La Renarde et la Louve

Folie était perturbée. Depuis qu'elle était rentrée à Thaar avec pour bagage beaucoup d'informations sur son passé, elle n'arrivait plus à se retrouver, savoir qui elle était vraiment.
La rouquine avait toujours été seule, et si une certaine colère contre ceux qui avaient laissé une enfant seule aux portes d'un bordel dans une capitale l'avait longtemps rongé, connaitre ses origines et des fantômes d'un passé jusque là inconnu la bouleversait, plus qu'elle ne l'aurait imaginé. D'autant que même son corps, son sang, lui paraissait étranger. Elle avait le sentiment que sa vie n'avait été qu'un odieux mensonge et qu'elle n'était pas ce qu'elle avait toujours cru être.

Revenir sur les lieux de son enfance, retrouver les mêmes odeurs, les mêmes bruits, le même quotidien, et cela malgré l'évolution de la ville, lui redonnait un peu de son identité. Et pourtant, elle se sentait un peu lointaine, comme si ce qui avait été acquis ne l'était plus vraiment, comme si Thaar était devenue une scène, un détail, non plus un univers tout entier comme elle l'avait été.
Folie avait tenté de reprendre sa vie où elle l'avait laissé, laissant le passé au passé, tentant de se défaire de ce qu'elle n'avait pas choisi d'être. Mais elle n'arrivait pas à simplement l'ignorer, l'oublier. Reprendre ses activités là où elle les avait laissé lui avait permis de s'encrer dans la réalité, de penser au présent, comme elle l'avait toujours fait alors qu'elle arpentait les rues puantes de ce qui avaient été sa maison.
Mission après mission, elle reprenait son quotidien, et en même temps, rien n'était plus vraiment pareil. Elle avait changé, et son regard aussi. Des choses qu'elle avait autrefois accepté l'interrogeaient davantage, d'autres qui lui avait toujours semblé normales réveillaient des remises en question.

Elle n'était plus la même. Et ce qui avait toujours été, n'était plus semblable.



Folie avait besoin de se défouler, de se dépenser. La dernière mission venait juste de se terminer, que déjà, elle voulait en démordre. Sans même y penser elle se rendit directement à la Taverne «  Les Chasseurs de tête » pour trouver une mission rapidement. Il y avait trop de monde, elle n'aimait pas demander des contrats devant tant de personnes, trop de témoins, trop de gens pour la remarquer. C'était l'été, ses cheveux roux auraient pu être des panneaux de signalisation sans sa cape pour les camoufler. Il faisait trop chaud pour qu'une rouquine soit discrète, et trop chaud pour ne pas boire un verre en attendant l'obscurité et la fraîcheur de la nuit. Elle s'isola dans un coin, un voilage la coupant un peu du reste de la fange entassée.

Alors qu'elle se noyait dans la magnifique couleur ambrée de son verre, un silence se fit dans la salle suite à un appel.
Elle fouilla quelques secondes dans sa mémoire immédiate bien qu'inattentive; Salahim le sanglant ?
C'était bien ça ? C'était comme ça qu'on appelait le gas responsable de multiples morts, notamment les corps en charpie, non ? Cette affaire n'était toujours pas réglé ? Elle en avait entendu parlé il y a quelques temps, mais elle avait l'esprit sur d'autres missions. C'était ce bougre de salop qui avait fait disparaître Orius ! Ce géant au grand cœur, aussi impressionnant qu'un lion mais plus doux qu'un agneau lorsqu'on savait le caresser dans le sens du poil. Elle aimait bien Orius, c'était un bon gas.

La jeune femme sentit la colère monter en elle, et il ne lui fallut que quelques secondes pour décider qu'elle ne laisserait pas un ami invengé ! Sans parler du fait que même si elle évitait habituellement les contrats avec de la magie, elle avait une envie pressente d'un exutoire.
Elle jeta un œil à la guerrière qui avait parlé. Elle ne semblait pas originaire de Thaar. Ça c'était entendu à son accent, mais sa tenue le confirmait. Son aspect un peu négligé et son épée un peu trop grande pour elle donna à Folie une première impression de manque d'expérience. Après quelques secondes d'études, elle se ravisa, le port était aisé et les quelques mouvements fluides et assurés. Elle ne put s'empêcher de se demander toutefois si elle pouvait réellement être à l'aise avec une si longue lame.
La petite rouquine n'était pas du genre à travailler en duo, bien que ces cinq dernières années aient développées son esprit d'équipe. Mais l'étrangeté du contrat et les yeux bleus d'acier de la jeune guerrière lui donnèrent la soudaine envie de s'y tenter. Prise de l'une de ses pulsions dont elle s'était habituée.

Elle se leva, se dirigeant lentement de sa démarche de félin vers le comptoir. Elle avait conscience que tous les yeux étaient fixés sur elle, elle n'aimait pas ça.
“Ha ! Évidemment ! Y a que la Folie pour faire équipe avec une louve du nord pour chasser un psychopathe boucher insaisissable !” raya un homme. Un éclat de rire parcouru la taverne. La jeune femme les ignora, elle savait parfaitement que l'humour acerbe n'était là que pour les protéger de leur honte de trouillards misogynes.

Elle fit un sourire à la belle brune, car oui, derrière ses vêtements assez quelconque se cachait une belle femme à la silhouette athlétique.
Le sourire était franc, le regard de la jolie rousse pourtant toujours aussi froid.

“Moi je vais vous accompagner, montrons à ses messieurs que rien n'est impossible à femmes audacieuses.”

HRP:

Folie fit un signe de tête approbateur à la belle brune lorsqu'elle accepta de faire équipe avec elle. Les choses étaient simples, rapides, efficaces, par de parlotte inutile, de jugement hâtif, ou de mise en garde, c'était parfait.
Elle vida son verre, qui n'avait pas quitté sa main, d'un trait, et suivit la guerrière.

Elle l'écouta mettre les choses au clair, la laissant prendre les devants, après tout, c'était la première à avoir été sur le contrat. Mais elle ne comprit pas pourquoi elle lui dit de mettre sa méfiance de coté, peut-être son attitude ? Souvent on lui avait dit qu'elle avait l'air froide et incapable de confiance. Et c'était vrai, la confiance ce n'était pas son truc. Plus circonspecte que réellement méfiante, elle considéra donc qu'il n'y avait pas à tergiverser. Elle se contenta de hocher les épaules, signe qu'elle acceptait.

Ses faiblesses et ses qualités ?
Elle prit un peu de temps pour répondre, essayant d'être objective :
“Je lance très bien les couteaux, c'est mon principal atout. Il est rare que je rate mon coup, c'est extrêmement rapide, et à distance. Généralement l'autre n'a pas tellement le temps de réagir où n'est pas suffisamment proche pour m'atteindre avant de faire connaissance avec la lame.
Je suis rapide. Je ne suis pas très forte physiquement, mais je sais toucher les poings sensibles et faire mal au corps à corps. J'ai apprit à me battre à l'épée avec un très bon maître d'arme ces dernières années, je suis endurante et plus forte que j'en ai l'air, mais ma petite taille n'est pas idéale contre un adversaire bien plus puissant. Généralement le port d'une épée me gêne plus qu'il ne m'aide, puisqu'il ralentit mes mouvements. Je fais en sorte de toucher avant d'être toucher, d'être efficace rapidement. Je me débrouille bien en poison aussi...”
Elle ne parla pas de ses capacités magiques qu'elle ne maîtrisait à vrai dire que peu. Elle aborderait le sujet que si ça servait à quelque chose. Elle n'assumait pas encore vraiment cette part d'elle même, qu'elle considérait comme obscure. Et dont elle ne voulait plus.

Elle l'écouta à son tour énumérer ses capacités. Pas franchement de surprises. Elle fit un signe de tête positif à sa dernière questions. Puis ajouta : “Ce qui est bien lorsqu'on est une femme, c'est que les hommes sont toujours surprit de perdre... alors oui, la surprise est un atout.”

Un adversaire difficile ?
Elle songea tout de suite à son soit disant grand père. Ce n'était pas qu'il était difficile, c'était tout simplement qu'on ne pouvait vaincre un Dieu. Ou du moins que c'était très difficile... et particulièrement douloureux moralement d'y être confronté.
Mais le sujet était épineux, et pas franchement propice au contrat actuel. Elle fouilla sa mémoire, puis fini par répondre :
“Oui, pleins. Le tout, c'est d'avoir le dernier mot ou de savoir filer avant que ça ne dégénère. Pour le moment je m'en suis bien tirée...”

Une réputation... ma foi, elle ne pouvait le nier, bien qu'elle s'en serait bien passé...

Elle accepta d'aller à la pioche aux infos, fureter c'était sa spécialité, surtout dans sa ville natale.

Solitaire, un guetteur jouait avec son poignard prêt de l'entrée, il surveillait l'entrée de la caserne et semblait s'ennuyer profondément.
Jeune, grand, charmant, les cheveux châtain et le teint halé, elle en aurait bien fait son quatre heure, et lorsque les yeux du soldat se posèrent sur le regard admirateur et ardent de la jeune femme, il tenta sa chance. Il jeta un regard à droite et à gauche pour vérifier qu'un supérieur ne le surveillait pas, et s'avança vers la rouquine.
“Vous vous êtes perdue ?”
“Non, seulement un instant dans vos yeux.” admit t'elle joueuse. Quitte à faire du charme, autant profiter d'avoir tiré un bon numéro, quitte à sortir des niaiseries...
Cela fit mouche, il lui fit un grand sourire et semblait déjà vouloir tout faire pour ne pas la laisser filer.
“Je peux vous être agréable ?” Il devait être de la bourgeoisie pour si bien causer. Les fils cadets rentraient souvent dans le camp des armes pour faire leur preuve.
“Et bien... j'étais venue faire mon enquête, une amie m'a chargé de me renseigner concernant l'affaire Salahim le sanglant.  Vous avez peut-être des informations à me donner ?”
Le regard du beau brun s'assombrit un peu.
“Une sale affaire... Je n'aimerais pas trop y mêler une jeune femme par mes réponses... Tous ceux qui s'y intéressent tombent comme des mouches...”
“Je serais prudente, et puis... je ne fais que rassembler les informations, je ne compte pas moi même me mouiller.”
“Dans ce cas... mais il faudra accepter d'aller boire un verre de vin avec moi ! En plus, d'ici là, je pourrais me renseigner auprés des autres...”
Elle accepta avec enthousiasme, le rouge aux joues et le regard timide.
“Et bien... les premiers meurtres ont eut lieu dans le quartier des tanneurs, et puis ils se sont déplacés au quartier des parfums. Les morts sont toujours violentes, la majorité des corps sont en charpi, une sale affaire ! Personne ne sait rien et ne voit jamais rien. Pourtant ça arrive parfois en plein jour, dans des rues bondées, et d'un coup, on retrouve un cadavre dans un état écœurant. J'en ai vu des morts mam'selle, mais ceux là.... On reconnait tout de suite la signature. On ne sait pas comment il les tut, ni trop pourquoi. On a aucune trace, aucun indice. Si ce n'est que la majorité des meurtres ont lieu prêt de la grande parfumerie de Aubane maintenant. D'ailleurs ce n'est pas trés bon pour leurs affaires. Ceux qui enquêtent meurent, alors plus personne ne veut enquêter, même les chasseurs de prime évitent la mission. Alors les morts continuent. De toute façon, il n'y a pas matière à avancer dans les recherches.”
Folie resta songeuse quelques instants.
“Dites, vous pourriez m'avoir une liste des victimes ?”
“Je vais voir ce que je peux faire... normalement les dossiers d'investigations sont confidentiels, mais vu que personne ne veut se charger de celui là... Mais vraiment, je ne voudrais pas qu'il vous arrive quelque chose mademoiselle.... ?”
“Ho ! Pardon ! Ce mystère à l'air si étrange que j'en ai oublié la politesse ! Lily, et vous comment vous appelez vous ?” demanda t'elle avec un sourire qui illumina son visage jusque là plutôt neutre, et qui fit chavirer le cœur du soldat.
“Jamoï.”

Ils convinrent de se retrouver dans la soirée, à la fraîcheur de la nuit, le temps qu'il se renseigne auprès de ses camarades et qu'il ait fini son service.
Folie alla rejoindre sa partenaire et lui fit un rapport des quelques informations tout en ce dirigeant vers le quartier des parfums.

HRP: