Le Corbac - maudit soit-il ! [Aymeric]

La neige ne cessait de tomber sur les plaines d'Alonna. Pourtant, il arriverait un jour où le ciel se dégagerait des déplaisants nuages et la bise se ferait moins violente. Ce jour-là arrivait bien plus vite qu'on ne lui laissait croire. La guerre s'annonçait chaque heure un peu plus proche alors que la tempête s'amoindrissait derrière les épais murs du castel. Et si elle avait voulu retarder l'échéance au plus tard, elle ne pouvait désormais plus que faire front à ce qui l'attendait bientôt ; convoquant un conseil restreint à trois de ses ministres, ils firent ensemble état de ce qu'il advenait des forces de la baronnie.

Elle jura intérieurement tout du long. Le Corbac – maudit soit-il! - sitôt rentré dans ses pénates avait eut envie de guerroyer à nouveau ; et là le parjure lui démangeait la main plus que jamais. Comme il aurait été facile de rabrouer messire de Brochant, le renvoyant à ses envies masculines de sang et de stupre. Si Amblère ne lui avait pas suffit pour l'an, c'est que dame Mahaut ne devait guère le satisfaire. Bien sûr, l'idée de son suzerain était louable ; elle aussi portait grand respect à la royauté mais de là à s'en aller pied à l'étrier et harnois lustré pour les montagnes médianaises, presque trop tôt après de lourdes pertes... Il espérait la pleine force de ses terres, et bien il serait déçu ! L'Alonnan avait subit la guerre, le passage d'osts entiers, la malemort, la faim et maintenant ils se gelaient les couilles. La trésorerie n'était point mauvaise mais une autre campagne d'envergure les emmènerait sur le même mauvais chemin qu'avait pris Etherna. Or, elle n'avait pas envie de se démêler une nouvelle fois de la misère.

Palsembleu! Ils iraient guerroyer dans sa foutue guerre Sainte ! En colère – peut-être trop pour la situation -, elle se saisit à la fin de son entrevu de sa plume et d'un vélin qu'elle griffonna avec ardeur. Elle dû recommencer par cinq fois car sa main écrivait les injures qu'elle pensait ; ce n'était pas réellement l'effet escompté. Aussi le Marquis se vit gentiment appelé tour à tour le Gouape, l'Emplumé et – elle osa même dans un effet de style – boursemolle. C'est au prix de longues minutes que la baronne parvint enfin à un résultat assez satisfaisant pour qu'elle l'envoi séance tenante.

Domaine baronnial d'Alonna
Dame Alanya de Broissieux, baronne d'Alonna et Protectrice de l'Alonnan.

Castel d’Alonna les Trois-Murs, en Alonnan
Arcamenel de la cinquième énnéade, de l'an de Grâce dix du onzième cycle,

A l’intention de son Excellence Aymeric de Brochant, Marquis de Serramire, régent de l'Oësgardie et bon suzerain de l'Alonnan,

Veuillez, mon bon marquis, trouvez en ces mots l'assurance de la bonne avancée des préparatifs de guerre alors que l'hiver ne semble trouver de fin ici. M'étant entretenu avec mes conseillers, et ayant scrupuleusement examiné moi-même tous les registres qui m'ont été présentés, sachez votre Excellence que l'Alonnan sera capable dès la fonte des glaces de fournir à votre ost jusqu'à mille permanents et plus de trois milles conscrits de plus qu'à l'issu de la bataille d'Amblère.

Ces chiffres, qui sauront vous attester de notre bonne volonté à l'égard de votre entreprise, pourraient être pensés à la hausse si le printemps se fait tardif. Concernant les dispositions alimentaires – et malgré le rationnement commencé dès l'automne – nous ne pourrons assumer que les quarante jours dû au delà de quoi nous ne pourrons approvisionner les troupes sans risquer la pénurie pour le reste du peuple. Comprenez messire que le passage des armées et le mauvais temps n'aide guère à se projeter sur les récoltes de printemps – aussi préférai-je ne point hasarder dessus et considérer nos greniers tel qu'ils sont ce jourd'hui.

De plus, la surintendance des finances fait état d'une bonne santé relative de nos comptes, pouvant dès lors vous confirmer six énnéades de bien portance avant que nous ne soyons obligés soit de renoncer à la marche vers le sud, soit de faire appel à quelques créanciers Thaarie – sous réserve que nous ne touchions guère plus de revenus que maintenant. Ayant pour volonté de faire ployer les ennemis de Sa Majesté notre bon Roy, des négociations seront entamés au plus vite avec quelques prêteurs si d'aventure nos commerces venaient à échouer – ce que je doute.  

Enfin il ne m'a pas semblé que vous ayez mentionné une quelconque participation à l'effort de guerre de notre bonne Foi. Avez-vous rencontré quelques haut-prêtres afin que, par la Grâce des Cinq, nous venions à bout des vilains qui ne reconnaissent même plus les préceptes de nos Sauveurs ? J'ose croire que le Culte – dans son incommensurable bonté – offrira quelques bienfaits pour notre campagne ; après tout, nous ne rêvons tous que de revoir le Roy légitime installé à Diantra.

Messire mon bon suzerain, j'aimerai m'entretenir avec vous de ce qu'il reste à accomplir et de la bonne tenue de nos engagements promptement, afin de palier tout manque avant le grand départ.

Embrassez votre charmante épouse et vos enfants pour moi,
Que la DameDieu veille sur les vôtres,