C'est une belle journée | Drystan

Elle ne doit pas être habituée à ce qu’on complimente sa modeste existence, la Grise, pour s’empourprer de la sorte à la première occasion, toutefois, le dragonnier n’a pas le cœur à s’attarder davantage sur ce détail… Il n’ose pas le dire, mais il partage la nervosité de la Grise, et c’est bien davantage qui fait siège devant un esprit qui s’accroche comme il peut pour ne pas céder mais s’épuise dans la manœuvre.
Il faut tenir… Oui, il faut tenir tandis qu’ils parcourent le dédale souterrain des galeries et intersections qui ne déploient et se multiplient, comme autant de pièges pour les perdre quand ils conduisent à des cul-de-sac et les contraignent à revenir sur leurs pas. Il faut tenir quand le temps s’égare à son tour, et ne se constate plus qu’en torches nauséabondes consumées, qu’en fatigue et en douleur qui s’accumulent au gré des contractions rocheuses qu’il leur faut franchir.
Combien de temps déjà ? Combien de temps encore ? Mais ils ne cèdent pas, éprouvés, ils tiennent, se raccrochent à chaque nouveauté qui les conforte dans l’idée qu’ils progressent…

Un courant d’air plus frais, d’abord léger, mourant est le premier porteur d’un sursaut d’espoir, bien vite d’une cavité plus large, au bout de laquelle ils retrouvent finalement la lumière, la vraie, non la puante. A cette découverte, la Grise file, sans une once de prudence et non sans manquer à plus d’une occasion de se vautrer misérablement et brutalement alors que lui-même, toujours en délicatesse avec sa cheville, progresse sans se presser, accueillant avec plaisir, dans un soupir soulagé après une grande inspiration tant le bruit et l’odeur de la pluie sur la roche humide que le cri de joie de la demi-drow qui lui confirme la fin de la galère.

Il franchit finalement la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, se laissant aller à une exaltation silencieuse jusqu’à ce qu’une présence prodigieuse ne s’impose finalement dans son esprit. Il s’en était jusque-là détourner, préférant se concentrer sur le dédale et ses pièges, mais sa libération ouvrit grand la porte à un dragon qui rôdait depuis peu de temps dans les environs, à sa recherche. Et si le dragonnier reste muet, le grand lézard qui passe au-dessus laisse échapper un rugissement de joie s’en faisant l’écho, avant de prendre une trajectoire qui le dépose non loin. Timide pour sortir, son pas s’accélère, laissant tomber son sac qu'il avait en main, malgré la cheville, pour retrouver son dragon, posant sa tête contre la sienne, un large sourire éclairant son visage, l’inondant de chaleur. C’est qu’il y avait plusieurs jours qu’ils étaient séparés… Une éternité si on compte les souterrains.

Le contact dure, hors du temps, indifférent à ce qui l’entoure, à la pluie qui tombe, avant qu’ils ne se détournent l’un de l’autre pour se retourner vers la Grise.

“Voilà mon ami, Pradias.”

Tout à ses retrouvailles, Drystan rata le vent de panique qui balaya la Grise à la vue d'une créature de plusieurs mètres de long descendant des cieux. La demi-drow allongée sur l'herbe humide se releva précipitant, regardant la chose avec de grands yeux ahuris. Un dragon ! Putain y a vraiment un dragon ?! Mais il a dit qu'il y avait un dragon ! Mais... Bordel c'est un dragon ! A l'envie de courir se planquer succéda la vérité fort simple : si ce n'est en retournant dans la grotte, la Grise n'avait guère de cachette adaptée face à une créature volante de cette taille. Consciente de son impuissance, agacée par elle puis, blasée, car ce n'était pas non plus la première fois qu'elle se retrouvait dans une situation à son désavantage, la demi-drow se calma, non sans continuer d'afficher une certaine stupeur. Son... Ami ? Le mot était étrangement choisi. Ses cheveux noirs plaqués sur sa tête par la pluie, la Grise hasarda un sourire.

"Euh... Bonjour Pradias ?" fit-elle avec incertitude.

Puis... C'est ridicule. Elle se mit à pouffer. Le gus lui parlait dragon depuis qu'il était tombé sous terre avec elle, elle l'avait cru fou, puis lui avait laissé le bénéfice du doute puis, devant le résumé d'une existence des plus intenses, elle avait consenti à considérer qu'il était possible qu'un dragon existe et qu'il soit lié à Drystan... Et voilà qu'elle prenait peur devant lui. Ce matin je croyais la chose impossible, maintenant elle est en chair et en os devant moi... Enfin, qu'est-ce qu'il te faut, lui faire un câlin pour accepter son existence et que, selon toute vraisemblance, ce n'est pas une créature mangeuse d'homme ? Enfin, l’Écailleux semble bien l'apprécier, alors... Quoique, après ce qu'il a raconté... Se marrant à moitié, ne sachant sur quel pied danser, la demi-drow se releva.

"Eh bien... C'que'que chose d'le voir... Comme ça. dit-elle osant un pas dans leur direction, puis un autre. Je... Quand tu dis 'un ami' c'est... Il est... Comment... C'est 'quelqu'un' ?"

A vrai dire, le 'dragon' ne ressemblait pas tant à un géant écailleux comme elle s'y attendait. Tout en finesse, en réalité, écailleux seulement au niveau de la tête - c'est juste de la peau, son corps ? -, il en paraissait presque... Délicat, par rapport à la puissance qu'il dégageait car, sans être titanesque, il n'en était pas moins plus grand qu'un homme et... Enfin, bien plus grand qu'un cheval. Ainsi qu'un oiseau. Pour une bête volante, il était fort grand.

"Il... Comprend quand je parle ? Comment ça se passe ?" fit la Grise, incertaine.

C’est « quelqu’un » ? Mine de rien, ça n’est pas une question évidente ! Si on écarte les croyances populaires de certains qui prêtent volontiers une humanité à l’intégralité de l’existence, qu’elle soit vivante ou non – on parle ici des cailloux, pas des macchabées rongés par les vers et servent de couveuses pour des nuées de mouches et autres joyeusetés qui s’y complaisent – et qu’on tente d’élever un peu le niveau même au-delà de la seule conviction du dragonnier, c’est quoi qui définit « quelqu’un » ?
Pour les elfes, c’est le Souffle, la source d’un libre-arbitre – que n’ont pas les nains, ça sert à rien mais notez dans un coin de votre crâne qu’une chèvre ou un nain, ça revient au même – qui les détache de l’ordre naturel voulu par Kÿria et lui permet de se dire que si les elfes lui vouent une telle dévotion, c’est par choix.
Bon, c’est pareil ailleurs, mais hormis pour les nains – qui sont donc comme les chèvres qu’ils montent – et là, vous vous faites l’image que vous voulez, ça ne me regarde pas - - c’est le Souffle qui distingue les « enfants » ou peuple des créations soit tout le reste d’un point de vue religieux.
De là, on va dire que le quelqu’un, c’est une bestiole qui partage les caractéristiques de ces rejetons divins, ça a un Souffle, notez qu’au contraire de certaines contrées imaginaires, ce qui distingue les peuples du reste, c’est le choix, pas l’intelligence qu’ils n’ont pas tous et dont ils se servent pas forcément de la meilleure manière… lucide ces gosses, n’est-ce pas ?
Bon, reste plus qu’une chose ou deux à poser et après, on va pouvoir conclure – même si on aurait pu faire plus court.

Alors, les dragons ont-ils un Souffle ? Au niveau des croyances, les elfes considèrent qu’une fois leurs tâches premières accomplies, dépossédés d’une bonne part de leurs pouvoirs – parce qu’il ne faut pas déconner, on laisse pas des bestioles capables de rivaliser avec un dieu batifoler dans la Nature – ils ont été incorporé dans l’Œuvre par Kÿria. A priori donc, non.
Sauf que côté pentien, on considère qu’après leurs petits détours par Nisétis, Néera et Tyra qui en avaient gros leur ont refilé un Souffle avant de les maudire et de les empêcher d’enfanter. Bon, ça ressemble beaucoup à une condamnation à tous les niveaux des pharétans, mais passons. Là, on pourrait se dire « Donc, finalement, ils en ont un », sauf que les dragons se reproduisent et laissent des œufs, donc ça ne marche pas. C’est bête.

Que peut-on en conclure ? Que les pentiens ont choisi d’être bête et que les nains sont des chèvres. Et le dragon ? Il n’appartient pas à la famille des quelqu’un, il appartient à l’autre, au quelque chose. Et le raisonnement de Drystan dans tout ça ? Ce n’est pas celui-ci, effectivement.

Non, Drystan, dans tout ça, il ne s’embarrasse pas d’autant de questionnement sémantique et il doute avoir l’envie d’entrer dans ces considérations farfelues après avoir crapahuté plusieurs heures dans le sous-sol.

« Je ne sais pas si c’est quelqu’un, mais j’t’assure que c’est pas une poule. Tout ça pour ça, oui, mais comment, avec la fatigue, voulez-vous expliquer simplement que votre compagnon n’est pas un animal de compagnie ? Et il comprend… Dans une certaine mesure et d’une certaine manière. Dans quoi s’embarque-t-il là ? Comment dire… On est lié, très très étroitement lié, au point de se confondre parfois, de pouvoir emprunter à l’autre. Alors ce que j’entends, ce que je comprends, il y accède et s’en sert, et réciproquement. »

Il ne se voit pas faire mieux et plus, et évite d’évoquer la nature de leur communication ou le fait qu’un dragon voit certains concepts particulièrement abstrait lui échapper même avec force explication, tout simplement parce qu’ils n’ont aucun ancrage dans la réalité. Mieux vaut se contenter de l’idée déjà curieuse d’une créature qui se sert d’un humain comme d’un intermédiaire pour comprendre les autres, c’est déjà bien.

« J’pense lui demander d’aller retrouver un autre de mes compagnons et d’en profiter pour tenter d’repérer ton canasson, ça nous laissera le temps de souffler un peu. »

Inutile là aussi d’essayer de lui expliquer comment, d’une pensée, il peut donner une idée d’un endroit au dragon. Il peut, ça demande surtout des efforts à la Grise pour intégrer, mais il ne veut pas se perdre à tenter de donner du sens à tout ce que leur lien permet.

Monarth est allé se mettre à couvert, tu auras besoin de lui pour calmer son cheval.

Le dragon porte son attention sur la Grise avant de se détourner, s’appuyant sur ses puissantes pattes arrière pour donner une première impulsion appuyée par un premier battement d’ailes, puis un autre, et un autre, et comme il est venu, le voilà qui disparait dans les nuages, mais sa présence dans l’esprit du dragonnier, elle, ne diminue qu’à peine.

« Tu devrais te mettre à l’abri avant d’attraper le mal. »

Le jour où une poule aura cette gueule, c'est que les Dieux seront descendus marcher parmi les mortels. songea une partie du cerveau de la Grise, encore fonctionnel, alors que le reste demeurait hébété devant la créature. C'est que les hésitations de Drystan ne l'éclairaient pas tant que cela. Lié, très très lié à ta bestiole qui n'est pas une poule ? Donc tu es quoi dans ta tête, une salamandre humanoïde ? Son esprit s'égara en d'autres comparaisons peu flatteuses et toutes plus absurdes les unes que les autres, pour l'heure empétrée qu'elle était dans l'indécision quant au comportement à adopter.

"Je..." tenta-t-elle de répondre à sa suggestion.

Mais les mots ne vinrent pas avant que le dragon ne décolle, faisant faire un pas en arrière à la Grise face à la créature qui s'arrachait puissamment au plancher des vaches. Les mires noires ne le quittèrent pas alors qu'il s'élevait, figure reptilienne pâle retournant avec aisance dans la grisaille les surplombant, eux, simples mortels. Enfin 'simple'... Dépendait de qui. La Grise reprit brusquement contact avec la réalité, comme revenant d'un étrange rêve et qu'elle retrouvait le contrôle de son être.

"Je - Hein ? Ah ! Aucun risque, j'tombe pas malade. Fin, j'peux tomber tout court d'fatigue, mais rien qui dure tant qu'j'me repose après quoi. Quand même fou hein ? Un brin d'sang d'noiraud et paf ! Un marmot qui s'porte bien tant qu'tu l'nourris, et qui continue d'brailler même quand sa mère, elle, elle a la crève ! Qu'il vente, qu'il neige, qu'la moitié du quartier crache ses poumons, rien à faire ! Tu t'retrouves avec une gamine grise qui gambade sans trop d'problèmes. C'est fou ! Les Dieux sont joueurs quand même, j'trouve, nan ? déblatéra-t-elle soudain, comme s'il lui fallait rattraper le temps perdu à fixer le mon- pas un monstre, Pradias, un dragon qui n'est pas une poule... Mais quelle idée de comparaison aussi ! - la bouche ouverte. Le monologue se suspendit alors que la demi-drow regardait Drystan avec une nouvelle mine stupéfaite, puis les cieux, puis Drystan, puis... Elle lâcha un rire nerveux. R'contrer des bêtes d'mythes ça m'réussit pas, hein ? Dis-moi qu'ton aut' compagnon c'pas une hydre, ou une chimère."

Visiblement perplexe, trempée, sa chemise autrefois rouge désormais de la couleur de la poussière humide et de la boue, la demi-drow ramassa sa torche improvisée... Puis elle la lâcha avec une moue agacée.

"Elle m'servira plus, ben tiens. Bon ! fit-elle en se mettant une main sur la hanche et une autre en l'air. S'rait bien aimable d'me retrouver Casse-Crâne, c'est sûr ! Si m'le bouffe pas, ce s'ra parfait. Tu peux lui d'mander ça, hein ? Mais, bon, même si j'peux pas attraper l'mal, c'est qu'y fait pas chaud non plus. Je... Toi aussi, p'tète ? Rentrer, pour pas attraper froid ? Ce serait bête après tout... Ho et puis merde !"

Donnant un coup de pied dans l'os boueux, la demi-sang fit volt-face, retournant à pas furieux dans la grotte et son réseau souterrain dont ils avaient trouvé la sortie après tant d'efforts. Juste un dragon, une bestiole, rien d'méchant... Bordel de pluie, elle finit jamais ! Lié ? Ca veut dire quoi, lié à un dragon ? Il a le sang froid ? Bordel de cul, pourquoi j'ai l'impression que le monde est à l'envers ? On se calme, c'est juste... Passager. On... Se... Calme. Se sentir trembler - de peur ou de froid ? - ne manquait pas de l'énerver d'autant. Ri - di - cule ! Et si c'putain d'lézard m'mange l'aut' carne, j'm'en f'rais une brochette ! Avec un gros arbre dans le... L'idée que l'Ecailleux n'ait qu'à 'penser' pour communiquer avec la bête lui fit redouter d'être entendu, ce qui lui fit presser le pas.

Quelque part, il se note que la nervosité transforme ce petit bout de femme à la peau grise en un moulin à parole au débit remarquable, il faut le reconnaître. Une pensée émue pour sa pauvre mère qui dû gérer un monstre pareil, increvable et qu’aucune fièvre, ni aucun coup de froid n’épuise quand elle l’était certainement elle-même. Le sang-mêlé, on n’y pense pas assez, mais quelle plaie pour les parents, n’est-ce pas ?

« Nan, nan, t’inquiète, rien qu’un p’tit basilic. » Il dit cela avec un semblant de sérieux, ayant remarqué qu’elle semble avoir buté sur l’évocation de la poule, alors tant qu’à parler de monstre, autant évoquer une « vraie » grosse volaille monstrueuse. Et il ne corrige pas, ne mentionne pas le fait que l’autre compagnon n’a en vérité pas grand-chose de menaçant.

Il se redirigea vers la grotte… pour s’arrêter à son sac qui aurait besoin d’un bon nettoyage quand la situation le permettra.

« J’lui ai dit de l’retrouver, pas d’le chasser, t’en fais pas, j’sais c’que c’est de s’attacher à ces bestiaux, j’vais pas t’faire ça après c’qu’on a vécu, voyons ! »

Il l'observe, et se sent obligé d'essayer de comprendre.

« Tu m’as l’air bien troublé, c’pas faute de t’avoir dit les choses, pourtant, alors quoi… T’as pensé que j’étais fou ? Ou j’racontais des bobards ? » Il s’en amuse, après tout, elle aurait eu toutes les raisons de ne pas croire ce qu’il racontait, et il savait lui-même qu’il y avait bien que le dragon pour dissiper les doutes et les soupçons. Ça n’avait pas manqué.
Il a récupéré son sac et se tient à l’entrée de la caverne, visiblement indifférent à la pluie qui tombe et au froid qui est supposé lui glacer les os… Il se doute du trouble qui gagne la Grise à mesure qu’elle constate certainement plus que dans le sous-sol les aberrations du personnage qui se tient pas loin mais qui s’abrite tout de même.

« Qu’est-ce qu’il y a ? D’croire que j’sois cinglé, ça t’rassurait alors qu’maintenant, t’sais plus ? Crève l’abcès et dis c’qui te gène, ça ira mieux après. » Il dit cela avec calme, sans une once d’autorité. Il veut l’aider à dissiper ce qu’elle traverse.

« Tu m’dois toujours une pinte, alors faut qu’on s’quitte en bons termes, tu crois pas ? »

"Quoi, personne a jamais été perturbé par ton dragon ?" maugréa la Grise, depuis l'intérieur de la grotte.

Là, l'air était tout aussi frais mais sans la plus pour lui aspirer toute chaleur, comme le faisaient très bien ses vêtements humides et sa chevelure noire, plaquée sur son crâne. La bête en question s'en était allée et Drystan ne montrait pas le moindre signe de... Quoi ? Grandiloquence plus adéquate pour une créature pareille ? La demi-drow ne savait trop quoi penser, si ce n'est que son calme l'agaçait, la faisant se sentir ridicule - enfin, cela ne l'avait jamais tuée - et qu'il pouvait bien s'étouffer avec sa - Bon, t'arrête oui ? Il lui semblait bien loin le temps où la gêne se dissipait dans les gorgées d'alcool et les chansons, autour d'un bon feu après un contrat rondement mené. Maintenant elle se perdait dans des souterrains froids et humides avec un écailleux lié à un dragon. Cela manquait d'alcool et de rire.

"Y a pas d'abcès, y a qu'd'la flippette face à un truc que j'croyais pas possible c'matin. maugréa-t-elle en se frictionnant, regardant l'être pâle du coin de l'oeil avec une moue boudeuse. Moue qui s'accentua à la pensée qu'il avait vu juste. Saleté. Tu m'excus'ras d'avoir douté d'ta santé mentale. C'veux pas pour autant dire qu'c'est un problème, j'en connais des gars qu'sont très biens alors qu'y ont du s'faire bercer trop près du mur."

Et d'autres que j'ai dû planter, mais c'pas l'sujet. grinça-t-elle intérieurement, lâchant un gros soupir. Enfin, ça pourrait l'être, mais ce qui la perturbait n'était pas que Drystan ait montré des comportements aux intentions douteuses, mais que son existence l'ait amené à un lien des plus... Étranges ? En plus d'avoir été nobliaux et d'avoir traversé la moitié de Miradelphia... Des histoires étranges, la demi-drow en avait entendu de la part des voyageurs, mais lui en avait une bonne. La Grise se dérida avec un sourire fatigué.

"Enfin, tu l'auras ta pinte. Laisses-moi juste m'remettre les idées en place. Son regard s'égara alentours, sans rien y voir d'autre qu'une roche suintante d'humidité tristement grise, tirant sur le noir ou le marron selon les coins. C'est... Ca doit être que'que chose d'êt'e lié à... Lui, non ? Tu l'perçois tout l'temps ? Il apprend d'toi ? Vous... Elle fronça les sourcils. Bizarrement, j'me dis qu'ça doit pas être évident d'vivre avec un dragon. J'suppose qu't'as dû t'y faire. Pas vraiment l'choix, non ?"

Son histoire, son lien avec l'animal, à présent qu'ils étaient sortis de leur trou, elle percevait d'autant plus à quel point cela la dépassait. Plusieurs vies en une... Passionnant à écouter mais... Lourd à vivre, peut-être ? Fous-lui la paix, t'en sais rien et basta. Avec un 'Hmmmph' de lassitude, elle se laissa tomber par terre, s'asseyant en tailleur pour observer Drystan, à contre-jour de la maigre lumière que laissait passer le ciel orageux.

"Les écailles c'est d'lui, l'fait qu't'ais l'air d't'en cogner du froid aussi ?" fit-elle avec un sourire.

“Possible ouais, j’y fais pas bien gaffe.” Répondit-il en haussant les épaules.

Il sait, même si les elfes de la Cité Blanche se sont habitués à voir la créature les survoler, il a déjà eu l’occasion d’observer les réactions que suscite un dragon, avant même la naissance de Pradias, mais n’y accorde plus d’attention, parce que ça ne sert à rien, peu importe les efforts, les gens ne sont jamais prêts, alors autant s’épargner cette peine et les laisser digérer comme ils peuvent tandis qu’il prend l’attitude de celui qui fait mine de pas voir l’extraordinaire.

“Et j’t’en veux pas, y a rien d’plus normal que d’imaginer la folie tant qu’on l’a pas vu, c’pour ça que j’ai pas insisté.” Il n’a pas essayé de la persuader du contraire et reporta la démonstration au moment où ils seraient parvenus à se sortir de là, parce qu’il fallait qu’elle le voit pour s’en convaincre, les mots n’auraient servi à rien. Il affiche toujours un calme et une douceur pleine d’une compréhension face à la situation, ne sachant pas quoi montrer pour ne pas exaspérer davantage la demi-drow. Il pénètre plus loin dans la grotte et se laisse glisser contre la paroi pour finir par s’asseoir en face d’elle.

“C’est que’que chose, ouais. On est toujours ensemble, à not’ façon, il fait parti d’moi, j’fais parti d’lui, il apprend d’moi, j’apprends d’lui. On peut s’débrouiller l’un sans l’autre, bien sûr, on en a b’soin, mais c’pas pareil, y a qu’avec lui qu’j’suis entier.” Il prend un air pensif, un léger sourire marquant ses traits en y songeant, une part de lui parcourant le lien instinctivement. Il ne prend pas la peine de répondre plus particulièrement à l’ensemble de la salve, ce qu’il ne dit pas, elle peut certainement le déduire. Il se fit à cette relation, qu’il accepta pleinement.

“Les écailles, la peau, les cheveux et que’ques trucs en plus, ça vient d’lui, oui, enfin, d’notre lien. L’froid, c’est v’nu avec.” Probablement parce que sa peau est plus proche de celle de son dragon, d’ailleurs, il en partage certaines propriétés. Mais il ne veut pas entrer dans ce genre de considérations.

“Bon, et sinon, où j’devrais m’présenter quand j’déciderais qu’il sera temps d’honorer ta dette ? Car j’sais que tu vas à droite à gauche, au gré des opportunités et des caravanes, mais y a un endroit où tu t’fixes parfois et où j’pourrais te r’trouver ?” En passant, il suggère clairement qu’il ne l’accompagne pas jusqu’à la ville, ce qui est certainement le mieux pour l’un et l’autre, qui après un tel partage de promiscuité ont bien besoin d’un peu d’air, qu’il se garde cette pinte pour plus tard, autant qu'un moyen de rétablir le contact si l'occasion se présente.

Tentant de comprendre l'incompréhensible, la demi-drow en demeura quelque peu frustrée. Les influences du dragon sur le physique de Drystan ne regardait que lui, elle l'acceptait bien volontiers, mais cette incertitude quant à ce qu'il se passait dans sa tête... Être en lien avec une bête, c'était quelque peu étrange quand même. Qui n'est pas une poule. Cela ne l'avançait guère. Elle ne pouvait que s'en remettre à l'apparente acceptation de Drystan sur le sujet... Et cela ne lui était pas des plus confortables. A vrai dire, elle ressentit une pointe de soulagement quand il évoqua leur départ prochain... Et la séparation des chemins. Voilà qui lui ferait du bien.

"Le 'Tourne-Gambette', à la Place des Lanternes. répondit-elle sans trop réfléchir, contente d'évoquer autre chose que ce lien étrange. C'ma mère qui gère c'bazar. J'compte pas y rester trop longtemps, l'temps d'trouver d'quoi m'remettre, mais c'est l'meilleur lieu où d'mander d'mes nouvelles. Qu'tu d'mandes la Grise ou Mleshka, y pigeront. Elle eut un sourire en coin. La piquette qu'on y sert vaut pas l'coup, j'te montrerai qu'ques bonnes adresses. Du coup, ton dragon... Pradias, a r'trouvé nos ch'vaux ?"

Le bordel, une taverne... Voilà des images qui lui seyait davantage, lui donnant la motivation de retourner affronter la pluie et le mauvais temps. Bien qu'elle apprécia le voyage et ne l'aurait jamais avoué à sa mère, retrouver la tranquillité du 'Tourne-Gambette' lui était agréable... Jusqu'à ce que le pourquoi de son départ originel ne lui saute à nouveau au visage. Littéralement. Un certain soulagement accueillit la réponse positive de Drystan, et le duo quitta sans tarder ni regret le couvert de la grotte sombre. Bien qu'il ait semblé à la Grise qu'ils se soient égarés pendant des heures sous terre, les deux voyageurs n'en eurent que pour quelques dizaines de minutes à crapahuter dans les fourrées pour atteindre leurs montures, non loin de la crevasse où ils étaient tombés.

Ayant envie d'écharper Casse-Crâne comme de la cajoler, la demi-drow mit au jour des trésors de patience pour l'approcher et parvenir à le rassurer malgré sa tenue rendue quelque peu immonde par la boue, la poussière et les kobolt croisés dans les souterrains... La présence du dragon n'aidait pas, cela-dit. Ce point fit naître chez la demi-drow un élan d'empathie envers sa bête, face à ce malaise qu'elle ne pouvait que comprendre, faute de parvenir à passer outre.

De nouveau en selle, il fut temps pour le duo de se séparer, ce qu'ils firent simplement sans trop s'attarder, la Grise étant heureuse de reprendre la route et quelque peu soulagée de voir le grand reptile disparaitre bientôt, de même que son lié. Alors que la distance se creusait entre eux, sous un ciel gris la voyant se rapprocher de Thaar, le petit nœud de tension dans son ventre se dénoua, la laissant seule, fatiguée mais tranquille, songeant avec curiosité à l'être autrefois simple mortel, désormais 'autre', qui avait croisé sa route. Et dire que ce matin même elle considérait les dragons comme de simples mythes...