[Libre] De la folie de l'Art

Un frisson alors qu'il s'approchait, puis un apaisement décontractant mon corps. Ah Artiön... toujours à user de la magie, n'est-ce pas ? Tout comme moi dans le fond. Si ce n'est que je l'utilisais sur des objets et non des personnes. Et qu'il ne dise pas l'inverse, malgré le fait que je lui faisais dos je voyais les flux vibrer ! Bon, maintenant, il allait quand même falloir que je le regarde... enfin... c'est que c'était des plus impolis de ne pas regarder une personne quand on lui parlait, d'autant plus que je considérais limite Artiön comme un ami. Ou du moins une bonne connaissance avec qui j'avais vécu des épreuves si intenses que j'avais failli en mourir. En plus il avait été un bon guide quand j'avais fait mon stage pour apprendre à être mage de guerre. Mine de rien, cette expérience avait fait énormément travailler ma vision de la magie et j'en étais revenue grandie, plus douée que je ne l'étais déjà en matière de lancers de sorts.

"As-tu besoin de quelque chose ?"

Pas de réponse. A qui parlait-il, en fait ? Je tournais les yeux vers la pauvre Macabre qui me regardait comme si elle me demandait de traduire la demande. Sentant toujours autant mes joues me brûler, je fis attention à me concentrer sur elle le temps que je lui réponde.

"Il te demande si tu as besoin de quelque chose.
Puis, dans ma langue natale, me tournant pour parler au militaire en face à face.
- Artiön... elle... elleneparlepasnotrelanguedoncfaudraparlerenlanguehumaine !"

Oups. Mes joues redevinrent aussi cramoisies que mon sang pouvait le permettre et mon regard se baissa de honte d'avoir complètement mâché mes mots. Ou d'avoir parlé trop vitre pour être comprise, au choix. Bon au moins je regardais à terre, comme ça je ne voyais pas les vêtements plus qu'osés du daranovan.

"Je... Je passais une mèche derrière mon oreille. Mac ne parle pas l'elfique donc il faut lui traduire en langue humaine, si tu veux qu'elle puisse te comprendre."

Oh misère de misère ! Enoriel, vraiment, tu étais décevante ! Bon dieux, heureusement que ma cousine n'était pas là pour admirer la nouvelle catastrophe que je créais...

~~~~~~~~

L'elfe inclina la tête aux dires de la couturière, approuvant de la sorte ses dires. S'il était un elfe très classique et utilitaire sur le plan vestimentaire, il reconnaissait cependant qu'il y avait dans cette association fort visible quelque chose d'agréable. Ce n'était visible au point de brûler les yeux comme certains habits, loin de là. Pour le reste, effectivement elle avait des clients dont elle devait s'occuper. Et ceux-ci n'avaient certainement pas envie d'attendre longuement qu'une quelconque discussion textile commence entre la personne qu'ils étaient venus voir et lui. Non, pour le coup, c'était limite s'il avait envie de laisser la vie citadine suivre son cours sans intervenir, juste en étant simple spectateur. Il ne se sentait pas vraiment à sa place, dans cette rue. Dans cette ville non plus d'ailleurs.

"Heru Yeldorei c’est bien ça ?"

Il releva les yeux vers ceux de l'artisane, tout d'abord sans répondre. Elle qui l'avait dévisagé comme pour le remettre, à moins que ce ne soit pour comprendre pourquoi son corps semblait ne pas être en adéquation avec lui-même, elle avait fini par mettre un nom sur l'elfe qu'il était. L'expression qui se dessina sur son visage lorsqu'il répondit fut énigmatique, à savoir s'il le faisait exprès ou si son corps ne savait plus comment exprimer ce que l'elfe ressentait en ce moment précis.

"C'est bien cela. Tu peux m'appeler Telenwë, si tu le souhaites. Les noms de famille sont rarement d'usage. Puis-je savoir à qui ai-je l'honneur ?"

Pour le coup, il tenait à connaître le nom de cette artisane. Pas qu'elle avait attiré son attention dans un sens qu'elle aurait imaginé mais... il y avait quelque chose, là, sans comprendre quoi. En lien avec cette note dissonante. Etait-ce qu'une jeune pousse se trouvait cachée dans le coin ou bien était-ce autre chose ? Il n'en savait rien. Mais un quelque chose dans son travail intrguait une partie de son être. Aussi la regarda-t-il elle avant qu'elle ne parte, puis posa-t-il ses yeux océan sur l'étrange jeune femme habillée de bleu.

Venait-elle réellement de… tu ne parles pas l’Oliyan le moins du monde. À la limite pourrais-tu moyennant certain effort retrouver les quelques notions de bases croisées de-çà de-là dans des traités de linguistiques que tu auras feuilleté dans un tout autre but, mais l’accentuation ne t’en restait pas moins reconnaissable. Mais pourquoi ? Comment ? Qui pouvait bien être cette enfant pour ne pas avoir les moindres notions de sa langue natale ? Que pouvait bien être cette enfant pour être à ce point détachée des siens ?

- Comment se fait-il qu’elle ne parle pas l’elfique ? tu te penches en direction d’Enoriel pour lui chuchoter Et qu’est-ce que c’est que ce nom… « Mac » ? D’où est-ce que ça vient ?

Ton genou quitte le sol, et tu retrouves ta pleine hauteur, comme si retrouver cette position plus naturelle pouvait t’aider à penser plus efficacement. Seulement plutôt que de t’aider à conjecturer une possible origine de la jeune brune, te relever ne fait que t’offrir une vue plus dégagée du tableau couleur de gêne et d’embarras qu’était encore et toujours Enoriel.

- D’ailleurs Enoriel tu continues à voix relativement basse, luttant contre le volume rendu par un contenu rire moitié désabusé un jour, il faudra que tu m’expliques ce que tu as bien pu vivre de terrible au point de t’empêcher de regarder le corps d’un homme en face.  surtout que ton corps est à ton goût très agréable à regarder
Tu soupires, roule des yeux, et ton visage retrouve le chemin de celui de l’enfant. Et instantanément tu retrouves le faciès avec lequel tu t’es présenté à elle. Derrière cette expression devenue masque, se cachent toutes les questions fusant  à travers ton esprit… et une pensée à l’intérêt certain que Kireth devait avoir trouvé en cette mystérieuse demoiselle.

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- Telenwë alors. la Dame sourit de plus belle Edraelä Kielendar, tisserande passionnée. Enchantée ! elle s’incline en une courte révérence Et désolée de devoir si vite vous fausser compagnie !

Un dernier salut au Protecteur d’Eteniril, et elle retournait au service des deux premiers. Reconnaissante pour leur patience, impatiente elle-même d’aller de l’avant, elle n’en prit pas moins le temps de retourner quelques pas en arrière sur son cheminement de pensée. Où avaient-ils été interrompus déjà ?

- Donc, Sœur Uriel, je me demandais : pensiez-vous accompagner Eowald de l’autre côté des rideaux, ou préféreriez-vous attendre un moment moins… intimiste pour discuter ?

La réalité était qu’elle ne savait finalement rien de la relation qu’entretenaient les deux elfes, et que si Eowald ne lui semblait pas être de ceux qui s’offusqueraient de pouvoir profiter de ce genre de rapprochements, en particulier avec une elfe qu’il avait l’air de beaucoup apprécier, Uriel donnait l’impression d’être de ceux qui préféraient conserver leurs distances. Par pudeur autant que par ; il lui était difficile de poser de véritable mot là-dessus ; par sécurité ?

Une fois assurée que l'étrange ne tomberait plus, Uriel retrouva le côté d'Eowald comme si sa place y était désormais acquise. Elle salua poliment l'étranger de la tête lorsque la tisserande s'en retourna avec eux et reprit sans difficulté où ils s'en étaient arrêtés.

- Viens. " s'exclama Eowald avec son éternel sourire carnassier. " Ton avis m'est précieux, tu le sais. "

Cette fois, si la Voilé avait été en train de parler, elle aurait sûrement glapie de surprise. Ce n'était plus une possibilité ou un avis théorique sur la question, mais une demande en bonne et due forme. Ses traits ne bougèrent pas, restant paisible et maîtrisés, mais une teinte légèrement rosée vint colorée ses joue blanches.

- Ta confiance me touche... Mais tes taquineries vont un peu trop loin. " le rabroua-t-elle gentiment. Il passa une main sur sa nuque, son sourire redoublant sans qu'il n'ajoute un mot pour s'excuser ou s'enfoncer dans ses méfaits. S'il appréciait de la déstabiliser - et qu'il y mettait même un point d'honneur pour le bien de leur prochain voyage - il n'en perdait pas pour autant une bienveillance sincère. Après tout, il allait l'accompagné derrière bien plus qu'un simple rideau. Arrivant aux alentours du rideau, elle s'arrêta. " Une fois que vous aurez finit avec lui, pourrais-je bénéficier également de votre savoir faire ? "



...


Kireth, boudeur, ne laissa pas la magie le détendre le moins du monde. Tout au contraire, il rejeta en bloc l'intrusion de cet homme dans son corps et dans les crampes qu'il avait aux bras. Sous ses boucles noires, son regard s’étrécit... Et son oreille se dressa en écoutant l'amusement que produisait visiblement chez Artion, le malaise manifeste de la pauvre Enoriel... Et une idée fulgurante lui traversa l'esprit. Une idée qui pourrait bien apaiser la grande timide et redonner vie à cette petite ombre fantomatique.

Il s'empara soudainement des mains de Macabre et Enoriel avec un sourire à faire pâlir le soleil.

- Restez là, j'ai une idée je reviens tout de suite. " Il fit deux pas de course, se retourna comme pour vérifier qu'ils ne partaient pas en courant et reprit son chemin droit vers la peinture qu'il avait entamée. Il reparut une large palette comportant un récipient d'eau dans la main gauche et un pinceau dans la main droite.

Il voulu de nouveau s'emparer de la main d'Enoriel mais s'emmêla dans ses outils et se rattrapa juste à temps.

- Respirez. ça va aller mieux ! " puis il tourna son attention sur Macabre. " peut-être que ça te plaira aussi, mais j'aurai un autre cadeau pour une belle mémoire revenue de la Tourmente. " Et de nouveau à Enoriel. " Cachez-vous les yeux... Allez-y. Cachez-vous les yeux. Faite moi confiance! " ajouta-t-il avec ce visage si doux qu'on lui aurait donné le Senarda sans confession.

"C'est... c'est une histoire compliquée. Et Mac, c'est Mac. C'est tout."

Oh que non que ce n'était pas tout ! Mais il valait mieux que je ne le lui dise pas... pas que je n'avais pas confiance en Artiön, ce n'était pas le problème. C'était juste que... comment dire... ce n'était pas à moi d'en parler, tout simplement. Voilà, c'était ça ! Pas bien compliqué, non ? Bon alors j'en restais à regarder les pâquerettes au sol. C'était très bien comme ça. Enfin... ce n'était pas la saison des pâquerettes mais que voulez-vous, façon de parler, hein ?

"D’ailleurs Enoriel...
Huuum ?
- ... un jour, il faudra que tu m’expliques ce que tu as bien pu vivre de terrible au point de t’empêcher de regarder le corps d’un homme en face."

Là mon regard se braqua, assassin, dans celui du daranovan. L'air autour de nous deux se fit plus dense et oppressant, témoignant de ma colère envers cet idiot de culoté. Oh, si mon visage avait pu fumer sur place, il l'aurait certainement fait ! Au lieu de quoi je sentais ma peau se désécher bien plus vite qu'elle ne l'aurait dû. Mais ô bonne Mère, comment pouvait-il me parler ainsi, A MOI, en plus en riant ?! FIEFFE COUREUR DE JUPONS ! Sans habits ! Beau gosse aux... non, pas beau gosse. Il n'était franchement pas mon style. Et il le prendrait trop bien, en plus. En fait, à y réfléchir, j'étais vraiment nulle en insultes... trop bien éduquée. Pas comme lui... non mais comment il parle à une femme, franchement ! Ne sachant pas quoi répondre, au final, je laissais l'atmosphère redevenir normale et je regardais ailleurs tout en croisant les bras.

"Rien."

Alors le peintre me prit la main ainsi que celle de Macabre, avec un immense sourire, et nous demanda de bien vouloir l'attendre. Je le regardais avec une once de suspicion et sans que je ne puisse rien rétorquer, il courut jusqu'à je ne sais où. Je commençais alors à me gratter le visage et les mains, tellement... Ah mais par Kÿria, qu'est-ce que... ?! Mais pourquoi j'ai la peau déséchée comme ça ? Ah mais qu'est-ce que ça faisait mal ! Je n'arrêtais pas de me gratter maintenant... Oh non... plus qu'à faire appel à la magie maintenant...

Le temps que le dénommé Kireth revienne, l'eau faisait effet sur mes pauvres cellules. Ma peau se réhydratait rapidement, me grattant encore mais rendant mes mains comme mon visage encore plus rouges que sous la timidité. Désormais tomate ambulante, regardant de côté par gêne. Et le pire est que je ne me rendais pas compte de mon état, même si inconsciemment je me rendais compte que ça faisait du bien à ma peau suite à ma colère. Un sursaut alors que Kireth essayait de me reprendre la main, et à nouveau la timidité qui revenait. En ce qui concernait Artiön... Ah oui, c'est vrai, il était là.

"Respirez. ça va aller mieux !
- De quoi ?
- Peut-être que ça te plaira aussi, mais j'aurai un autre cadeau pour une belle mémoire revenue de la Tourmente.
- Euuuuuuh...
- Cachez-vous les yeux... Allez-y. Cachez-vous les yeux. Faites-moi confiance !
- Mais vous allez me faire quoi, avec votre peinture ?
- Vous verrez. Je vous promets que vous ne serez pas tachée."

Je le regardais avec de grands yeux, n'arrivant pas à me décider de si c'était une bonne idée ou non. Après un long moment d'hésitation je soupirais et mis mes mains devant les yeux, priant je ne sais quel dieu que ce gars ne fasse pas de bêtises... ce qui était bien plus mal parti que ce que je pouvais imaginer. De toute façon, vu la fête... perdu pour perdu, autant tester des extravagances, non ?

~~~~~~~~

Edraelä Kielendar... Soeur Uriel... Eowald. Se sentant de toute façon étranger à cette fête, il laissa les trois elfes à leur occupation première puis prit le temps d'avancer vers l'atelier. Il y avait toujours cette impression qui le rongeait... au moins cette soirée aurait eu le don de l'intriguer, bien que ce ne soit pas de la manière la plus conventionnelle pour des citadins. Aussi avança-t-il, croisant une dernière fois le regard de l'étrange femme. Doucement il l'interpella avant qu'elle ne passe derrière un rideau.

"Ma Soeur ? Mes excuses de ne pas l'avoir dit plus tôt, je ne m'attendais pas à tomber... mais merci, pour tout à l'heure. Puissent les Cinq veiller sur toi et celui que tu accompagnes."

Il pensait la même chose pour l'artisane, bien sûr, mais seule Uriel était à portée de voix ou tout du moins de vue.

Satisfait, Kireth glissa son pinceau sur son oreille effilée et fit volte face pour... attraper le bord de la chose qui servait de prototype de chemise à l'homme qui mettait si mal à l'aise la jeune femme à qui il venait de dire de fermer les yeux. La scène était d'autant plus cocasse que le jeune peintre arrivait tout juste à l'épaule du géant qu'il tentait de déshabiller d'une seule main avec le plus grand sérieux. Ou peut-être que le plus cocasse fut qu'une fois la première réaction de surprise passé et sans obtenir d'explication de la part du jeune homme, Artion l'aida tout naturellement à retirer l'unique alibi que portait encore son torse nu. Une fois le tissus confié à Macabre - ou plutôt fourré dans ses bras avec un clin d’œil, Kireth eu un instant d'affolement avant de se rappeler que son pinceau était sur son oreille.

Et c'est une fois de plus sans explication qu'il commença à appliquer de la couleur sur l'épaule du grand homme en face de lui.

- Ne bouge pas ! " le fustigea-t-il avant de ronchonner tout en reprenant le premier trait qu'il venait de faire.

Il travaillait vite. Il le devait puisqu'Enoriel attendait toujours les yeux clos. De la première épaule, il passa à son pectoral, posa quelques marques, glissa sur le second, remonta sur l'épaule opposée et descendit sur son nombril, comme pour s'assurer des distances et des tailles. Il laissa remonter sa main sur le relief de ses abdominaux jusqu'à sa clavicule. Puis il appliqua la couleur une bonne fois pour toute en une myriade de touches, des plus légères aux plus appuyées. Son visage paraissait soudain plus âgé sous l'effet d'une concentration presque surnaturelle. Il n'y avait plus place aux caprices, à la gentillesse, à l'inquiétude ou à quoi que ce soit d'autre. Quelqu'un lui aurait crié dans l'oreille qu'il ne se serait pas même retourné.

Il n'utilisait l'eau que pour estomper ou ombrer. Pas une fois il ne reprit le tracer de son pinceau. Pas une fois il ne sembla hésité, profitant des respirations amples de sa toiles pour placer les éléments comme si elle faisaient partie de son œuvre. Si bien qu'en une ou deux minutes, c'était fini. Les bras et l'entièreté du torse d'Artion étaient habillés d'une façon fort peu conventionnelle. L’œuvre soulignait et s'agrippait si bien aux reliefs de son corps qu'on avait du mal à y voir un torse plutôt que l'image qui figurait dessus.

Kireth fit un pas en arrière et son visage retrouva sa mobilité.

Ravi, le peintre posa sa palette à même le sol et récupéra le bout de tissus qu'il avait donné un peu plus tôt à Macabre pour le nouer sur la hanche de son modèle, floutant un minimum les courbes les plus intimes de son anatomie. Puis passa comme un souffle d'air dans le dos d'Enoriel. Ses longues mains d'artiste allaient se poser gracieusement sur les épaules de la jeune femme lorsqu'il se rappela de sa gêne. Alors il se contenta de rester à une distance raisonnable, vérifia une dernière fois qu'Artion était bien dans l'axe et n'avait pas l'audace de ruiner son effet. Puis il annonça d'une voix douce.

- Vous pouvez regarder. Est-ce toujours aussi dérangeant ?

Le torse d'Artion:

En ouvrant les yeux, Enoriel pourrait découvrir une large tête féline à un mètre d'elle, couvrant l'ensemble de la peau de l'impudique elfe qui la faisait rougir. Les mains croisées dans le dos, Kireth attendait, à la fois confiant et fébrile, les réactions des deux membres de son premier publique. Quoi trois membres ? Bien sûr que non. Artion était une toile. Il ne comptait pas.

Au fur et à mesure que j'entendais Kireth demander à je ne sais pas qui de ne pas bouger, ce que je fis volontairement, je sentais ma peau redevenir saine. Ca me grattait de moins en moins et j'étais moins chaude au visage. Une bonne chose. Par contre, je me demandais sincèrement ce que faisait le peintre. Allait-il peindre sur moi ? Ou par terre ? Non, il ne mettrait quand même pas de la peinture sur l'herbe ? Bon alors, quoi ? Je ne ressentais rien et le temps filait, longue brise éternelle !

"Vous pouvez regarder. Est-ce toujours aussi dérangeant ?"

La voix venait de derrière moi, douce et rassurante, raison pour laquelle la première chose que je fis fut de me tourner vers elle. Enfin vers le peintre. Rien. Je compris alors que je devais regarder droit devant moi et... et... et...

Mes lèvres s'entrouvrirent, pendant un temps qui me parut incalculable. Je... J'éclatais de rire, à tel point que mon ventre se tordit immédiatement de douleur et que des larmes me montèrent aux yeux. Ce... c'était tellement beau ! Mais tellement n'importe quoi ! Pas que la peinture était mal faite, au contraire, mais... Artiön musclé comme le visage d'un félin hahaha !

J'avais du mal à respirer. J'essayais de me répendre en excuses auprès de l'artiste mais les mots ne me venaient pas tant le rire m'assaillais. Non là, cette blague, je ne m'y étais jamais attendue !

Alors qu'elle semblait avoir soudain disparu de l'attention de tous, le géant de muscles s'adressant uniquement à Enoriel, on prit la main de la petite elfe qui se tourna aussitôt vers le fameux Kireth. Il lui dit quelques mots dans cette langue inconnue, en dit d'autres à sa comparse, puis fila à toute allure. Macabre le suivit des yeux, le regard à la fois perplexe et effrayé. Il semblait aimer le contact et elle ne supportait pas d'être touchée. C'était entrer dans cette bulle, cette limite physique dans laquelle elle se sentait en sécurité. Etant donné le peu de temps qu'il y passait, le peintre n'avait pas le temps de provoquer une réaction de la part de la jeune mage mais il maintenait néanmoins son instinct en éveil.

Kireth revint, parla encore, puis Ciryië se retrouva avec un pagne dans les bras... Elle regarda le tissu qu'elle portait bien malgré elle, fronçant légèrement les sourcils en se demandant d'où il venait exactement. Elle releva alors les yeux et découvrit la scène du peintre tout à son ouvrage. La nudité soudaine de l'inconnu qui faisait plus de deux tête de plus qu'elle ne la dérangeait en aucun cas. Elle avait vu bien pire comme spectacle. Son attention était plutôt portée sur ce qui prenait peu à peu forme sous les coups de pinceaux. Au début, cela ne représentait pas grand chose mais, bien vite, elle commença à entrevoir un œil, puis un nez, et un second œil. Interloquée et curieuse, elle pencha la tête sur le côté, comme pour étudier l'oeuvre inachevée et tenter d'en déterminer l'apparence finale.

Son travail terminé, le prêtre rhabilla l'officier et se posta derrière Enoriel qui, découvrant son ouvrage, éclata d'un rire incontrôlé. Macabre, quant à elle, ne voyait pas ce qu'il y avait de drôle. Mais c'était bien fait... On reconnaissait véritablement l'animal, si bien qu'il en était presque réel.

Penchant sa tête de l'autre côté, la petite elfe fixa son attention sur le dessin tout en se concentrant sur les flux alentours. Elle s'imprégna de chaque trait de l'animal et commença à se figurer qu'il était vivant... Qu'est-ce que cela donnerait si c'était le cas ?
Se produisit alors une chose sans doute inattendue pour ceux qui l'entouraient. Les poils du félins se mirent à se mouvoir comme s'ils se soumettaient à la volonté de la brise. Puis la bête cligna lentement des yeux et sembla tourner légèrement la tête pour observer quelque chose qui n'existait pas. La petite animation dura quelques instants durant lesquels on pouvait presque avoir l'impression de distinguer la respiration du fauve. Enfin, il ouvrit la gueule et on entendit alors un rugissement venant de nulle part et de partout à la fois.
La bête vécu encore quelques secondes avant de reprendre sa posture immobile tandis que Ciryië quittait enfin la créature du regard pour se tourner vers Enoriel.

Alors c’est qu’elle en était capable, de te regarder. C’est qu’Enoriel gagnerait décidément – et c’est presque triste à dire – à être plus souvent en colère. Peut-être y avait-il là quelque chose à explorer pour de prochaines rencontres d’ailleurs. L’embarrasser c’était simple. L’agacer aussi. Véritablement l’énerver l’était moins. Mais tu trouverais certainement quelque chose. L’expérience ne lui serait de prime abord certainement pas agréable, mais bon… il faut un début à tout, et les débuts sont souvent difficiles.

- Mais alors pourqu … oh ?

Tu n’y avais jamais vraiment pensé à vrai dire, mais peut-être y avait-il eu un élément déclencheur pour elle. Des elfes timides tu en as connu. Des elfes pudiques aussi tu en as connu. Mais des elfes chez qui ces deux traits étaient aussi… maladifs que chez Enoriel ? Elle devait bien être la seule. Mais ce que tu ne comprends pas aujourd’hui, le temps finirait bien par te l’apprendre. Pour l’instant il te faudrait prendre ton mal en patience, parce que parti comme il était Kireth ne te laisserait certainement pas le temps d’avoir une discussion à tête reposée avec l’élémentaliste. Enfin ; il y a fort à parier que l’élémentaliste aurait eu grand mal à avoir une discussion avec toi tant que tu porterais cette tenue.

Le peintre était-il arrivé à la même conclusion ? On aurait pu le croire, pour peu qu’il ait eu avec lui un habit de rechange à ta taille, mais à le voir le pinceau en main et sans l’ombre d’une autre bande de tissu éligible à quelques dizaines de mètres à la ronde, tout portait à penser que c’est un tout autre vêtement qu’il s’apprêtait à t’offrir.
De la surprise à l’amusement, tu hésites à quoi penser durant le petit jeu de l’artiste. Souvent, bien trop souvent pour le maigre temps qu’il lui aura fallu pour compléter son œuvre, il n’y a que le regard sévère de l’Ardamiri pour te retenir d’éclater de rire. C’est que les tapotements de pinceau sur les tétons, ça chatouille tout de même !

Mais à en voir l’expression de Kireth, le jeu en valait largement la chandelle. Du moins… presque.
Ce n’est que lorsque ta chemise fut pendue par-dessus quelques courbes trop généreuses que son œuvre fut parachevée. Et d’entre tous, tu serais le seul incapable de l’apprécier à sa juste valeur.

Seulement étais-ce pour le pire ou pour le meilleur ? À en voir la réaction d’Enoriel, tu n’en savais trop rien. Bien que conserver l’effet étudié par le peintre te prive presque intégralement de ta mobilité, le peu que tu pouvais percevoir de la toile ne te paraissait pas le moins du monde source d’hilarité. D’ailleurs, qu’elle soit moitié moins bien réussie que les œuvres dont il tapissait Ardamir et elle ne mériterait rien de moins que de l’admiration. Contre toute attente, s’identifier à la mystérieuse enfant Oliyane était devenu plus simple que de comprendre la psyché si particulière d’Enoriel.

- Tiens, qu’est-ce que…

Sa pulsation se cala tour à tour sur celle d’Enoriel, sur celle de Kireth, et sur la tienne. La petite brune se tenta à une méthode de communication transcendant les mots, et intrigué que tu étais, tu te laissas faire. Tu ouvris tes sens à celle que tu découvrais maintenant mage, pour qu’elle puisse te dévoiler le fruit de sa pensée. Et comme si en touchant tes sens elle avait aussi touché à la tienne, sa pensée s’aligna sur ta question première. La bête frémit. La bête rugit. La bête déplaça sa fourrure teinte juste assez pour que tu puisses y jeter un œil, et apprécier ce que tu n’aurais normalement pas dû pouvoir voir. Tu n’étais pas public après tout, tu étais la toile.

- Je pense que tu nous l’as perdue pour un moment. tu lances à Kireth, d’un sarcasme amusé Mais je ne te savais pas aussi doué pour la peinture corporelle que pour les toiles planes. tu t’autorises finalement, profitant du fou-rire de la demoiselle à contempler plus en détail le trait de l’artiste Qu’est-ce que j’aurais aimé que mes dessins soient aussi propres… surtout en traçant à ton rythme.

Tu continues de t’observer, joues de ta musculature pour essayer de mettre l’animal en mouvement, avec plus ou moins de succès, et finalement, tu retrouves la pose de départ, celle faisant le plus de justice au dessin. Servir de canevas à l’œuvre de Kireth ou d’Edraelä étaient deux choses bien différentes. Mais tu découvrais l’un tout aussi agréable que l’autre.

- C’est que tu souris en direction du peintre je ne serais pas contre faire ça plus souvent moi.

~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~

- Certainement, et avec le plus grand plaisir.

Edraelä fit sa révérence à celle qui resterait de ce côté du rideau, et ficelles et aiguilles en main, accompagna le plaisantin dans la plus spacieuse des cabines d’essayage. Là la véritable inspection commença, et la tisserande ne s’en retint aucunement. De la forme de sa colonne vertébrale à l’implantation de son fessier, des proportions entre les os de ses jambes à la manière dont elles étaient plantées, avant même de prendre la moindre mesure, elle s’était autorisé à plus précisément en jauger.

- Maintenant il faudrait que tu te déshabilles pour que je prenne tes mesures.

Habituée à ce manège, l’artisane mit à profit le temps que passerait le forgeron à se défaire des couches extérieures pour essayer d’en apprendre un peu plus sur ce qu’il attendait du vêtement.

- Pendant qu’on y est, tu as pensé exactement à ce que tu aurais aimé, ou aux conditions dans lesquelles tu voudrais que le vêtement te serve ? Si tu penses le porter pour beaucoup marcher, ou si tu penses faire de quelconques acrobaties en le portant, ou alors si tu veux qu’il ait le moindre intérêt au combat…

En voyant Enoriel éclater de rire tout en observant son œuvre, les yeux de Kireth s’illuminèrent. Tout en pouvant enfin regarder le corps plus qu'à demi nu de son comparse, elle riait de bon cœur et sans la moindre gêne. Et c'était fou comme ses traits s'animaient quand elle riait. Kireth en aurait rit aussi si on lui avait donné pour observer les traits de cette jeune femme qui s'ouvrait comme une fleure sous les premiers rayons du printemps. Une seule fleure aux couleurs pâles perçant la neige d'une angoisse trop souvent remâchée. Elle riait et Arcamenel riait avec elle, heureux de voir les enfants de son aimée profiter de la joie de l'instant présent.

S'il avait eu plus de temps, il se serait mis à rire aussi pour l'accompagner, mais il se figea immédiatement en sentant la magie l'entourer de nouveau. Mais cette fois, elle ne s'attaquait pas à son corps. Elle demandait le passage de son esprit. Et c'était... C'était la mystérieuse ombre venue de l'Extérieure qui manipulait la Trame. Intrigué, il la laissa entrer... et son œuvre prit vie.

Il en resta là, la bouche béante en un sourire d'enfant stupéfait. La toison fut parcourue d'une douce brise. L'animal s'ébroua. Il cligna des yeux. Respira. Lorsqu'il ouvrit la gueule, dévoilant des crocs qu'il aurait voulu peindre lui-même, Kireth frémit. Le rugissement le prit au corps. Un frisson lui remonta le long du dos jusqu'au sommet du crâne. Ses immenses yeux où se mêlaient mille teinte végétales restèrent vrillés sur ses propres coups de pinceaux de longs instants après que l'image se soit stabilisée. Sur la peau pâle d'Artion, le Leomenis était de nouveau fait de couleurs et respirait avec son porteur. C'était ça... Elle avait saisit le mouvement, la force farouche, la puissance contenue, la beauté naturelle.

Artion lui parla. Sans doute. Peut-être. Quelque part loin de ses préoccupations de l'instant. Il ne lui répondit pas avec mécontentement qu'il était sa première toile. Il n'y avait plus ni dédain, ni mécontentement ni revanche puérile dans son cœur. Seul le dernier constat de sa toile du jour lui arriva jusqu'à l'esprit, bien qu'avec une forte latence.

- Alors j'en essaierai d'autres sur toi. " Il souriait au milieux de ses larmes, laissant sortir sans gêne ni retenue le trop plein d'émotion qui rayonnait dans son cœur. Il se tourna ainsi vers Macabre, plongeant ses yeux dans les miroirs bleutés de la jeune femme autant que le flou artistique de ses larmes lui permettait.  " Merci. " Le mot tomba avec une force étrange, emplit de tout le sens, de toute la gratitude qui lui faisait si souvent défaut dans son utilisation vulgaire entre 'passe moi le sel' et 'tiens moi la porte tant que t'es debout'. Une véritable reconnaissance. Sincère. Totale. Sans condition ni rétribution. L'acte qu'elle venait de faire, si fugace soit-il d'un point de vue extérieur, le peintre l'accueillait entièrement.

Il garda le contact visuelle sans parler ni bouger, tant qu'elle ne le rompit pas. Il laissait aller et venir tout ce qui voudrait bien passer par ce regard, sans jugement ni attente particulière. Simplement heureux de l'instant, fusse-t-il long ou imperceptible.

Il est de ces rires qui vous empêchent de respirer, qui vous tordent le ventre au point que vous finissez par avoir l'impression que soit vous allez mourir là maintenant d'étouffement, soit que vous allez finir par rendre votre dernier repas à vos pieds. C'était l'état dans lequel je me trouvais, à cet instant précis. Et le pire serait peut-être bien arrivé si je n'avais pas soudainement entendu le rugissement d'un leomenis, ce qui me fit sursauter voire même faire un bond sur place. Je remarquais le mouvement improbable de la peinture sur le corps d'Artiön puis regardais le peintre en me demandant sincèrement s'il avait placé de la magie dans son oeuvre pour qu'une telle création puisse ainsi vivre. Kireth pleurait. Je ne le comprenais pas. Etait-il si content de lui-même et de ce que son tour provoquait ?

"Merci."

Il s'était tourné vers Macabre qui, visiblement, ne comprit pas quel mot il avait employé. Je me refis donc traductrice, prenant alors conscience que la petite était à l'origine d'une illusion formidablement bien réussie. Mon rire s'était arrêté et c'était avec un brin d'étonnement que je la regardais, ne sachant pas qu'elle savait manipuler un autre domaine que celui des ombres.

Sortant de sa concentration, Macabre entendit la voix du peintre et tourna son regard inexpressif vers lui. Elle découvrit ses joues noyées de larmes, ignorant ce qui avait motivé leur venue. Qu'y avait-il de triste dans ce qu'elle venait de faire ? Ne comprenant toujours pas son langage, elle pencha la tête une nouvelle fois sur le côté. Enoriel lui traduit cet unique mot. Les sourcils de la petite elfe se froncèrent l'espace d'un très bref instant avant que son visage ne reprenne sa position initiale et impassible.

Merci ? Pour quoi ? Elle posa à nouveau son regard sur Kireth, comme si la réponse allait finir par lui venir... Mais non, il n'y avait rien à faire. Elle ne comprenait pas.

Oh, et puis, ce n'était pas la chose la plus étrange de cette soirée.

-De rien. Finit-elle par dire de sa voix monocorde.

Elle observa le peintre un petit moment encore. Il y avait tant de questions qui la taraudait à son sujet...

-Qui est-ce ? Demanda-t-elle à Enoriel sans pour autant quitter le prêtre des yeux, comme si le fait de savoir qui il était allait l'aider à mieux le comprendre. Et pourquoi celui-là est presque nu ? Ajouta-t-elle en se tournant vers Monsieur Muscles.

Une sorte de défilé de mode elfe destiné à relancer la haute-couture à Alëandir, à briser les codes habituels des tenues portées par les natifs d'Anaëh et à lâcher la bride aux artistes créateurs. A priori rien là-dedans qui puisse concerner un archimage dont les compétences en matière de mode se résumaient à l'expression suivante : "tout en noir, ou juste en pagne". Bref, le narrateur devine mal ce qui pouvait amener Haldren dans cette fête si ce n'était la possibilité d'y boire à l’œil tout en matant les elfettes puisque le nouveau style semblait finalement assez peu pudique.

Puisque cela doit vous passionner, sachez qu'Haldren avait choisi de se vêtir tout en noir, se faisant vaguement la réflexion que les elfes ne seraient peut-être pas encore prêt pour. la révélation du.. divin pagne. Mais ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils abandonnent leur hérésie de tissu pour en revenir à la véritable virilité en fourrure, à une communion profonde avec la nature en particulier lorsque vous chiez dans les orties. Triste souvenir pour l'archimage qui se gratta inconsciemment les fesses en y repensant.

Débarquant dans la rue réservée pour l'occasion et dont il admira un instant la décoration un peu trop classique à son goût, l'ancien Triumvir eldéen mit directement le cap sur le buffet. Il avait faim, il avait soif, et il se foutait pas mal du reste tant qu'il n'aurait pas satisfait ce besoin urgent permettant de combler un estomac hurlant sa détresse. De toute façon il ne connaissait pas grand monde dans la haute société d'Alëandir aussi comptait-il passer discrètement se rassasier tout en observant les scènes qui se joueraient devant lui afin de mieux comprendre la mentalité de ses nouveaux congénères.

Elle était revenue de sa virée. Elle était revenue à Alëandir. Elle aurait pu rester là-bas, c’était un fait mais elle avait senti ce besoin de revenir chez elle. Elle n’était pas une grande globe-trotteuse, elle avait ce besoin de revenir dans ces lieux qu’elle connaissait par cœur même si elle continuait de s’y perdre lorsqu’au détour d’un songe éveillé elle se trompait de rue ou de chemin.

Elle sentit une brise légère caresser son corps, effleurer son visage et faire voler autours d’elle son parfum embaumant son être dans une légère teinte fleurie. Elle était bien ici, elle était chez elle, dans son chez-soi, dans son petit cocon. Elle attrapa une robe propre, une robe de lin pâle et de dentelles, c’était un mélange qui jouait sur la transparence, sur la nudité, sur le vaporeux et le rêveur. C’était une tenue de nymphe. Elle était une nymphe décolorée.

Il y avait du bruit en ville, il y avait cette odeur festive. Il y avait un événement qui se jouait, une musique qui sifflait et des rires qui s’élevaient alors pourquoi ne pas aller voir ? Pourquoi ne pas s’y risquer ? Elle pourrait toujours faire marche arrière si la fête ne l’inspirait pas, si elle lui donnait plus d’idées grises que colorées. Elle sortit de chez elle et se mêla à la foule en s’approchant des coins animés. Elle se laissait aller et attraper à quelques pas de danse timides.

C’était l’euphorie. C’était la joie. C’était la fête.

Musique. Danse. Jeu. Rire. Les arts dans toute leur splendeur.

Il n’y avait pas besoin d’alcool pour se laisser enivrer, seule la conviction semblait suffire ici. Une main habile se glissa non loin de son crâne, glissant une fleur entre quelques mèches de cheveux qui se battaient en duel. Elle portait maintenant une fleur d’un bleu profond mêlée à ses cheveux, c’était à n’y rien comprendre mais ça lui plaisait. Il était bon de se laisser aller ainsi.

Une musique résonnait dans le lointain, c’était cet air qui vous entraînait et qui vous laissait en transe. Cet air qui vous charmait et faisait onduler votre corps. Elenwë se laissait porter, elle laissait la musique vibrer dans son être. Il n’y avait plus de connexion entre elle et le réel, elle était musique et danse.

Elle se laissa attirer par le regard aguicheur de cette elfe qui lui tendait une main ouverte. Il n’y avait pas de mots, il y avait seulement cette invitation offerte, invitation qu’elle saisit avec un sourire tandis que les doigts de l’elfe brune se refermaient sur les siens. Il y avait une toile imaginaire qui se créait entre elles alors qu’elles commençaient tout juste à accorder leurs pas pour ne devenir qu’une à deux.

Les gestes étaient langoureux, la distance entre les corps était de plus en plus moindre. Elles se frôlaient, elles se laissaient porter à deux dans cette valse à mille temps réinventée. Leur peau se frôlaient, se touchaient, se caressaient et elles esquissaient mille et un mouvements envoûtants. Tantôt proches, tantôt éloignées. Un petit cercle se formait autours d’elles, ce n’était pas grand-chose mais c’était un assez grand espace pour pouvoir tourner sans se cogner. Il y en a qui observaient la danse, d’autres qui jugeaient d’un regard mauvais ce tourbillon de pas qu’on croyait savamment préparé mais qui, en réalité, ne l’était pas. Elles se suivaient l’une l’autre, elles écoutaient le silence des mots et la teneur de la mélodie pour ne pas faire faux pas. Elles se souriaient, elles se charmaient presque.

C’était un spectacle spontané qu’elles créaient, une relation unique qu’elles tissaient l’une avec l’autre. Elles se ressemblaient morphologiquement mais là où la couleur semblait en avoir quitté une, elle s’accrochait à l’autre. Si Elenwë était pâle et vêtue de couleurs pastel, sa comparse avait la peau un peu plus brune et les cheveux aussi noirs que l’ébène. Ses yeux étaient d’un brun profond et sa robe était de la couleur du feu, d’un rouge intense si bien que quand elle les faisait tournoyer dans un mouvement de hanche, elle semblait les engloutir dans une nué de flammèche brûlante.

Le feu et la glace. Le chaud et le froid.

Les éléments dansaient entre eux, ils dansaient entre elles.

Leurs épaules se frôlèrent tandis qu’elles étaient maintenant dos à dos. Chacune regardait à sa droite, les yeux fermés et un sourire fin sur le visage. Dans un geste coulant, elles pivotaient la tête alors que les bras se touchaient avant de revenir l’une en face de l’autre sur un accord majeur et puissant. Leurs lèvres se frôlèrent dans un mouvement calculé par la brune qui offrit à la Stellaire un sourire plus mesquin et un clin d’œil qui fit naître sur ses joues pâles cette teinte rosée.

Des elfes gloussèrent sous l’acte et d’autres rougirent alors que la musique marquait ses derniers accords. La danse se finit sur un rire et un regard entre les deux danseuses d’un soir. C’était un rire amusé, un rire sincère alors qu’un homme avait les mains prêtes à cacher les yeux de son fils comme s’il s’attendait à voir un véritable baiser apparaître entre les deux elfettes qui saluaient leur public improvisé après cette danse tout juste inventée.

T'as vu Loet, j'ai bousculé personne comme promis ♥

Il y avait là largement de quoi se perdre. Entre la crise de fou-rire d’Enoriel et celle de larmes de Kireth, c’était comme si tes deux camarades avaient décidé de commun accord de te rappeler à quel point il pouvait parfois t’être difficile de comprendre ce qui pouvait bien passer par la tête de tes congénères. Mais ils semblaient heureux. C’était là le plus important. Ils semblaient heureux, et les battements du cœur de la petite brune s’étaient calmés. Tout allait à nouveau pour le mieux.
Un sourire apaisé, presque comme celui d’un parent soulagé se tresse sur tes lèvres. Ton regard volette de l’un à l’autre et de l’autre à l’un. Et tu attends sans véritablement savoir quoi. Ou du moins, sans daigner le conscientiser. La petite parle. Enoriel traduit. Ta frustration s’envole. Un échange, au moins sommaire, avec l’étrange demoiselle, c’est tout ce dont tu avais besoin. T’assurer qu’elle en était capable, que ton petit événement ne l’avait pas juste faite plus alien qu’elle ne l’était déjà. Du moins… s’il était possible de ne pas se sentir ne serais-ce que légèrement étranger face aux expérimentations des artistes.

- La tisserande là-bas m’aide à concrétiser une idée les genoux pliés pour te réduire l’écart entre vos visages, tu désignes à la jeune elfe l’atelier d’Edraelä d’une paume ouverte Et une fête comme celle-là était l’occasion parfaite pour la présenter au reste des elfes. tes doigts s’approchent de la peinture pour constater qu’elle a terminé de prendre, et tu en profites pour à nouveau enfiler ton gilet de mousseline comme il se doit Vu l’occasion, ceux-là en même temps que les tiens, tu désignes ceux portés par les danseurs et les musiciens plus loin ont été faits pour être jolis, mais normalement ce sont des pièces à porter – sous – tes vêtements.

Et calme ou pas tu en parlais décidément avec beaucoup trop d’entrain. Comme quoi ce ne devrait pas t’être si difficile pour toi de comprendre ce que ressentait Kireth quand son art touchait – même de si étrange manière – quelqu’un. Etrange…

- Par contre, si tu veux bien m’excuser la question, comment se fait-il que tu ne parles pas le… Ton oreille se tend, tu te relèves d’un trait, et tu appuies ton focaliseur contre le sol Excusez-moi, je reviens plus tard.

- Votre entrain me flatte heru, une voix glisse de derrière le buffet, presque inaudible aux oreilles mêmes de celui dont elle est originaire mais c’est que je n’ai pas préparé grand-chose et que j’aimerais que d’autre puissent goûter…

Les sourcils froncés, à la suite d’une petite tête blonde, tu en cherches une autre au milieu des buffets. C’est que les tempéraments de Thiadon et d’Aduial étaient au moins aussi doux que les plats qu’ils cuisinaient. Ce n’était pas la première fois de la soirée qu’ils t’appelaient à la rescousse parce que leurs préparations rencontraient trop de succès, et à moins qu’ils n’arrivent réellement à court, ce ne serait certainement pas la dernière. C’est qu’ils auraient dû se rendre compte eux-mêmes que quand il les disait incapables de tenir un stand sans lui pour l’instant, leur instructeur n’avait pas tort.

- Excusez-moi de vous interrompre ainsi heru. tu salues rapidement l’elfe profitant du buffet avant de poser une main pressante sur son épaule Thiadon et Aduial ci-présents sont absolument ravis que leurs préparations vous plaisent autant, mais ils sont aussi beaucoup trop timides pour rappeler à leurs invités que c’est un buffet de cuisine expérimentale et qu’ils fonctionnent du coup avec trop peu pour offrir un repas complet à chacun. Tu poses un regard réprobateur sur les deux adolescents Si vous le voulez bien par contre, je vous invite à me suivre jusqu’à l’autre côté de la rue. Leur Chef tient un restaurant de ce côté, et là vous aurez largement de quoi vous rassasier.

Les yeux des jeunes cuisiniers s’ouvrent grand, et à cette réaction ton expression marque ton incompréhension. Jusqu’à ce que ton nez n’identifie le fumet du met dont l’homme venait d’ingérer de copieuses quantités. C’est que même toi en tant qu’amateur de friandises, tu ne te serais pas imaginé capable de consommer autant de sucre.

- Mais d'ailleurs, c’est que c’est un miracle que vous n’ayez pas déjà rendu vos tripes.

~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~

De danseur à danseuse et d’immobile à danseur, elle voletait, véritable papillon. Elle dégustait les mouvements, fruit de son labeur, lorsque son corps enfin lui hurlait de prendre quelques minutes de repos. Les musiciens jouaient le jeu. Ses confrères au service d’Arcam lui emboîtaient le pas, et quand elle ne pouvait plus danser, elle observait au sein de la foule ceux dont le pas était le plus agile.
Peut-être la folie d’un soir deviendrait-elle celle d’une vie. Peut-être ferait-elle une rencontre qui changerait la sienne. Peut-être trouverait-elle enfin quelqu’un digne de recevoir ce qu’elle avait à transmettre. Quelqu'un au pas assez léger pour apprendre ses danses. Quelqu’un qui oserait mettre son corps au service de l’art et de l’émotion.

Tant d’elfes, et si peu de ballerins.

Hors de question de laisser s’échapper une proie potentielle. Un bond, une pirouette, une vrille, un salto, et en un enchaînement de prouesses la Prêtresse chassait sa consœur et lui dérobait sa partenaire. Les applaudissements de la foule furent coupés dans leur élan, les visages s’accrochèrent aux hanches du spectre faisant sa parade, et les hanches du spectre agrippèrent la musique. Cette fois-ci elle ne serait pas celle qui guide du corps entier. Cette fois-ci elle guiderait des doigts, des pieds et des yeux seuls. Ce n’était pas qu’une danse. C’était un défi.

Au milieu de tant de beauté, ton cœur s’emballe. Rires et chants, danses et valses, tout trouve sa place en ce lieu, en ce temps, pour le plus grand plaisir du Beau-Seigneur sûrement. Malheureusement, vous arrivez tardivement. Les aléas du voyage, comme bien souvent. Désormais Hissaelel ne peut s'arrêter de courir, t'entraînant à sa suite, tandis que tes yeux se gorgent de lumière avec ravissement. Malgré son entrain, ton aînée prend quelques mots pour saluer bien des connaissances, bien des visages que tu as déjà vu se pencher sur toi avec bienveillance. Émue et en joie, tu as tout juste le temps de leur retourner cette reconnaissance, avant que l'Aérienne ne s'exclame qu'il est temps. Vous, deux prêtresses du Barde, ne pouvez vous égarer en de si enrichissantes compagnies avant d'avoir contribué à cette belle œuvre.

Ainsi vous fendez la foule d'immortelles, étourdissant dans votre sillages les badauds de vos voiles filantes. Car vos deux corps en sont drapés, seuls éléments tangible dans ce mouvement immatériel. Sans y penser une note nait dans ta gorge frémissante, que ton aînée reprend une octave en dessous, annonçant la venue d'un oiseau voltigeur.

L'espace s'ouvre devant vous, vous révèle les corps en mouvement. En un instant vos pas se glissent dans ce rythme de cœur, offrant l'apparition de demoiselles entièrement voilées parmi des morphologies bien révélées. Là est le contraste, là est la surprise. Élevant avec volupté vos mains et les longs bâtons qui les prolongent, vous en cachez les péripéties. Ses mètres infinis de tissus, qui planent autour de vos formes éthérées, y sont raccrochés, et viennent ainsi créer boucles et arabesques fluides et mouvantes. Vous virevoltez entre les couples et les solitaires, tantôt les cachant, tantôt les révélant, de vos corps et de vos bras, de votre danse et de vos pas. C'est le tournis, c'est l'euphorie. Les chants et les sons t'emportent et t'étourdissent. Sans que tu ne le sentes, ton esprit s'évanouit.

La danseuse continue de bondir, de s'élancer, toujours plus haut, toujours plus vite. Quelqu'un l'a vu ? Ce geste-la, qui justifie que soudain, son visage délicat ne soit plus le sien. Car il y a un masque qui l'a masqué, un masque de rire, un masque figé. Le mouvement de la taledhel n'a pas de fin alors que soudain, les plus proches entendent une voix, les plus lointains un murmure. Une voix qui est homme et femme à la fois, une voix qui rit et s'amuse. Peu importe leur langage, tous la comprennent.

"Oyez, oyez, v’la le sieur, soulagé
Qui s’en vint, galopant, saluer l’habitant.
D’un carreau dans la nuque
Puis d’un arbre aux pendus !

Oyez, oyez, v’la le sieur qu’a bien tué !
Qu’voulez-vous, c’est la loi,
C’est comme ça, c’est chez moi.
Les sieurs guerroient
M’nant les gueux au trépas !"

Un nouveau volt-face, une nouvelle courbe qui se dessine et se déploie. Le masque a disparu, tu reviens à toi. Tes yeux se rouvrent là où tu n'étais pas. Désorientée et surprise, ta cheville ploie. Point d'autre envol, tes ailes s'abaissent et tu te recroquevilles, rassemblant tes esprit. Du coin de l’œil tu perçois la danse d'Hissaelel qui se poursuit, charmant encore les regards, enveloppant encore les danseurs. Mais qu'elle te voit et d'un pas léger elle te rejoint. Ses voiles t'enveloppent et elle appose son front contre ta nuque.

"Tout va bien, nin hén* ? souffle-t-elle avec inquiétude.
- Oui... Mes excuses amin arwen*, j'ai hésité. Qu'ai-je... Qu'a-t-il été conté aujourd'hui ? réponds-tu, penaude.
- Rien de très heureux, le Barde s'est voulu taquin. est-il dit avec un petit rire. Peux-tu te relever ?
- Oui ! Tu prends le temps néanmoins de faire jouer ta cheville. Oui. En douceur."

Après un instant, c'est ce que vous faites, redéployant vos ailes dans un ballet plus lent. Ton aînée ne vous fait pas vous éterniser et bientôt vous vous fondez à nouveau dans la foule. L'Aérienne se rapproche, range ses bâtons à sa ceinture alors que tu fais de même, et pose sa main sur son épaule. Tu l'en remercies d'un sourire, tandis que vous vous approchez du buffet. Votre arrivée précipitée et la danse se font soudainement sentir, alors que tes yeux tristes se posent sur les plats, multicolores mais vides, dont un elfe habillé fort sombrement se lèche les doigts. Mais tes longs cils de biche papillonnent quand, dans ton empressement, tu négliges ta cheville sensible qui te fait alors défaut. Sans prèvenir, tu échappes au contact de ta mentor et t’empêtre dans tes voiles. Tu heurtes un corps de dos que tu mais entraînes pourtant dans une chute.

Etourdie, tu te redresses, quelque peu hésitante. Mais soudain, ton souffle se bloque. Une partie de ton esprit reconnait que ce à quoi tu t'es raccrochée, en vain, est un collant tandis que l'autre se fait la réflexion qu'il est étrange qu'il te soit rester entre les doigts. Perplexe, tu lèves les yeux... Le long du galbe de jambes puissamment musclées. Quelque chose te fait t'arrêter avant d'aller trop haut, alors que ton visage chauffe étrangement. Il me semble... Que j'ai dévêtu un Aîné... Frémissante, tu tournes la tête... Et découvres Hissaelel observant le spectacle ainsi offert avec une grande intensité tandis que divers visages contemplent la scène. Sans vraiment y réfléchir, tu regardes à nouveau devant toi et te retrouves, en conséquence, confrontée à ce dont une bienheureuse intuition avait tenté de t'épargner la vue.

Toute l'assurance que te confère ta passion pour les arts te quitte et, dans sa mansuétude, Kyrïa te permet de tomber en pâmoison.

Traduction:

Tout s’était passé très vite. Trop vite. Un instant tes deux jeunes protégés de remerciaient silencieusement d’avoir proposé au gourmand une table plus adaptée à son appétit ; celui d’après leurs yeux s’écarquillaient et leurs visages rougissaient de gêne. La brise automnale nocturne caresse ton aine. Tu soupires. Comme si tu avais besoin de ça…
Le cocasse tableau se peint dans l’éternité. Les amateurs d’art laissent traîner leurs yeux. Certains visages se couvrent de honte à ta place, d’autres s’offusquent sans plus réfléchir à ce qui a bien pu se passer, les suivants se contentent d’observer sans savoir quoi penser. Au moins maintenant sauraient-ils, qu’ils se soient posé la question ou pas, que les fort généreuses courbures portées par la brayette de ton sous-vêtement étaient tout sauf falsifiées.

Incapable de se décider à savoir s’il serait plus approprié de rire, de pleurer, de prendre peur ou de se laisser aller à la colère, ton esprit se réfugie dans une bienvenue apathie, bien vite adoptée par ton visage. Tes yeux se déposent sur la coupable, qui elle-même ne sait où mettre les siens, et c’est finalement la compassion que ton Souffle choisit. Que la pauvre ne regrette qu’un peu plus sa maladresse et elle se transformerait à n’en point douter en statue de marbre là sous ton regard.
Ton regard d’ailleurs, il cherche le sien, peine d’abord à le trouver, puis à l’arracher à tes parties, et enfin à le guider vers ce que ses mains tiennent toujours en otage. Finalement, pour les quelques secondes que cela aura duré, tu seras resté bien trop longtemps là, la main droite cachant à moitié ta masculinité, à essayer de communiquer avec une adolescente en émoi.

- Tu voudrais bien… pas de réaction C’est à moi… elle commence à émerger Tu es restée accrochée à mon vêtement. tu ris doucement, mais il te faudra un raclement de gorge en plus pour qu’elle termine de réaliser Ahem.

Elle relâche sa prise dans un mouvement de panique totale, et se rétracte par la même occasion. Le contraste avec la lenteur avec laquelle, en retour, tu t’accroupis pour te saisir de l’ourlet des collants et le tirer jusqu’à ta taille est tout bonnement hallucinant. Quant à la nonchalance avec laquelle tu réajustes ta virilité dans la poche de tissu renforcé taillée pour elle, tu en es le premier étonné, néanmoins il faut dire que ton attention dès lors que tu auras accroché ses pupilles se sera portée l’enfant plutôt que sur ta condition.

- Tout va bien ? tu demandes à la demoiselle encore tremblante alors que tu resserres – et plus qu’elles ne l’étaient au départ – les ficelles à ta ceinture Tu ne t’es pas faite mal ?

Sans réellement attendre qu’elle réponde, les doigts de ta main gauche jouent sur le sceptre qu’ils ont depuis le départ refusé de quitter. Ton focaliseur s’imbue d’une douce lumière, et tes perceptions tendues vers la magie, tu auscultes l’enfant à la recherche d’un trouble dans sa pulsation.

- Ah… ce n’est pas grand-chose, je pourrais te l’arranger si tu veux.

Ta bénie inconscience aura tout juste duré, le temps de rencontrer un regard bien plus ancien que le tien, un regard qui te guide et te rappelle comment fonctionnent des doigts. Tu t'exécutes, frémissante, et en un instant la vision qui t'a tant troublée n'est plus. Ne reste que ce souvenir. Ne reste qu'une ombre que ton esprit s'empresse de faire reculer encore, t'attirant plutôt vers le visage penché sur toi et la douce attention dont tu es l'objet, et la lumière qui nimbe tes traits délicats. Un humble mouvement d’acquiescement parle à la place de ta langue, normalement si légère, à présent prisonnière de tes lèvres intimidées.

Ainsi, par la grâce de cet inconnu, te voilà de nouveau apte à te tenir debout. Cela, tu le fait avec une lenteur prudente, comme craignant que tes émotions ravivées ne viennent se mêler de ton équilibre étonnamment fragile. De nouveau, tes mains timides restent jointent - c'est la une bonne astuce quand tu ne sais qu'en faire -, tandis que tes yeux à la pâleur hivernale fuient à nouveau ceux dont tu perturba la sérénité... Tout en réalisant qu'à moins de regarder volontairement ailleurs, cela les menait vers une zone délicate de son anatomie des plus matures, dont tu tentais de nier que tu ais perçu la moindre parcelle. Te voilà donc, fixant le cou de ton interlocuteur. Qu'il déglutisse, et tu en fais de même... Dans une synchronisation qui te perturbes encore.

Perdue dans ton émoi, et le silence qui en découle, l'intervention de ta mentor s'avère nécessaire, ce que l’ainé taledhel pressant sans effort, connaissant bien les affres dans lesquels l’esprit de son élève se perd souvent. Faut-il rappeler que la situation fut on ne peut plus fertile pour cela ?

"Si vous me le permettez, voilà ce qu'elle tente de vous dire : mes excuses et je vous remercie. dit gaiement la flamboyante elfe, tout en s'avançant, entourée de ses voiles pâles. Hissaelel l'Aérienne, pour vous servir, et mon élève, Ýllethil Sówiel, pour vous ser... Enfin, dé-servir me parait plus à propos, je crois. ajouta-t-elle avec malice.
- Ce n'est pas vrai ! Tu t'émeus, avant de rosir de plus belle alors que tu essayes de rattraper ton - tes ! éclats. Je ne voulais... Je... Une erreur de ma part... La danse... La transe... J'ai été... ! Surprise... Ma cheville... Votre mansuétude... Pardon... Tes doigts s'emmêlent au même titre que ta langue.
- Enfin, nin hén* ! N'en fais pas tant. Après tout, c'est là un spectacle qui n'a sans doute pas déplu à notre Beau-Seigneur, que d'apprécier dans ses détails la beauté de... Vous connaitrais-je ? fit Hissaelel, soudainement songeuse, avant que son visage ne s'éclaire. Artiön Laergûl ! De nom du moins, je n'ai pas eu le plaisir de vous rencontrer en personne...

Tes oreilles fines s'agitent entre tes boucles en cascade, tandis que tes yeux frémissent de confusion. Pourquoi doit-elle le dire ? Pourquoi dois-t-elle nommer l'être que tu viens malgré-toi d'offusquer ? Enfin, ce n'est pas ce qu'il te semble percevoir chez lui, une gêne toute naturelle ayant vite laissé place à de la curiosité, mais feinte sans doute, il doit être indigné que tu...

- ...Commandant des armées de Daranovar, je crois bien ?"

Tout chez ton frêle être se hérisse, de l'éphémère duvet qui parcourt tes bras à ton nez délicat, tandis que les miroirs de ton âme révèlent un chaos de tempête. Bien trop consciente des regards vous entourant comme des ragots se propageant comme le vent, le vol du papillon qui te fait office de cœur se fait effréné. Le voile fluide, qui te vêtit, cache le dernier éclat appelant au pardon dans tes prunelles alors que tu fais volt-face et t'élance, échappant à la bonhomie de ton aînée, que tu envies et surtout honnies en cet instant.

Oubliée, ta cheville, oublié, le poids de ta maladresse. Ton corps se fait vaisseau de tes pensées et fuie, vole à travers la foule, dans une danse liquide, éperdue, de tissus translucides.

"Ah. Cette enfant. soupire Hissaelel, laissée en arrière. Avec une œillade charmante à l'attention du dandy, elle finit. Appréciez ce bon air, annon adan* !"

Et la voilà qui s'élance, elle aussi, à ta poursuite, parmi les badauds ébaudis.

Traduction:

Dans un silence lourd de timidité un théâtre se joue en quatre scènes simultanées.
Acte maître du tableau, ou du moins du tien, la cheville tendue d’une enfant. À un oui muet, la caresse d’une douce lumière. Le muscle se détend, l’os cherche sa place, le ligament se refait, la lymphe se purifie. Pour lui rendre sa vigueur, un tournemain a suffi.
Conclusion d’un théâtre précédent, un gourmet taciturne quitte son assise sans le moindre bruit. Pas plus d’indignation que d’hilarité chez celui qui semble simplement ennuyé d’avoir été coupé dans son repas. D’ailleurs, se refusant à attendre que tu termines de donner la réplique, il se sera esquivé seul vers de plus giboyeuses contrées.
Louvoyant autour des protagonistes, autant de spectateurs que de figurants, allant de toutes leurs réactions contradictoires à la dernière suite de péripéties. Les bouches ouvertes par la surprise et l’offuscation retrouvent pour certaines des moues plus affables, tandis que d’autres serrent les mâchoires à l’idée que publique atteinte à la pudeur ne fasse pas l’objet de publiques excuses. Peut-être avec le temps finiraient-ils par pardonner l’accident.
Et immuable contexte à tous ces jeux, la musique et les danses continuaient, toile de fond d’aventures auxquelles elles étaient imperméables.

- C’est bien cela. tu souris, appréciant la légèreté de la prêtresse Enchanté. Heureux d’être jugé de belle figure par I Melethron.

Après tout, conserver belle figure était ton travail de tous les jours ; en entendre les fruits félicités ne t’était jamais désagréable. Du moins c’est ainsi que tu préférais le voir. Il y avait moins de scrupules à avoir à apprécier d’être complimenté pour ce que ta sueur t’a acquis que pour ce que la nature t’a gracieusement offert…
Et pour cause. Si l’ambiguïté dans les mots de la Danseuse aînée avait été suffisante à légèrement te désarçonner toi le trop peu pudique, la coupable y avait trouvé une occasion de frissonner que chacun de tes battements de cils renouvellerait. Trop confuse pour t’autoriser à lui offrir ton pardon, trop oppressée par le reste des regards pour trouver confort dans le tien seulement, elle ne trouve de délivrance que dans la fuite.

- Elle fait honneur à sa nouvelle cheville. tu réponds dans un ton farceur au soupir de l’aînée, qui du tac-au-tac dut te faire ses adieux Et tâchez de rattraper la cadence Lilthail*!

En tant qu’éducateur toi-même tu le sais. Le rythme de la folle jeunesse est parfois difficile à tenir.

Traduction:

Le lion géant se pencha sur elle pour l'interroger mais ne finit jamais sa question. Il vit quelque chose au loin et s'éloigna subitement. Macabre tourna alors un regard impassible vers Enoriel pour essayer de comprendre ce qu'il se passait mais elle n'en savait pas plus qu'elle. L'attention de la petite elfe se reporta alors sur le peintre qu'on lui présenta comme étant un prêtre d'Arcamenel. Un petit récapitulatif de ce qu'il était s'avéra nécessaire car les elfes ne lui vouaient pas le même culte que les civilisations humaines. Si, partout ailleurs, Arcam était plutôt lié aux différents plaisirs, son rôle parmi les anedhels était bien plus complexe à ses yeux, si bien qu'elle n'en comprit pas toute la substance. En revanche, elle retint sans difficulté la notion de "permettre à chacun d'éprouver des émotions"... Et cela l’interpella. Elle n'en ressentait pas, elle. Et, quand elle en ressentait, elle ne les comprenait pas...

La petite mage de l'illusion, avec son ignorance et la perception du monde qui était la sienne, fascina de plus en plus Kireth si bien qu'il voulut faire plus ample connaissance avec elle. Il lui proposa donc de l'accompagner quelques temps, ce que la jeune elfe accepta sans trop faire d'histoire mais sans s'étendre non plus. La même invitation fut alors faite à Enoriel afin de leur permettre de pouvoir communiquer plus facilement.
Ainsi, les trois elfes progressèrent dans le petit festival de rue côte à côte, restant toujours en marge de la foule, Kireth craignant d'effrayer encore la petite "Mac". Au hasard de leur promenade, le prêtre s'arrêta en de multiples occasions afin de pointer quelque chose du doigt. Un détail ou une oeuvre qu'il trouvait plaisant à regarder, un groupe de personnes en train de rire, une jolie plante qui se mit à bouger lorsqu'il l'effleura du doigt... Macabre regarda, donnant un avis lorsqu'elle en avait un mais c'était chose rare. Elle n'avait pas vraiment de goût personnel. Non pas qu'il était mauvais mais elle n'avait jamais appris à différencier le beau du laid. Elle ne pouvait donc pas émettre de jugement sur ce qu'elle voyait. La plante carnivore la fascina assez pour qu'elle s'en approche afin de l'observer plus attentivement. Quant aux gens, elle n'eut strictement aucune réaction sur le sujet... Comme si l'univers social lui était totalement étranger et ne la touchait pas. En réalité, elle se moquait des inconnus et n'avait pu tisser de liens qu'avec bien peu de personnes. Cela lui demandait beaucoup d'efforts pour se soucier de ses proches et n'avait pas plus d'énergie à fournir pour ceux qu'elle ne connaissait pas...
Kireth n'insista pas sur les points bloquants, s'attachant plutôt à ce qui la faisait réagir, cherchant à recueillir son point de vue ou à éveiller son intérêt. Il voulait lui montrer ce que ce monde -qui lui était inconnu- pouvait receler comme beauté même mineur, même invisible au passant lambda. Macabre, de son côté, développait une curiosité toujours plus grande pour cet homme plutôt singulier. C'était la première fois qu'on lui faisait faire une telle ballade. Ce n'était pas ce que l'on voulait lui montrer de ce monde en général. Tout un chacun lui aurait plutôt présenter des bâtiments d'architecture, le fonctionnement d'une organisation quelconque, la structure de leur société. Ce prêtre s'arrêtait plutôt sur des détails, comme s'il voulait lui montrer ce que personne ne voyait jamais... Et, pour une enfant dont la mission avait toujours été de ne pas être vue, cela l'intriguait...

Lorsqu'il demanda à connaître son nom et qu'Enoriel répondit pour elle, la petite elfe l'arrêta aussitôt d'un "Non" franc. Elle expliqua alors avec difficulté qu'elle avait apparemment retrouvé sa famille. On la corrigea sur la prononciation de son prénom et fit deviner son nom de famille en parlant de son frère dont tout le monde connaissait le patronyme. En apprenant qu'elle était donc d'Ardamir, Kireth lui promit de passer la voir dès qu'elle rentrerait sans même se soucier de savoir si cela lui plairait.
Au cours de leur promenade, le prêtre posa quelques questions qui semblaient presque anodines mais qui lui permettraient d'en apprendre davantage sur cette enfant en prenant des voies détournées. Il apprit qu'elle n'était pas vraiment mage de l'illusion mais que son domaine était celui des ombres dans lequel elle se sentait bien plus à son aise. Malgré son jeune âge, elle était déjà arcaniste, ce qui en disait long sur son affinité avec cet art. Il sut qu'elle tenait ses cheveux de sa mère. Que tout lui venait de sa mère en fait... Sauf la taille mais elle ne s'étendit pas sur le sujet. Il avait voulu savoir comment était le monde en dehors d'Anaëh mais elle ne savait pas vraiment comment lui répondre. Le Puy d'Elda était sombre et étouffant. L'ithri'Vaan était lumineux et chaud. Tout était différent d'Anaëh... Quant à savoir si elle se plaisait ici, elle ne répondit pas vraiment. Ou plutôt, elle y répondit à sa manière : Ici, on la traitait bien. C'était bien peu mais cela en disait tellement...

Lorsqu'ils se quittèrent, Kireth avait une vision de la petite Ciryië assez similaire à celle d'Enoriel, à savoir une jeune femme qui s'est enfermée dans le monde de la magie et l'a fait sien afin de survivre. Une jeune femme qui ne connaît rien de ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Et il trouvait cela bien triste. En revanche, elle était aussi magnifique et intrigante à ses yeux. Malgré son impassibilité, elle avait montré un naturel bienveillant et cela le portait à vouloir lui montrer les trésors d'Anaëh et à lui faire dépasser les limites de sa compréhension en ce qui concerne les personnes qui l'entouraient. Enoriel n'ayant rien ajouté aux déclarations de la petite elfe, il ignorait tout des tortures qu'elle avait subi et était bien trop candide pour pouvoir les imaginer.
Macabre, quant à elle, n'avait pas assouvi sa propre curiosité le concernant cet individu aussi étrange et différent que lui...

Mais ils se reverraient. Il l'avait promis.