Elle est la même pour tous [Artion]

La matinée était déjà bien entamée, le soleil bien présent en cette belle journée d’automne n’arrivait cependant pas à réchauffer suffisamment les Souffles animant la cité portuaire.
Sur le port, vêtus de leurs épais manteaux à capuche, les mécans continuaient de visiter les lieux et d’essayer de marchander auprès des habitants qui eux, étaient accoutumés à ce froid qui ne semblait pas les déranger.
Toujours accompagnés par des miliciens chargés de leur surveillance, les corsaires s’étaient montrés sous une bonne image et poursuivaient leurs efforts pour éviter tout problème.

Caleb, cette fois-ci séparé de ses officiers, se retrouvait maintenant seul avec son traducteur. Déambulant dans les ruelles d’Holimion, l’Elfe narrait quelques anecdotes ou expliquait simplement la nature de chaque chose sur laquelle les yeux du marins se posaient. Le Capitaine était pareil à un enfant émerveillé à mesure de ses découvertes, le regard vif, passant sans arrêt d’un fruit à un vêtement, ou tout autre curiosité que ses souvenirs pouvaient garder durant l’éternité.

A mesure de leur promenade, les deux hommes arrivaient peu à peu aux abords du Grand-Temple de Tari. Relevant le visage pour en admirer toute la majestuosité, il s’arrêta un instant. Emmitouflé dans son manteau dont la capuche rabattue lui masquait une partie du visage, il fixa l’édifice qui semblait sortir du reste de par sa taille et sa position dans la cité. “Dis voir… C’quoi c’grand truc là-bas ?” Son index pointa en direction du Grand-Temple et l’Elfe regarda alors dans la direction indiquée. Les sourcils du soldat se froncèrent imperceptiblement devant l’appellation et répondit alors. “Il s’agit du Grand-Temple de Tari.”
A ces mots, le Rokvenha tourna alors la tête vers son interlocuteur et il sembla alors prit d’une intense réflexion. “Ca m’dit un truc c’nom-là…”

Tari, Déesse de la Mort, mais aussi des Eaux. C’était une évidence que pour lui, mécan, fervent croyant d’Eris, elle aussi Déesse des flots et des défunts, un tel nom lui semblait connu. Il avait déjà entendu à Thaar quelques elfes parler de Tari avant de repartir en mer. Il avait même compris, à sa manière, que malgré les différences de cultes, Tari, Eris et Tyra représentaient à quelque chose près les mêmes choses selon les croyants.
Pour certains ça aurait pu être de l’hérésie de penser ainsi, mais pas pour lui, pas pour les mécans en général même qui de part leur nature était un brassage ethnique venant de tous les horizons et de toutes les croyances de Miradelphia.

Un sourire s’étira alors sur son visage et en reportant son attention sur le Grand-Temple, il reprit. “J’connais ta Déesse, aye… ‘fin, j’la connais pas personnellement hein… Elle r’ssemb’ à quelque chose près à Eris.” Il renifla pour éviter que son nez ne coule de trop. “Dis voir, j’peux aller l’visiter l’temple ?” Le traducteur laissa échapper un sorte de souffle d’exaspération, il hésita à refuser la demande, mais se ravisa. “On peut y aller, cependant… Il s”agit du Grand-Temple, pas simplement d’un temple.” Caleb hocha la tête et ouvrit la marche, traversant alors la rue en direction de sa destination.

Quand ils arrivèrent enfin devant les marches, l’Elfe stoppa l’avancée de l’homme d’une main ferme sur son épaule. Se crispant tout d’abord sans trop savoir pour quelle raison il était ainsi arrêté, le mécan se tourna vivement, l’air contrarié. Finalement son accompagnateur lui désigna quelque chose du menton et le Rokvenha y reporta son attention.

A quelques pas du Grand-Temple aussi, des Elfes vêtues de manière bien différentes des autres habitants marchèrent dans leur direction. Ils portaient de longues robes bleues à la capuche rabattues et leurs visages étaient dissimulés derrière des voiles. Lentement, ils arrivaient vers le Temple et semblaient porter en leur centre un Elfe allongé sur un support, permettant de le déplacer facilement.

Caleb s’écarta alors pour faire de la place et ne put se détacher de la scène, suivant le convoi du regard jusqu’à ce que finalement, il le perde de vue. Un silence s’installa alors entre les deux individus et même si aucun mot ne s'échangeait durant les instants qui suivaient, Caleb comprenait bien la situation. Il gravit alors une à une les marches afin de pénétrer dans le temple. N’oubliant pas de découvrir sa tête de sa capuche.

Ces marins venus de Meca étaient décidément bien trop curieux à son goût, et dans leur curiosité – aussi candide puisse-t-elle être – ils forçaient les Holimons à prendre des risques. Ô combien Nemmíro aurait-il aimé qu’ils restent sagement en quarantaine dans leur navire, et laissent aux guérisseurs et aux Voilés l’occasion de faire tranquillement leur travail. Seulement c’étaient, pour la majorité en tout cas, des humains et autres hybrides au sang humain dominant ; alors il fallait composer avec leur impatience.

Jusqu’ici au moins il n’avait rien été trouvé qui trahisse une quelconque affliction contractée durant leur voyage. Guérisseurs et mysticistes n’avaient perçu rien d’autre de l’équipage du Rokvenah que de la faim, de la soif, de la fatigue, et une probable litanie de carences alimentaires. Autrement dit, des maux comme en connaissent quasiment tous les marins après un trop long voyage. Pour autant le soldat Holimon s’évertuait à penser que derrière leur masque d’équipage un peu trop téméraire se dissimulait quelque chose d’autre. « Celui qui navigue avec les Wagyls » qu’ils appelaient leur capitaine. Un surnom bien présomptueux aux yeux de l’Elfe. Un surnom qu’il doute fort que même les humains – aussi étriquée soit leur perception du monde – soient prêts à offrir sans raison.

Là où le Rokvenha était curieux d’en apprendre plus sur la Cité dans laquelle il avait échoué, Nemmíro était donc curieux d’en apprendre plus sur le Rokvenha lui-même, et sur le lien qu’il pouvait bien entretenir avec les Premiers-Fils de Tari. Ainsi, aussi réticent soit-il à l’idée d’accompagner un étranger au sein de l’un des plus importants des Saint-Lieux d’Anaëh, l’Elfe devait bien reconnaître que l’intérêt de l’Arïn pour le Grand-Temple faisait son jeu. Quel meilleur moyen de découvrir ce qui lie un homme à Hiril Felf que de l’emmener sur les lieux de sa naissance.

- Fais attention à toi.

Arrivés aux portes du temple, d’une main contre sa clavicule, Nemmíro força le marin à rester derrière lui et à s’arrêter un instant à nouveau. Avant d’être pénétré, le Grand-Temple méritait amplement d’être observé.
Immense bâtiment fait entièrement de pierre bleutée, le Sanctuaire de la Dame-Ecume ne pouvait qu’être appelé l’une des grandes merveilles d’Anaëh. Le toit entouré des brumes côtières, et les pieds plongeant dans la mer, il émanait du bâtiment une austère quiétude. Tout autour, malgré les allées et venues des nombreux pèlerins, régnait un confortable silence. Les sons du roulis des vagues et du souffle des alizés étaient capturés par les arches du temple, capturés par ses halls, et répercutés de couloir en couloir à la manière d’une fuyante mélodie, que brisaient à peine les murmures des badauds.

- Entrons.

L’Elfe fait le premier pas, et invite le navigateur à le suivre au sein de ce qui se révèle rapidement être la plus grande, et – sans doute – la plus emblématique des salles du Grand-Temple. Ici, il fait bon regarder où l’on marche, car au sol se déploient multitudes de rigoles et bassins d’eau claire en un complexe dessin que seuls pourraient dignement décrire les oiseaux. Ici, il faut s’accommoder de voir les ombres projetées non plus au sol, mais aux murs et au plafond, car sous la surface, d’un éclat blanchâtre, brillaient les Lueurs ; et en même temps, autour de vous, placées pour en réfracter les rayons, multitudes de fontaines, de sculptures de glace et de cristal, décrivant des scènes d’un entre deux-monde où l’eau rencontre la forêt, où les serpents de mer volent parmi les oiseaux, et où les elfes marchent vers le dernier repos.

Le Rokvenha entra à la suite de Nemmiro, suivant la cadence imposée par le soldat il continua d’avancer jusqu’à ce que finalement, ses yeux découvrent enfin l’intérieur de cette merveille. Jamais le mécan n’avait imaginé visiter pareil lieu - jamais non plus il n’avait pensé fouler de ses pieds les terres d’Anaëh - Tout était bel et bien réel et ce qu’il observait à cet instant était digne de ses rêves les plus fous.

Le Grand-Temple de Tari, dont l’architecture et l’atmosphère donnaient une impression de côtoyer les fonds marins se dévoila devant lui. Relevant la tête, la tournant dans tous les sens, l’homme ne savait pas où regarder ni quoi détailler tant il y avait de détails et d’éléments à retenir et admirer. Il tourna sur lui-même plusieurs fois, les yeux brillants et le sourire aux lèvres. Le Capitaine ne put retenir un rire de joie devant ce qu’il voyait, bien qu’il l’étouffa aussitôt se rappelant dans quel lieu il était et n’oublia pas de s’excuser auprès de son garde du corps attitré.

C’était un spectacle magnifique, à chacun de ses pas, il avait l’impression d’explorer les fonds des mers et de pouvoir y déambuler sans se soucier de nager ou de respirer. Il continua sa visite guidée par Nemmiro. Restant silencieux une bonne partie du temps, n’ayant pas envie à la fois de déranger les fervents, mais aussi par stupéfaction.

La Mères des Mers, comme il l'appelait, avait toujours fait partie de sa vie. Il n’était pas un grand homme de la religion, mais comme tout mécan, il la respectait tout autant qu’il la craignait. Sur l’île de l’Ouest, chacun y allait de sa façon de faire ou de ses croyances quand il s’agissait des dieux, mais tous reconnaissaient et ne pouvaient s’empêcher de prier l’Impétueuse lorsqu’il fallait prendre la mer.
Se retrouver ainsi, dans ce temple, fit grandir dans le Souffle du Rokvenha une certaine ferveur religieuse, comme s’il ressentait un lien à cet instant.
Lui qui avait obtenu la bénédiction des Flots, par le biais de la Médée, lui donnant alors la possibilité de ne pas craindre le courroux de l’Eris, se sentit à sa place, parcouru d’une sensation de bien-être qui se dessina peu à peu sur son visage en un sourire sincère.

Finalement, il rouvrit les yeux et se touna vers Nemmiro, se rapprochant alors pour ne pas avoir à parler trop fort. L’humain se hissa même sur la pointe des pieds, cherchant à atteindre les longues oreilles de son interlocuteur, ne sachant pas que les Elfes avait l’ouïe fine. “Dis moi… On dit qu’vous aut’ les Elfes vous vivez si longtemps qu’certains d’vous ont vu l’création d’Miradelphia…” Il désigna le sol de son index, du moins le lieu dans sa globalité. Ses propos étaient semblables à une question portée sur des croyances et autres clichés ou légendes qui se racontaient en ce qui concerne ce peuple mystérieux vivant de l’autre côté du monde connu. “Eris… Vous l’avez vu ? Vous d’vez en savoir d’choses sur elle mmh ? Vot’ temple là… C’est une r’présentation d’son domaine ? C’est d’là qu’elle est v’nue à nous ?”

Tant de questions semblaient lui traverser l’esprit et même si sa langue avait fourchée en nommant la Dame-Ecume à la manière des mécans, il n’y avait aucune intention de contrarier son interlocuteur à l’instant. Le Rokvenha regarda Nemmiro, une lueur d’intérêt dans le regard, comme un enfant prêt à entendre de grandes histoires.

L’Elfe observe le petit manège du navigateur avec une appréhension non feinte, se demandant où exactement cherchait-il à en venir. Seulement lorsque le Rokvenha se mit à lui chuchoter à l’oreille, c’est avec un soudain mouvement de recul que Nemmíro accueillit sa question. L’Elfe porta la main à son oreille, les sourcils froncés, et il lui fallut attendre que la surprise passe pour comprendre pourquoi l’humain avait agi ainsi. Rapidement calmé, c’est tout de même sans élever le ton qu’il prit la parole.

- Pas la peine de me souffler dans les oreilles, je t’entends déjà bien assez correctement comme ça.

Ce n’est pas un Homme qui lui fait face. C’est un enfant. Ou peut-être mourir de vieillesse longtemps avant l’âge où les Elfes devenaient adulte faisait-il vraiment des Hommes de grands enfants. Aux yeux de Nemmíro, le comportement du Rokvenha n’était pas bien différent de celui des bambins apprenant l’écriture au sein de ce même temple.

- Comment aurions-nous pu voir la création d’un monde plus vieux que nos Dieux ? il souffle du nez, amusé à cette idée Mais même si notre peuple avait été si vieux, aucun d’entre nous n’aurait survécu si longtemps. Ceux d’entre nous que la nature ne reprend pas de force s’éteignent généralement peu après leur premier Cycle de vie. son regard s’embrume quelques peu Il arrive toujours un jour où la quiétude de la demeure de Tari devient plus attrayante au Souffle que les curiosités du monde du-dessus. Même pour nous que la Dame-Ecume ne pourchasse pas.

L’Elfe invite le marin à faire quelques pas en direction de l’une des fontaines. Faite d’arbres taillés dans la glace, elle était une forêt cristalline, veinée de canaux.

- C’est une représentation des Terres d’Emeraude. Le dernier lieu de repos de mon peuple. il tend ensuite le bras vers le reste des arabesques parcourant la salle Et tout ça, c’est l’Abysse, le reste de son domaine, où sont accueillis les autres Souffles. il marque une courte pause Personne ne sait à quoi ressemble le reste de l’Abysse, mais nous l’imaginons à l’image de son Royaume physique. De la même manière que les Terres d’Emeraude sont à l’image d’Anaëh.

Nemmíro, d’un index tendu, désigne ensuite d’immenses battants de porte, dont les vitraux laissaient entendre qu’ils donnaient – d’une certaine manière – sur l’extérieur. À qui connaît le Grand-Temple sait que ce n’est pas exactement le cas, mais le Rokvenha ne savait rien de ce monde.

- Quant à ta dernière question… c’est ici que celle que tu appelles Eris a pris conscience de son pouvoir. il déclare solennellement Holimion est la première Île de ce monde. C’est ici que sont nés les Wagyl, et c’est de l’autre côté de ces portes que se trouve l’entrée de l’Abysse. son poing va à son coeur Nous les Holimons sommes responsables de sa protection.

Il s’était légèrement reculé, s’excusant alors d’un signe de la main quant Nemmiro avait eu ce mouvement de recul, puis enfin il l’écouta avec grande attention.

Jamais le mécan n’aurait cru entendre qu’un peuple puisse perdre l’envie de vivre comme les Elfes. Peut-être était-ce dû à sa nature d’homme et par conséquent à son Souffle court, mais quoi qu’il en soit, il n’arrivait pas à l’imaginer et ne pouvait pas réellement le comprendre alors, il regarda son interlocuteur, le sourcil droit légèrement haussé.

“Y’a d’tiens qu’préfèrent r’trouver l’repos d’eux-mêmes ?” Par cette question, il ne souhaitait pas manquer de respect aux défunts, son regard trahissant une véritable incompréhension. “Pourquoi vouloir La r’joindre d’vous-même alors qu’Elle vous attend pas d’si tôt ? J’veux bien croire qu’vous avez eu l’temps d’faire l’tour d’pas mal d’choses, mais y’a encore pas mal à découvrir et vous aut’ avez l’chance d’pouvoir remplir en un Souffle c’que nous aut’ on n’peut même pas faire en quelques uns.”

Il vit le regard assombri de l’Elfe et comprit que le sujet était quelque peu sensible, finalement, il se retourna quand l’Holimon lui montra et expliqua les différentes parties du temple.

Ainsi, il se retrouvait dans une représentation du dernier lieu de repos des Elfes. Une idée du moins, semblable à Anaëh et autour, était gravée là encore des représentations imaginées par ce peuple des autres destination dans les cultures ; Les Abysses.

Il tourna sur lui-même, plissant le nez pour en saisir les différents détails et souffla lentement. “Nous aussi on s’demande à quoi r’ssemb Son palais sous l’flots… J’crois pas qu’on est tenté d’en faire une r’présensation celà dit. J’sais juste qu’on s’l’imagine couvert d’richesses car on raconte qu’nous aut’ devons nous payer not’ entrée.” Il leva alors les mains couvertes de bagues aux pierres précieuses et autres matériaux de qualité. “C’pour ça qu’on entasse durant not’ vie.” Il se garda bien de raconter comment les richesses étaient récupérées par les siens. “Et c’est aussi pour ça qu’on vit sur l’flots, pour qu’Elle nous r’marques et qu’le prix à payer soit pas impossib’ à atteind’.” Il renifla alors et posa finalement son regard l’Elfe avant de poursuivre. “Dis moi, Nemmiro.. L’cortège qu’on a vu à l’entrée c’était pour un défunt ? Vous faites comment vous aut’ quand l’Souffle vous quitte ? Vous aussi vous r’tournez à la mer ?”

Enfin, quand le soldat pointa la porte, il la fixa. Son regard s’illumina en entendant ce qu’elle représentait alors et un sourire s’étira sur ses lèvres. “J’peux que t’croire on sait pas où elle a vu l’jour l’Mère des Mers et encore moins ses fils… D’ailleurs…” Il se retourna alors en gardant son sourire. “Vous avez d’jà vu un Wagyl ?”

Il portrait à cette instant une expression contraire à celle précédente, non plus dans la curiosité et l’émerveillement, mais plutôt sérieuse, le regard se durcissant quelque peu.

- Moi non. le regard de l’elfe se fait lointain Et la majorité des miens non plus. Peut-être les plus âgés de nos marins en ont quelque souvenir. Mais si nous savons ce à quoi ressemblent certains des Wagyl, c’est grâce à ceux qui nous ont laissé ces sculptures… il tend les bras vers les scènes dansant tout autour d’eux ...il y a déjà des Cycles et des Cycles de ça.

Nemmíro revient à lui-même, et son faciès s’assombrit encore un peu plus. Ses pensées explorent des futurs possibles, tous plus terribles les uns que les autres, et cela se lit dans ses yeux.

- C’est une bonne chose que les Wagyls ne soient qu’un souvenir. S’ils se montraient à nouveau, ce serait car il y a une raison à leur présence. le regard de Nemmíro se fait intense, presque accusateur Et que de grands changements s’apprêtent à frapper le monde.

De grands changements ont déjà frappé le monde. Après la LongueNuit, après la Lune de Sang, les Wagyls avaient en réalité toutes les raisons de faire leur réapparition. Tout semblait dire que les Dieux veillent de plus près que jamais, que les Dieux ont la main plus proche du monde que jamais. Seulement, savoir les mains des Dieux si proches, malgré tout l’amour qu’il pouvait vouer à trois des Cinq, n’était pas sans inquiéter Nemmíro. Car face aux querelles des Cinq, les Miradelphiens n’étaient que peu de choses, et se sentir impuissant n’est jamais agréable.

- Mais si des changements frappent le monde, alors peut-être que les prochaines générations verront de plus nombreux elfes s’accrocher à la vie. son visage s’adoucit Sache que même pour nous, un Cycle est une longue période. il soupire Nous aussi nous naissons avec des talents et nous aussi nous naissons avec des passions. En cela nous ne sommes pas bien différents de vous, humains. La protection de Tari nous offre d’être curieux de plus de choses, mais de la même manière qu’aucun humain sain d’esprit ne nourrit l’ambition d’élucider tous les secrets du monde, aucun d’entre nous ne s’en imagine capable. il baisse les yeux un instant Alors lorsque nous avons assouvi nos passions, et lorsque nous nous pensons avoir parachevé l’Art pour lequel il nous a été offert un talent, il nous est naturel de chercher le repos. Comme on le ferait après une journée bien remplie. il désigne l’extérieur d’une main Quand nos talents ne servent plus notre peuple, notre corps est rendu à la terre plutôt qu’à la mer. Beaucoup des plus grands arbres que tu as pu croiser à travers la ville ont puisé leur premières forces dans l’un de nos défunts. et l’une des lumières éclairant les bassins de l’autre Et toutes les lumières que tu vois ici et à travers toutes les Cités elfiques sont le souvenir d’un Souffle qui s’en est allé. Elles sont extraites durant la préparation de nos morts à l’enterrement. Et plus le Souffle du défunt était vaillant, plus elles brillent fort, et longtemps. il sourit De cette manière, même dans la mort, nos lueurs peuvent continuer de guider les générations futures pendant des siècles, voire des Cycles durant, plutôt que de leur disputer le monde.

Le pirate écoutait l’Elfe avec sérieux et attention. Le sujet paraissait sensible et le Rokvenha ne se doutait pas que de tels êtres pouvaient être frappés d’ennui au point de vouloir rendre leur Souffle avant l’heure. Il prit à son tour une mine sombre comme s’il était lui-même marqué par cette tristesse ambiante. L’idée lui paraissait fou, mais comment pouvait-il réellement le comprendre ? Jamais il ne vivrait aussi longtemps que ce peuple et jamais il ne pourrait effleurer ce sentiment d’accomplissement et de repos durement mérité.

“Mmh… Et ceux qui décident d’prend’ leur repos, ils pensent pas à ceux qu’restent ? Même si tu m’dis qu’un peu d’leur Souffle reste ici, c’est quelque chose d’commun chez vous d’rend’ son dernier Souffle d’soi-même ?” Il renifla légèrement en s’essuyant dans sa manche d’un revers de se main. Son regard se porta alors sur les lueurs qui éclairaient la pièce comme des lucioles scintillantes. “Par chez nous, on r’tourne tous à la flotte, un mécan prend son Souffle des écumes, vie sur l’flots et r’tourne aux abysses… Nous aut’ aussi pensons qu’nos morts restent un p’tit peu ci et là.” Il observa la pièce qui représentait alors les fonds marins et le dernier hall des défunts. “Bien qu’on pense qu’leur place s’trouve à côté d’l’Impétueuse, on a toujours un p’tit bout d’eux. On raconte qu’certains guident, d’aut’ protègent et qu’mêmes certains qu’on pas su payer leur place ou qu’le mérite pas, continuent d’le payer. L’noyaudés qu’on les appelle ceux-là. C’est des pas totalement canés, pas totalement vivants…” Il frissonne à cette idée se remémorant probablement des souvenirs qu’il aurait préféré oublier.

Finalement, lorsque Nemmiro évoqua les Wagyls et les changements qu’ils engendreraient s’ils étaient revenus, une lourde expiration nasale s’échappa du mécan. Lui qui, étrangement, en savait plus à ce sujet que l’Elfe immortel sembla plonger dans une réflexion personnelle. Devait-il avertir de ses découvertes ? De ce qu’il se passait de l’autre côté du monde ou devrait-il garder ça pour lui ? Car les changements évoqués étaient bel et bien réels, cette Brume mystérieuse qui tournoyait au large d’Holimon en était la preuve et sa venue dans ses eaux aussi. Finalement, il scruta les gravures représentant les fils d’Eris, ces créatures divines qui depuis tout temps nourrissaient les légendes marines.

“Et si j’te dis qu’moi j’en ai vu un ? J’suis pas l’seul d’ailleurs. Tu pourras d’mander à mes gars. C’est d’ailleurs pour ça qu’on m’nomme “Celui qu’navigue avec l’Wagyls”. Un des Princes d’Mers est v’nu à Méca l’mois dernier, enfin… v’nu.” Il balaya de sa main l’air devant lui, ses bagues reflétaient les lumières ambiantes. “Not’ Médée, une sorte d’vieille carne un peu timbrée mais qui connait l’mystères d’ce monde nous disait qu’les Wagyls étaient d’retour, j’ai voulu en savoir plus et j’ai accompli plus qu’aucun Mécan n’aurait imaginé. Pour m’récompenser d’ça, elle m’a offert la Bénédiction d’Eris m’présentant alors à eux.” Il regardait son interlocuteur, sérieux et sincère. “J’peux naviguer où bon m’semb’ sans craind’ leur colère, j’ai essuyé d’tempêtes qu’auraient fait couler par l’fond l’plus grands d’navires d’guerres Soltarii et …” Sa main désigna un endroit indistinct semblant se diriger derrière lui. “J’ai traversé l’Brume sans encomb’.” Il étira un léger sourire aux coins de ses lèvres, comme si cette discussion était sous couvert d’une certaine confidence et confiance envers l’Elfe. “J’peux t’dire qu’en voir un à quelques mèt’ d’soit… Pas plus d’une centaine… Ca t’fait cogiter sur c’qu’on est dans c’bas monde surtout quand tu l’vois engloutir des barques d’offrandes comme l’fait un syphon en pleine mer.”

« Ceux qui restent font le deuil de ceux qui se décident à partir, de la même manière que vos vivants font le deuil de vos morts. » C’est ce que l’Elfe aurait aimé pouvoir répondre au Rokvenha, mais le marin – en digne être humain qu’il était – ne lui en avait pas laissé le temps. Face à cela il s’était contenté de reprendre sa marche, invitant son protégé à le suivre alors qu’ils continuaient de discuter.

- Je ne peux que te souhaiter bon courage. Nemmíro répond, la voix empreinte d’une forme de pitié plus qu’impressionnée Le monde du divin ne se dévoile jamais sans raison. En tant que favori des Wagyl, ce n’est qu’une question de temps avant que le rôle que tu auras à jouer dans l’avenir de ce monde te soit révélé.

Quittant l’immense salle des lueurs, ils s’étaient retrouvés à l’extérieur, toujours dans le temple, mais face à la mer. L’alizé d’automne soufflait avec force, faisant claquer dans le vent comme un millier de fouets les longs cheveux du soldat. Le regard de Nemmíro s’en allait vers le large, loin en direction des marais de Faëlia, dont son œil à l’acuité Sylvaine distinguait d’ici les feints contours. Lointain maintenant était le temps où c’étaient les pirates d’Abyssea et leur culte du chaos la plus grande menace pesant sur ces eaux. L’Holimon s’inquiétait du futur. Si l’Arïn disait vrai. Si les Wagyls s’étaient dévoilés au Sud. Combien de temps encore avant qu’ils ne trouvent le chemin de la mer du Nord ? Et que pourrait vouloir dire leur éveil pour Anaëh ?

- Elle est ici. l’Elfe pointe du doigt un plateau rocheux non loin, attenant au Temple L’entrée de l’Abysse.

Impossible d’y avoir accès autrement que par l’intérieur du Grand-Temple, mais d’ici, on en distinguait les contours. Au centre du plateau rocheux, un lac à l’eau sombre comme la nuit, dont la surface dégageait une légère brume, témoin d’à quel point ses eaux étaient glaciales.

- Rares sont ceux qui s’en approchent. le regard de l’Elfe retrouve le lointain, fuyant presque le lac Les eaux du lac ont le pouvoir de dissocier ou de rassembler Corps et Souffle. Seuls y plongent ceux devant prouver leur Souffle assez résilient pour endosser le rôle de Haut-Prêtre de Tari, et ceux atteints d’un si grand mal intérieur qu’il ne reste plus que l’Abysse pour les en délivrer. Par la guérison, ou par la mort.

L’Elfe s’enfonce soudainement dans un profond silence, presque oppressant de gravité. Puis il regarde le pirate. L’air sévère, comme le serait celui d’un parent inquiet.

- Une fois que tu t’en retourneras de l’autre côté des brumes… fais attention à tes actes. Déshonorer ta bénédiction pourrait te coûter cher. et il s’en retourne à observer le large Et valoir à d’autres la colère de Tari.

Le corsaire pensait avoir piqué la curiosité de Nemmiro, en vain. L’Elfe semblait exprimer à son égard un sentiment bien plus proche de la pitié à ce sujet. Pour le soldat, attirer l’attention d’entité divine telle que les Wagyls était un sort peu enviable à l’entendre, prétextant que ce n’était là que le début des péripéties pour le Rokvenha.

Lui-même s’en doutait à dire vrai. Depuis le jour où les Fils d’Eris avaient posé leurs yeux sur lui et où la Médée avait béni son navire, le marin se sentait chargé d’une quelconque responsabilité. Il en fallait guère plus que la possibilité de naviguer là où personne d’autre n’avait pu le faire avant lui et quelques situations concrètes finirent de le convaincre quant à son nouveau statut - comme le reste de son équipage -.
Nemmiro soulevait un point important cependant, la question de la nature de son rôle en ce monde et quand il lui serait révélé. De tout ça, Caleb, n’en savait rien du tout, alors il regarda l’Elfe en haussant les épaules pour lui répondre.

“J’sais pas c’que compte faire l’Mère d’Mers d’moi, ou l’Wagyls … Ou tout aut’, j’dirai bien qu’j’ai l’temps d’le découvrir, mais l’temps d’un humain doit t’êt’ assez difficile à comprend’ toi qui voit nos Souffle défiler comme de simp’ secondes dans ton temps héhé.” Il laissa échapper un bref rire et reprit alors. “Tout c’que j’sais à c’sujet-là, c’est que j’compte bien faire d’mon court Souffle quelque chose d’grand pour l’miens et marquer leurs esprits… Si j’peux avoir l’Impétueuse et ses Fils à m’côtés, j’dirai pas non et j’ferai en sorte d’en rester digne, aye !” Il bomba légèrement le torse semblant se remplir d’une certaine fierté à cette idée.

Finalement, Nemmiro le guida ensuite vers l’extérieur, le capitaine suivit le soldat sans se poser de question. Se retrouvant ensuite dehors, tous les deux s’arrêtèrent alors face au rivage, désignant un amas rocheux lointain. L’Elfe le désigna comme l’entrée des Abysses et subitement toute l’attention du mécan se porta sur ce nouveau point d’intérêt.
Les eaux aux centres des pierres étaient nimbés de magie d’après les dires de Nemmiro, capable de tant de choses spectaculaires que le Rokvenha aurait presque eu envie d’une démonstration et même ses petites voix intérieures cherchaient à le faire avancer pour s’y risquer sans qu’il ne bouge pour autant.

“Si c’est l’entrée des Abysses, comment qu’elles peuvent guérir l’tiens ces eaux-là ?” Demanda t-il simplement sans détacher son regard de l’horizon. Puis ignorant le regard, du moins, en apparence tant il le sentit ancré sur lui, il répondit sans se retourner. Sa voix sembla se faire plus froide et comme teintée d’une légère amertume. “T’sais Nemmiro, j’ai d’jà payé cher pour c’que j’ai obtenu … très cher… Mais j’payerai l’doub’ encore si l’fallait pour garder l’tout. Rassure toi, j’ferai c’qu’il faut…”

Il se tourna finalement et lui offrit un sourire en coin. A la différence des précédents qui étaient sincères et avenants, celui-ci donna au Rokvenha un air carnassier et malsain durant un bref instant. Il ne s’exprima pas plus à ce sujet, lui qui avait perdu tous les êtres les plus chers pour ça et plus encore, il savait qu’une partie de son Souffle même lui avait été dérobé ce jour. Tant de vie qu’il sacrifierait encore et encore sûrement dans le futur pour poursuivre sur cette Voie, car après tout l’Eris des Mécans semblait bien différente de la Tari des Elfes sur un point. Si à l’Est elle ne semblait pas pressée de reprendre les Souffle de ses croyants, à l’Ouest, elle semblait insatiable d’en obtenir davantage.

- Ça seuls les Voilés le savent.

Et personne ne tient vraiment à leur en arracher le secret. Les maux du Souffle sont des afflictions aussi étranges qu’elles sont terribles. C’est un luxe, une bénédiction même, que de ne pas avoir à y penser. Parfois il est simplement plus simple de faire confiance aux Dieux, et aux représentants de leurs valeurs.

- Ce qu’il faut…

Le nez de l’Elfe se retrousse légèrement, mais il sourit. Ce n’est pas la promesse du Rokvenha qui le rassure. C’est ce sourire, ce sourire bien différents de tous les précédents.
Le pouvoir. Le navigateur, l’espace d’un instant, s’était révélé sous son véritable jour. Il était attiré par le pouvoir. Mais qui ne l’est pas ? Qui, lorsque le pouvoir est à portée de main, le refuserait ? Qui, se voyant offrir une place dans l’histoire, cracherait sur l’occasion ? Chez les Hommes plus que chez quiconque, car leurs vies sont si courtes, refuser de voir son nom immortalisé ne faisait pas de sens.

- L’avenir nous le dira.

S’il se montre digne de la Dame-Ecume ou s’il fait de sa prétendue bénédiction un jouet, seul l’avenir le dira. S’il se fait le pion de Tari dans la démonstration de sa colère, ou s’il arrive à en apaiser les vagues, seul l’avenir le dira. Si la Déesse a seulement réellement jeté son dévolu sur le monde, seul l’avenir le dira.

- Quand l’histoire commencera à s’écrire, je compte sur toi pour revenir nous la conter.

L’Elfe n’osait pas s’avancer quant à son explication, peut-être n’en savait-il vraiment rien comme il le disait. Le Rokvenha n’essaya pas d’en apprendre davantage, après tout, comme son interlocuteur lui avait dit, seuls les êtres versés dans la religion pouvaient détenir de tels savoir. Ces individus, de n’importe quelle culture, vouaient leurs vies à leurs divinités et par conséquent, détenaient des savoir qui ne devaient pas être connus du grand public.

Après un court silence, le mécan se tourna vers son interlocuteur. Nemmiro souhaitait revoir Caleb, non pas par sympathie, mais pour que tous deux puissent encore discuter de l’Histoire dans laquelle le marin s’engageait. Le soldat semblait curieux d’en savoir plus à ce sujet, peut-être pour se prémunir des risques quant à la venue de sa Dame-Ecume et de ses plans. Quoi qu’il en soit, Caleb lui offrit un vrai sourire cette fois-ci et, tout en reprenant sa marche pour retourner dans les entrailles du Grand-Temple répliqua.

“Elle a d’jà commencé l’Histoire, Nemmiro…” Il lui lança une œillade de côté. “Aucun des miens n’a accompli c’que j’ai fait, j’parle pas d’Wagyls là, mais d’êt’ sur ces terres et d’naviguer dans l’mers du Nord, l'Éloignée comme certains l’appellent par chez moi.” Il sembla plonger dans ses pensées un bref instant. “Pas que j’sache en tout cas, aucune d’nos histoires d’marins parlent d’avoir rencontré ton peuple et d’avoir trouvé un passage d’l’extrême Ouest vers l’Est… Toi aussi d’une manière tu fais partie d’cette Histoire là, aye… T’es l’premier Elfe a t’occuper du Cap’taine qu’a trouvé cette voie.” Il regarda le soldat sur un air entendu, presque amusé voir taquin en le citant dans sa propre histoire, même si les faits étaient vrais dans le fond.

Finalement, une fois de retour dans la grande salle principale, le capitaine continua de contempler les nombreuses gravures et décors comme s’il voulait les ancrer dans sa mémoire pour toujours. “J’vais d’voir r’tourner sur l’bout’ Nemmiro… Mais j’te remercie d’m’avoir fait entrer dans c’lieu là, j’oublierai jamais c’que j’y ai vu et apprit.” Sa main se porta à son plastron comme pour marquer la sincérité de ses propos. “J’pense qu’on pourra r’prendre la mer dès demain matin, j’laisse encore un peu d’temps à mes zouaves pour faire durer l’plaisir d’leurs découvertes avant d’les ramener à d’l’errance à l’aveugle héhé.”

Lentement, les deux hommes se dirigèrent alors vers la sortie du Grand-Temple. Un dernier regard à la façade et Le Rokvenha lassa échapper une brève prière silencieuse pour Tari, celle qui l’avait accueilli en son sein ce jour-là. Il la remerciait, Elle ou Eris de la même manière, de s’être dévoilée à lui en ce jour.