L'aile ou la plume ? | Azza / Kata

Deux jours avaient passé, depuis la défaite de son « père », mais Plume ne décolérait toujours pas et elle ne savait pas ce qui l’énervait le plus : la rapidité avec laquelle il avait été vaincu, ou la certitude qu’elle aurait, elle, s’en serait autrement mieux sortie que lui. Or, on lui avait interdit de s’inscrire aux Jeux sous prétexte qu’elle ressemblait à une gamine et que les organisateurs se moqueraient d’elle avant de la renvoyer sans ménagement.

Les grandes mêlées avaient pour elle été l’occasion de se rendre compte du vilain tour dont elle avait été la victime. Elle avait notamment assisté aux premiers pas dans l’arène de celui qui se faisait appeler « la Mort Blanche » et avait constaté avec amertume qu’il paraissait plus bambin qu’elle ! Elle avait confronté Azza, dans l’espoir de comprendre les raisons qui avaient motivé cette injustice, mais l’ancienne prêtresse de Teiweon n’avait pas fait montre de beaucoup de contrition ou d’empressement à se justifier. « Tu es ma gladiatrice la plus rentable, Plume, avait-elle seulement expliqué, mais pas la plus talentueuse, pas encore. La vérité c’est que tu n’es tout simplement pas prête pour un événement comme ces Jeux. Tu te serais très certainement hissée assez loin dans la compétition pour que des gens fortunés commencent à parier sur ta défaite… et peut-être ta mort, aussi. »

La daedhelle avait énoncé ces vérités sans animosité aucune, mais ses mots avaient quand même fait l’effet de coups de poing à la petite gladiatrice.

« Hashar, je veux me battre, » déclara-t-elle deux jours après la première épreuve à Hashar, l’esclave d’Azza… et, de l’avis de beaucoup, la seconde tête de l’Aile Blanche.

L’ancienne vedette de la Fosse dornienne supervisait les entraînements de chaque gladiateur qui appartenait ou était lié par contrat à l’école. Personne ne mettait un orteil dans l’arène sans qu’il n’eût d’abord donné son accord.

« Ça tombe bien, Plume, soupira-t-il en dardant un regard déjà fatigué sur elle. Tu te bats Oglicos prochain.

— Pas ce genre de combats là ! protesta-t-elle sans parvenir à retenir un rictus agacé. Je ne veux plus me battre dans une villa des Soieries, contre des indécrottables et des manchots. Je veux me battre dans une vraie arène. Je veux me battre dans les Sablons. »

Hashar allait lui répondre, mais un mouvement dans son champ de vision périphérique attira son attention et il fixa sur l’étrange énergumène qui venait de pénétrer dans « son » école. Surprise, Plume suivit son regard et elle sentit son cœur manquer un battement quand elle le reconnut. La Mort Blanche ! jubila-t-elle intérieurement en réfléchissant à toute vitesse. C’est ma chance. Elle vit qu’il allait l’interpeller et elle lui donna un coup de pied dans le tibia pour l’en empêcher, au moins temporairement. « C’est un participant des Grands Jeux, expliqua-t-elle avec excitation. Je ne sais pas ce qu’il vient faire ici, mais pourquoi ne pas en profiter pour régler une bonne fois pour toutes notre différend ?

— Nous n’avons aucun différend, maugréa Hashar qui n’avait pas apprécié l’attaque en traître.

— Si je le bats, tu me laisseras participer à un vrai combat plaida-t-elle. Si je perds, j’irai à la farce que tu as prévue pour moi Oglicos. » Voyant son scepticisme, elle ajouta : « Il a passé haut la main les grandes mêlées… On ne peut pas en dire autant de tous les gladiateurs qui sont sous ta responsabilité. »

Il hésita plusieurs longues secondes, avant de lever les yeux au ciel et d’écarter les bras avec fatalisme. « Après tout pourquoi pas… » Lorsque le visage de la sang-mêlée s’éclaira, il se sentit obligé de préciser un peu sa pensée. « Par contre, je te préviens, s’il refuse, c’est pas mon affaire… Et s’il accepte et que je découvre que c’est juste un branque, pareil, tu peux te brosser.

— Ça me semble honnête, » convint-elle en ne l’écoutant que d’une oreille. Elle avait commencé à s’approcher de l’Eldéen et l’interpella avec familiarité. « Eh, toi ! »

Parce qu’il avait l’apparence d’un enfant, Plume s’était tout naturellement concentré sur lui pendant son épreuve des Grandes Mêlées… elle estimait donc avoir une assez bonne idée de la façon dont il combattait et bien qu’elle ne voulait pas envisager une défaite, elle gardait en tête qu’il n’était pas un débutant, loin s’en fallait. Elle n’essaya même pas de deviner son âge, ni comment il en était venu à développer les capacités dont il avait fait montre dans l’arène. Elle-même allait sur ses vingt ans, mais aux yeux des éphémères qu’elle ne côtoyait que trop, elle en faisait une douzaine tout au plus. Elle était un peu plus grande que lui, à peine plus menue. Plus rapide, aussi… Enfin, j’espère, supposa-t-elle en s’arrêtant à sa hauteur

« Je t’ai vu te battre, dit-elle en croisant les bras. C’était impressionnant. Tu me ferais l’honneur d’un duel au premier sang ? » Derrière elle, elle entendit Hashar — qui lui avait finalement emboîtait le pas, mais c’était arrêtait à quelques mètres de distance — ricaner un peu bêtement, mais prit sur elle de l’ignorer. « Alors ? »

Plume en avait assez d’attendre qu’on la laissât faire ses preuves. C’était l’occasion de prendre les devants et de les mettre, tous, devant le fait accompli : pendant trois ans, elle s’était entraînée sans relâche, souvent jusqu’à l’épuisement… et elle était prête.

Elle le devait.