[Demeure Al'Serat] Les lanternes bleues

Printemps - Courant 4e ennéade de Barkios
10e année du XIe Cycle
peu après la pendaison du Grand-Prêtre

Un bruissement courrait dans les salons mondains comme une vieille guenille dont on aurait su que faire. Accueillit par des froncements de nez, des moues incrédules ou même par l'oubli bien heureux des mémoires défaillantes, le fait restait asse insolite. Pour la première fois depuis des dizaines d'années, le domaine des Al'Serat brillait de tout ses feux. Le long de la façade, des lanternes aux flammes bleutées brûlaient dans de petites alcôves, un trait esthétique mis en place du temps d'un aïeul qui permettait également de voir facilement qui s'approchait des murs.

Des gardes étaient de nouveau postés dans les lieux, leurs capes blanches marquées d'un étrange sceau noir frappé des mots Kirgat Athiyk, Forge l'Âme. A toute heure du jour et de la nuit, des esclaves de toutes races aux poignets et au cou bardés de métal s'affairaient autour de la bâtisse sur les ordre d'un vieil homme grand et maigre. On sortait de vieux meubles. On y apportait des nouveaux. On remplaçait des tentures. On martelait. On clouait. On sculptait. Pourtant, aucun habitant n'était venu se présenter à ses augustes voisins.

Certains certifiaient qu'une cohorte aussi importante que celle de l'année passée avait investit les murs de la demeure sans que la vieille drow sensée habiter là ne soit à leur tête. D'autres assuraient que le l'endroit était devenu un centre d'échange obscure et de contrats tâchés de sang. Que la Doth'Ka en avait fait un avant-poste en cette étrange époque.

Durant quelques jours après la mort du Grand-Prêtre, l'activité du vieux domaine était un potin aussi important que la pendaison elle-même dans le quartier. Mais ne voyant rien venir et les travaux devenant habituels, en moins d'une ennéade, les frivoles voisins étaient passés d'une légèreté enthousiasme à une surveillance de principe. Les serviteurs des grandes maisons avaient même entre-pris d'interroger le vieil intendant Zaïch'Ker. " La Maîtresse de Maison est de retour. " avait-il invariablement répondu du haut de ses frusques vert émeraude.

Printemps - courant 5e ennéade de Barkios
10e année du XIe Cycle

Cela faisait une ennéade que la Maîtresse était arrivée. Les deux baraquements avaient été sur-peuplés. Quatre à l'étage intermédiaire, deux à l'étage supérieur, et deux dans la chambre d'honneur adossée la chambre de maître. sur la dizaine d'esclave qui avaient fait le voyage, seuls cinq avaient put être logés dans le dortoir, tous des elfes de race pure à la peau nacrée et aux cheveux longs. Les autres avaient été parqués dans l'écurie et n'entraient dans le domaine que pour travailler. Jawa avait été promus gouvernante mais la Maîtresse n'ayant toujours pas trouver le temps de prendre une décision au sujet de Driz'na, ni même de la voir une fois en passant, la demie-drow avait gardé son lit dans le dortoir de la laverie. Edvard ne perdait plus la petite d'une semelle par peur qu'elle se carapate ou se blesse dans le manoir en travaux.

Depuis la grande arrivée, les fourneaux fumaient du petit matin au creux de la nuit. l'organisation des équipes et la séparation des tâches étaient orchestrées par Zaïch'Ker d'une main de maître... Et c'était le cas de le dire puisque la Maîtresse elle-même se faisait totalement oublié. Elle passait la majeure partie de son temps dans sa chambre ou dans des temples et c'était à peu près tout. Plusieurs esclaves avaient déjà passés la nuit avec elle. Un elfe à l’œil sombre en était revenu plutôt amoché. Mais jamais elle n'avait demandé à voir Driz'na. D'après l'intendant, même lorsqu'il avait lui-même amener la question, elle avait refuser par manque de temps.

Puis, à la fin de l'ennéade avait commencé à tourner cette histoire de pendaison de crémaillère. L'Intendant en personne était passé dans les manoirs alentours pour convier les voisins à fêter le retour définitif de la Maîtresse des Forges de Lave dans la demeure familiale. Ceux qui lorgnaient depuis des siècles sur ce petit bout de terrain pour agrandir leur propre domaine répondirent avec un merveilleux sourire jaune.

Ce n'est qu'au matin de la dite fête, le dernier jour de la 5e ennéade, que Zaich'Ker s'était de nouveau intéresser au cas de Driz'na. En rentrant du Temple, Edvard et la petite avaient trouvé le vieil homme en train de vérifier une liste sur le pas de la porte. A peine l'esclave et sa jeune Maîtresse s'étaient-ils avancer que l'homme s'était avancé à grands pas, froissant au passage son éternelle tenue verte - quoi que celle ci soit un peu plus légère que le jour de l'arrivée de l'enfant dans le domaine.

- Enfin. La Maîtresse veut vous voir. Edvard, va chercher une tenue convenable. Suis-moi petite. " comme ces gens qui ont l'habitude d'être obéi au doigt et à l'oeil, l'homme fit immédiatement volte face et pris le chemin de la chambre de gouvernante que la petite occupait toujours. Moins grognon, il paraissait également plus agité que d'ordinaire. Ils venaient d'arriver devant la porte de la chambre de la gamine lorsqu'il se pencha pour lui donner ses ordres. " J'ai déjà demandé à ce qu'on dépose une vasque d'eau claire et du savon. Tu va te débarbouiller et enfiler la tenue qu'Edvard t'apportera. "

Derrière sa silhouette chenue, une ombre glissa de façon inhabituelle.  

Le bruit d'une lame dont la garde frappe contre le fourreau en étant rengainée. Une. Non. Plusieurs personne masquées et gainées d'armures de cuir se tenaient là et...

- Reste dans ta chambre et n'ouvre pas. " lui souffla-t-il en la fourrant dans la petite pièce et refermer la porte d'un mouvement vif. La main de l'intendant fit vaciller la poignée durant un instant. Il prit une grande inspiration et gagna la laverie. Les choses changeaient. Uriz fassent que ce soit pour le mieux...

- Jallil Den'Zess. " salua-t-il un tantinet trop fort pour que cela reste entre quatre murs

Un bruit de coup lui répondit. Un seul. Puis des murmures.

Les ennéades qui suivirent son arrivée dans la trop grande demeure, Driz'na se fit comme elle le put à sa nouvelle vie : soirées mornes chez la maîtresse et journées détestables aux temples. La première journée dans sa nouvelle classe, pour commencer, ne s'était pas spécialement bien passée. Elle était arrivée, le prêtre l'avait présentée à ses nouveaux camarades et tout de suite s'était instauré un gouffre entre eux et elle : ils étaient bien habillés, bien éduqués et prétentieux, elle venait du quartier le plus haut du Puy et bien qu'elle ait bien été éduquée par son père, elle ne portait pas la même qualité d'habits et aurait de base préféré être à l'autre temple. A la fin de la première journée, Edvard - elle avait fini par comprendre que c'était un humain muet et qu'Edvard était son prénom - l'avait retrouvée avec de nombreux bleus sur le corps, dont le visage. Pourtant, elle n'avait pas été plus effrayée que d'habitude, elle l'était moins que la veille du moins. Sa première journée ne s'était pas bien passée, certes... mais elle avait déjà compris tout un tas de choses sur ses camarades et sur leur fonctionnement. Et elle allait devoir réagir autrement qu'au quartier doeb : ici les enfants semblaient être plus intelligents, sournois, et les cours étaient nettement plus poussés. Elle ne vivait plus dans le même monde.

Finalement, elle avait fini par se tailler une petite place de "fille transparente mais pouvant s'avérer utile", si bien qu'elle avait intégré un groupe dirigé par un gars qui avait quelque chose d'étrange dans sa façon de se comporter. Il se ventait d'avoir du sang pur dans les veines, elle s'en fichait complètement... elle ne savait même pas qui étaient vraiment ses parents. Au moins avait-elle une sorte de protection à rester auprès de lui, même si elle comprenait que le jour de la cérémonie il risquait plus de se comporter en ennemi qu'en allié. Garder ses ennemis auprès de soi était une bonne logique, aussi se contentait-elle de devenir celle qui écoutait et retenait dans le groupe, notamment ce qui pouvait avoir attrait aux concurrents. Loin d'être sotte, elle faisait bien sûr attention à garder certaines informations pour elle ; de toute façon, c'était ce a quoi on l'avait éduquée.

A la maison, elle s'ennuyait de rester entre les murs. La vie de rue lui manquait. Alors elle passait son temps à lire - à ce propos, il manquait vraiment des informations dans le livre sur le IV° Ost - et à regarder les deux esclaves vivre leur vie quand ils ne s'occupaient pas d'elle. Souvent elle restait assise à la table de la cuisine à regarder Jawa faire la cuisine pendant que le grand blanc faisait une sorte de tapisserie mniature. C'était joli ! Aussi elle se faisait plaisir à rester à côté de lui à le regarder tisser tout en sentant avec plaisir la bonne odeur de la cuisine drow. Les deux finirent par s'apercevoir qu'elle pouvait étrangement passer plus d'une heure à être assise, sans bouger, juste à le regarder faire. Puis vint le moment où des gens vinrent pour changer les meubles, faire le grand ménage partout pour accueillir sa tutrice. C'était pire que dans une fourmilière, si bien que même Edvard ne pouvait plus tant que ça s'occuper d'elle et que pour ne pas gêner elle était littéralement coincée dans sa chambre. En plus de lui donner la bougeotte, la petite s'ennuya fermement pendant tout ce temps. Des lectures, des lectures, un peu d'écriture et pas mal de dessins furent sa compagnie. Inexorablement, elle attendait que les soirs passent.

Encore une ennéade se passa. En classe, ça allait mieux, sans vraiment le vouloir elle se démarquait malgré son maintient pas suffisamment bon aux yeux des habitants de ce quartier. Il fallait dire que les prêtres la testaient tous sur ses connaissance et sa capacité de raisonnement, ce qui était ses deux points forts. A la demeure, sa tutrice était arrivée depuis pas mal de temps mais n'avait aucunement eu le temps ou l'envie de la rencontrer. Aussi quand elle rentrait à chaque fois son ventre se nouait, ne sachant pas si elle était acceptée, pas du tout ou bien si la maîtresse attendait vraiment d'avoir du temps à lui accorder pour décider de son sort.

Driz'na rentrait des classes avec Edvard quand ils virent le vieux grincheux en habits verts les attendre au pas de la porte. Il semblait de meilleure humeur que les autres soirs mais cela ne l'empêcha pas d'avoir le même ton froid avec eux. L'esclave ne se fit pas prier et alla chercher des vêtements d'enfant - parce qu'ils avaient ça ici ? - pendant que Driz'na suivait l'intendant. Ainsi, elle allait rencontrer la maîtresse des lieux... son ventre se tordit douloureusement alors qu'ils s'approchaient de sa chambre et que le vieillard l'informait qu'elle allait devoir se laver rapidement et sommairement avant d'aller rencontrer la dame. C'est alors que l'ombre se fit trop rapide pour être vraie et que l'adulte lui souffla de rester sagement dans sa chambre et surtout de ne pas ouvrir la porte. L'enfant en resta presque figée, la respiration interrompue jusqu'à ce que la poignée de la porte se soit définitivement remise dans sa position normale. Elle avait vu. Elle avait entendu. Elle avait ressenti toute la tenison qui s'était brusquement installée. Aussi colla-t-elle sans faire de bruit son oreille contre la porte en bois, écouta la salutation de l'adulte rabougri qui s'était vraisemblablement éloigné de la chambre, le coup puis des murmures. Sa respiration se fit alors saccadée mais relativement peu sonore pour ne pas attirer l'attention. En faisant le moins de bruit possible et s'éloigna de la porte en priant pour que les fausses ombres n'entrent pas. Encore petite et menue elle se dépêcha alors comme elle put de caler une chaise contre la porte pour essayer de faire en sorte que personne ne puisse entrer et courut se faufiler sous son lit en une belle glissade. Un petit détour à son maigre sac pour y récupérer son couteau - on ne savait jamais - puis elle resta planquée sous le lit, ne serait-ce que le temps de réfléchir.

Que voulaient ces gens ? Etaient-ils des alliés ou des ennemis ? Etaient-ils employés par la maîtresse, par l'un de ses invités ou étaient-ils là illégalement ? Pourtant, le vieil ennuyeux semblait connaître l'une des ombres... Alors pourquoi l'avoir frappé ? Si c'était lui qui avait reçu un coup ? Peut-être parce qu'il avait parlé trop fort ? Bon... S'ils lui voulaient du mal, est-ce que ça servirait à grand chose qu'elle reste là ? Elle s'était déjà amusée à essayer de trouver une cache dans cette pièce, il n'y en avait pas, donc... non. Et s'ils ne lui voulaient rien et qu'Edvard venait avec les vêtements alors qu'elle ne s'était pas débarbouillée, que se passerait-il ? Elle se ferait gronder. Et elle n'avait pas du tout envie d'avoir une correction, ce n'était pas le moment... ce n'était jamais le moment pour une correction, en fait. Elle attendit donc, ne sachant trop que faire, aucunement rassurée par le silence ambiant. Puis, au bout d'un long moment, elle finit par se décider à sortir de son trou pour se laver, couteau toujours en main.

Elle avait beaucoup de mal à ne pas fixer de ses yeux violacés la poignée de la porte. Elle se lava le visage, le cou, les bras et une partie du tronc lorsque quelqu'un essaya d'entrer. Elle lâcha la serviette pour se saisir de son couteau, prête à... à elle ne savait pas quoi faire, se défendre sans savoir comment.

"Qui est-ce ?"

De l'autre côté du battant, trois petits coups retentir de nouveau sans réponse intelligible. Lassé d'attendre, on tenta même de tourner la poignée mais la chaise bloqua la porte. Un pas lourd. Quelque chose de large se colla soudain contre le bois, faisant vibrer le battant et la chaise. Mais le loyal siège ne céda pas. Et de nouveau du silence. Encore. Encore. Un claquement sec, comme un lien qui se rompt. Quelque chose de lourd qui tombe sur le sol. L'ombre projeté en dessous de la porte vacilla. Quelque chose semblait vouloir passer par là. Un fin fil sombre.

En le tirant à la lumière, la petite pourrait sans peine reconnaitre l'un des liens tissés qu'Edvard réalisait à ses heures perdues malgré les bords arrachés de celui ci. A bien y réfléchir, non seulement l'humain en ornait sa barbe, ses cheveux et ses bras, mais Jawa en portait aussi un grand nombre au poignet gauche comme bracelets. Certains vieux de plusieurs mois, d'autres très récents. Celui-ci n'était pas fini. Le début de ses motifs était semblable à ceux que le grand blond avait incrusté dans son œuvre du début d'ennéade.

De l'autre côté de la porte, deux pairs de pieds attendaient patiemment. L'une épaisse dans de vieilles bottes. L'autre fine dans des chaussures de cuir renforcer d'un métal mâte et sombre.

Elle avait peur. Vraiment. Et le fait qu'on essaie d'enfoncer la porte était pire, cela lui donnait l'impression qu'on voulait lui faire du mal. Elle ne répondit donc rien, attendant tremblante de voir ce qui allait ensuite lui arriver. Puis vint l'objet non fini qui lui indiqua qu'il s'agissait du grand Edvard. Elle hésita un moment, se rappelant autant qu'elle devait rester dans cette pièce et ne pas ouvrir que le blanc esclave devait lui apporter ses habits. D'un côté elle ne voulait pas faire attendre sa tutrice, de l'autre elle voulait encore moins se mettre en danger en ouvrant cette porte. Elle s'allongea à moitié sur le sol, de sorte à voir les chaussures de la personne qui se trouvait derrière la porte, et fit une moue inquiète en apercevant deux paires de pieds. Deux paires de chaussures, en fait, l'une appartenant à l'esclave et l'autre à... hé bien elle n'en savait rien. Les yeux toujours posés sur les chaussures de cuir renforcé de métal, l'enfant se lécha nerveusement les lèvres. Puis, finalement...

"Edvard n'a pas besoin d'aide pour porter des vêtements ! Et il est où le vieux ?"

Par précaution, elle se recula suffisamment de la porte pour ne pas se la prendre en pleine tête si jamais elle s'ouvrait, regardant toujours par l'entrebaillement pour essayer de comprendre comment allait réagir la personne qui accompagnait l'humain. Elle se mordit les lèvres, espérant n'avoir pas fait de bêtise...

Un rire franc éclata de l'autre côté du battant. Une voix de femme grave et chaude comme les flammes d'un volcan. Voix qui devait appartenir à la paire de pied visible étant donné la synchronicité qu'elle sous-entendait.

- Bien joué Gamine. Bon réflexe. " rit la femme " A toi de jouer vieil homme.

Un raclement de gorge et la voix de Zaïch'Ker se fit entendre quoi que moins assuré que d'habitude.

- Je suis là Driz'na. Tout va bien. Tu peux ouvrir. Ces gens sont là sur ordre de la Maîtresse je n'ai simplement été prévenu que... tardivement.

Un rire puis la voix de l'elfe habillé de vert. Bien que moins orgueilleuse qu'à l'accoutumée, pour une fois cette voix rassura l'enfant. La dame était avec la maîtresse, comme les autres ombres. Elle n'avait rien à craindre.

"Ah... J'ouvre."

Driz'na se releva et partit à pas rapides cacher son couteau parmi le peu d'affaires qu'elle avait. Elle en profita pour enfiler rapidement une tunique propre et délavée à manches courtes. Ses camarades de classe la regardaient de travers dans de tels habits mais elle s'en fichait : elle était bien dedans et c'était tout ce qui llui importait. En plus, ils sentaient mieux le propre que lorsqu'elle se retrouvait seule chez elle. Elle revint auprès de la porte, eut quelques difficultés à déplacer la chaise puis entrouvrit la porte, la tête à moitié rentrée dans les épaules. C'est qu'elle n'avait pas très envie de savoir comment allait réagir l'intendant après l'avoir ouvertement appelé "le vieux"... A sa décharge, il ne lui avait jamais donné son nom ! Enfin elle croyait... elle s'en aurait souvenu s'il le lui avait donné. Elle oublie rarement les choses, surtout des détails importants comme le nom de celui qui était venu la chercher au temple d'Uriz. Et elle n'avait pas spécialement confiance en la personne armée qui se trouvait derrière la porte, aussi. Mais si elle venait de la part de sa tutrice... pas trop le choix que de l'accepter.

En voyant l'oeil violacé de la gamine au travers de l'embrasure, les trois adultes se redressèrent, prêt à entrer. Zaïch'Ker ne semblait pas tenir le moins du monde rigueur à la fillette de lui avoir manquer de respect. Il semblait même que ses cheveux longs et lisses soient un peu moins bien agencés que d'habitude. Sa mâchoire était crispée. Edvard gardait son air un peu avenant mais une certaine raideur lui tenait le dos droit. Seule l'étrangère en armure de plate et de cuir sombre, portant capuche et masque intégral semblait parfaitement détendue.

- Edvard, aide là à se préparer, nous attendons ici. " demanda poliment l'intendant.

Le colosse blanc s'avança d'un pas en tendant le tas de vêtement. Il devait bien y avoir quatre robes, il avait sûrement pris de la marge pour s'assurer que la jeune fille trouverait de quoi s'habiller correctement. Faisant un geste de sa poitrine vers l'intérieur, il questionna la fillette du regard pour savoir si elle l'autorisait à entrer, s'attendant tout autant la voir prendre les vêtements et s'enfermer à nouveau comme la petite créature farouche qu'elle semblait être depuis son arrivée.

Lorsqu'elle sortirait de là habillé, l'intendant et l'inconnue l'escorteraient dans l'étage inférieur jusqu'aux portes des appartements de maître. Trois coups seraient frappés et une voix grave lancerait sèchement :

" Quoi ?!
- Driz'na, ma Dame. Comme vous l'aviez demandé.
- Parfait. Qu'elle entre. Tu peux disposer Zaïch'Ker.
- Dren'Zess est là également.
- ... Tu peux disposer j'ai dit. "

L'enfant regarda les trois adultes, la porte juste entrouverte. Elle s'attendait à ce que l'intendant la gronde mais il n'en fut rien, au contraire même ses paroles furent plutôt gentilles. C'était étrange. Peut-être y avait-il un lien avec le fait qu'il ait l'air... moins assuré ? plus tendu ? que d'habitude. A la demande silencieuse d'Edvard, la gamine ouvrit assez grand la porte pour qu'il puisse passer puis la referma.

Une fois dans la chambre, le géant blanc posa les vêtements qu'il avait apportés sur le lit. L'enfant vint voir, regarda attentivement chaque habit, en déplia quelques uns... puis posa ses yeux violacés sur ceux bleus de l'esclave. Avec tout ce qui se passait en si peu de minutes, elle était perdue. Et lui ne semblait pas forcément être à l'aise, ce qui n'aidait pas la gamine. Elle posa à nouveau les yeux sur les vêtements étendus sur le lit et resta un long moment silencieux. Edvard dut attendre plusieurs minutes avant que la voix fluette de l'enfant ne résonne dans la pièce.

"Il n'y a pas de pantalon..."

De cela, Driz'na en était vraiment désolée. Elle n'aimait pas les robes, n'en avait jamais porté et de toute façon n'appréciait aucunement de montrer ses jambes aux inconnus, même si pour le reste du corps cela ne la dérangeait pas - surtout devant un mâle adulte. Ce n'était pas pour rien qu'elle n'avait pas de tatouages aux jambes. De plus, Lok'nath disait souvent que les robes n'étaient pas pratiques et reflétaient une fausse liberté. Alors si elle pouvait rester libre... Malheureusement, elle allait être obligée de porter une de ces horreurs-là. Après un soupir de résignation elle choisit une robe noire et demanda à Edvard de l'aider à l'enfiler puisqu'elle ne savait pas comment ça pouvait bien se mettre. Cette tenue était faite dans un tissu fin lui descendant jusqu'à mi-jambes, quelques touches de violet égayant le noir abyssal. Des lacets dans le dos permettaient un bon ajustement et une fente sur le côté commençant à mi-cuisse laissait à chaque mouvement le plaisir aux yeux étrangers de découvrir un peu plus sa jambe gauche. Pas le plus agréable pour la petite qui finit par sortir, gentiment poussée à la porte par l'esclave après qu'il eut réussi à faire en sorte qu'elle laisse son pantalon dans la chambre.

Elle suivit donc le vieux et l'inconnue à travers les couloirs, marchant assez maladroitement dans cette robe dont elle refermait la fente d'une main. Avec quelques craintes elle se laissa conduire à l'étage inférieur puis jusque la porte des appartements de la maîtresse. Et encore une fois, ce qui se passa ne fut pas pour la rassurer : la voix grave donnant ses consignes à travers la porte, l'intendant - dont elle entendit enfin le nom - congédié, la femme au masque de fer qui restait... Bien qu'elle n'était aucunement attachée à Zaïch'Ker, il était la seule personne libre que Driz'na connaissait de vue pour la situation critique pour l'enfant qu'elle était. Serait-elle acceptée ? renvoyée ? réduite en esclavage ? Quel pouvait être le lien entre son père et cette tutrice ? A quoi ressemblait-elle ? Etait-elle une mégère ? Et qui était cette Dren'Zess, en réalité ?

La porte s'ouvrit. La petite Driz'na entra, fit attention à ne plus refermer sa main sur la fente de sa robe pour ne pas montrer son malaise etne prit que trop peu le temps de regarder la salle avant de baisser la tête. Devant un adulte, l'enfant se devait de baisser les yeux jusqu'à ce qu'on l'autorise à faire autrement. C'était ce qu'on lui avait appris au temple. Alors baissa-t-elle la tête face à la maîtresse des lieux.

Une gamine pas bien grande, les cheveux bruns mal peignés malgré l’ordre qu’on semblait avoir voulu y mettre, campée sur des jambes faites pour la course. Voilà ce qui entra dans la grande chambre aux murs gravés de scènes de l’eda Vengeur et orné de lourdes tentures rouge et violettes. Sur un large lit, une drow au visage légèrement ridé et aux yeux rouges sombres souriait.


Une robe de soie légère dévoilait son corps façonné par l’exercice malgré un âge visiblement avancé. Ses pieds reposaient sur les épaisses fourrures placées sous et tout autour du l’immense couche. Une expression  hautaine laissait tomber un regard inquisiteur sur la petite arrivante. Elle regarda à peine la femme masquée et s’intéressa plutôt à l’accoutrement de la fillette, fronçant un sourcil risible face à sa dégaine de pouilleuse arrivée par hasard dans les hauts quartiers. Krish avait raison, mieux valait s’en charger avant la fête ou elle pourrait bien se mettre à dos des familles de Prima.

- Je ne sais pas ce que Zaich’Ker t’as dit mais ce soir j’organise une fête pour mon retour et il y aura plusieurs invités de marque. Je souhaite donc que tu te fasses la plus discrète et la plus invisible possible. Mais au cas ou quelqu’un te vois, je veux que tu t’habilles et que tu te coiffes plus convenablement que ça. Tu penses pourvoir faire ça ?

Sans presque se soucier de la réponse, la dame prit une bouffée de la longue pipe droite qui tournait entre ses doigts et vérifia d’une main que sa coiffure était parfaitement tirée.

- Dren’Zess restera…

Un bruit de porte qu’on ouvre surgit à la droite de la vieille drow, la coupant dans son élan. La ou bien des maîtres se seraient crispés, elle posa les yeux sur le jeune homme qui venait de sortir de la salle d’eau les bras chargé d’un coffret en métal. Du coin de l’œil, l’éclat subreptice d’une flamme reflété par un marque d’argent cilla un bref instant. Grimpant derrière elle sur le matelas, il sortit diverses broches et attaches ouvragées pour parfaire la coiffure complexe de ses cheveux blancs tandis qu’elle reprenait à l’intention de ses deux hôtes.

- Dren’Zess est une amie de longue date. Elle restera avec toi jusqu’à ce que tu te couches ce soir. Tu ne dîneras pas à ma table et les esclaves seront trop occupés pour te tenir compagnie. Je tiens à ce que tu te conduise bien avec elle.  Tu as compris ? » Elle attendit que la jeune fille ait accepté avant d’ajouter, la têt légèrement tirée vers l’arrière par les traitements que subissait sa chevelure. « Ce soir elle sera peut-être occupé mais demain tu déménageras dans la chambre noire, à l’étage supérieur. Nous reparlerons de ton apprentissage et de tes devoirs ici. »

Elle prit de nouveau un trait de fumée qu’elle expulsa par les nez et indiqua la porte d’un geste vague.

- Tu peux disposer. »

A l’extérieur, il n’y avait plus trace, ni de Zaïch’Ker, ni Edvard. Dans le silence, l’étrangère masquée n’avait plus l’air particulièrement à son aise. Son visage dépourvu de traits était penché vers celui de la petite, comme si elle réfléchissait intensément. Puis, se frottant un bras, elle demanda.

- Tu n’as pas l’air à l’aise… Peut-être qu’on pourrait te trouver autre chose pour commencer ?

Gardant le regard baissé, Driz'na ne fit qu'écouter les paroles distantes de la maîtresse des lieux. A aucun moment la drow ne lui demanda de relever les yeux, à aucun moment elle n'essaya d'apprendre à connaître la gamine qui se trouvait en face d'elle. Cela bouleversait l'enfant qui, pourtant, n'avait su s'attendre à quoi que ce soit de cette rencontre. Elle ne comprenait pas si elle était vraiment acceptée, à quoi correspondait la chambre noire à l'étage supérieur... elle savait juste que pour la soirée à venir elle devrait être "bien coiffée" et "bien habillée", même si elle devrait être encore plus discrète et invisible qu'un fantôme.

"Oui madame."

Ces mots furent répétés une seconde fois. Oui elle serait sage avec Dren'Zess. Non elle ne mangerait pas avec la maîtresse et oui elle laisserait les esclaves tranquilles parce qu'ils seraient trop occupés pour s'occuper d'elle. Elle n'était pas à l'aise... Finalement elle aimait bien Edvard, il faisait un peu office de figure paternelle et elle aimait beaucoup ce qu'il tissait. Par contre, Dren'Zess... elle ne la connaissait absolument pas et la première chose que la femme avait fait était de lui faire peur. Driz'na hocha juste affirmativement de la tête lorsque la grande dame la congédia puis suivit la femme masquée vers l'extérieur. L'enfant se permis juste un rapide coup d'oeil vers sa tutrice pour voir à quoi elle ressemblait et en retint surtout la robe dévoilant la quasi-totalité de ses jambes.

Dans le couloir, plus de Zaïch'Ker. Pas d'Edvard non plus. Juste une enfant qui avait pour seule envie que rien de tout cela ne se soit passé tout en refermant sa main sur la fente de sa robe et un masque de fer qui semblait ne pas tellement savoir comment se comporter avec la petite.

"Tu n’as pas l’air à l’aise… Peut-être qu’on pourrait te trouver autre chose pour commencer ?"

Driz'na releva un regard tout aussi désespéré qu'embarassé vers Dren'Zess. De ses yeux violacés semblaient vouloir couler des larmes transparentes qui, pourtant, restaient sagement dans leur lit. Les deux mots qui sortirent de sa bouche ne furent que peu audibles par l'adulte...

"Un pantalon ?"

Derrière son masque, Dren'Zess eut un sourire perplexe. Non que la demande de la petite la choquait, mais elle ne s'attendait pas franchement à se voir confier une gamine de but en blanc ce soir là. Mais ce que Krish Al'Serat décidait, Krish Al'Serat l'obtenait, alors... Elle gratta le côté de la capuche et tendit une main maladroite à la gamine en soupirant.

- Vient, on va en haut, ce sera plus agréable qu'ici.

Elles remontèrent silencieusement les marches menant à l'étage intermédiaire puis à l'étage supérieur. Les couloirs de services étaient silencieux et déserts, éclairés seulement par de petits lampions. Elles firent à peine quelques pas dans cette ambiance feutrée avant que la femme masque se tourne vers l'une des portes que la petite avait toujours trouvée close. Elle tira une petite clef de son plastron et la tourna dans la serrure avec un geste fluide qui dénotait une habitude incongrue.

La porte céda sans plus de cérémonie, dévoilant une chambre aux murs noirs couverts de tentures rouges. Le mobilier, les draps du lit, les sommaires décorations, tout se détaillait dans des teintes rougeâtres ou rougeoyantes jusque dans les moindres détails.

- Entre. Tu peux t'installer sur le lit le temps que je trouve... quelque chose.

Une fois à l'intérieur, la femme referma le battant qui se confondait parfaitement avec le reste du mur et referma l'accès d'un tour de clef dans une fente rendue à peine perceptible par les bas reliefs. Cependant, elle ne remballa pas la clef, la laissant plutôt en évidence sur une table surmonté d'une lampe juste à côté de l'entrée dérobée. Machinalement, elle alluma toutes les lampes une a une, donnant une atmosphère douce à la pièce, avant de passer dans une salle attenante. Des choc de bois, de métaux et des froissements de tissus émanèrent de la porte entrouverte jusqu'à ce qu'elle en ressorte avec un tas de fripes dans les bras. Plusieurs pantalons de tailles diverses, évasés comme de longues jupes pour couvrir les jambes sans coincés aux entournures et plusieurs tuniques simples mes élégantes. Noir blanc et rouge s'entremêlaient ou se chassaient les un les autres dépendant des vêtements. Elle les tendis à la gamine, sans un mot, avant d'aller s'asseoir sur un buffet qui longeait le mur un peu plus loin, poussant pour ce faire une lourde géode de grenat.

Les jambes ballantes, les doigts entrecroisés posés sur ses cuisses, le visage de métal poli fixa la pièce. Perchée là, elle formait une bien étrange gargouille, il était même difficile de savoir ce qu'elle regardait ou ne regardait pas. Mais au bout de longs instants, elle laissa tomber.

- Je suis désolée pour ton père. Vaerian était... quelqu'un de talentueux. "

La gamine hocha de la tête suite à l'invitation de la femme masquée, la suivant ainsi sans faire le moindre bruit. Qu'elles aillent à l'étage intermédiaire ou à l'étage supérieur ne lui faisait absolument rien. Elle voulait juste quitter ces couloirs et se retrouver dans un coin qui lui convenait, avec autre chose qu'un vêtement dévoilant beaucoup trop ses jambes à ses yeux. Elle aurait quand même aimé qu'Edvard reste à côté d'elle... elle aurait pu calmer son esprit en le regardant tisser, cela avait le don de la détendre. Mais non. Elle devait rester avec une femme dont elle ne pouvait voir le visage. Cela la faisait presque soupirer de tristesse. Mais bon, elle était une fille d'Elda, même dans les moments les plus durs - surtout dans ces moments-là ! - elle se devait de se montrer forte, non ? Alors elle ravala sa salive et essaya de montrer le moins possible la peine et l'incertitude qui serraient son pauvre coeur.

Hop ! et un tour de magie ! Driz'na regarda l'adulte sortir une clef de son plastron comme si elle ne s'en était jamais séparée. Peut-être était-ce sa chambre ? Parce que si c'était la fameuse chambre noire dont avait parlé la maîtresse, c'était quand même étonnant qu'elle en ait la clef là maintenant, sans que d'autres y soient attachées... L'enfant ne dit pourtant rien, se laissant à suivre Dren'Zess. Et cela pour découvrir une chambre plus grande que celle dans laquelle elle était actuellement, toute noire et rouge. Elle n'était pas vraiment à son goût mais elle aimait bien les couleurs, un mélange de Uriz et de Teiweon. Les meubles, eux, faisaient trop gros et sculptés pour paraître vrais. Franchement, elle préférait la chambre de l'étage intermédiaire : les choses y étaient beaucoup plus simples.

"Entre. Tu peux t'installer sur le lit le temps que je trouve... quelque chose."

L'enfant se tourna un instant vers la femme de l'ombre, la regarda allumer les lampes comme si elle était habituée à cette pièce puis se dirigea vers le lit. Elle voulut s'asseoir au départ mais elle n'avait pas envie que la fente ne s'ouvre plus qu'elle ne l'était déjà. Alors elle resta debout et attendit que son hôte revienne de la salle à côté. Le temps fila, inlassable, laissant l'occasion à la petite de regarder à nouveau autour d'elle et de détailler tout ce qui pouvait sauter à ses yeux d'enfant. Pour le fait que Dren'Zess revint avec des pantalons relativement de sa taille, elle en fut trop heureuse pour se dire sur l'instant qu'il devait y avoir eu - ou y avoir - un enfant vivant dans cette chambre. A moins que les esclaves n'aient déjà apporté de quoi pour elle ? Mais comment auraient-ils été au courant si rapidement ? Non. Ces questions ne viendraient que bien plus tard.

Driz'na regarda les pantalons et tuniques, tenant toujours d'une main sa robe, et choisit deux vêtements qui correspondaient à son petit gabarit. Les couleurs principales, rouge et noir, apportaient une redondance avec celles de la pièce dans laquelle elle se trouvait. Mais pour ce qui fut de s'habiller, même si la femme semblait ne pas spécialement la regarder Driz'na eut du mal à accepter de se déshabiller en public. Elle pouvait bien sûr mettre son pantalon sous la robe puis enlever cette dernière... mais elle était habituée à changer de vêtements devant son père, pas devant une femme. Là était toute la différence. Aussi mit-elle beaucoup de temps et de précaution avant que le pantalon ne soit mis et qu'elle ne retire sa robe comme si c'était une vulgaire serviette. Limite, elle resta un moment torse nu, s'assayant sur le lit les jambes croisées avant d'enfiler la tunique choisie, son regard posé sur cette femme bien étrange. Femme qui finit par reprendre la parole.

"Je suis désolée pour ton père. Vaerian était... quelqu'un de talentueux.
L'enfant haussa les épaules. Vaerian... elle n'aimait vraiment pas ce nom mortuaire.
- Il ne s'en vante pas. Ceux qui se vantent de ce qu'ils font ne méritent pas les éloges, parce qu'ils sont dans le faux. Il fait son travail... faisait..."

Baissant les yeux vers le sol pour ne plus regarder le masque inexpressif, Driz'na inspira profondément. Elle n'avait pas envie de parler au passé de Lok'nath. Une part de l'enfant qu'elle était restait persuadée qu'il allait arriver d'un instant à l'autre, que la nouvelle de sa mort n'était que tromperie ou une méprise. Qu'il serait toujours vivant pour veiller sur elle. Comme il l'avait toujours fait.

"Vous le connaissiez ?" Continua-t-elle sans pour autant relever les yeux. "Comment ?"

Sans en avoir l'air, c'est avec une attention minutieuse que la guerrière observait la petite en train de se changer. Non qu'elle ait un goût quelconque pour les gamins en dessous d'un certain âge, mais elle scrutait son corps pour suivre les lignes de ses tatouages et comprendre sa façon de bouger. Chaque détail était noté avec attention dans l'insondable mémoire qui se cachait derrière le reflet rouge apparaissant dans les fines fentes de son masque. Le fait qu'elle se mette sans problème torse nu tout en éprouvant une gêne lorsqu'il s'agissait de ses jambes. Son maintient. Sa coiffure approximative. Chaque marque qu'elle portait et chaque absence de marque en signifiait beaucoup sur l'éducation qu'elle avait reçu.. Il avait toujours été d'une douceur incompréhensible envers les enfants. A se demander pourquoi c'était à cette maison qu'il avait léguer la petite.

Du point de vue de son observatrice, Driz'na bougeait avec précision. Elle avait une bonne conscience de son corps malgré son jeune âge. Le regard qu'elle posait sur le monde était alerte et elle était encore assez docile pour qu'on lui inculque les bases avant de lui apprendre a avoir du caractère. Elle ne serait sûrement jamais très grande mais promettait une beauté suave. Beauté qui pour l'instant se cachait dans la gangue mal dégrossie d'une petite sauvageonne. Elle s'était surement élevée à moitié toute seule. Bons Dieux Vaerian ! Avait-il un jour compris que les enfants n'étaient pas de charmants petits chats aux quels il suffisait de taper sur le nez quand ils font leur griffe sur leur tapis ?

Les quelques mots répondus au compliment de l'étrange surveillante firent pencher sur le côté la face de métal lisse.

- Ce n'est pas une question de vantardise mais de fierté. Ton père effectuait un travail ou il ne fallait pas que d'autres aient vent de ce qui faisait sa fierté. Personne ne connaissait son talent. Et personne ne te connaissait, toi.

Tandis que la fillette s'informait sur les liens qu'il pouvait y avoir entre son père et cette femme, cette dernière sauta à terre et frotta ses mains l'une contre l'autre. Son visage dépourvu d'expression était toujours dardé sur la petite.

- Quand quelqu'un d'autre reconnait ta valeur, accepte le. Ça n'arrivera pas forcément souvent. Dénigrer ton père ne l'aidera pas a trouver une place au Nahali. " laissa-t-elle tomber sans aucune considération pour les sentiments de son vis à vis.

Elle avança jusqu'au lit et s'assit sur le bord, à côté de l'enfant en tailleur. Doucement, la main gantée de cuir noire vint saisir son petit menton et le tourner de manière à faire face au masque. A cette distante réduite, elle pouvait distinguer les yeux de la guerrière. Ses iris étaient d'un rouge profond que l'obscurité ne parvenait pas à rendre terne. Sa peau était si noire qu'il était impossible de savoir avec précision quelle parcelle était de chair et quelle parcelle était d'ombre, donnant l'étrange impression que les iris de lave flottaient seules derrière le métal.

- Je ne sais pas si tu l'as entendu tout à l'heure mais je m'appelle Dren'Zess. Cela ne te rappelle rien ? "

Un rire étouffé surgit subitement. Puis elle se laissa tomber sur le dos. Le matelas se courba agréablement pour recevoir son poids. Un à l'envers. Un a l'endroit. Cela les avaient bien fait rire lors de leurs premiers exercices pendant leur service militaire et c'était resté.

- Vaerian et moi, nous nous sommes rencontré dans le temple auquel tu vas chaque jour. répondit-elle finalement, le visage tourné vers le plafond. " J'avais dix ans de moins que toi et c'était un bon a rien. Mais il avait une vue très clair de ses capacités et de celles des autres. Il couvrait mes arrières et je bottais des culs pour lui. Nous aurions du travaillé ensemble à la Doth'Ka, mais ni lui ni moi n'a fini là-bas en fin de compte." Elle se tourna du côté de la petite. " Tu as ses yeux. " Puis retrouva le joli plafond ouvragé. " Tu seras en sécurité ici. Je ne peux pas t'affirmer que tu t'y plaira, mais tu t'en sortira. Tu le lui dois. Sans lui, tu aurais été offerte à un temple ou réduite en esclavage il y a longtemps. "

Sans relever les yeux, la gamine écouta les paroles de Dren'Zess et les garda en mémoire. Ainsi, personne ne connaissait son talent... ni sa fille. Dans le fond, Driz'na eut envie de pleurer : la femme avait clairement sous-entendu qu'elle avait été une fierté pour son père. Rien ne pouvait être plus émouvant qu'une personne nous assurant que l'être aimé - mais mort - aurait été fier de soi. Il lui avait déjà montré qu'il appréciait qu'elle évolue, qu'elle fasse des progrès pendant ses absences. Mais, dans le fond, pouvait-on dire que quelqu'un pouvait seulement l'avoir connu ? Il prenait tellement de rôles différents...

"Quand quelqu'un d'autre reconnait ta valeur, accepte le. Ça n'arrivera pas forcément souvent. Dénigrer ton père ne l'aidera pas a trouver une place au Nahali.
- Je ne le dénigre pas... c'est lui qui disait ça. Parce qu'à se vanter de ses mérites, les autres finissent par connaître nos limites et on devient plus vulnérable. Si papa n'était pas doué alors il ne serait jamais revenu de loin."

La femme au masque de fer vint s'asseoir au bord du lit et, d'une main douce mais ferme, obligea Driz'na à la regarder. Les yeux violacés et humides de l'enfant rencontrèrent ceux rouges et profonds de l'ombre. La petite trouva dans ce regard flottant derrière la ferraille quelque chose d'hypnotisant qui avait de quoi l'attirer tout en créant un sentiment de crainte en elle. Pour l'orpheline, cette femme dégageait quelque chose de magnifique dont elle ne pouvait voir le visage.

"Je ne sais pas si tu l'as entendu tout à l'heure mais je m'appelle Dren'Zess. Cela ne te rappelle rien ?"

La gamine bougea doucement sa tête de gauche à droite, ce qui fit rire son interlocutrice. Elle ne comprit pas lorsque la guerrière se laissa à s'allonger sur le dos, faisant en même temps bouger le matelas. Alors elle l'écouta juste raconter comment elle avait connu son père, à la fois curieuse et amusée.

"Ca veut dire que je resterai bien, que la maîtresse veut bien de moi ?"

Elle aurait pu donner la première pensée qu'elle avait eue en écoutant Dren'Zess, pourtant il y avait cette question qui lui faisait mal tant que sa réponse n'était pas éclaircie. Une fois qu'elle put être soulagée de ne pas être vendue en tant qu'esclave ou autre chose encore, Driz'na eut un faible sourire puis repensa aux journées passées avec les enfants de grandes familles, dans le temple d'Uriz de ce quartier.

"C'est comme moi et Zev'yr. Tout le monde me regarde de haut parce que je ne suis pas comme eux mais lui a compris que j'écoutais plus que les autres, aussi il a fini par me prendre dans son groupe. Ici les enfants sont plus intelligents, ils comprennent que la parole peut être une arme et savent l'utiliser, sans pour autant savoir écouter. Mais lui est différent, à sa manière."

Une nouvelle fois, elle haussa les épaules. Zev'yr n'était pas important ce soir. En fait, il n'avait pas grand chose à faire dans la conversation. Driz'na baissa le regard sur ses mains qui jouaient calmement avec la couette, attendit un moment puis releva ses pupilles vers l'ombre allongée.

"Si vous étiez au temple où je suis depuis que Zaïch'Ker est venu me chercher, c'est que papa vient de ce quartier d'Elda ? C'était quoi son nom à l'époque ?"

La drow avait acquiescé lorsque la petite lui avait demandé de confirmer le fait qu'elle resterait au manoir. " La Maîtresse est occupée mais elle ne te renverra pas. " avait-elle laissé tomber comme une évidence. Elle se trouvait elle-même plutôt conciliante avec cette gamine. Peut-être que la nouvelle la rendait un peu nostalgique ou que son fils lui faisait voir les choses autrement.

Driz'na dont l'esprit vif n'était plus à démontré, fit le parallèle entre le temple d'Uriz et le passé de son père. Mais elle n'avait pas de réponse à lui donner pour l'heure.

- Quels noms tu lui connais ? "

"Quels noms tu lui connais ?"

Driz'na soupira. Ce n'était pas une réponse, ça. Et pourquoi devait-elle les lui donner, ces noms ? Si elle était vraiment une amie de Lok'nath elle devait les connaître. Du moins quelques uns. La gamine se balança d'avant en arrière tout en regardant ostensiblement vers le plafond, sa tête basculant en arrière.

"Beaucoup."

Voilà. Elle n'avait pas envie d'en dire plus. Mais Dren'Zess lui demanda par la suite d'expliciter sa réponse, comme si cela pouvait avoir une importance. Cela en avait une, en vrai. Même si Lok'nath ne rentrerait jamais. La petite n'avait aucune idée de ce que pourrait bien faire de savoir les noms de son père, sachant qu'en plus elle se doutait qu'elle était bien loin de tous les connaître. Il manquait plus que ça ne lui apporte des problèmes post-mortem... Elle remis sa tête dans une position normale, fit la moue, et conséda à donner quelques noms.

"Drizzdin, Veldrok, Lok'nath, Vaerian, Gor'ak, Zess'dr..."

Driz'na écarquilla grand ses yeux violacés et les plongea sur la femme qui était allongée à côté d'elle. Elle avait voulu voir si elle réagirait au fait qu'elle prononce mal le nom "Gor'ark" pour finalement se rendre compte que son esprit avait manqué de vivacité sur un point en réalité important. Sa bouche s'entrouvrit, sans savoir elle-même si c'était par étonnement ou du fait de se rendre compte de sa stupidité. Ou peut-être parce qu'après autant d'ennéades, elle ne s'était pas doutée qu'elle retrouverait ce nom ici.

"Zess'dren, Dren'Zess."

Ceux qui l'appelaient Zess'dren étaient ceux en lien avec Serzin qui la cherchaient elle ou son père. Un sourire illumina son visage, alors qu'elle se demandait sincèrement si elle devait demander à cette femme si elle venait bien de Serzin ou encore si c'était pour du travail. Mais au vu de la situation, peut-être était-ce tout simplement pour lui signifier qu'elle la cherchait, qu'elle était réellement une collègue de son père ? Elle avait peut-être tort. Mais cela la rassurait plus que n'importe quel mot n'aurait pu le faire.

Enfin. Elle avait compris. La guerrière sourit derrière son masque et ses yeux en laissait filtrer quelques miettes à l'extérieur. Incertaine de ce que la petite pourrait percevoir, elle lui lui répondit tout de même :

- Pas trop tôt. Je finissais par me demander ce qu'il t'avait dit de ses activités. "

Il était inutile que l'enfant connaisse le vrai nom de son père. Cela aurait put la mettre dans de fâcheuses situation s'il lui avait échappé au mauvais moment. Elle le connaitrait, un jour, quand elle serait vraiment capable de tenir sa langue, mais aujourd'hui elle était trop docile et trop jeune pour savoir ce que pouvait véritablement être un secret. Elle avait bien le temps.

En attendant, elle souriait. Un sourire rayonnant dépourvu d'anxiété ou de peur. Les yeux violacés qu'elle tenait de son père s'éclairait d'une façon qui la faisait plus encore ressembler à son géniteur. C'était une chose a laquelle on ne s'attendait pas. Les bébés n'avaient pas ces expressions, ces façons de bouger, de rire ou de sourire qui rappelaient leurs parents. Elle qui avait l'habitude de prendre chaque individu hors de sa lignée ou d'une quelconque parenté, il lui semblait que c'était la première fois qu'une similitude de ce genre lui sautait aux yeux.

Dans un silence confortable, elle se redressa sur un coude, soutenant sa tête encapuchonnée de son poings fermé. Changeant brusquement de sujet pour éviter de subir des questions auxquelles elle n'aurait pas voulu répondre, un détail amusant lui revint en mémoire.

- Dit-moi, pourquoi tu as honte de tes jambes ? C'est parce qu'elles ne sont pas tatouées ? "

Pour la troisième fois, la petite fille haussa les épaules. Ce qu'elle savait des activités de son père ? Pas grand chose. Du moins le pensait-ellen puisqu'elle ne se rendait aucunement compte qu'elle en savait plus sur certains points que des personnes s'étant documentées. Et il était loin de tout lui dire, donc forcément elle n'en savait pas tant que ça... Elle avait juste de la chance que Zess'dren était le nom de code lié à son employeur Serzin. Au moins, avec Dren'Zess, elle se sentait désormais en sûreté. Sans savoir qui était réellement cette femme, il y avait déjà une ouverture sur un attachement possible de Driz'na pour l'ombre allongée à côté d'elle.

"Dis-moi, pourquoi tu as honte de tes jambes ? C'est parce qu'elles ne sont pas tatouées ?"

Le sourire de l'enfant s'effaça pour laisser apparaître une moue gênée, gêne qui fut accentuée par le fait qu'elle replia ses jambes sur elle-même tout en les entourant de ses bras. Elle avait regardé ses jambes, avait même vu qu'elle n'avait pas de tatouages... ça la mettait vraiment mal à l'aise. Son regard se porta sur les draps à ses pieds alors qu'elle répondait d'une petite voix.

"J'aime pas qu'on les regarde... Les pantalons c'est très bien, c'est pratique et j'en ai toujours porté. Pour les tatouages... c'est parce que j'aime pas qu'on regarde mes jambes que je n'en ai pas là. Pourquoi ? C'est un problème ici ? Je serai obligée de porter des robes comme la maîtresse tout à l'heure ?"

Driz'na regardait franchement Dren'Zess. Visiblement, cette idée n'était vraiment pas pour lui plaire...

Elle ne regarda pas plus l'enfant mais la réponse était déjà sur ses lèvres.

- ça sera un problème un jour ou l'autre. Avec la comédie que tu nous a jouer, je suis même étonnée que la patronne ne t'ai pas ordonné de te promener en nuisette sur le champ.

Elle soupira. Devait-elle réellement ajouter la présence de cette enfant à son planning ? Pouvait-elle s'encombrer d'elle ? Que dirait Velkyn de la voir ainsi dorloter un chaton blessé alors qu'elle avait abandonné sans un regard leur fille ? ... D'ailleurs, Leka ne devait pas être beaucoup plus âgée lorsqu'elle l'avait laissée à son père pour quitter le Puy. Elle verrait bien ce qui se passerait après leur entrevue. Mais en attendant, elle devait se faire à l'idée que la petite était bien loin de la maîtrise de soit de son père au même âge. Puisqu'il lui demandait comme dernier volonté, elle n'avait d'autre choix que de rectifier le tir.

Zezz avait toujours été un emmerdeur de première.

- Toutes tes gênes, tous tes inconforts seront autant de point faibles que les autres exploiteront pour te manipuler. " Expliqua-t-elle alors avec un nouveau moulinet du poignet. " Toute tes peurs, sont autant de failles dans lesquels des poignards trouveront à se faufiler que de chaines qui te rendent médiocres aux yeux des dieux. Jusque là, tu n'as pas eu à t'en préoccuper, mais dans ce cartier ce ne sera pas pareil. Tu es encore à mille lieues de ce que ton père était capable d'accomplir à ton âge. En cela, j'aurai tendance à dire qu'il a été négligent.

Elle laissa tomber ses mots sans aucun fiel ni reproche, une simple constatation. Après tout, la petite n'y pouvait rien et si elle aurait été heureuse de pouvoir passer un savon à son père, elle n'en aurait hélas plus l'occasion avant longtemps. Ce soir, elle pouvait encore profiter de la sécurité des lieux. Peut-être pour les prochains jours. Un peu de répit avant la tempête ne lui ferait pas de mal. Ce n'était pas sous les coups de boutoir du Bara qu'elle-même avait développer ses plus grands talents alors il devait bien y avoir d'autres voies.

- Mais dit moi plutôt qui t'a tatoué et ce que représentent tes marques. "

L'enfant baissa honteusement les yeux lorsque la femme masquée lui certifia que toutes ses peurs, toutes ses gênes n'étaient que des choses qui la rendaient médiocre aux yeux des dieux. Elle ne voulait pas être médiocre... elle avait envie de leur plaire, de faire la fierté d'au moins l'un d'entre eux ! Mais elle avait plein de peurs en tête et une gêne qui faisait d'elle une môme pitoyable aux yeux de tous, ici. En cela, son père s'était manqué dans son éducation... c'était possible. Elle n'avait aucune envie de l'entendre de cette oreille tellement elle adorait Lok'nath. Au moins, maintenant, elle savait qu'elle avait à beaucoup retravailler sur elle-même pour se montrer sans défauts. Comme ça, la maîtresse accepterait de la garder sans pour autant faire d'elle une esclave ; elle n'avait pas envie d'aller cueillir des champignons moisis et de pourir sans même avoir le temps de grandir. Et si c'était pour porter des robes fendues de toutes parts, encore moins !

"Mais dit moi plutôt qui t'a tatouée et ce que représentent tes marques.
Driz'na releva les yeux, une moue interrogatrice inscrite sur son visage. Bon... de toute façon elle n'avait pas trop le choix visiblement...
- C'était surtout papa. Des fois c'était une personne qu'il avait choisie. Ca dépendait de ce que je voulais faire comme tatouage, il disait qu'il n'était pas assez doué pour en faire certains. Sinon... il y a le Doute de Shaa, la Force d'Uriz, la Leçon des Ephémères, Coeur de Zéphir, la Colère de Natha, Sor'o'en, les Onze, Puissance et Venin, l'Architecte, l'Oeil du Sage... Lui il est encore fermé, il faut que je m'améliore pour qu'il soit ouvert. Mais papa dit que ce sera le cas seulement dans plusieurs années, je suis encore trop petite. Et... non je ne pense pas en avoir oublié."

Volontairement, Driz'na avait donné tous les noms de code associés à ses tatouages. Au fur et à mesure qu'elle les avait nommés, elle les avait pointés du doigt sans pour autant les découvrir ou les montrer ostensiblement.

"Et vous, vous avez plein de tatouages aussi ?"

Des symboles et des légendes à retenir, voilà ce qui était gravé dans la peau de la petite fille. Des guides pour sa vie futur. Si la petite n'avait pas parrut aussi sincère en en parlant, La guerrière masquée aurait eu du mal à croire que ça s'arrêtait là... Et même maintenant en fait, elle avait toujours du mal à le croire. Zezz était de ceux qui utilisaient les mots, les symboles et les gestes les plus anodins pour signifier bien plus qu'il n'y semblait. Elle n'aurait pas été surprise que chacun de ces tatouages soit un pense bête ou une assurance vie pour sa fille... pourvue qu'elle soit capable de les décripter.

Elle se promis de se pencher sur la question quand elle en aurait le temps mais laissa courir pour le moment.

- Avant. Pour certaines raisons, ils ne sont plus visibles. Mais avant ils me rappelaient les épreuves que j'avais surmonté et les choix que j'avais fait. " elle trouvait inutile de mentir sur ce genre de détails qui ne pouvaient pas la faire reconnaitre de toute façon " Mais j'en aurai bientôt des cicatrices pour les remplacer. " ajouta-t-elle  avec un sourire derrière son masque.

Puis après un léger silence, elle demanda encore.

- Comment tu occupes ton temps d'habitude ? "

Comme toujours, les jambes croisées, la petite regardait avec un peu plus d'assurance qu'une minute auparavant celle qui devait s'occuper d'elle. Comme toujours, elle écoutait avec attention les quelques informations qu'on lui donnait et les gardait précieusement dans sa mémoire sans encore comprendre quel intérêt cela pourrait lui donner ; Lok'nath lui avait toujours appris à retenir le moindre petit détail comme s'il s'agissait d'une question de survie. Donc sans plus faire attention elle retenait. L'analyse ne se ferait qu'après, uniquement lorsqu'une autre information viendrait éclairer ou obscurcir celle qui lui était donnée à ce moment précis. Et là, la seule chose qui importait était que la dame masquée avait des tatouages lui rappelant ses épreuves et ses choix, et que désormais ils seraient remplacés par des cicatrices.

"Des cicatrices ? Est-ce comme offrir le passé à Uriz ? C'est une belle chose, je suis sûre que notre Père sera content."

Driz'na eut un doux sourire quelque peu emprunt de fierté. Elle aimait beaucoup Uriz, tout comme elle avait peur de ses colères. En même temps, quel bon père ne se mettait jamais en colère lorsque ses enfants faisaient des bêtises ? Pour Lok'nath elle n'en faisait jamais ou presque, donc il ne se mettait que peu en colère contre elle. Mais elle se souvenait de fois où la colère se lisait sur son visage, parfois brûlante parfois glaciale. Le pire était quand elle dessinait un masque extrêmement froid sur sa face... là Driz'na comprenait sans problème qu'il valait mieux laisser son père tranquille et, encore plus, espérer ne pas l'avoir provoquée. La fois où ça avait été de sa faute, elle s'en rappelait encore... même si elle était vraiment petite à l'époque.

"Comment tu occupes ton temps d'habitude ?
La petite pencha la tête de côté tout en regardant vers le plafond, comme si cela pouvait l'aider à réfléchir.
- J'écoute, je lis, je dessine, je joue au jeu d'énigmes, je regarde... J'aime bien regarder Edvard faire des bracelets, c'est joli. Sinon je laisse le temps passer ; il faut savoir mesurer le temps pour bien l'utiliser. Enfin c'est ce que papa dit. Des fois j'essaie de m'entraîner à la dague mais j'ai du mal. Est-ce que vous pourriez m'aider ? Vous êtes une guerrière, vous savez certainement vous servir d'une dague ? Au moins avoir quelques astuces ? J'essaie mais la vitesse ne fait pas tout...
Elle rentra à moitié la tête dans les épaules et demanda, d'une voix plus basse.
- Ou bien c'est le genre de question qu'on n'a pas le droit de poser ici ?"

Au moins, il n'avait pas chaumé avec l'éducation religieuse. Elle aurait volontiers eut un geste tendre envers la gamine si elle n'avait pas penser en parallèle à tout ce que signifiait de la voir atterrir chez elle.

- Non. Tu peux poser toutes les questions que tu veux, tu n'auras jamais de problèmes pour ça. Mais tu n'auras pas forcément de réponse. " La guerrière masquée se leva souplement. Une courte dague apparut dans sa main comme par magie. Elle recula de quelques pas et fit signe à la gamine de venir près d'elle. " C'est même très bien de ta part de vouloir apprendre. Tu deviendra quelqu'un de bien si tu continues comme ça. Tu connais l'anatomie ? "

Pointant un grand nombre de points létaux sur son propre corps, la mystérieuse guerrière expliqua à l'enfant comment les frapper pour en finir en un coup. Vers le haut, en passant sous les cotes, en effectuant un coup de taille. Elle avait l'impression que la petite buvait ses paroles et à chaque fois qu'elle s'interrompait pour lui poser une question et s'assurer que tout était compris, elle recevait la réponse exacte. Elle continuait donc rapidement, précisément. Toujours renouveler le coup deux fois sur une cible à terre afin de s'assurer qu'elle soit bien morte. Comment tenir la dague droite et comment la tenir à l'envers pour pouvoir mettre plus de force. Ou frapper pour avoir le temps de s'enfuir. Puis quelques exercices pratiques. Là, Driz'na se montrait bien moins douée, mais elle essayait. Après un long moment, la guerrière ébouriffa les cheveux de a gamine.

- Répètes les deux derniers exercices que je viens de te montrer chaque soir et tu devrait pouvoir te débrouiller. Mais souvient toi, tu n'auras pas le niveau de te défendre contre un adversaire aguerrit. Seulement de te donner le temps de fuir. Ce qui est, dans ton cas, le plus important. "

D'un petit mouvement du poignet, elle retourna l'arme, la saisissant au vol par la lame pour la tendre à Driz'na. C'était une dague relativement courte forgée dans un seul bloc de métal sombre bleuté. La lame était à peine plus longue qu'une main adulte du poignet au bout des doigts et portait une curieuse décoration, comme des lettres mais très déformée pour servir de rigole au sang... Ou peut-être à du poison ? La garde tout aussi noire était finement ouvragée comme si des lambeaux de fumée s'y enroulaient. Le pommeau était simple, seulement orné d'une courte pique particulièrement aiguisée.

- Tien. Elle sera à toi tant que tu promet de continuer à t'entrainer. " Puis elle s'assit en tailleur sur le lit en s'étirant le dos, comme un chat, et soupira. " ça va être un peu compliqué dans les prochaines ennéades mais d'ici la fin de l'année, nous aurons plus de temps pour faire connaissance toute les deux. Tien. Tu connais celle là ? ... "

Elle embrayèrent sur quelques énigmes. La petite se défendait bien. La soirée passa doucement, sans que l’écho de la fête ne trouble les deux duellistes. La patience de Driz'na était telle que son hôte lui lança au détour d'une réflexion qu'elle ferait une excellente forgeronne même si elle était encore un peu maigrichonne. L'un dans l'autre, il était près de minuit lorsque la fillette du se coucher et que l'étrange nourrisse s'éclipsa en direction du Haut-Temple d'Uriz, inconsciente du cataclysme qui l'y attendait.