[Place des Lanternes] Ah, les mamans ! | Sorsha

9ème enneades de Barkios
Place des Lanternes
Au bordel le "Tourne-Gambette"

De la poussière, sur la route, les deux cavalières approchant de Thaar en avaient bouffé. Les ennéades furent quelque peu intense pour retrouver le chemin de la civilisation, et parcourir la longue distance les séparant de Thaar, et du bordel maternel de la Grise. Ce temps, quoique bien occupés par les besoins à satisfaire pour leur survie, la Grise le mit aussi à profit pour mettre les choses au claire avec Sorsha : qu'est-ce qu'une ville, comment s'y comporter, parler l'olyian... Une évidence, pour qui y a vécu son enfance ? Pas tant que cela, face à quelqu'un qui n'y connait rien. C'est à force de question et d'histoire qu'elle put cerner, tant bien que mal, les points importants : ne pas arracher le nez des gens osant la toucher - dans la foule, cela arrive, mais il faut prendre garde aux mains baladeuses pour raisons pécunières -, ne pas menacer ses vis-à-vis pour obtenir ce qu'elle veut - à moins d'avoir prévu sa fuite au préalable -... Et d'autres choses, que la Grise avait eu la sensation d'avoir expliqué clairement, sans être sûre. L'heure était venue de les mettre à l'épreuve.

Sur le dos de ce brave Casse-Crâne, qui avait survécu à au voyage, les voyageuses avaient passé le barrage des drows à Sol'Dorn - un putain de siège ! Des sombres partout !... Y avait de quoi vouloir se faire dessus, mais les autres voyageurs sur les routes étaient calmes, alors elles avaient suivi... - puis atteignaient, enfin, la cité cosmopolite. Lumineuse, bruissante de vie, étalant ses courbes sous les rayons tendres de l'astre solaire du printemps... Cela changeait clairement des étendues sauvages parcourues. Tout en guidant sa monture, la Grise prêtait l'oreille aux réactions de la sauvage, ne sachant trop comment elle allait s'acclimater à ce nouveau monde. Bientôt, après avoir confié le cheval à une écurie bien connue de la Grise, elles s'engouffrèrent dans la cité, la mercenaire retrouvant ses marques avec joie. La maison n'était pas loin, de même qu'un bon repas, un bain, un bon départ... Bon, et ses oreilles allaient siffler, mais elle en avait l'habitude. C'est tout naturellement qu'elle guida sa compagne jusqu'à la Place aux Lanternes, lieu de débauche, concept qu'elle avait bien entendu expliqué au préalable. Les femmes vendant leur corps pour vivre... Une triste réalité, sur laquelle elle râlait volontiers sans pour autant la renier : après tout, elle en était l'un des nombreux fruits.

En fin de journée, la place s'animait, et la demi-drow ne souhaitait guère s'y attarder, leurs mine de voyageuses poussiéreuses les préservant quelque peu mais les voies de l'alcool sont impénétrables, et cela ne durerait sans doute pas. D'un pas sûr, saluant les gueules connues au passage, Sorsha à sa suite, elle vint frapper à une porte dans une ruelle, dont la charmante pancarte représentant une dame dans une pose coquine annonçait le 'Tourne-Gambette'. P'ète refaire la peinture un d'ces jours... songea distraitement la Grse, tandis que du monde se pressait au balcon les surplombant.

"Regardez-moi ça les filles... Mleshka, d'où nous reviens-tu donc, cette fois ? roucoula une plantureuse donzelle à la peau d'ébène.
- Oh, mais t'as une amie avec toi ! Elle a besoin d'un p'tit nid ? gazouilla une maigre rouquine, aux bouclettes aussi folle que sa robe était légère.
- T'as pas r'm'né ton p'tit mercenaire avec toi ?" s'intéressa une garçonne.

D'autres questions fusèrent bien depuis les fenêtres, auxquelles la demi-drow répondit unanimement par une grimace, que découvrit un oeil blasé une fois la porte ouverte. A cette vue, la face large du mâle humain qu'encadrait le chambranle s'éclaira, alors qu'il laissait passer les deux donzelles.

"Te revoilà... J'en connais une qui va être contente. s'amusa tranquillement le mastodonte.
- M'en parle pas, Rogor. C'moi ou tu t'es fais une nouvelle cicatrice d'puis la dernière fois ? fit la demi-drow avec un sourire amusé... Avant de se rappeler sa compagne. Elle, c'est Sorsha. Y a pas d'raisons qu'les clients la touchent, ok ?
- Hmmmm ça marche. répondit le gars, intrigué. Mais bon, tu connais la chanson... Tant que tu vois ça avec la matrone...
- Je sais je sais..."

Cela fut dit avec un geste de la main, tandis qu'elle entrainait à sa suite l'humaine tout en lui soufflant un 'Suis-moi et ne dit rien, qu'on règle ça.' tout longeant les murs. Cette entrée menait à une grande pièce, ouverte sur deux étages, le rez-de-chaussée étant riche de canapé où les filles et les clients se rencontraient, conversaient ou débutaient leur affaire, tandis que d'autres demoiselles se faisaient voir sur rambardes plus haut. La demi-drow ne voulait pas plonger la-dedans, bien que le mot passa rapidement et que des filles regardaient dans sa direction. Non, d'abord, elle voulait prendre un bain, offrir de quoi se sustenter à deux estomacs trop rarement pleins et... Ses jambes la menèrent, et Sorsha à sa suite, rapidement en cuisine. C'est qu'elle avait vu une tête qu'elle voulait devancer.

"Coucou mesdames, une gosse qui r'vient dire boujour ! salua-t-elle à la volée, dans la pièce encombrée de dames en tablier, de casseroles, couteaux, gigots et autres attirails permettant de nourrir la faune du bordel. La route ça donne faim, vous auriez de quoi grailler ?"

Laissant sur le seuil sa compagne, la demi-drow enlaça gaiement les femmes qui s'amusèrent de la voir, pour les unes, ou grommelèrent devant ses manières pour les autres, qui devancaient comme de coutume une razzia sur les morceaux à portée. Croquant un fruit à pleine dent, la demi-drow revint vers Sorsha avec du lard et du pain dans les bras.

"V'la d'koa tayer l'bout d'gwas ! T'en veux ? dit-elle, la bouche à moitié pleine, avant de faire une drôle de tête en regardant derrière l'humaine. Oh, maman."

C'est que derrière la demoiselle, un bout de femme tout fripé fusillait sa progéniture du regard. Autrefois agréable au regard avec une certaine allure et la taille fine, la matrone avait vu les décennies passer, la tasser, affiner sa peau autrefois de lait, et engraisser sa silhouette fine. Les enfants qu'elle avait porté n'avait pas aidé, c'est sûr... Et la manière qu'elle avait, les mains sur les hanches, de transpercer la demi-sang du regard laissait à penser qu'il y avait beaucoup à dire sur le sujet. Aussi grisonnante et pauvrement vêtue que ses 'filles' de joie étaient pimpantes et jeunettes, la dame pointa un doigt vers la Grise.

"T'sais toujours pas les bonnes manières, hé ? D'abord, saluer ta mère, ensuite, piller la cuisine, non mais ! grinça la vieille femme. Et qui c'est qu'tu nous ramènes ? T'crois qu'j'ai qu'ça à faire d'récupérer tous les chatons qu'tu m'ramasses ?
- Lèche moa t'echpliqu-
- Qu'est-ce qu'la bouffe t'fais pas dire ! Les manières, jeune fille, tes manières !
- 'GLOUP' Oui m'man. J'disais donc...
- Mais c't'une grande fille ton amie, j'paris, hmmm ? Hein ma belle, t'as une langue ? asséna, sans pitié, la matrone, tout en lorgnant sur la sauvage telle une pie un objet brillant. C'quoi ton nom ? Et qu'est-ce tu fabriques donc avec ma bonne à rien d'petiote ?"

Tenant toujours son pain et son lard, sous le regard goguenard des dames de la cuisine, la Grise regardait sa mère avec un air orageux. Vieille harpie, va bien voir c'que tu penses d'celle-la ! C't'une wandraise, non mais !

À plusieurs égards, le choc était immense pour Sorsha. Après avoir survécu à une pénible traversée qui la mena à travers une variété de paysages différents, la voilà enfin à Thaar. Elle n’en connaissait que les descriptions faites par La Grise et aucun des mots choisis ne suffisaient à rendre justice à la ville. D’abord, elle troquait un désert pour un autre, un désert qui grouillait de monde. Pour ça, il y en avait. Dans les Wandres, les campements humains étaient dispersés et la rareté des ressources empêchait d’importants développements. Ici, les hommes s’étaient massés en bordure de la mer dont les relents de sel et de varech se mélangeaient aux épices des étales et à la crasse des corps humains. Ils avaient construit des maisons dont les étages s’empilaient les uns sur les autres et où les familles s’entassaient dans des pièces exiguës. Les riches, eux, possédaient des palais aux murs immaculés et aux toits scintillants qui dominaient la cité dans leur glorieuse opulence. Honnêtement, toutes les frayeurs du voyage n’étaient rien comparativement à ce que Sorsha éprouvait en cet instant. Tout était nouveau pour elle. Tous ces bruits, ces odeurs, tous ces gens qui la regardaient, certains avec curiosité et d’autres avec cette lueur qui transcendait langues et distances. Dans quel genre d’endroit La Grise l’avait-elle amené?

Sorsha n’a jamais été une grande bavarde, mais là elle était plus silencieuse que jamais. Elle suivait de près sa guide, sachant qu’elle ne retrouverait jamais son chemin si elle la perdait de vu. La Grise lui avait expliqué où elle l’amenait, un lieu de débauche, mais le concept lui échappait encore. Des hommes couchaient avec des femmes, ça elle comprenait, mais les femmes acceptaient uniquement les hommes en échange de pièces… Bref, chaque chose en son temps. La visite s’arrêta brusquement lorsque la demi-drow cogna à une porte. Après tout ce temps à voyager, elles avaient enfin atteint leur destination.

Ces femmes qui accueillirent La Grise parlaient de la même façon qu’elle. Certaines coupaient les mots au point qu’elles étaient impossibles à comprendre. Et leur robe, autant dire qu’elles ne portaient presque rien. Sorsha n’était pas choqué par la nudité des autres, mais elle-même ne pourrait jamais porter ce genre de chose. Pour les esprits, elle devait se couvrir. À mainte reprise, La Grise lui avait dit de garder le silence dès qu’elles seraient à l’intérieur. Sorsha obéis donc, mais l’expression de son visage ne disait rien de bon. Un homme vint à elle, énorme, sa peau couturée de cicatrices. Du bref échange avec sa guide, elle ne comprit que quelques mots, mais Sorsha n’ignorait pas la tension qui grandissait chez la demi-sang. Quelque chose l’inquiétait. Devait-elle être inquiète aussi? Elle n’avait pas fait tout se chemin pour se faire piéger à nouveau.

La Grise lui fit descendre une volée de marches jusqu’aux cuisines de l’établissement. Des femmes y travaillaient et l’odeur de nourriture aviva douloureusement la faim de la Wandraise. Sa compagne ne se priva pas pour se servir dans les réserves et revint vers elle avec de quoi se sustenter. Sorsha saisit un bout de pain et y mordit à pleine dent au même moment où une autre dame faisait son apparition. Celle-ci était bien plus vieille que toutes les autres rencontrées précédemment. Sa peau fripée sillonnée de rides trahissait une vie longue et ardue, mais son regard était étonnement vif, comme si l’esprit, protégé par la chair, n’avait nullement subi les assauts du temps qui passe. Comme les autres, elle la regardait avec intérêt, comme si sa fille venait de lui ramener une bête prisée. En retour, Sorsha la fixait sans brocher, sinon vaguement curieuse. Dans l’immédiat, elle voulait surtout manger et ce pain était délicieux. Du coup, elle prit quelques trucs des bras de la demi-sang et alla s’asseoir dans un coin en jetant un regard à la ronde pour décourager quiconque qui voudrait lui enlever sa bouffe. Ce n’est qu’après quelques bouchés qu’elle marmonna.

« Mon nom est Sorsha. »

Pas mal. songea la demi-sang, devant le flegme de la sauvageonne qu'observaient avec curiosité toutes les habituées du lieu, et le sourcil de sa mère, qui s'envolait au gré de son regard inquisiteur. Ce dernier se riva bientôt sur sa progéniture, qui lui offrit un sourire chafouin.

"Pas bien causante, ton amie. fit la matrone, d'une voix guère charmante.
- Elle bitait pas un mot d'olyian y a que'ques ennéades, M'ma.
- De quoi ? Mais d'où que tu m'la ramènes donc ?
- Des Wandres. Devant l'air contrarié de la vieille femme, la demi-drow préféra ajouter. A des ennéades d'ici, au Nord. Près d'chez les nains."

La vieille femme fronça davantage les sourcils tout en s'avançant vers la Grise, qui préféra poser son pain et son lard. Les cuisinières laissaient la sauvageonne tranquille, risquant juste une main pour attraper les saucissons accrochés au dessus d'elle, avant de battre prudemment en retraite et reprendre leur préparation. De ce côté-la, tout allait bien. La demi-sang se concentra donc sur sa chère mère, qui entreprit de l'inspecter tel un cheval dont il faudrait vérifier les dents, ce qu'elle fit d'ailleurs, non sans lui tourner la tête, lever les bras, tâter les flancs et les jambes...

"Où donc qu't'es allée t'perdre s'coup-ci... T'as pas l'air d't'être trop amochée... Personne qu't'a planté une lame dans l'corps c'te fois ? marmonna la vieille.
- Si, mais ça a eu l'temps d'se guérir...
- A la bonne heure ! Cela dit sans joie, plutôt avec l'agacement de celle qui en a vu d'autres.
- Pis j'me suis pris une flèche... Mais elle m'a soigné l'tout ! fit la Grise avec un geste de la tête vers Sorcha.
- Allons bon, une qui s'y connais en herbes ?
- En herbes ET en magie..." souffla la Grise, avec un sourire de satisfaction.

Le silence se fit un instant, tandis que la vieille femme observait la sauvageonne avec un intérêt plus marqué, auquel fit écho le regard des cuisinières... Au coeur de cet étrange moment suspendu, une jeune femme, peu vêtue, entra dans la cuisine et, non sans un arrêt de perplexité, alla chercher un plateau déjà préparé. Brusquement, la maîtresse des lieux ne renifle bruyamment, et s'intéresse de nouveau à son rejeton.

"On va en causer. Mais d'abord, vous allez m'nettoyer c'te couche d'crasse qu'va m'empuantir l'bordel en moins d'deux ! Célimé, mon sucre ? conclut-elle avec une soudaine douceur à l'attention de la nouvelle-venue.
- Oui madame ?
- Ton client a bien demandé un bain, tantôt ?
- Oui madame, il devrait être prêt d'ailleurs, il pensait en profiter avec sa collation...répondit avec douceur la frêle beauté aux cheveux d'or.
- Pourrais-tu le faire attendre, ma belle ? Que ces deux-la y délaissent leur odeur d'canasson. On en f'ra préparer un autre."

Avec une mimique amusée à l'attention des concernées, la demoiselle acquiesça avant de s'en retourner... Non sans que la vieille femme ait d'abord ordonné à la Grise et Sorsha de la suivre, la demi-drow faisant signe à sa comparse d'obtempérer tout en affichant un certain air guilleret. Le pain et le lard demeurèrent sur le plan de travail... La demi-sang reviendrait sans doute plus tard.

Ainsi, quittant la relative tranquillité des cuisines, les deux femmes furent conduites à l'étage, non sans que la jeune porteuse de plateau ne récoltent quelques sifflements et compliments des clients installés dans la pièce principale, ce à quoi elle répondit avec un grand sourire. La Grise et Sorsha n'y échappèrent pas, mais la première fit signe à la seconde de ne pas en tenir compte. En haut, si ce n'est quelques remarques curieuses des demoiselles s'y faisant bien voir, le trio circula tranquillement, longeant plusieurs portes où se faisaient entendre le silence comme des bruits caractéristiques de l'activité régnant ici, jusqu'à en atteindre une plus rustre que la Grise ouvrit. Là, Célimé les laissa, les deux femmes découvrant dans la petite pièce une grande bassine fumante, des savons, deux chaises et de nombreux linges... Avec un soupir de contentement, la demi-drow apprécia la température de l'eau.

"Cela va nous changer des cour d'eau, je peux te le dire !" fit-elle à l'attention de Sorsha, tout en faisant davantage attention à sa prononciation, pour se faire comprendre.

Impatiente de s'y tremper, la demi-sang commença à se dévêtir, décrochant ceinture comme boutons de chemise. Puis, se rappelant un peu la situation, elle calma son empressement.

"Hmmm ça va sinon ? Pas trop perdue ?" fit-elle avec un sourire amusée.

De prime abord, Sorsha ne s’intéressait nullement à la conversation entre la mère et sa fille. Elle était beaucoup trop absorbée à faire entrer le plus de nourriture possible dans son estomac pour enfin apaiser les douloureuses crampes provoquées par d’intermittents jeûnes forcés. Elles auraient très bien pu débattre de meilleure façon de la dépecer pour la servir au repas du soir, Sorsha n’aurait pas plus réagi, mais gare à celui ou celle qui tenterait de l’interrompre avant qu’elle ait terminé. Elle était affamée et voulait manger! Malheureusement pour elle, La Grise avait d’autres plans pour elle et lui fit signe de la suivre. Sans se départir de son bout de pain, elle accepta de la suivre avec la nouvelle venue qui leur servait d’escorte. L’épuisement la rendait beaucoup plus docile, mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne retourne à ses bonnes vieilles habitudes. Sorsha profita du trajet pour observer un peu plus attentivement son environnement. Il n’y avait aucun doute possible sur ce qu’on y faisait ici et les hommes qui osaient la regarder avec trop d’insistance, elle les fixait dans les yeux comme si elle s’apprêtait à leur sauter à la gorge, probablement pas de la façon qu’ils voudraient. La Grise lui dit de ne pas y prêter attention, mais Sorsha savait trop bien que si elle ne lançait pas un avertissement maintenant, ils continueraient jusqu’à avoir assez de courage pour passer aux actes. Ils s’imagineront qu’ils ont tous les droits et qu’ils peuvent la posséder. Sorsha n’appartient à personne et elle fera en sorte que le message soit clair pour tout le monde.

Elles étaient maintenant dans une petite pièce, à nouveau seules avec une bassine et tout le nécessaire pour effacer la crasse du voyage. Sorsha apprécia l’eau en y trempant ses doigts. Elle n’avait jamais eu le luxe d’un bain chaud dans sa vie, seulement l’eau froide des rivières. La Grise semblait pressée d’y plonger alors qu’elle enlevait déjà ses vêtements aussi vite qu’elle le pouvait. Elle s’interrompit seulement pour lui poser une question. Comment allait-elle? Bonne question! Sorsha n’en était pas certaine. Elle était perdue, mais aussi fascinée. Elle se sentait loin de la maison, mais également déterminée à faire de cet endroit sa nouvelle demeure. Elle avait encore de nombreuses interrogations en suspens, des questions dont elle n’aura peut-être jamais de réponse. N’ayant rien à lui répondre, Sorsha lui posa une autre question. « Pourquoi les femmes font ça? » La question, comme ça, pouvait être difficile à comprendre, mais Sorsha faisait référence aux prostitués. Certes, elle n’était pas totalement ignare, mais pourquoi une femme laissait un homme qui n’était pas le sien l’approcher et, dans ce cas, plusieurs? Est-ce qu’elles aimaient ça ou le faisaient-elles par dépit, car il n’y avait aucune autre option? Sorsha prit un pain de savon qu’elle renifla avec précaution. Le parfum fleuri lui brûla pratiquement les narines. Sorsha le jeta au sol. Pas question qu’elle se lave avec ça! « Je ferai pas ça, ta mère le sait? »

Les femmes font... ? Ha ! Ce n'était pas tout à fait la question posée mais, arrivée au lieu-dit, la demi-drow n'était pas étonnée que le sujet revienne sur le tapis. Une Grise bougonne aurait pu balayer l'importance de cette interrogation d'un haussement d'épaules contrariées : là, la douceur d'un bain chaud est à portée, pourquoi penser à ce qu'il y a au delà de cette fichue porte ? Cela eut été plus facile, moins désagréable... Mais, quoi qu'ait pu penser la jeune dem-drow en fuyant ce lieu, plus de deux décennies auparavant, elle avait fini par en comprendre, un peu, l'intérêt. Silencieuse un temps, elle reprit ses gestes, retirant ses vêtements tout en répondant. Si la demi-drow évitait de se dévêtir à tout va sous le nez des hommes, elle se méfiait bien moins de la réaction des femmes à cette vue. De plus, la route partagée n'avait pas toujours permis de conserver une certaine intimité.

"La sécurité. Quand tu n'es rien, que tu ne sais pas faire grand chose de tes dix doigts, que personne ne veut de toi... Elle retira facilement la chemine, se retrouvant torse nu, exposant sa maigre poitrine comme les multiples cicatrices fines parsemant sa peau grise. Tu crèves de faim dans la rue, tu fais des choses dangereuses... Ou tu te vends pour une bouchée de pain. Dans des 'maisons' comme ça, tu as un endroit chaud où dormir et de quoi manger. Ce n'est pas le cas de tout le monde dans cette ville." Le pantalon suivit un chemin semblable, exposant les jambes fines, légèrement musclées, avec leur lot de marques.

Sa bonne humeur menaçant de disparaître au même titre que la chaleur du bain, la Grise ne traîna pas davantage et s'y glissa avec un long frisson de plaisir, enveloppée dans l'étreinte douce et chaude. Rouvrant les yeux avec une langueur béate, elle fit signe à la sauvageonne.

"Il y a de la place pour deux. Je t'aiderais à frotter le dos si tu veux. Si ça ne te dérange pas. Elle tâchait d'avoir un ton sûr d'elle, mais la froideur et l'attitude fermée de la sauvageonne, malgré les ennéades, tendait à la surprendre encore. Dans pareille situation, elle se demandait bien ce qui lui passait par la tête. Pour ma mère... T'en fais pas, vu ton attitude, elle aura compris. Et puis... Une soigneuse c'est beaucoup plus intéressant. Les filles d'ici n'ont pas à redouter la faim ni les lames, par contre, pour tout ce qui vient avec le fait de coucher avec un homme... La demi-drow gloussa, tout en ouvrant les bras. J'en suis le résultat ! Une vraie plaie quand j'étais môme, ma mère l'a toujours dit !... Mais ça ne se passe pas toujours 'aussi' bien. Si tu acceptes de rester et de les aider avec tes dons et les... Esprits... La demi-drow ne comprenait pas grand chose à ce concept qui semblait tenir à coeur à Sorsha. Ouai, ma mère ira pas faire chier une guérisseuse avec ça. Elle sera bien contente de t'avoir, moi j'dis !"

Peu à peu, la chaleur faisait son effet, déliant le corps fourbue de la Grise, après des ennéades de trajet à cheval, de nuit à la belle étoile et de baignade dans de rares cours d'eau à la chaleur absente. Dire que bientôt elles pourraient dormir dans un lit, si ce n'était pas le rêve !

"Qu'est-ce que tu penses de tout ça ? De la ville ?" fit-elle distraitement, sa respiration se faisant plus profonde avec le bien-être qui naissait de ce retour au confort de la civilisation.

Pas d’autres choix? Non, il y a toujours d’autres solutions, des solutions qui impliquent de se battre, de faire face à l’adversité, parfois au péril de notre vie. Pour Sorsha, venir ici revenait à baisser les bras, abdiquer et c’était absolument impensable. Dans les Wandres, la mort sera toujours préférable à une vie diminuée, mais ici… Ici tout est différent. C’est un peu comme si elle devait réapprendre à vivre, oublier les anciennes manières et assimiler les nouvelles. Tout cela amenait son lot de confusion et un conflit terrible avec ses valeurs. Elle secoua doucement la tête. À son expression, elle n’était guère ravie par les explications de La Grise. À ses yeux, ces femmes manquaient tout simplement de courage et préféraient subir plutôt que de se battre. L’honneur n’avait-il plus de valeur ici?

Après une longue hésitation, Sorsha imita sa compagne de voyage. Peu à peu, les nombreuses couches qui la couvraient tombèrent au sol, dévoilant à chaque fois un peu plus de son corps. Elle était joliment tournée avec une peau très pâle marquée ici et là par des cicatrices, certaines plus fraîches que d’autres. Impossible de faire autant de chemin sans en porter les marques. Ses jambes, à partir des genoux jusqu’aux pieds, étaient particulièrement abîmées par des éraflures et des ématomes. Déshabillée, elle s’empressa de monter dans la baignoire. La jeune femme était pudique, plus qu’on pourrait l’imaginer de sa part. À peine installé, l’eau chaude faisait déjà un bien énorme à ses membres endoloris.

« Moi, pas juste une guérisseuse… Moi... » Elle s’arrêta. Sorsha ne connaissait pas le mot pour sage-femme dans la langue de La Grise. Elles n’avaient pas eu l’occasion de tellement discuter de ses aptitudes. « Attraper les bébés? » C’était encore la tournure la plus près de ce qu’elle voulait dire. « Empêcher bébé aussi avec plante des Wandres, mais risqué… très risqué, pas certaine de pouvoir faire maintenant. Parfois femme mourir au bout de son sang. Parfois pas marcher et bébé rester, mais naître difforme. Volonté des Esprits. » Elle haussa les épaules. C’était des choses qu’elle ne pouvait pas prévoir. « Grand… mais pas comme chez moi. Beaucoup de gens aussi et de bruit. Jamais silencieux. Plein d’odeurs aussi. Je pensais pas que ça existait. Moi ignorante... » Oh oui, elle se sentait ignorante, l’une des rares faiblesses qu’elle acceptait d’admettre. Depuis le début, elle se braquait et faisait les choses à sa façon. Ici, elle comprenait pour la première fois que sa façon ne faire n’était plus applicable. « Esprits mettre toi sur mon chemin, mais… sais pas pourquoi. »

"Attends... Tu es en train de me dire que tu es sage-femme ? dit la demi-drow après un temps, surprise d'apprendre ce détail seulement maintenant. La stupeur laissa peu à peu la place à un sourire en coin. Eh beh, par les Dieux ! Je sais pas si c'était le projet de tes Esprits, mais les filles d'ici vont bien être contentes de t'avoir, je paris ! Pas de soucis à avoir."

Quoique dise la Grise sur le bordel de sa mère, et son opinion quant au fait de vendre son corps, la jeune demi-sang n'en ressentait pas moins un certain soulagement, à l'idée que les filles d'ici pourraient profiter de soin. Le bordel n'était pas particulièrement reluisant, et disposer d'un soigneur n'était pas toujours évidant. Alors, qu'elle ait ramené - sans même le savoir - une sage-femme au 'Tourne-Gambette'... Voilà qui était fort réjouissant. D'un bras dégoulinant, arraché à la chaleur de l'eau, la demi-sang se saisit d'une brosse et d'un savon, disposés sur une chaise près de la bassine. Joviale, elle fit signe à sa voisine de cuvette de se retourner - "Ca va bien te gratter la peau, y en a besoin !... Bon, j'irais doucement." - et entreprit de lui gratter le dos, lui épargnant de se contorsionner. La réponse ne se fit pas attendre et, face à la tension, la demi-drow suspendit son geste. Elle va me sauter à la gorge aussi ? S'amusa la Grise, sans être complètement tranquille. Après un instant, elle abaissa à nouveau la main... Au contact du chiffon humide, la sauvageonne ne se tendit pas encore. Précautionneusement, la demi-drow se mit à la tâche. De retour à la civilisation... Un bain chaud... La tranquillité...

"Tu connais ton petit monde, je connais le mien... badina la demi-drow, tout en y allant doucement, guettant les réactions de la sauvageonne, frottant la peau qui n'avait guère connu que les mêmes guêtres pendant des ennéades, et des miles et des miles de poussière avalée, sur le dos de Casse-Crâne. Tu sais, j'ai quitté Thaar y a des décennies, et je connais toujours très peu de chose. Les nains sont trop fermés, les elfes aussi, et les péninsulaires - les humains au sud de chez toi - me brûleraient sans doute. Pas tous, mais certains seraient bien content. Alors, je peux dire que je connais que Thaar et ses environs, et les frontières de ces autres 'mondes'. En vingt ans, tu imagines ? A tourner en rond... On ignore tous beaucoup de choses... Ici, tu es perdue, chez toi, c'est moi qui l'était. En tout cas... C'est toujours plus facile de s'y retrouver avec un guide." Sa voix s'était fait songeuse, emportée un temps par une flopée de souvenirs, de rencontres, heureuses comme dangereuses.

La demi-drow était du genre causante, cela, n'importe qui pouvait le déduire dès la première rencontrer, et même de loin. Elle causait beaucoup, et avec tout le monde. Cependant, là, avec pour simple tâche de récurer le dos de sa camarade de chevauchée, ses muscles fondant tout seuls dans la cuve d'eau chaud, après des ennéades le cul sur un cheval ou à dormir sur le sol... Les mots, pour une fois, arrêtèrent de se déverser de la grande gueule de la Grise. Frottant avec une vigueur mesurée, elle laissa son esprit s'en aller un petit peu... Tout en se mettant à chantonner. Un petit air tranquille, doux, presque discret, de ceux qui viennent sans même y penser, juste parce que l'on est bien, et que cela nous rappelle des années de tranquillité, d'enfance, et de sécurité. Des petites notes sans ambition, qui lui réchauffaient la gorge, alors que l'épiderme de la sauvageonne devenait un peu moins gris, plus rose, et que l'eau noircissait. Au moindre mot, la demi-drow sortirait de cette torpeur béate pour écouter, mais pour l'instant, elle se plaisait à simplement frotter tout en chantonnant un air sans nom, le plus tranquillement du monde.

L’effet conjugué de l’eau chaude et de la fatigue accumulée commençait à avoir raison de Sorsha qui sentait ses paupières s’alourdir. Maintenant, elle rêvait d’une paillasse jetée dans un coin où elle pourrait dormir pendant des heures, voir des jours. Si elle écoutait La Grise, Sorsha avait de plus en plus de mal à se concentrer sur sa voix et sur le sens de ses propos. Les mots passaient dans sa tête sans nécessairement faire de sens. Il lui fallait déjà toute sa concentration pour la comprendre en temps normal… Cela dit, à travers ce flot de paroles, parfois un mot ou quelques mots perçaient le brouillard qui s’était formé dans sa tête, la poussant à réagir. « Toi voir beaucoup de choses. Toi vouloir encore voyager? » La question se posait. Après tout, si La Grise décidait de quitter la ville, Sorsha perdrait du même coup son seul et unique point de repère ici. Toute sa vie, elle a affirmé avec force n’avoir besoin de personne. Aujourd’hui, ce n’était plus tellement vrai et même si elle n’allait pas l’avouer, Sorsha ne voulait pas se retrouver toute seule. Enfin, pas tout de suite.

Une autre chose qui étonnait Sorsha c’était l’âge de la Grise. Elle avait compris depuis longtemps qu’elle n’était pas totalement humaine et que son sang de drow lui donnait une longue vie en perspective. La Wandraise n’avait rien dit, mais sa compagne pourrait être sans problème sa propre mère. Cette longue vie lui avait permis de beaucoup voyager et de voir des choses que Sorsha ne pouvait même pas imaginer. Malgré tous ces voyages, il y avait plein de trucs qui lui échappaient encore ce qui, pour Sorsha, était tout à fait normal. « Impossible de tout connaître. Vie pleine de mystères. Esprit guider nous, mais garder secrets aussi. Toi voyager beaucoup, découvrir choses, mais choses changer avec le temps. Vrai hier pas vrai demain... » Elle haussa les épaules. « Moi fatigué… Envie de dormir. Parler demain, d’accord? » Sorsha n’était pas aussi polie habituellement. Ça donnait un aperçu assez éloquent de son état actuel. À vrai dire, elle dormirait bien dans cette baignoire, mais l’eau ne serait bientôt plus aussi chaude et c’est sans parler du risque de s’y noyer.

La chansonnette se tut, la Grise écoutant, les gestes de ses mains ralentissant. Les Esprits... Etaient-ce d'autres Dieux, tout simplement ? Ou quelque chose de différent ? Enfin, la wandraise dit clairement qu'elle n'était pas d'humeur à bavasser davantage. Deviendrait-elle polie ? s'amusa la demi-sang.

"Je vais là où il y a quelque chose pour moi. Où j'espère trouver quelque chose, en tout cas. souffla-t-elle en réponse, avant de se secouer. Pas de problèmes ! Connaissant ma mère, on aura bien une chambre. Ou deux, j'espère."

Quoiqu'elle n'aurait pas parier sur ce dernier chiffre, mais cela ne coutait rien d'espérer. Finissant de passer le linge sur le dos de la sauvageonne, elle le laissa ensuite de côté pour en prendre un autre et faire de même, agitant l'eau par ses contorsions, soupirant de bien-être alors que la couche de crasse cédait face à l'humidité. Pendant qu'elle s'activait, l'une des filles du bordel vint déposer des vêtements, tout en ayant fort bien présumer que la Grise serait plus à l'aise en chemise et pantalon - il faudrait qu'elle remercie le gus à qui ils appartenaient -. Occupée à se vêtir, la Grise tournait le dos à la sauvageonne, pour qui attendait, sur l'une des chaises, l'une des robes de journée d'une des filles. D'un tissu un peu rude, avec d'amples poches, descendant jusqu'aux chevilles.

C’est étonnant comme la fatigue peut rapidement nous rattraper. Un instant tout va bien et la minute d’après le poids de l’univers nous tombe sur les épaules et on rêve soudainement à notre lit. Après tout ce qu’elle avait traversé, c’est l’eau chaude du bain qui avait finalement raison de Sorsha. Elle sentait son corps s’alourdir, devenir lent et difficile à bouger. Ses paupières se fermaient toutes seules et elle devait lutter pour garder les yeux ouverts. Si quelqu’un devait la garder éloignée plus longtemps encore d’un éventuel lit, elle le frapperait sans hésitation. Du coup, vu son état, sortir du bain fut aussi pénible qu’on puisse l’imaginer. Oubliant toute pudeur, elle commença à éponger l’eau sur son corps. L’épuisement ne l’empêcha pas d’apprécier la sensation de propreté. Elle n’avait pas souvenir d’avoir déjà été aussi propre. À sa défense, il est difficile de prendre un bain d’eau chaude dans les Wandres. Ses habitants devaient en général se contenter d’une toilette express dans les rivières glaciales de la lande.

Son regard se porta sur le vêtement qu’on avait laissé pour elle. Une robe… Elle n’avait jamais porté de robe de sa vie. Ou peut-être que oui si l’on considère l’arrangement des différentes couches de tissus et de peaux qui la couvraient comme une robe. Du bout des doigts, elle toucha le vêtement et trouva le tissu rude. Pour n’importe qui d’autre, cette robe n’aurait rien eu de vraiment choquant, mais pour Sorsha qui était habitué à disparaître sous une montagne de tissus, elle aurait pu être toute nue et cela n’aurait fait aucune différence à ses yeux.

« Moi, pas porter ça. »

Elle se tourna pour voir La Grise enfiler une tunique et un pantalon. Ça non plus, elle ne pourrait pas porter ça. Sorsha avait pourtant conscience de la chaleur ambiante. Elle savait que ses vêtements d’avant ne feraient pas du tout l’affaire ici. Elle risquait de mourir de chaleur si elle s’obstinait à vouloir les porter. On pouvait voir sur son visage tout le cheminement de sa réflexion alors que lentement, mais sûrement, elle se rendait à l’évidence. Malgré ses paroles, Sorsha semblait se résigner à contrecœur. Elle se tourna une nouvelle fois et prit le vêtement dans ses mains. Elle ne savait pas trop dans quel sens ça allait, alors elle l’enfila comme elle le pensait. Elle réussit à la mettre à l’envers, ce qui la rendait ridicule, mais son air renfrogné ne donnait pas tellement envie de se moquer d’elle. Il y avait quelque chose de triste à la voir comme ça. Sorsha ressemblait à un animal exotique que l’on a arraché à sa terre natale pour le forcer à vivre très loin de chez lui. Elle n’était pas du tout à sa place, mais plus question de revenir en arrière maintenant.

Face à pareil spectacle, la Grise retint une mimique amusée. Décidément, la wandraise détonnait en tout point... Ha, les filles l'aideraient sûrement, à la longue ! Si elle les laissait approcher sans les mordre, ce qui était une autre histoire. Avec de quoi manger, peut-être... ? Qu'est-ce tu vas pas inventer...

"On te trouvera autre chose. commenta doucement la demi-drow. Pour l'heure... Un bon lit nous fera de mal, je peux te le dire."

Avec on ne peut plus de naturel et d'enthousiasme, la fille de retour à la maison guida son étrange amie dans la baraque, questionnant l'une des filles, apprenant que non, ils n'avaient pas tant de chambre à disposition que cela, et qu'elles devraient faire avec le peu qu'il y avait, soit une chambre. Sans rien montrer de ses doutes, la Grise la remercia, puis les mena jusqu'à la pièce-dite. Sa mère râlerait sans doute qu'elles disparaissent ainsi sans un bon compte rendu, mais la demi-sang n'avait aucun doute quant au fait qu'elle accueillerait volontiers une sage-femme au sein de son établissement de fertile luxure.

La pièec n'était pas des plus glorieuses, usée comme le reste de la bâtisse, au même titre que le grand lit qui prenait une bonne partie de la place, des lattes de bois et des quelques meubles d'arrangement comme de coquetterie. Tous ces détails laissèrent la Grise indifférente : elle n'avait d'yeux que pour l'étendue de moelleux qui s'offraient à elle. Elle le montra à sa comparse comme la nouvelle merveille du monde.

"Tu vas voir, après avoir dormi sur l'herbe, la pierre, une simple couverture, des fourrures... C'est le mieux... !"

Et comme pour prouver ses dires, la Grise s'effondra sur un côté du grand espace rebondi, qui l'accueillit avec un grincement familier, mais surtout, une douceur... ! Elle voulut relever la tête pour s'assurer que Sorsha n'allait pas s'installer dans un coin de la pièce... Mais sa tête ne se releva pas, pas de sitôt en tout cas. Le sommeil l'avait chopée en plein vol.