconséquence telle qu’il lui était impossible de n’y voir autre intention qu’une déclaration de guerre en bonne et due forme. Les Vertueux, impassibles et attentifs, étaient déjà prêts, armes au clair. Les autres les avaient rapidement imités mais avec plus de circonspection ; intégrant péniblement la mort de leur frère d’arme. « Antal, Damory, ramenez Melvile chez Madame de Clairmont, fit Ernest en se redressant, et faites mander un prêtre. Elmure, mon épée. Le Comte se retourna finalement vers Enrico et sa troupe, tous visiblement prêts à en découdre. Il serait présomptueux de ma part de penser pouvoir vous inculquer devoir et honneur, messire. Alors, je me contenterai de vous provoquer en duel, un duel à outrance. » À ces paroles, Elmure fut tenté de retenir son maitre mais Rocaille sortait déjà de son fourreau dans un chant argentin et annonçait la résolution du Comte de Missède à inaugurer un combat à mort avec le baron de Nelen. Les cinq Vertueux s’approchèrent ; rien dans leur charge ne saurait les inviter à laisser le Comte prendre une telle initiative. Mais le capitaine les arrêta d’un bras tendu ; Elmure avait compris que rien ne ferait changer son maître d’avis à présent.
Ernest était un soldat que seul un tragique concours de circonstances avait amené à porter une couronne, celle d’Ethin d’abord, puis celle de Missède. Il avait été Vertueux lui aussi, il les avait même commandés. Il ne voyait pas ses hommes comme de la soldatesque remplaçable, tout juste bonne à le parer, lui, leur suzerain et maitre, d’un mur élevé de leur propre chair. Ernest restera toujours celui qu’on envoya très jeune loin du Rocher, puis qu’on finit par détacher dans le delta sirilen, car la coutume des hommes devait l’éloigner du pouvoir avant que la volonté des Dieux ne l’y ramène sauvagement. Tel qu’il se tenait, droit, le regard solide et ferme, la bouche sanguinolente, en avant des hommes qui avaient juré de le protéger au prix de leur vie, Ernest n’avait rien d’un nobliau de façade ; le sang qui coulait de son visage était bien rouge, rutilant, infernal ; ce rouge cru et érubescent de l’homme prêt à coudoyer une nouvelle fois la mort.
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| | | Enrico di Montecale
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| Sujet: Re: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Sam 17 Juin 2017 - 10:25 | |
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Enrico ne prit pas longtemps à se calmer, voyant que les choses commençaient légèrement à dégénérer. Il avait entendu le claquement sec d’une corde, et un bruit de gargouillis qui lui était fort familier. Son regard désormais plus clair cherchait la provenance de ce bruit, mais il était bien difficile de le repérer avec Marco qui le tirait vers l’arrière. Enrico s’ébroua afin que sa lame-lige le laisse tranquille. Reprenant la pleine possession de ses mouvements, il revint vers le devant de l’action, où les hommes, de part et d’autre d’une ligne invisible, se faisaient face à couteaux tirés. C’est là qu’il vit le cadavre d’un Missédois, un trait bien planté sous le menton. Enrico jeta un regard courroucé en direction du fautif, Salik de Thaar. Ce dernier s’était sans doute rendu compte de sa faute, mais n’en laissait rien paraître.
Le baron se tourna vers le comte de Missède, qui dégainait son arme et voulait le provoquer en duel. Un mince sourire effleura les lèvres d’Enrico, qui s’avança également, main sur le pommeau de son onéreuse colichemarde, celle qu’Oschide lui avait offert après la victoire. Il toisa un instant le fameux Ernest, dont l’allure était loin de l’image que s’en était fait Enrico au cours de ces dernières ennéades. Il l’avait imaginé veule, sournois, bossu peut-être ? Maigrelet et assis au fond d’un cabinet à rédiger de faux documents. Preuve s'il en est que l'on préfère s'imaginer un ennemi comme un monstre grotesque plutôt que comme un véritable être humain. Et à présent, le voilà tombé nez à nez avec un guerrier, d’un lignage pur ayant fourni maints combattants.
Dans un geste solennel, cependant non dépourvu d’une certaine grâce, Enrico défourailla sa lame, s’approchant sans peur aucune de son adversaire.
« Je relève votre défi, comte. Puissent les dieux favoriser le preux, et châtier le médiocre. En garde ! »
Il leva sa rapière, se mettant en position. Beaucoup perdaient d’avance leur combat face à lui, pour un détail simple et flagrant ; sa jambe de bois. La plupart des estropiés souffraient d’un manque d’équilibre après pareille blessure. Mais Enrico, qui ne reculait devant rien pour retrouver son efficacité d’antan, avait engagé des maîtres danseurs, afin de lui enseigner à bouger avec le plus de grâce qui lui fut permis. Des professionnels de Thaar, des danseurs d’Ydril, il avait épuisé encore un peu plus les ressources de son père, mais à bon escient. Car redoutable est l’ennemi que l’on croit, à tort, être impotent.
Après une courte prière à Tyra, Enrico fut le premier à s’élancer sur Ernest, dardant sa lame dans d’erratiques tailles et estocs dont la fulgurance n’avaient d’égale que la précision. Toute une vie passée à se parfaire, pour cet unique moment. Celui de la vengeance, ou de la mort. Un seul en réchapperait, et les dieux seuls décideraient lequel.
Le comte du Missédois se défendait bougrement bien. Les assauts d’Enrico avaient beau être effectués pour analyser ses parades, il avait espéré au moins passer sa garde ne serait-ce qu’une seule fois. En vain. Ils se décalèrent légèrement vers la droite.
Sur le côté, les badauds restaient à l’écart tout en regardant d’un œil curieux le combat. Les mendiants s’en allaient, craignant sans doute d’être pris à parti, mais les bonnes gens de passage restèrent pour voir le combat se dérouler, se tenant à bonne distance des molosses qui fermaient le cercle du combat. C’était le moment que choisit Gregorio Calabassa, ce vieux grigou, pour prendre secrètement et discrètement des paris auprès de la population…
Qui allait gagner ? La Salamandre Sanguine ? Ou le Homard d’Or ?
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| Sujet: Re: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Sam 22 Juil 2017 - 21:52 | |
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Le duel fut accepté d’une manière qui aurait fait sourire Ernest si la formation des Vertueux de Missède ne considérait les brocards comme superfétatoires et inconvenants aux duels à outrance. Les dieux t’ont déjà châtié l’unijambiste, s’autorisa néanmoins à penser le Comte, et châtré aussi à en croire certains. Portant finalement toute son attention sur son adversaire, il détailla du regard la lame que celui-ci venait de tirer au clair. Puis ce fut la posture du suderon qu’il examina attentivement. Son point faible était évident mais Ernest ne douta pas qu’il avait été entouré, au cours d’une expérience militaire non négligeable et qui précédait le baron, de défenses de garde, le protégeant ainsi contre les coups directs et autres attaques à la subtilité précaire. Il faudrait donc y parvenir par le truchement d’une fine témérité.
Ernest s’appliqua à mettre l’assassinat de Melvile de côté, distillant à feu nu la vengeance, la colère et la peine qu’il éprouvait en un reliquat de vaillance. À bien y penser, jusqu’à ce que son adversaire n’endosse la responsabilité de la mort d’un de ses hommes, il lui aurait été peu aisé d’exciper sans vergogne des raisons pour le défaire. Les deux hommes ne s’étaient jamais rencontrés jusqu’alors, le Comte avait nourri un intérêt certain pour les actions d’éclat du Nélénite, tout du moins celles qui lui étaient parvenues, et à en croire les on-dit, ils semblaient même partager un ressentiment similaire envers les d’Amderran. Quant à la question épineuse de la demoiselle de Beaurivages, Ernest avait toujours considéré le baron comme un acteur collatéral de cette histoire; évidemment ce dernier était loin de partager ce point de vue. Sans cela, tous deux auraient pu accomplir de grandes choses pour le Langecin, et le Royaume. Mais leurs chemins s’étaient croisés autrement et devaient finir par le trépas de l’un ou de l’autre.
Le duel lancé, les feulements de l'ancestrale Rocaille ne tardèrent pas de vrombir chaque fois qu'elle rencontrait l’épée de duel du baron de Nelen. L’homme ne manquait pas de dextérité, pis encore, son efficacité s’alliait à un style qui en devenait presque distrayant tant il était beau. Ernest en avait été réduit à parer coup sur coup, non sans une certaine aisance, certes, mais il n’était guère dans ses habitudes de se complaire dans la parade. Ils dansaient, tous deux à leur manière. L’un avait l’aisance de l’escrimeur de haut vol, l’autre la grâce du preux chevalier. On s’écartait sur leur passage, les passants s’attroupant à bonne distance, des bruissements de voix s’élevant à chaque éclat de fer.
Jusque là Ernest avait opté pour une garde neutre légèrement relevée mais il ne tarda pas à adopter une garde haute, utilisant le poids de Rocaille pour prendre la main. Lorsque, soudain, se déplaçant à senestre en gagnant, il chercha à confondre son adversaire en se rapprochant à distance de corps à corps, bloquant le bras armé de ce dernier. Le coup de quillons qui suivit se trouva en réalité être une feinte car c’était à ses jambes qu’Ernest confia une tâche subreptice: son pied d’appel vint se caler contre la jambe de bois de l’estropié tandis que son pied droit s’éleva du sol pour retomber brusquement sur le pilon entravé. Un craquement sec se fit entendre alors que le Comte reprenait déjà ses distances et se rangea en garde du Faucon, par mesure de précaution, bien que cela fût sans doute aussi utile qu’un emplâtre sur une jambe de bois brisée.
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| | | Enrico di Montecale
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| Sujet: Re: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Mer 23 Aoû 2017 - 8:19 | |
| Crac !
Enrico lança un lourd juron dans l’air, alors qu’il sentait le sol se dérober sous sa jambe meurtrie. Il parvint in extremis à se rattraper sur une section tenant encore plus ou moins la route, et tenta vainement de se remettre en garde, reculant de quelques pas. Son regard se posa inévitablement sur ce qu’il restait de sa prothèse de bois. Lorsque le mage fou la lui avait sombrement arrangée, dans la cabine de son bateau, il y avait eu quelque chose en plus dans ce bois qui l’avait rendu plus mobile. Il avait aussi gagné en sensibilité, et la douleur du coup, à défaut d’être vive, lui avait rappelé cet état de fait. Ses yeux mirèrent les gouttes ambrées d’un rhum de huit ans d’âge, qui coulait par les interstices désormais imbibés d’alcool.
Enfin, son regard outré et haineux se posa sur le saligaud à l’origine de tout cela. Il cracha :
« Espèce de lâche ! Corniaud ! Vaurien sans honneur ! »
Il frappa l’air de sa rapière. Non, il n’en avait pas fini ! Si le Comte préférait continuer le duel avec un handicapé, alors soit. Il lui ferait l’honneur de le remettre à sa place, et de lui prouver qu’un Montecale ne se défilait pas, même dans un moment pareil. Sa dignité était intacte, malgré sa jambe brisée.
Une main, pourtant, se posa sur son épaule. C’était Marco.
« Messire, je crois qu’il est tant de se tirer d’i... »
La ruade d’épaule d’Enrico fut assez violente pour faire reculer son ami. Il aboya :
« C’est une affaire d’honneur, Marco ! Laisse-moi ! »
Ses yeux de chien fou se posèrent à nouveau sur la cible de toute son ire, le catalyseur de toutes ses frustrations. Cherchant secrètement un point d’appui qui ne serait pas branlant, il écarta les bras, exhibant la poitrine à son adversaire.
« Viens donc réclamer ta victoire, que je t’arrange cette gueule d’ange ! »
Marco voulut à nouveau s’interposer, mais Enrico fit un pas. Il chancela. Il se rattrapa, épée à présent en garde. Ernest avançait vers lui, et Tyra marchait dans son ombre. Enrico avait toujours su qu’on voyait un voile quelque part, au moment de sa mort. Peut-être aussi une femme. Une femme quelconque. Les ports étaient remplis de femmes quelconques. Mais de belles femmes aussi. La plupart de ses conquêtes étaient des femmes à la beauté époustouflante. Une longue liste de noms sembla passer dans son esprit. Une voix hurlait quelque chose à côté de lui, et les gens s’écartaient. Des hommes avec des hallebardes, des plastrons. Mais il s’en foutait.
Il n’en avait plus rien à foutre.
Enrico attaqua le Comte d’un coup plus désespéré que bien préparé. Aucune chance pour lui de toucher, mais l’honneur était sauf. Il vit la parade, et la fulgurance de la réponse. Un voile rouge s’abattit sur ses yeux alors qu’il sentit la morsure de l’acier sur sa poitrine, lui brûler les côtes, et lui piquer le ventre. Déséquilibré, il tomba par terre, dans une petite gerbe de sang. Le monde s’activait autour de lui. Un homme le prenait par les épaules, des gens bourdonnaient comme un essaim de frelons juste à côté de son oreille, et le monde se voulait flou à présent, seulement recouvert d’un mince voile sombre. Etait-ce Tyra qui l’enveloppait ? Albano et Père avaient-ils vu la même chose ?
Il n’eut pas le temps de penser plus. Car dans les ténèbres les plus totales, son esprit s’évanouit.
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| | | Invité Invité
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| Sujet: Re: Bélître et tartuffe [Ernest d'Ethin] Mer 23 Aoû 2017 - 20:09 | |
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En garde haute, Rocaille éclatait de toute sa singulière noirceur au-dessus de la tête de son porteur resté parfaitement immobile. Le Comte ne laissa rien venir corrompre sa concentration, sachant trop bien qu’un duel à outrance n’était joué que lorsque le sang était versé. Néanmoins, au vu de l’handicap de son rival, il était aisé de considérer que les dés avaient été jetés. La jambe de bois brisée, l’homme imposait pitié et mansuétude à tous ceux qui l’entouraient. Même les petites gens qui avaient congloméré en groupes éparses de spectateurs indiscrets commençaient à se détourner de la scène, visiblement mis mal à l’aise par le degré d’inhumanité auquel le Nélénite était à présent réduit. Et pourtant, lorsque l’estropié déversa toute la haine contenue dans son regard sur son adversaire, Ernest comprit que l’affaire était loin d’être réglée et les jointures de ses doigts blanchirent à nouveau autour de la fusée de son épée.
Ce qui suivit n’aurait pas dû arriver. Contre l’avis des siens, le baron s’élança cahin-caha à l’assaut du Comte. Ernest fit un pas en avant afin de lui soutirer son élan, puis il abaissa sa garde par la droite avant de laisser son épée mouliner à souhait et bouter la lame de son adversaire hors de son champ. L’essor de Rocaille requit Ernest de pivoter sur lui-même avant de se retrouver à nouveau face à face avec le Nélénite. Peut-être avait-il eu le choix, à ce moment là, de reculer hors distance, de laisser ce nouveau revers faire office de défaite, de gratifier son rival d’une vie flétrie de déshonneur, peut-être… Mais la mort inique de Melville refit surface et chargea l’esprit du Comte d’une inflexible et sévère détermination.
Dans un dernier chant claironnant qui sonnait le glas d’Enrico di Montecale, Rocaille fendit l’air, pirouettant à ras le sol avant de s’élever en flèche dans un mouvement qui n’avait d’autre but que l’éviscération de sa victime. Ce ne fut qu’à ce moment-là que le Comte nota l’arrivée du Guet de la ville, alors que la pointe de son épée poutrait le Nélénite de la panse jusqu’à la clavicule. Le sang perla de la gouttière de Rocaille et le duel s’acheva avec l’effondrement du corps du baron au sol. Ernest ne décrocha pas ses yeux de son adversaire défait, quand bien même le plus grand chambardement éclatait autour de lui. Les Vertueux n’avaient pas attendu pour se porter au devant de leur suzerain, anticipant une réaction irrépressible de la part des hommes du vaincu. Les gardes du Guet tentèrent de s’interposer sans trop savoir ce qui venait de se passer. Elmure prit les devants et expliqua aussitôt que la situation résultait d’un duel à outrance accepté par les deux adversaires; une information qui fut bientôt corroborée par d’autres personnes présentes.
Le duel s’étant déroulé de bon aloi, le Guet n’eut d’autre choix que de disperser la foule et de laisser aller les parties impliquées. Elmure s’approcha alors de son suzerain et maître qui n’avait toujours pas bougé, ses yeux détaillant encore le corps gisant du baron, scrutant la taillade qui laissait entrevoir les triperies, fronçant les sourcils alors qu’il semblait en proie au doute. « Il est mort, messire, dit Elmure. Rentrons. - Si Tyra le veut, murmura finalement Ernest pour lui-même avant de tourner les talons. » Le Comte et ses hommes se retirèrent de la scène.
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