XIe Cycle • An 10 • Barkios de Printemps • Quatrième ennéade
Neo s'attendait au pire en ouvrant la lettre que, le régent de Sainte-Berthilde lui avait adressée, enfin, en quelque sorte. On lui avait brièvement conté qui était ce Louis, ce Saint-Aimé, avant qu'il n'ouvre donc cette lettre, prestigieuse certes, mais parmi tant d'autres... C'était un jeune seigneur méritant, et qui semblait posséder une certaine culture... C'était aussi vraisemblablement un homme pieux. Son jeune âge était indubitablement une bonne chose, car l'avenir chatoyant par la jeunesse prometteuse, devait être ce qui guiderait prudes ou pleutres à l'ultime épreuve. Savait-il seulement que le Champion d'Othar était désormais le titre que l'on attribuait à un terrible guerrier, lettré bien-sûr, mais que ses fonctions nouvelles n'étaient guère de son ressort ? Il n'en savait rien, il écrivait à l'ordre, et l'ordre reposait hélas sur Neo Damaki depuis peu ; les revers d'une vie combative avaient tout balayé pour instaurer leur caprice. Était-ce caprice divin ? Était-ce hasard capricieux ? Puis le hasard, ce désiré, ce répudié, ensorcelant hasard, avait encore frappé, mais on ne pouvait se morfondre alors que sur vélin étaient posées milles mots à absorber par le dirigeant du culte guerrier.
Assis à ce bureau, à la place de celui qui le lui avait cédé, et en son honneur, il souffla puis inspira à la recherche de patience, et ses mires acerbes prirent chemin de lecture.
Il ne regretta point. Aussitôt lue, il la relue, cette lettre finement écrite. Si ses émotions avaient été du genre tapageuses, sans doute alors ses mains tremblantes le seraient tout autant ; hélas il n'était que marbre et marbrures, ses mains au contraire quasiment broyaient-elles le vélin, et ses dents luttaient entre elles pour ne pas laisser sortir sa langue d'un seul millimètre. De dehors il semblait calme, ou juste tendu. Dans l'imprévisible qui le définissait, il se mit à rire. Un rire fou peut-être fou rire qui résonna dans le spartiate bureau du Haut-Prêtre d'Othar, au Grand-Temple, à Erac.
Après conciliabule, très peu de monde fut réticent à l'idée de prendre part à cette guerre, et en ce point culminant. Si d'aucuns voyaient d'un mauvaise œil la succession de Bertrand de Cléruzac, d'autres semblaient n'y voir que succession d'évidence.
Trente Neuf Barkios Printanier, X, XI,
Grand-Temple d'Othar,
Au Seigneur de Saint-Aimé,
Le Culte voit aujourd'hui vôtre requête, comme étant un aveux, celui de ceux qui ont du cœur au ventre, de preux, de combattants. De fervents hommes, braves, dignes. Dignes des regards du Père des Combats.
C'est au nom du Coléreux donc, que nous acceptons en ce jour, avec honneur, de prendre part à ce qui nous semble être le rendez-vous des Dieux, puis de leurs Fils qui sous la voûte s'échinent, et le feront encore et toujours... À rendre ce monde plus vrai qu'il ne l'est aujourd'hui.
En étant bref et concis, nos fervents hommes iront rejoindre les vôtres, et les autres aussi d'ailleurs ; ces Christabellois qui bien qu'ecrasés, sont dignes adversaires, frères tout autant, soyez-en sûrs. Quant à nos frères Otharites, moines et prêtres prendront assez rapidement place à vos côtés, et ce afin d'apporter ce souffle de persévérance que nous irons escompter. Le temps nous est certes non acquis, il saura cependant laisser aux frères que nous sommes, le temps de préparer la plus glorieuse des cérémonies, une fois sur place.
Nous ne seront pas nombreux face aux osts réunis, mais si nôtre foi est inébranlable, telle sera la vôtre.
Au nom du Culte Otharite, Neo Damaki, Champion d'Othar, À la Gloire du Seigneur de la Guerre, Roi sous la Montagne
Neo avait attendu trois jours avant d'envoyer telle lettre. Il avait non sans mal obtenu l'accord des plus imminents, et le Culte encore bouleversé par le destin de Cléruzac, et du sien, avait en une seule lettre vu le cours des choses fluctuer. Le Culte Otharite s'en allait guerroyer. À Christabel ils gouteraient aux saveurs oubliées. À Christabel aussi, serait honoré le Seigneur de la Guerre, entre combats et sacrifices... À Christabel Neo comprendrait ce pourquoi le Culte pouvait bien être le meilleur moyen de l'aider à honorer son Dieu.
Bref, pour l'heure il devait gérer le départ de son petit ost, les moines guerriers du Grand-Temple, qu'il rejoindrait par la suite.
À ceux qui ont du cœur au ventre. [Grand Temple d'Othar]