Un Joyau pour les gouverner tous | Artiön

Ombre fantomatique, Elessa s'avançait entre les arbres, sa robe foulant les délicates feuilles tombées au sol. Le bruissement de sa tenue se confondait avec celui des branches sous la frondaison. Une délicate brise étendait son souffle, hérissant les poils de la mage. Elle inspirait profondément, laissant les humeurs de la Terre se laissa délicatement flotter jusqu'à son nez. La pluie de la veille avait permis à la Prime Forêt de s'exposer, de croître et de montrer au monde son plaisir d'être, d'exister.

La mage appréciait cet état, cette sensation de pure paix associée à une profonde sauvagerie. A aucun instant, Elessa ne regrettait de ne pas entendre la Symphonie. Elle avait sa propre façon d'écouter les désirs de la Terre. Elle s'immobilisa quelques instants les yeux fermés et s'imposa une respiration presque étouffante. Seul un mince filet d'air passait ses lèvres à chaque inspiration et expiration. Ses yeux brillèrent un instant sous le timide soleil de la forêt. Soudainement, bien qu'elle s'y attendait, un réseau de fils explosèrent devant ses yeux. Le sol se couvrit d'un rideau sombre, veiné par une toile énergétique plus ou moins intense, qui disparaissait au contact des arbres. Elessa ne maîtrisait pas assez la magie des plantes pour y être sensible.

Elle se laissa bercer par les courants telluriques, avec toujours un sourire énigmatique aux lèvres avant soudainement se rendre compte d'une nouvelle présence. Elessa ne comprit pas comment elle avait pu rater le colosse qui se tenait non loin d'elle. L'espace d'un instant, elle crut avoir à faire à un élémentaire agressif et ses muscles se tendirent, prêt à fuir l'emportant avec eux. La mage assumait ne pas savoir se battre, et son exploit magique des années plus tôt lui paraissait bien loin et médiocre. Les saphirs de la joaillière se portèrent sur la tenue rouge noire de l'inconnu avant de lever ses yeux vers son visage. Ce fut alors qu'elle le reconnut. Artiön Laergûl. Protecteur d'Alëandir. Et accessoirement nouveau roi des Elfes. Elessa s'inclina légèrement.

"Aia Heru Artiön, mon Roi. Je ne voulais pas te déranger." murmura Elessa. Elle n'était généralement pas intimidée par les personnages d'un certain statut social. Mais il s'agissait tout du mois du roi. Ses oreilles s'affaissèrent très légèrement, aplaties contre son crâne. "Je me nomme Elessa Darwë, la dame aux pierres. Joaillière et mage de son état J'use de la magie de la terre pour mes oeuvres et..." Avec un frisson et une pointe de fierté, Elessa redressa ses oreilles et son regard brilla du goût du défi. "Aran, accepterais-tu que je forge pour toi un bijou digne de ton statut et de la protection que tu apportes à la tavas ? Que désirerai-tu ?

Septième ennéade de Fävrius
Onzième année du Onzième Cycle
Peu après l’intronisation
Forêt Lëandrine

Tes épaules te brûlent chaque fois que tu lances un bras en avant, tes pectoraux hurlent à la mort chaque fois qu’une nouvelle impulsion de tes jambes vient leur rappeler que s’ils ont déjà fait leur tour de travail, la gravité continuera à les faire souffrir. Et d’ailleurs tes jambes, parlons-en de tes jambes. Tes jambes ne demandent qu’à te lâcher ici, en pleine forêt, et à donner raison à ceux qui auraient préféré qu’en bon Roi, tu abandonnes ces habitudes de militaire pour. Tes cuisses ne peuvent plus se reposer sur tes fessiers, tes fessiers ne peuvent plus compter sur tes ischio-jambiers, et tes ischio jambiers se disputent leur heure avec tes mollets. Mais tu continues de courir, et à bonne allure !

Longues et intenses plutôt que courtes et rapides. À la recherche d’efficacité, luttant pour ne pas accélérer ton rythme cardiaque, tu calques ta respiration sur des cycles de trois foulées. C’est la dernière ligne droite. Tu sens venir ta limite, et au fur et à mesure qu’elle approche, ton sceptre s’imbue d’une lumière de plus en plus intense. L’illumination arrive à son paroxysme, tu entames un sprint, y mets tout ce que tu as, avalant les obstacles tour à tour d’un bond ou d’une glissade.
Nova, la lumière trop forte se décharge de son énergie. Nébuleuse, les restes s’enroulent autour de ton focaliseur et de toi-même comme les rubans d’aurores boréales avant de lentement se dissiper.
Te voilà forcé de marcher, seul en forêt et sans défenses, un met de choix. C’est que tous les prédateurs d’Aëandir se battraient certainement pour un morceau pareil. 167 kg d’elfe servi sur un plateau d’argent, il y avait de quoi !

Tu roules des yeux et soupire en même temps. Ce qu’il ne fallait pas entendre. Parfois la manière dont les usuels du Trône Blanc tes confrères essayaient déjà désespérément de te protéger de toi-même te faisait te demander s’ils avaient vraiment si peu confiance en ta capacité à t’occuper de toi-même, si la disparition de Dyarque les avait à ce point traumatisé, ou si simplement les Lëandrins étaient à ce point mous. Tu souris. Tu n’as besoin de personne pour t’accompagner dans la forêt aux alentours de la ville, justement parce que tu sais qu’un prédateur rôde non loin. Tu ne les fuis pas les craquements de branches que laisse l’ombre massive dans son sillage. Tu les poursuis. Parce qu’en dehors peut-être de Maltlin, il n’y a pas de créature dans ce monde à qui tu confierais ta vie plus facilement qu’à Vìrin.

Un long râle retentit depuis les fourrés, vite suivi d’un miaulement guttural. Tu réponds d’une courte onomatopée, avant de te diriger dans le sens que t’indique la Caengal. Une elfe non loin. Citadine. Seule elle aussi, donc à moins qu’elle ne soit pas aussi molle que les gratte-papier du Trône Blanc, potentiellement perdue. Certes, tu ne serais pas de beaucoup d’aide avant encore une ou deux minutes de récupération, et pour peu qu’il y ait un problème, ce serait donc ta monture qui aurait à faire le gros du travail, mais pour une Taledhelle perdue, il serait probablement plus rassurant de te voir surgir de derrière un tronc avant l’immense félin.

- Aia heri. tu rends la politesse avec une pointe de surprise, toujours pas habitué à ce que l’on se réfère à toi en tant que Roi en dehors du palais Pas de souci, j’étais de toute façon sur le chemin du retour.

Son langage corporel traduisait deux choses : premièrement, il était évident qu’elle t’accordait déjà un profond respect en tant qu’Heru-Aran, fusses-tu tout nouvellement intronisé. Deuxièmement, elle était tout sauf perdue. À vrai dire, tu suspectes votre présence à ta monture et toi avoir été sa seule source de tracas jusque-là. La suite par contre, tu t’y serais tout sauf attendu.

- Et bien tu ris chaleureusement s’il on m’avait dit qu’une fois Roi ce sont les artisans qui viendraient me demander si je veux bien porter leurs créations ! tu reprends ton sérieux et plante ton sceptre dans l’humus pour croiser les bras sous ta poitrine Mais j’ai bien ce nouveau manteau blanc et or… magnifique, très épuré… avec lequel j’aurais bien aimé pouvoir porter une broche. ton regard fouille à gauche à droite, puis s’assied sur la demoiselle Mais dis-moi, tu étais partie en forêt à la recherche d’idée ou est-ce que tu savais que je passerais par-là ?

La question était presque rhétorique, presque, et tu espérais qu’elle le soit. Ç’aurait été effrayant tout de même qu’il ait suffi d’un peu plus d’une ennéade à peine pour que les trajets de tes courses avec Vìrin soient identifiés.

Ses lèvres se pincent, le coin des tiennes se soulève, en même temps que tes sourcils. Tu entends sa pulsation manquer un battement, et tu t’en délectes presque, jusqu’à ce que la reprise de la conversation te tire de la dégustation. Effectivement, elle ne te cherchait pas. Elle a été conduite vers toi. Par contre, si elle entend que c’est la Symphonie qui lui aura susurré de doux accords à l’oreille, ou si elle cherche simplement à te faire remarquer que ta course à travers les feuillages est loin d’être particulièrement discrète, tu ne saurais véritablement le dire. En réalité, bien que la bienséance t’interdise formellement de le dévoiler, tu dois bien avouer que la manière qu’a la demoiselle apparemment Citadine de s’exprimer t’est assez déconcertante. Ces formules fleuries, tu es habitué à les entendre venir dans la ville des conteurs, et en dehors des murs à travers les messages colportés par les Ornedhels… mais d’une joaillère parlant de son art…

- Mon manteau… et bien c’est un long manteau blanc en lin et soie végétale. Manches longues, mais cintrées, pas évasées… comme la coupe générale du vêtement d’ailleurs. La traîne me descend à peu près jusqu’à la cheville et elle se divise en trois à partir de mi-cuisse. Les deux pans latéraux sont en tissu plus fin que le reste de la tenue et du coup presque transparents, et celui du milieu comme le reste du dos et les avant-bras des manches est entièrement de tissu épais brodés de motifs dorés et cuivrés. Sinon, il y a quelques broderies d’or qui marquent le motif faisant la limite entre le lin blanc et les pans transparents, et qui décorent les pourtours du col.

En dire plus sur tes vêtements, voilà un sport auquel tu étais doué. Restait à savoir si ta coéquipière était prête, ou même s’attendait seulement à jouer dans cette ligue. Il n’y avait guère qu’Edraelä pour t’écouter tout du long de tes élucubrations, ou Cìryon lorsqu’il s’agissait de dessiner le métal plutôt que le tissu. Il semblerait tout de même qu’Elessa accueille la chose d’une bonne oreille. C’est que même sans avoir vu ton vêtement, savoir comment tu le percevais était extrêmement précieux à un créateur digne de ce nom.

- Sinon, côté bijoux, c’est même rare que je n’en porte pas, ou du moins que je me contente de ma boucle d’oreille. Généralement j’ai aussi soit une parure, soit une broche, soit un bijou d’oreille complémentaire au vêtement. Donc pas vraiment de formes ou de métaux privilégiés, même si je dois avouer que j’ai un petit faible pour l’or et le cuivre.

Tu prends une seconde pour réfléchir, ton pouce et la première articulation de ton index venant se poser sur les coins de tes lèvres. Il s’agit moins de simplement créer un bijou dont la forme te plaise que d’en créer un qui soit complémentaire au reste de la tenue à laquelle tu envisages de l’ajouter.

- Et je pense qu’avec ce manteau, quelque chose de floral serait sûrement parfait.

La soudaine autorité que s’attribue la joaillière te surprend quelques peu, et par la même occasion peint ton visage de perplexité. Tu apprécies les beaux vêtements, tu apprécies les beaux bijoux, tu aimes les motifs inhabituels, et possédant un corps comme le tien, devenu son propre canon de beauté à défaut d’obéir à ceux de ta race, tu aimes jouer de coupes osées pour flatter ta silhouette. Tu comprends donc l’envie de l’artisane de faire plus que de simplement reproduire une forme qu’elle avait déjà certainement par de nombreuses fois vues… mais il ne t’en reste pas moins l’impression qu’elle et toi divergez sur une notion fondamentale.

Tes vêtements ne font pas ta prestance. Tu fais la prestance de tes vêtements.

Et si elle voulait t’offrir un bijou qui soit réellement beau il fallait qu’elle le réalise. Tu la regardes les deux sourcils levés alors qu’elle t’inspecte, tes bras se décroisant pour autoriser tes mains à gagner tes hanches. Et tu espérais pour elle qu’à te regarder, elle prendrait conscience de la finesse du tracé de chacune de tes stries, des courbes parfaites de tes rondeurs, et de l’impeccable découpage de ta musculature. Tu espérais qu’elle prenne note des légères asymétries entre tes oreilles, de la droitesse de ton nez, du caractère naturellement sévère de tes arcanes sourcilières et de tes yeux légèrement bridés. Tu espérais qu’elle apprécie comme ta mâchoire prononcée et tes pommettes saillantes te creusaient les joues et te taillaient le visage en un idéal de masculinité, que tes lèvres pleines ne faisaient que relever. Tu espérais qu’elle s’attarde un minimum sur la texture peu commune de ta chevelure, et un peu plus sur la teinte particulière que tu arborais depuis ton grand retour.

Tu n’es pas un diamant brut. Tu es déjà à la fois l’œuvre d’art et le sculpteur. Et ce que tu avais pris le temps de sculpter – et qu’elle t’avait d’ailleurs croisé en train de sculpter – il était hors de question qu’elle le dissimule derrière sa propre œuvre.

- Avant toute chose, tu entames avec autorité sans solennité sache que je n’ai pas besoin de vêtement pour en imposer. tes mains quittent tes hanches pour donner toute son envergure à ton épaulure, et tu contractes un pectoral puis l’autre Et si tu veux savoir, je ne suis jamais aussi imposant que complètement nu. J’aime que tu te dédies à ce point à ton art, et j’apprécie que tu veuilles m’en faire profiter, mais Je suis le Roi. Pas tes bijoux. Je n’ai pas fait l’effort de me bâtir pour me cacher derrière des rivières d’artifices dont je n’ai pas besoin.

Ta main droite retrouve ta hanche. Ta main gauche fait signe à un Vìrin agitée de prendre quelques pas de recul avant d’imiter sa jumelle.  Ton regard s’adoucit légèrement, et tu t’autorises même un sourire. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ton ombre la dévore toujours des pieds à la tête.

- Ce serait dommage de ne pas profiter de la proposition d’une artisane aussi douée, cependant si j’accepte, c’est à la condition que vous m’accompagniiez pour jeter un œil aux vêtements qui vous inspirent. S’il y en a plusieurs auxquels vous voudriez ajouter votre patte, pourquoi pas, mais il n’y en a aucun que je puisse raisonnablement me permettre d’autant surcharger.

HRP:

Elle ne comprend pas. Tu peux voir à son regard qu’elle ne comprend pas, et c’est à tes yeux là soit le témoignage d’un égo surdimensionné, soit d’une incroyable faille dans sa logique en tant que créatrice. Elle parle, et si elle ne comprend pas, tu comprends. Son but est louable, son raisonnement n’est pas entièrement mauvais, mais sans l’inconnue qui lui manque, elle ne résoudrait jamais l’équation, et son art, même si supérieur en technique à celui de ses pairs resterait boudé par vos congénères.

- Je n’ai rien contre les symboles. En réalité, je pense même qu’ils sont extrêmement importants pour notre histoire. Mais, parce qu’il y avait un mais Seulement un symbole qui cherche à cacher celui qui le porte est destiné à être oublié. tu soupires, d’un air presque désabusé devant la fermeté dans laquelle elle s’était enfermée Le plus beau vêtement du monde, s’il ne met pas en valeur celui qui le porte aurait aussi bien fait d’être une frippe quelconque. De la même manière, un bijou ne peut pas devenir un symbole s’il essaie désespérément d’éclipser ce qu’il essaie de représenter.

Et tu espères qu’au moment où elle se retrouverait face à son atelier, elle garderait cela en tête. Que son talent ne soit pas gâché par une inaptitude à s’adapter à un goût qui n’est pas le sien. Qu’elle n’essaie pas, plutôt que d’offrir des miroirs d’hommes et de femmes qui subsisteraient après que les Souffles de leurs porteurs aient gagné les Terres d’Emeraude et leurs corps nourri l’Œuvre, de glisser sa personne là où elle ne ferait que lui attirer de l’inimitié.

Dévotion et générosité dressent des portraits aussi éternels que merveilleux.

Désir et Orgueil vivent une courte et misérable existence.

- Dans cinq jours alors. Même endroit, même heure. Tu peux compter sur moi.