C'est une belle journée | Drystan

7ème ennéade de Karfias de l'an 16:XI
Au nord de Sol'dorn

Sans arrêt ni répit, la pluie battante heurtait le dos de la cavalière, et les flancs de sa monture. Les yeux plissés sous ces attaque, trempée jusqu'à l'os, la Grise frissonnait sur son cher Casse-Crâne, guettant, malgré la lumière décroissant et la mauvais temps, la vue de la moindre protéger à leur offrir. Bois, masure, le moindre relief qui les protégea des flots tombant des cieux. Les sabots de l'étalon clapotaient sur la route, rendue boueuse, qui serpentaient en direction du sud. Thaar, elle voulait rentrer à tard. Y reprendre tranquillement pied. Au chaud. Avec un bon morceau dans le bec. Et...

Repoussant les mèches humides que la pluie coulaient sur son visage pâle, la semi-drow avisa un massif végétal... De quoi les protéger. Peut-être. Un peu. N'ayant rien à perdre d'aller y jeter un coup d'oeil, la Grise tira donc les rênes d'un côté, quittant la route sous un ciel chargé et orageux, se permettant même de raviver sa monture d'un léger coup au flanc.

Allez mon grand, faut bien qu'on s'cache un brin d'tout ça. J'risque pas grand chose à part d'être frigorifiée, mais toi, avec ta veine, j'sais pas trop. 'Vec un peu de chance la végétation sera suffisamment dense... Temps de chien, bon sang. Pas moyen de chasser pour l'instant. Le fleuve devrait pas être très loin... Si j'avais de quoi me bricoler une corde... Attends, peut-être qu'il y aura des baies à manger. Oh oui, protection et nourriture, si ce n'est pas trop demander !

Tâchant de garder le moral malgré le temps qui encourageait l'inverse, la Grise poussa Casse-Crâne sous les frondaisons... Sauf que l'étalon se mit à piaffer et s'arrêta. Fronçant les sourcils, la demi-drow insista. Plus cajola. Puis sermonna. Non sans un soupir, frissonnant en sentant sa chemise qui lui collait à la peau, la cavalière mit pied à terre et se mit à tirer, tout d'abord doucement, puis avec plus de fermeté.

"Tu ne vas pas recommencer quand même... Une forêt, je veux bien, mais un bois ! Pas de quoi en faire des montagnes, tu ne comptes pas m'chopper la crève en restant là quand même ? Allez forte-tête, faut qu'on avance... On est pas encore arriver... Gniiih... J'suis sûre que je vais te trouver... Allez... De quoi... Te régaler... Si tu veux bien... Venir... !" marmonnait-t-elle en s'échinant.

Rien y faisait. Arc-boutée, la Grise commença à se dire : C'est ridicule. J'vais bien trouver un autre moyen de... Cependant, l'idée fut trop tardive. Ses pieds eurent le temps de brusquement glisser sur la terre humide, puis ses mains sur les rênes. Avec une exclamation de surprise, elle chue cul le premier. Sauf que le sol se révéla aussi traître que la boue sous ses chaussure. Un première choc, une glissade, et elle bascula en arrière, avec un grand air ahuri, Casse-Craîne hennissant avec nervosité. Beaucoup trop nerveux ce cheval. Le bas était son haut, puis fut à nouveau son bas, puis... Un choc, la douleur, son souffle coupé... Elle tombe encore... Et atterrie lourdement sur un lit de feuilles mortes et de boue. Avec de la roche, juste en dessous.

"Aaaaahhh..." gémit-elle en se retournant douloureusement sur le dos.

Grande nouvelle : elle était encore vivante ! Percluse de douleurs qu'elle n'avait pas un clignement de paupières plus tôt, mais vivante. L'eau goutait en de multitudes de rigoles, depuis la faille qui la surplombait de sa lumière pâle. Râlant encore, la semi-drow se redressa lentement, vérifiant avec prudence que ses membres lui répondaient encore. Une grimace salua sa tentative de bouger son bras droit. L'épaule, qui avait encaissé une partie du choc, pulsait méchamment. Crevure... Marmonnant quelques injures bienvenues contre la douleur, la Grise leva la tête.

"Teu... Casse... Casse-Crâne. Casse-Crâne ! T'es là ? J'vais avoir besoin de toi mon couillon ! Tu sais, la corde que t'as dans ta sacoche de selle, tu pourrais me la faire tomber ? Hein ? Je sais que t'es qu'un cheval, mais tu pourrais faire un effort quand même. He ! Casse-Crâne !" appela-t-elle.

Bon, elle était encore capable d'aligner des mots, cela était une bonne nouvelle. Par contre, quant à si ça allait lui servir pour remonter... Ses yeux noirs parcoururent les environs, sans parvenir à percer totalement les ombres de la grotte où elle était tombée. Un roulement funèbre se fit entendre depuis les cieux. Putain de temps... Il ne lui restait plus qu'une chose à faire.

"A L'AIDE ! Casse-Crâne, donne-moi un coup de main, hennit un peu plus fort. A l'aide ! QUELQU'UN !" se mit-elle à beugler de la plus naturelle des façons.

Se relevant non sans inconfort, la demi-drow entreprit d'observer les limites du piège naturel où elle avait fini, non sans continuer de faire entendre sa douce voix, occasionnellement. Et puis, si cela retenait Casse-Crâne, le temps qu'elle remonte, c'était tant mieux. Ce canasson aurait pu lui dire qu'il y avait une faille, quand même... ! Autrement qu'en la laissant y tomber.

C’était pourtant pas faute de l’avoir senti venir, littéralement… Mais non, il s’était montré trop optimiste cette fois-ci quant à sa capacité à trouver un abri avant que l’orage ne soit sur lui et le voilà qui parcourt un chemin de terre avec sa pèlerine détrempée comme seul rempart contre les trombes d’eau qui s’abattent, fouettées dans leurs assauts par les cris déchirant du tonnerre qu’annoncent précipitamment les éclats lumineux perçant à travers l’obscurité qui a noyé les environs. A cet instant, il regrette de ne pouvoir voler… Combien d’orages et de tempêtes ils essuyèrent au cours des années passées, se jouant des vents troublés autant que des orages, pour finalement s’épanouir au-delà de monstres crachant fureurs et larmes sur la terre, les survolant paisiblement. Monarth lui-même a filé, se riant à sa manière de sa situation pour trouver un abri… Oh, lui, nul doute qu’il en trouvera un à sa mesure ! Quant à Pradias, il s’épanouit trop loin pour venir le tirer de là… Non, il était seul dans la tourmente, vraiment.
A mesure que l’obscurité gagne du terrain, il ralentit ce qui était une course à bonne allure - de celle qu’on peut soutenir de longues heures avec la motivation adéquate - pour ne plus avancer qu’à pas prudent parce qu’il n’y voit plus grand chose… Un sacré monstre se laisse porter par les vents au-dessus de lui.

Au bout d’un moment, entre deux coups de tonnerre lui parvient le hennissement d’un cheval. Redoublant d’abord d’attention, craignant une collision, il saisit toutefois rapidement qu’il s’en rapproche… Qu’il se rapproche d’un cheval immobile. La monture d’un voyageur abrité, veut-il croire, alors il tend l’oreille et s’y fit pour finalement distinguer l’animal effectivement sellé. Il tente de le rassurer quand il constate qu’il est nerveux, mais renonce quand d’autres sons se distinguent au milieu de la tourmente. Des appels à l’aide ?
Il caresse l’encolure du cheval, et s’en écarte légèrement pour suivre ces nouveaux sons… Grand mal lui prit dans cette obscurité, il ne saisit pas le danger et un faux pas l’entraîne sur la même pente que celle qui l’a précédé, et aucune tentative de rattrapage ne le sauve, déséquilibré par le poids du sac qu’il porte dans le dos. Le voilà qui bascule et glisse, incapable de discerner le haut et le bas, subissant sans trouver de quoi se ralentir et se rattraper… L’eau ruisselante est traître, rompant la promesse de salut des prises que ses doigts effleurent un instant. Cela ne dure qu’un instant, mais renonçant à ce secours, il se préserve autant que possible pour éviter de se rompre le cou.

Sa chute s’achève lourdement, le soulagement dans l’immobilité bientôt chassée par la douleur qui se diffuse depuis son épaule gauche, lui arrachant une plainte lorsqu’il recommence à bouger. Il se ménage, ne bouge pas, respirant profondément, cherchant à reprendre ses esprits. Très vite s’impose la présence dans l’obscurité, qui s’est probablement écarté précipitamment en l’entendant… Pas de menace ? Le propriétaire du cheval nerveux ? C’est qu’on trouve désormais des saletés dans la plupart des souterrains du continent… Bon, c’était certes le cas avant que les barbus du nord, d’une manière ou d’une autre, ne fassent cadeau au reste de Miradelphia des peaux-vertes qui infestaient leurs montagnes. Sa main droite glisse dans son dos, sous la pèlerine pour se saisir du manche de sa dague, on sait jamais.

“ Euh… “ Qu’est-ce qu’il était supposé dire dans un guêpier pareil ? “ Rien d’casser de ton côté ? “ Oui, c’est pas mal ça, car après tout, le reste, on s’en moque pas mal… Un nom ou des formules d’usage, ça vous tire pas du trou dans lequel vous êtes tombés, ça, non.

Bon… La situation n’était pas géniale, et l’idée qu’il se trouvait sous-terre, même légèrement, s’installait et entamait son travail, mais il fallait voir le positif : Il avait son sac et les moyens d’appeler à l’aide… Encore que…  

Un peu bêtement, la Grise regarda en clignant des yeux l'étrange énergumène qui venait de choir de là-haut comme un oisillon trop gros pour prendre son envol. Le bon côté des choses, c'est qu'il était encore vivant. Enfin... Encore fallait-il définir s'il allait être coopératif ou non. Un sourire goguenard lui vint alors qu'elle entendait un doute faisant écho au sien dans la voix du gars.

"Eh beh, pour un coup d'main, ça s'est un coup de main ! commenta-t-elle. Pas besoin d'sortir une arme, j'en ai rien à faire d'tes affaires. J'veux juste r'monter, hein ? Si on pouvait éviter de s'écharper pour que dalle, ce serait beau non ?"

S'accroupissant, à une certaine distance cela dit, la demi-drow fit risette de ses dents blanches à la figure de craie qu'elle découvrit. Allez, qu'il panique pas pour rien. Mais... Bigre, l'est plus pâle qu'un cul d'elfe ! De son côté, son teint gris évoquait la roche les entourant, tandis que ses mires noires ne reflétaient qu'amusement et que sa tignasse attestait de son atterrissage dans les feuilles mortes et la boue. Dans cette position d'enfant curieuse, sa chemise entrouverte baillait sur son torse aux charmes maigres, dont elle avait cessé d'avoir quelque chose à cirer depuis son départ du bordel maternel. Son bras douloureux, elle se le tenait sagement contre le ventre.

"Vraiment, dommage qu'tu sois pas resté là-haut, 'vec tes cheveux t'aurais pu faire une corde pour me tirer de là. Bon, vu qu'tu t'es pas mis à gueuler comme un goret, j'imagine qu't'es pas trop amoché non plus. T'aurais pas un copain là-haut Pour faire le travail, non ? Bon... Bah moi on m'nomme la Grise. Et toi ?" dit-elle tranquillement, à peine amusée par la situation.

Comme pour rappeler son existence, un hennissement familier se fit entendre. Super Casse-Crâne, toujours un plaisir de te savoir là.

Il relâcha la prise sur sa dague quand elle se mit à parler, à mesure qu’il retrouvait pleinement ses esprits et que s’amenuisait les risques encourus et adopta une position plus confortable. Cette détente fut pour ainsi dire la seule réaction qu’il parut avoir aux premiers mots qu’elle prononçait… C’est qu’il n’avait pas été prévenu qu’il y avait une demoiselle en péril, alors forcément, il avait pas prit ses dispositions pour paraître un digne chevalier servant encapé que ni la pluie, ni les orages n’auraient paru affecté, sinon, croyez bien qu’il y aurait mis les formes !

“C’est qu’le canasson m’a point prévenu du danger, mam’zelle.”

Bon, c’était pas la manière dont il avait l’habitude de parler, mais c’était celle qui s’y prêtait le mieux, alors il l’adopta tout naturellement, tout en ne cachant nullement la légèreté de ses paroles : Il n’était pas sérieux… Enfin, il ne l’était pas complètement. Parce qu’il disait vrai, le canasson là-haut, bon, il était nerveux et tremblotant, mais qu’attendre d’autre d’une bête sous un orage avec aucun abri ?

“Mais m’semble que t’as foiré ta prière… Fallait pas mélanger princesse dans sa tour et sauveur chevaleresque, tu les as embrouillé là-haut, ils ont pas bien su c’que t’attendais vraiment d’eux.”

Et c’est moi qu’ils ont balancé dans ce trou, se retint-il de conclure. On était bien loin du compte, c’est sûr, surtout après une telle entrée en scène. Il ferma quelques instants les yeux, se concentrant sur les liens qu’il partageait avec ses compagnons… Trop éloigné pour servir de véhicule à une pensée élaborée, il en fit les vaisseaux d’une requête plus simple : venez. Mais il doutait que Monarth sorte de sa cachette tant que durerait l’orage, quant à Pradias… Il viendrait, mais son secours ne prendrait pas l’habit d’une corde lancée et tirée, il faudrait trouver autre chose.

“Tu peux m’appeler Drystan, et le copain qu’j’ai là-haut risque de mettre un moment à m’retrouver… Et y a de fortes chances qu’il fasse décamper l’canasson et la corde.” Ah ça… Un dragon, c’est autre chose et un bestiau aussi nerveux, peu probable qu’il résiste à l’appel de la fuite en l’apercevant à proximité. Mais il n’en dit pas plus, il trouverait une solution… A vrai dire, il en avait déjà une, mais elle exigeait d’eux pas mal de patience. “Mais il peut nous sortir de là… Il va juste avoir b’soin de temps…”

De pas mal de temps...

Même pour elle qui avait côtoyé son lot de grouillots et de mercenaires, le changement fut trop criant : la demi-sang pouffa de rire. D'une ondulation, la donzelle se remit debout, non sans une grimace pour son épaule, baissant les yeux sur son partenaire de galère avec l'air peu convaincu. Quel genre est donc tombé du ciel ?

"Joli changement d'accent et de prononciation. Cependant, il était peut-être un peu brutal. Surtout avec cette apparence d'elfe qui a roulé dans la farine. Sang-mêlé aussi ? Enfin. Bienvenu dans cet humble trou, Drystan. elle fit une grossière révérence, ayant une brève pensée émue pour sa mentor, avant de tourner sur elle-même et de reprendre son parlé d'origine... Enfin, d'origine. A quelques influences près. T'm'excus'ras mais si ton copain m'fait détaler l'cheval, ça n'm'arrange pas : j'en ai qu'un. Bon, comment qu'on sort d'ici sans troisième larron pour lancer la corde ?"

Penchant la tête de ci, de la, de mi, elle inspecta les recoins de la crevasse, dégoulinante de la pluie toujours tombante, à la faveur des éclairs qui tonnaient à l'occasion. Trois fois rien, juste de quoi la faire sursauter une ou deux fois. Ses mires sombres se concentrèrent sur un point un instant, quand... Ah ! Il s'agissait bien d'un coin plus sombre. Simple renfoncement ou conduit ? Difficile à voir de là où elle était. Ses pas faisant un ravissant bruit de succion et de *Plouic plouic* sur le fond de boue, de feuille morte et d'eau tapissant le piège où ils étaient tombés, la demi-drow se tourna vers l'inconnu. Du moins, il ne semblait pas être prise de tête, c'était déjà ça.

"Alors, si ce n'est vexer l'Soleil avec tes airs de rayons de lumière, et changer d'parlé comme d'chausses, qu'est-ce tu dirais d'm'aider à monter là haut ? Bon, 'vec un bras c'pas gagner - j'vais bien douiller mais tant pis - y a p'tète moyen qu'j'me hisse puis qu'j'te tire ensuite. C'p't'être une sortie." demanda-t-elle, tout en haussant les épaules.

Un long frisson lui remonta le dos, en même temps qu'une grimace de douleur surprise. Raaaah réflexe, habitude, pas le moment, fait mal c'te saloperie !

“Qui puis-je si les Enfants ont creusé les fossés que je dois franchir ? Mais je dois te retourner le compliment, et te remercie pour ton aimable hospitalité, même si j’ai pas l’intention de trop en abuser.” Cette fois, il s’adressa en olyan, dénué du moindre accent. Il lui rendit un semblant de révérence, jouant comme elle l’avait fait, avant qu’elle ne revienne tout aussi brutalement à son parlé précédent. Qui qu’elle soit, quelqu’ait été ses motifs, elle avait apprit, malgré les airs qu’elle se donnait… Détail qui ne l’aiderait pas à se sortir de ce trou.

“Ton ch’val, j’l’ai senti fébrile, d’mon avis, il détalera sans qu’mon copain n’ait à l’pousser.” Quoiqu’avec un peu de chance, il allait rester figer sur place, le bougre, mais bon, il respecterait la volonté, puisque de toute façon, il faudrait un bon moment au dragon pour survoler les environs. “Mais soit, j’respecte ton souhait.” Inutile d’insister, d’autant qu’il fallait profiter qu’elle se soit pas interroger sur la nature du copain en question.

Il se libéra de son sac à dos, une grimace au moment de bouger l’épaule gauche pour en libérer le bras de la lanière et se releva pour examiner à son tour le trou dans lequel ils étaient fourrés. Il n’y avait effectivement aucune autre piste sérieuse que ce coin sombre. Alors sans discuter, ni forcément revenir sur les qualificatifs qu’elle employait pour le définir, il se déplaça pour se mettre sous le conduit espéré, s’accroupissant légèrement, joignant ses mains. Il risquait lui aussi de douiller, mais il faut ce qu’il faut, n’est-ce pas.

“C’est quand tu veux.” dit-il, sans chercher à la bousculer.

Et elle y alla sans trop traîner. La manœuvre ne fut pour aucun des deux une partie de plaisir et les épaules endolories se firent échos, quand l’une dut supporter sa part du poids pour donner un appui et une hauteur suffisante à l’autre qui se débrouilla pour aider sa propriétaire à se hisser comme elle pouvait dans ce qui se révéla un conduit - ou un renfoncement suffisamment profond pour qu’elle y tienne… Il était pas encore dit qu’il y ait un bout, après tout. Enfin, c’était pas le moment de se poser ce genre de question - enfin, normalement oui, mais bon, ils ne le sauront qu’en essayant et en avançant. Alors sa part faite, il revint à son sac sans tarder, défaisant sa pèlerine qui risquait de devenir une gène, l’enroulant comme il pouvait et l’attachant à son sac. Il défie également le baudrier qui soutenait son épée pour la prendre dans son dos, non plus à sa taille. Là-dessus, il récupéra son sac et revint à sa partenaire du moment.

“C’est bon pour toi ? Y a suffisamment d’place pour que j’monte ?” En disant cela, il hissa autant que possible son sac pour qu’elle le récupère. Elle tenait à son cheval, elle allait devoir se faire à l’idée qu’il n’abandonnerait pas ses affaires dans ce trou. Il la laissa le remonter, et recula de quelques pas, attendant qu’elle soit prête pour la suite. Lorsque ce fut le cas, il se lança à son tour, sautant et malgré la douleur, envoya son bras gauche pour se garder le droit pour se hisser avec son aide.

Elle allait ouvrir la voie, mais ce qu’il considérait comme une suite ne lui plaisait pas… Un conduit étroit, et l’espoir d’un réseau de caverne conduisant à une autre ouverture. Symboliquement, il pénétrait le domaine de l’Adversaire, concrètement, il troquerait l’étendue du ciel pour un monde étroit et étouffant. Niveau perspective, il avait déjà connu mieux. Mais encore une fois, quelle choix avait-il, à part atteindre et imaginer une solution avec son dragon ?

C'était le cas de le dire, le gars était plutôt du genre arrangeant. Non sans moult grimaces de douleur et injures marmonnés, la donzelle parvint en haut, se cogna la tête en se relevant sans faire attention puis se pencha pour... Soulever le sac de Drystan. Bon, elle pouvait comprendre que l'on tienne à ses affaires. Même coincé dans un trou pareil.

Se faisant gratter le derrière par quelques arrêtes rocheuses et fourbes, elle ne se mit pas moins en place pour réceptionner le gars et... Douilla à nouveau gaiement. L'idée étant de ne pas le lâcher, elle employa son bras douloureux pour la soutenir, et le valide pour l'accrocher. Cela ne fut pas de tout repos, il y eut fort ahanements, injures et souffle de bœuf avant que - enfin ! - il soit tiré de là à son tour. Dans leur dos, une cavité obscure s'enfonçait sous terre, seul espoir de sortie... Pour qui n'avait pas peur du noir.

L'épaule pulsant de douleur, le dos raide d'avoir tant forcé dessus faute de pouvoir se reposer complètement sur le bras porteur, le demi-drow se malaxa distraitement l'épaule... Tout en regardant Drystan avec des yeux ronds. Avant de les plisser, de se pencher vers le faciès pâle, à peine éclairé par la lumière lunaire que dispensait le trou dans le plafond. C'était léger, c'était... Sans trop réfléchir, elle fit mine de tendre la main, puis se ravisa. La demi-pénombre n'aidait guère pourtant elle ne doutait guère de ce qu'elle avait entrevu, alors qu'il levait le visage vers elle pour mieux sauter.

"Hmmm... C'est p'tète pas l'moment mais... Dis-moi... C'pas banal c'que t'as là. Ton - euh - visage. C'est... Une maladie de peau ?" dit la demi-drow, perplexe.

Bien que ne risquant guère d'en souffrir, la demi-sang avait vu son content de pauvre hère ou de catin finissant avec des horreurs sur le corps. Elle en avait transporté des pelletés pour les brûler, c'était pour dire ! Pourtant, en voir un énième d'aussi près, c'était... Perturbant. D'autant qu'elle ne parvenait pas à dire si c'était dérangeant ou... Beau. Bizarre. J'aime pas c'mot parce que l'on y met tout et n'importe quoi - surtout n'importe quoi - mais pour l'heure je dirais... Bizarre. Ou particulier, c'est pas mal aussi. Pas clair aussi. Enfin, ce n'était pas faute pour Drystan d'être plus pâlot que la Lune, mais quant à sa gueule et ses manières... Eclaicir un peu les choses avant de s'avancer plus avant dans un espace étroit avec un étrange guss derrière, comme devant, ne serait pas de trop.

“Quoi ? C’est si moche que ça ?” Il prit un ton exagérément offusqué, s’en amusant manifestement malgré leur situation.

Il se doute que sa question n’a pas ce sens, évidemment, et il observe que fonction des croyances et du vécu, les gens interprètent de façons variées… Sort raté, malédiction, maladie… A croire que sans le dragon pour souffler la bonne réponse, celle-ci n’est pas aussi évidente pour les gens de ce temps qu’elle ne devait l’être pour ceux qui vécurent dans le coin y a plus de deux cycles.
Mais il a depuis quelques temps déjà pensé la réponse qu’il donnerait à ces interrogations : la vérité.

“Mes écailles ?“ Il commence par mettre le mot correct sur la “maladie”. “Témoignage d’amitié d’un dragon.”

Oui, brut et à l’intonation, on peut imaginer un haussement d’épaule de celui que l’idée indiffère, c’était pourtant la vérité, mais sans dragon à côté pour en attester, l’idée paraît sûrement plus folle que toutes les autres. Il ne put toutefois pas s’empêcher d’en rajouter.

“T’en fais pas, pour ce que j’en sais, c’est pas contagieux.”

Ça vaut le crédit qu’elle veut bien lui accorder, mais c’est pas plus cher. Mais bon, leur situation n’était pas propice à ce genre de conversation, et son épaule et son bras gauche continuait de lui signaler que cette position inconfortable ne pouvait pas durer. Alors il se permit de repousser le moment de satisfaire la curiosité de cette Grise, et d’y mettre une “carotte” pour l’y encourager.

“J’te propose qu’on essaie d’voir si ça débouche sur quelque chose d’un peu plus large, on y sera mieux si tu veux causer et j’ai de quoi nous rafistoler un peu dans mon sac, mais là, ça ferait plus de dégâts qu’aut’chose.”

C’est pourquoi - outre le fait que pour un vagabond qui ne “gagne pas sa vie”, ce genre de matériel, ça se remplace pas si facilement - il tient tant à emmener son sac. Des flacons de baume jusqu’aux provisions qu’il contient, il y a dedans ce qui peut faire la différence entre leur survie et leur mort.
Et les rôles s’inversent ici momentanément pendant que la Grise, pourtant à la manoeuvre depuis qu’ils sont dans le trou se met à hésiter ou à réfléchir.

“Tu permets ?” Mais ça n’est qu’une question rhétorique, et celui qui s’est montré arrangeant - mais qui n’a en tête que le fait d’aller de l’avant, indifférent à la manière d’y parvenir - encourage la sang-mêlée à se coller à la paroi tandis qu’il passe devant avec toute l’élégance et l’efficacité d’un rampant avec un seul bras réellement valide, poussant prudemment son sac devant lui, tâtonnant constamment pour éviter un mauvais coup.

Quelques minutes, ou davantage, s’écoulent, dans ce qui lui paraît une longue, pénible et lente progression dans ce goulot de pierre irrégulier avant de parvenir à quelque chose de nouveau. De l’espace, et de la hauteur - pas de quoi tenir debout - surtout, dans ce qui présente comme une cavité. Toutefois à l’oreille, car autant dire qu’il y a un moment qu’il y voit pas grand chose, elle ne semble pas faire partie d’un ensemble plus vaste. Plus qu’à espérer que ça ne soit pas un cul de sac, même si la perspective de s’enfoncer davantage le dérange, mais à l’instant, il veut juste souffler un peu.
Il finit par pouvoir se remettre à quatre pattes - ou plutôt trois -, poussant son sac jusqu’à l’une des parois, et gardant un contact avec le plafond irrégulier, il manœuvre pour s’asseoir. Il écoute sa partenaire de galère progresser à son tour, et se met à fouiller dans son sac, prenant successivement plusieurs flacons, les ouvrant dans un “ploc” caractéristique de bouchon qui saute, les reniflant avant de les reboucher et de les poser. Quand il trouve le bon, il applique le baume sur son épaule endolorie en serrant les dents. De quoi le soulager un temps.

Il ne faut pas longtemps pour qu’il en revienne à la Grise, s’approchant d’elle, et en tâtonnant, trouve sa main avant de lui mettre en évidence le flacon qu’il a déposé à côté.

“Ça va soulager la douleur un moment, mais pas de folie.”

Soit il est fou, soit il a un drôle d'humour, soit... La troisième option est impossible. Normalement. En tout cas, il a de la suite dans les idées, donc on devrait s'en sortir. Tant qu'il ne lâche pas un rire hystérique en se lacérant les parties... Ca n'a pas trop l'air d'être son genre. J'espère. Après un bref mologue intérieur statuant sur le bon sens de le rejeter en bas pour se barrer fissa ou non, la demi-drow permit au fou supposé - et poli ! Elle ne savait si c'était inquiétant ou rassurant, en fait - de passer devant, avec la grâce d'un asticot trop anguleux pour son tunnel.

Un peu moins grande que le gaillard, elle eut ensuite un peu moins de peine à progresser dans le tunnel obscur, tout en ayant droit à son lot d'écorchures et de reliefs désagréables sous la paume de son bras valide. Parvenue à son tour dans la cavité, la demi-drow tenta de se redresser... Et en fut pour un égratinage de crâne. Légèrement amorti par sa crinière sombre. Elle n'en lâcha pas moins une injure bien sentie.

"Par l'con d'la gueuse ! Mal éclairé, étroit et rapeux. Manqu'rait plus qu'des Gobelins et on s'rait verni... Y a comme une odeur d'ailleurs... Elle sursauta à son contact, avant de sentir le verre froid dans sa pogne. Oh... Tu m'étonnes que t'y t'nais à ton sac. On fait 'vec ce qu'on a, merci en tout cas."

Ne se faisant pas prier davantage, la demi-drow s'installa comme elle put à force de tâtonnements, et profita de son col ô combien large - il serait nommer décoleté s'il y avait quelque chose à voir - afin d'exposer son épaule meurtrie et d'y appliquer le baume, non sans une légère grimace. L'odeur va m'imprégner l'vêtement tiens.

"Donc... t'es ami avec un... Un dragon. Et t'as des baumes. T's'rais pas guérisseur des fois ? Alchimiste ? Mystique ? Et les dragons, comment ça s'fait qu'y en ait encore ? Tu m'excus'ras mais j'ai un peu d'mal à l'croire. Ca se saurait, s'il en restait, non ? Ou c'est un genre de dragon miniature ? fit-elle, décidant d'accorder un brin de crédits à son vis-à-vis, plutôt que de rire aux éclats d'une telle histoire, au risque que ce soit mal pris, dans des conditions guère confortable pour un pugilat. Y a bien des rumeurs mais... Un truc qu'a disparu, ça revient pas comme ça, si ?"

“Vas pas nous attirer la poisse, c’est l’dernier endroit où j’veux recroiser ces vermines.” Il ignore si la Grise en a croisé le moindre, lui, il en a vu son comptant dans les montagnes d’Anaëh, sauf qu’il lui serait jamais venu à l’esprit de s’enterrer dans leurs nids… Oh que non, il préférait s’en servir de cible d’entraînement depuis le ciel ou se contentait fort bien de les repérer pour les guerriers elfes.

Pendant qu’elle applique le baume, son esprit s’égare à nouveau, parcourt les dizaines de lieues sur lequel s’étire le lien, faiblement, il sait qu’il se rapproche, quand bien même il ne serait pas d’un grand renfort pour l’instant, cette idée le rassure et il s’y accroche un instant avant que sa partenaire de mésaventure ne laisse à nouveau s’échapper d’autres sons que des injures.

“Pas b’soin d’être magicien pour s’fabriquer des baumes, t’sais. Quelques conseils de la part d’herboristes, un peu de pratique, et l’tour est joué.” Bon, du temps, de la méthode et du soin évidemment, agrémenté d'un peu de lecture, et c’était des recettes simples, le nécessaire indispensable à la vie débrouillarde d’un vagabond, en somme, de celui qui peut pas s’payer les soins d’un guérisseur ou qui n’a pas un prêtre sous la main pour le rafistoler.

Il en vint à sa dernière question, et malgré son attitude, il y perçut un soupçon de doute, alors il s’y engagea, sans toutefois avoir à l’esprit de simplement énoncer ce qu’il savait, car rien ne le distinguerait d’un menteur ou d’un fou si elle n’était pas encline à croire… Et à vrai dire, il ne cherchait pas à la convaincre, mais s’en tenait à la vérité.

“T’es vraiment sûr de ça ? Jamais entendu parler d’un cousin lointain Alphonse, disparu et même mort d’puis des lustres pour ses proches et qui réapparaît d’on ne sait où, accompagné d’une foule d’histoire abracadabrantesque, avec une femme et des chiards dans les bras ?” Bon, peut-être pas, mais si elle n’en avait pas dans sa famille, elle en connaissait peut-être. “L’monde est vaste, pour c’qu’on en connaît, et l’ciel est plus vaste encore… Si l’on écarte l’idée d’monstres de la taille d’une montagne, qu’un p’tit nombre ait vécu à l’insu des peuples, dans les contrées les plus sauvages et inaccessible, s’pas si fou que ça, non ?”

Qu’elle y réfléchisse un peu, mais en attendant, il avait sa propre curiosité à satisfaire… Et même si il allait visiblement insouciant, savoir avec qui il traînait dans ce sous-sol n’était pas une mauvaise idée selon ce qui pouvait arriver par la suite.

“Bon, j’cause, j’cause, mais pendant c’temps, j’sais pas grand chose sur toi, la Grise ? J’comprends que t’es une sang-mêlée, ça oui, et que tu as la langue pendue et un vocabulaire fleurie. Mais qu’est-ce que tu f’sais avant d’tomber dans c’trou ?”

"Alors, par chez nous c'pas un Alphonse mais plutôt un guss qu'a trouvé son plaisir ailleurs, pis qui s'dit qu'il était mieux chez sa première conquête... Mais j'vois l'idée. dit la Grise avec un sourire amusé. Bon, d'accord, j'connais pas les tréfonds d'Mira, donc y a sans doute plein d'choses qu'j'préfère pas imaginer dans les coins. N'empêche... Tu veut m'dire qu't'es allé t'chercher un dragon dans l'trou du cul du monde, sans être sûr d'en trouver ? Et qu'il t'aurais pas beckté alors ?... Bon, d'accord, c'mon tour d'raconter un brin..."

Elle s'amusait la Grise ! Les histoires, c'était son moment préféré. Bon, celle de Drystan lui paraissait un peu trop 'légendaire', à base de monstres qui n'existaient plus, mais ça n'en était pas moin plaisant à imaginer. Enfin, peut-être aurait-il d'autres détails intéressants à raconter. Pour l'heure... Elle tressaillit, ayant poussé plus que de raison sur son épaule douloureuse.

"Tss ! Bon, c'que j'faisais ? J'cherchais à m'planquter la pluie, pourquoi ? sourit-elle, un brin frigorifiée et trempée dans le sous-terrain rocailleux, tout en appréciant de ne plus avoir à souffrir les larmes des dieux. J'vadrouille. J'ai perdu mon gagne-pain y a quelques ennéades. Maintenant j'cherche d'quoi r'bondir. Du coup, j'retourne à Thaar. En général, y a d'quoi y faire, pour qui sait chercher et causer 'vec qui y faut. En ayant fini avec son épaule, elle tâtonna pour refermer le flacon puis le déposa, toujours à l'aveugle, près de son propriétaire, avant de continuer avec énergie. V'la. Ca fait un peu d'bien ton truc. Et avant qu'tu t'inquiètes, j'fais dans l'réglo'. Faire l'molosse, m'occuper des ch'vaux, d'la tambouille... C'qui faut pour avoir d'quoi grailler sans tremper dans d'mauvaises histoires, en somme. Et toi donc, ami d'dragon, d'où qu'tu viens et où tu vas ?"

Tout en disant cela, la demi-drow se déplaça en suivant les parois, cherchant la suite du chemin... Avant de glapir quand le sol ne fut pas là où il devait être.

"Morbleu ! Bon, f'fait gaffe, y a des trous." grommela-t-elle, tout en continuant de chercher, le coeur battant suite à cette soudaine frayeur.

Faut dire que l'gars s'étant vidé les bourses dans sa mère avait eu la bonté d'lui laissé quelques attraits d'sa race, par contre, pour les yeux, il s'était abstenu et dans les grandes largeurs !

“Oh, j’vais pas juger d’la façon dont tu te remplis les poches et le ventre, hein, j’pense pas que tu t’sois mise dans c’trou pour un boulot de toute façon.” Dit-il tout en rangeant le flacon dans son sac. Il écoute lorsqu’elle se déplace jusqu’à se laisser surprendre par un vide, vraisemblablement. Ils devaient continuer d’avancer avec prudence, mais il prend note d’un détail : elle y voit pas mieux que lui dans ces ténèbres… La branche eldéenne de ses ancêtres lui avait pas fait ce cadeau là, dommage.
Bref, c’était une débrouillarde, comme il y en avait beaucoup, de plus ou moins doué, particulièrement dans cette partie du monde où l’on survivait à l’ombre de l’abondance des Prince-Marchands, qu’il était bien mal placé, avec sa vie de vagabond, pour juger de quelques manières.

“J’viens d’ici et d’ailleurs… J’traîne à travers l’continent, j’survis avec ce qui s’présente.” Bon, c’était plus tout à fait vrai depuis quelques années, mais bon, il était déjà difficile de le croire pour le dragon, alors lui expliquer que la veille, il était à des centaines de lieues d’ici, en la Cité Blanche, ça marcherait pas.

“Sinon, c’est pas c’que j’ai dis, non… Enfin…“ A bien y réfléchir, à part la conclusion en elle-même, c’était bien ce qu’il avait fait, oui. Il s’était lancé à la poursuite d’une chimère, sans savoir bien où commencer, à travers les terres stériles et l’ancien empire nisétien. “C’est compliqué, j’essayais d’retrouver ma femme, tu vois ?” Ca n’explique rien, et ça rend les choses encore plus tordues, mais la manière dont elle avait résumé la chose la rendait complètement stupide et insensé, ce qu’il n’avait jamais envisagé sous cette angle… Il cherchait désespérément sa femme disparue, après avoir perdu son ami et vu sa vie être réduite à néant… Sa poursuite d’une chimère, il n’envisageait pas d’en revenir, m’voyez ? Donc oui, c’était une folie, mais c’était la seule chose qu’il lui était venue à ce moment là.

Allez-y, vous, expliquer ça à une étrangère en ajoutant comme défi supplémentaire d’y mentionner des créatures quasi-divine disparue depuis des lustres… Tout ça dans une foutue cavité étroite dans laquelle il voyait rien et où grouillaient potentiellement plus loin des sales vermines qui, elles, y voient bien. Allez-y en essayant de pas paraître complètement cinglé, on vous regarde !

Bon, là, il reste un instant silencieux, sa phrase étant morte entre ses lèvres en se rendant compte de l’énormité qu’il suggère. Bon, et maintenant ? Qu’est-ce qu’il peut dire ? Il va pas se lancer dans un résumé des dix dernières années en cent quarante deux caractères, tout de même, c’est un dragon blanc qu’il monte, pas un piaf bleu ! Il prend un moment, pense aussi bien que sa claustrophobie qui s’agite et qu’il s’emploie à maintenir à l’écart le lui permet… Il peut essayer, ou bien la laisser penser qu’il a pas toute sa tête - ou que c’est un fabulateur qui se la raconte dans une telle situation… mais dans quel but ? Elle n’a pas grand rapport avec une jolie princesse qu’un chevalier veut épater pour s’arracher sa virginité, soyons honnête, et il ne se pense pas encore perdu au point de vouloir se faire plaisir une dernière fois.

“Bref, c’est c’que j’ai fais, ouais, mais pas là que j’l’ai trouvé… Mais c’est une longue histoire, on verra une fois dehors.” Bon, il choisit l’option la plus simple… L’esquive, même temporaire ! C’était pas le moment, ni l’endroit pour se dévoiler à une inconnue, après tout, et au diable ce qu’elle pouvait bien en penser. Et pour appuyer sa stratégie sa fuite, il se dit que rebondir sur la découverte qu’elle a fait un instant plus tôt n’est pas la dernière des mauvaises idées.

“Si tu te sens en état, faut qu’on voit si on peut aller plus loin.”

Oula. Pourquoi qu'il devient silencieux tout à coup ? Inspectant au touché les parois, avec plus de précautions cela dit, la demi-drow n'en restait pas moins aux aguets. Son histoire abracadabrante mise à part, le guss se montrait sympathique. Les plus belles ordures savent l'être, cependant. Cela dit, ce qu'il avait dit avant - histoire de femme - la fit plus pencher pour une histoire un peu pesante. Hésitant un instant à se racler la gorge, chantonner quelque chose ou juste percer l'abcès avec de gros sabots, la Grise fut cependant soulagée de l'entendre reprendre contenance. Aller d'l'avant c'est l'plus important présentement. Et c'était plus simple de ce focaliser là dessus que sur un hypothétique dragon. La demi-sang ne savait ce qui la dérangeait le plus, entre la possibilité que ce soit vrai ou qu'elle soit coincée sous le sol avec un fou. Ou juste baratineur. Un très bon en ce cas.

"Qu'j'le sente ou pas, s'pas en restant ici qu'ça va s'arranger. J'me rappelle pas m'être jamais fait conseillée par un soigneur d'me r'poser dans une grotte pour soigner c'genre truc. pouffa-t-elle, avant de pousser une exclamation d'enthousiasme. Ah ? Ca descend pas c'passage-la."

Y risquant ses doigts tout en s'avançant doucement, la demi-sang se heurta rapidement le crâne à des pointes de pierre - stalactites sans doute - qui lui grattèrent gaiement le cuir chevelu, tandis que le sol se sur-élevait... Mais pas le plafond. Avec un grognement agacée, la Grise eut le sentiment au bout de même pas, quoi, deux mètres de cette progression, en venant à se contorsionner avec le déplaisir de tirer sur son épaule, qu'elle ferait mieux de se transformer en fée pour passer par là. Cela aurait l'intérêt d'apporter un peu de lumière aussi, peut-être. Malheureusement son sang mêlé ne lui donnait pas non plus cette merveilleuse capacité de métamorphose.

"Bon, par là, c'trop serré pour nous j'pense. A moins qu'on s'affame. P'tète que des sacs d'os passeraient mieux. Elle se tut un instant, fronçant les sourcils. L'trou d'une dame d'p'tite vertue est plus accueillant qu'ça, bordel."

Revenant en arrière le cul en avant, là demi-drow se laissa tomber dessus avec un soupir agacé.

"Alors, soit on attend ton ami j'sais pas combien d'temps... Soit on voit où qu'ça descend... Attend voir." marmonna-t-elle.

Cherchant dans le noir, la donzelle trouva sans peine une roche à son goût. Retrouvant vaille que vaille la faille dans laquelle elle avait manqué tomber tête la première, elle y lança son projectile, qui fit entendre un 'POC' froid presque aussitôt. Et ce fut tout.

"Ah ! J'avais peur qu'ce soit bien profond, mais non. A pas l'air de dégringoler non plus. Se reculant, la Grise se rassit, interrogative. Qu'est-ce t'en pense ? Ton copain arriv'rait avant qu'on meurt d'faim ? Si on finit pas par s'bouffer ou s'entretuer, mais j'préfère avancer plutôt qu'on en arrive là, quand même."

Cela dit avec grand naturel. Gardant tranquillement la peur à l'écart. C'était une chose que de se faire poursuivre par des couillons dans les rues de Thaar, encore une autre que de se paumer en forêt elfe... Mais se retrouver coincée dans un boyau souterrain à la con, sans lumière... Merde.

“J’suis pas soigneur, ça doit être ça.” Il se garde le reste de sa réflexion, mais dans un tel environnement et sans y voir, il est partagé entre la volonté d’essayer de voir si une issue existe et la nécessité d’aller prudemment, de ne pas se laisser diriger par une précipitation malvenue. Pendant qu’elle inspecte les possibilités qu’ils ont, écoutant d’une oreille, il s’efforce de réfléchir, de chasser la claustrophobie qui le veut hors d’ici au plus tôt pour écouter une voix plus sage.

Ils peuvent avancer, certes, mais en l’état, peuvent toujours reculer, retrouver la lumière du jour et par ruissellement récupérer de l’eau de pluie en attendant les secours… Si ils s’engouffrent à l’aveuglette - littéralement - plus loin, il n’est pas dit qu’ils trouvent la moindre issue, ni qu’ils soient en mesure de revenir en arrière.

“Mon copain est d’jà en route… Mais il est loin…” Il ferme les yeux un instant, mais lorsque le lien est aussi étiré, jaugé la distance et le temps qui les sépare est impossible. Des dizaines, probablement même plus d’une centaine de lieues… Même pour lui, cela représente plusieurs heures. Et même présent, il fallait encore les sortir de là… Parce qu’il était pas dit qu’ils réussissent leurs petits tours dans un espace aussi confiné que le trou dans lequel il était tombé. Bon, c’est pas la seule option, et il avait moyen de trouver de l’aide… Mais rien qu’imaginer le dragon blanc intercepter un voyageur pour tenter de le convaincre de venir ici n’est pas évident. “Et même avec lui, c’est pas gagné…” Il est songeur, il n’aime pas cette situation de laquelle ne se dégage aucune option particulièrement favorable.

“L’manque de lumière, c’est l’problème.” Ça, et potentiellement l’eau, si ça vient à durer et qu’ils ne trouvent pas de sources souterraines, il a quelques provisions dans son sac si vraiment ils en viennent à être affamés et épuisés, et en l’écartant  des soucis, il lui fait comprendre.

Chassant ses inquiétudes momentanément, il prend sa décision. “Bon, on va continuer.” Et là-dessus, de décider de se porter volontaire. “J’passe devant, et si ça continue, j’te préviens, tu m’envoies l’sac et tu m’rejoins.”

Là-dessus, et très prudemment, il s’installe à côté du trou repéré par la Grise, ne voulant pas y tomber tête la première, s’y assit, les jambes dans le vide et s’engage sans se précipiter. Ces pieds ne tardent pas à rencontrer le sol, et en s’appuyant sur la paroi, il s’accroupit pour examiner l’espace, jusqu’à ce qu’un son l’attire particulièrement. Faible, tout juste perceptible : un écoulement d’eau… Un ruisseau souterrain ?
Après avoir jeté le caillou pour se faire une idée de ce qui se présente, il rampe dans sa direction pour se retrouver dans un espace plus important, le son se répercute et se perd dans certaines directions, des galeries ? Impossible de se faire une idée de l’endroit, mais la présence du ruisseau offre de nouvelles perspectives, bien que l’absence de vent ne suggère pas une sortie immédiate, avec ces idées en tête, il revient vers l’espèce de retranchement sur lequel débouche le trou.

“Bon ! Y a comme un système de galeries par là, et un ruisseau. P’t’être qu’en l’suivant, il nous mènera dehors.” Il s’introduit dans l’espace en vue de récupérer son sac que la Grise laisse tomber, et il finit par ajouter. “Gaffe à ta tête, surtout.” C’est qu’elle s’était cognée plus d’une fois, alors bon, on sait jamais. Il pouvait encore avoir besoin d’elle, c’était pas encore le moment qu’elle se fracasse le crâne.

"Lumièèèèèèèèèèère !" eut envie de gueuler la Grise. Cependant, une once de bon sens la retint, une telle action n'ayant guère d'utilité si ce n'est leur vriller l'ouïe dans ces espaces réduits. Plutôt contente que Drystan soit du même avis - tout en s'interrogeant quant à son ami : comment comptait-il le trouver, s'il était si loin ? Une autre affabulation ? Quelque secret mystique lui échappant ? L'or se mange-t-il ? -, la demi-drow répondit présente pour la manoeuvre, gardant toujours le précieux sac de l'ami du dragon, tout en guettant, à l'ouïe, ce qu'il advenait de lui.

Au loin, il y avait le 'POC POC' de gouttes d'eau, sinon il y avait ce silence qui n'en était pas un, évoquant celui de l'intérieur d'une bête endormie, d'espaces plus vastes que la galerie où ils se trouvaient... Mais où ? Et s'ils pouvaient les trouver sans s'y vautrer, ce serait bien.Avec une sortie vers l'extérieur, s'il vous plait.  Il y avait aussi l'écho du dehors, d'éclair, de la pluie, qui gouttait dans la faille. La Grise fit la moue, faute d'entendre encore un quelconque bruit rappelant qu'elle avait un cheval. Puis, les pas de son camarade de galère recouvrirent le reste, crissant un peu sur la roche.

"Parfait, allons-y ! s'exclama-t-elle à voix basse, avec un entrain à peine forcé. Très aimable. Même si j'aimerai bien qu'mon crâne ait la solidité d'un casque, j'suis pas sûre qu'me l'fendre à tort et à travers aide."

Une fois qu'elle se fut laissée tombée sur ce qui s'averra bel et bien une faible hauteur, la Grise invita Drystan à prendre les devants là vers là d'où semblait venir le bruit puis... Elle suivit, tout simplement. A quatre patte, ce qui n'était pas le plus agréable ni pour ses genoux ni ses mains, tout en appréciant que les stalactites y soient bien moins nombreuses et que le boyau ne semble pas chercher à les écraser. Concentrer sur cette tâche simple, suivre la présence qu'elle devinait devant elle, dans un environnement qu'elle ne percevait que par l'ouïe et le touché, soit des échos caverneux et quelque chose de froid et dur. Un peu humide sur les bords.

Comme le temps s'écoulait étrangement, sans grand repère autre que leur respiration et leur frottement régulier sur la pierre, quand un caillou mal placé ne les surprenait pas désagréablement. Brusquement, la Grise papillonna des yeux, ayant l'impression de percevoir autre chose que le noir complet. Comme une forme devant... Noir sur fond... Gris. Oh ! Lumiiiiiiiiiè - zut, pas encore, attend de voir. Sans vouloir pressé Drystan, la Grise penchait la tête de gauche et de droite, pour apercevoir ce qui s'annonçait par delà la chevelure pâle du lascard. En plus, ça veut dire qu'on s'est pas trop éloigné de la surface, ce qui serait chic !

Finalement, ils atteignirent le bout de leur petite galerie, sur un petit 'balcon' rocheux, donnant sur une cavité un peu plus grande que celle où ils étaient tombés. Nimbant l'espace, un rayon faiblard de lumière rendait le tout gris plutôt que noir. La demi-drow poussa un court soupir de soulagement, toujours légèrement opressée par la situation... Avant de déchanter en réalisant qu'au sol, à la faveur de la faible luminosité, des formes blanchatres caractéristiques se distinguaient sur le sol sombre. Et puis... Les 'ombres' remuaient.

"Tu sais bien te battre toi...?" souffla avec précaution la demi-sang.

Dans l’obscurité, le temps et les distances s’étirent et une certaine fatigue le gagne peu à peu… Pas physiquement, non, bon, son épaule le dérange, le contact prolongé et répété avec la roche dure s’en ressent sur les mains et les genoux tandis qu’ils parcourent cette galerie à quatre pattes, son sac sous lui, pousser par ses jambes, les écorchures se multiplient à mesure que des irrégularités se présentent, mais tout ça, c’est pas grand chose. Non, la fatigue est ailleurs. Il s’épuise à lutter contre le mal être qui le gagne, l’impression de suffoquer lentement le mine alors que la progression se montre particulièrement exigeante et prudente afin d’éviter les pièges naturels qui peuvent se dresser… Et dans un joyeux cercle vicieux, cette précaution le ralenti et l’expose plus longtemps à ces conditions.
Au bout d’un moment, les conditions changeantes excitent sa vigilance, chassant le reste sur l’instant… Il y a de la lumière… Pas grand chose, mais quand vous avez traîné dans l’obscurité la plus complète, contempler un environnement constitué de subtiles nuances de gris sombre - mais des nuances tout de même -, c’est un sacré changement. Mais il y a autre chose dans l’air… Des odeurs qui suscitent à la fois un soulagement et une inquiétude, quelques sons nouveaux.

Bon… A ce moment là, il sait pas trop quoi penser, déjà qu’il est fort occupé autrement, parce que d’une part, ils paraissent engager dans la bonne direction, mais à priori, ils sont pas forcément seuls dans ces souterrains… Une envie de maudire la Grise lui vient si il devait s’agir de gobelins lui vient, qu’il écarte parce que c’est absurde et inutile, mais tout de même, elle aurait pu s’abstenir !

Alors quand ils débouchent sur une cavité plus importante, il est aux aguets, forcément… Bon, ils ont du bol, ils débouchent sur une espèce de balcon qui surplombe un genre de fosse. Qu’ils soient sortis dedans, et il n’aurait pas donné cher de leurs peaux, mais non, ils sont au-dessus. Ouf ! Et un soupçon de lumière pour aller avec, en voilà des bonnes nouvelles ! Bon, là où ça se gâte - vous vous attendiez pas à ce qu’ils s’en sortent comme ça, tout de même ! -, c’est que le sol de la fosse, il bouge, enfin, il remue… C’est vivant en bas, vous comprenez ?
Bon, sa partenaire a comprit le problème, mais en même temps, c’était pas difficile, mais au moins, elle n’a pas fait de bruit, c’est déjà ça de gagner.

Il ne répond toutefois pas, à sa gestuelle qu’elle peut désormais légèrement distinguer, il scrute les ombres, mais pas la fosse, ça, c’est secondaire même si le noeud du problème s’y trouve… Il est déjà à l’étape suivante, il cherche dans les ombres la suite, une issue à rejoindre. Mais les choses changent en dessous, ça s’agite… Ça se réveille.
Une quinzaine de créatures s’activent tranquillement sous leurs yeux, ce qui au moins suggère qu’ils sont pas en état d’alerte à cause de leur intrusion, pour l’instant. Et voilà que le dragonnier scrute les ombres, nulle peur dans son attitude, il est curieux mais surtout, il paraît comme un prédateur à l’affût, sauf qu’au contraire d’une meute de loups cherchant l’individu faible ou vieux qui résistera le moins, il tente de distinguer la force de ce groupe. Et sa surprise fut grande lorsqu’elles se mirent manifestement à parler. Oui, ça cause là-dessous ! Bon, aucune langue connue, évidemment, faut pas trop en attendre, mais c’était pas des sons quelconques ou des grognements ! Et rien de comparable avec les gobelins - il identifiera bien plus tard ces créatures comme étant des kobolds… Alors il reste silencieux, sa concentration chasse le reste, il cherche sa proie.

Ça s’agite, et ça se dispute vivement… Et c’est là qu’il l’aperçoit, alors que deux semblent commencer à se battre, un troisième, légèrement à part au départ s’en mêle et impose avec une certaine brutalité - toute relative, ce sont des kobolds, pas des géants - son autorité, arrachant l’objet - sûrement de la nourriture - de la discorde et se l’appropriant sans qu’aucun n’ose le contrarier. Un chef… Des créatures suffisamment maligne pour avoir un langage et une hiérarchie. Il souffle très bas, en désignant la vague forme qui rejoint sa place et que parviennent à capter ses yeux. “C’est lui qu’il faut tuer.”
Il n’entendait pas tuer l’ensemble, il n’en avait pas besoin, au contraire, que des fuyards les guident vers une hypothétique sortie, ça l’arrange bien.

En se contentant de cette réaction, dans son attitude, il répond à sa manière à la question qu’elle lui a posé plus tôt. Il sait se battre, chasser et tuer, mais surtout, il sait qui et son attitude pourrait faire froid dans le dos tant elle paraît celle d’un tueur expérimenté - ce qu’il est, d’humains comme d’autres créatures. Un temps, il cherche aussi d’éventuels rivaux, des forts qui pourraient être gênant, mais il n’en distingue pas assez, ne saisit que le chaos qui semble régir ce groupe d’une quinzaine d’individus, seulement atténué par l’existence d’un fort, d’un “dominant”. Et il se rabat sur sa proie, et sur le moyen le plus sûr et le plus simple de parvenir à elle sans risquer l’incident de parcours.
“Je vais m’occuper de lui… Observe, choisis ton moment… Pas de grands gestes.”

Il laisse derrière lui son sac, et prend position, accroupi, tirant non son épée mais sa dague jusqu’à lors soigneusement dissimulé à l’arrière, et il y va, un petit saut, il se laisse tomber sur ce qui était un genre d’estrade où repose le “chef”. Et là… Tout ce passe pas exactement comme il l’a planifié… L’essentiel est un succès, hein, la question n’est pas là ! Un sol irrégulier, qu’il ne voit pas forcément, une mauvaise réception et c’est une de ses chevilles qui lui envoie un message particulièrement douloureux et rend la manoeuvre périlleuse… Mais pas le temps de s’en soucier, il se jette sur sa proie - plus maladroitement qu’il l’aurait voulu -, qu’il comprend être une espèce de lézard bipède lui arrivant à la taille, ne prend pas le temps de s’étonner des écailles qu’il trouve sous ses doigts et s’attaque avec vitesse et autant de précision que les conditions le permette pour trancher la gorge - la relative résistance n’est rien face à une lame bien conçue et faite, non pour frapper mais bien pour trancher propre et net - de son adversaire dont la force était finalement très relative dans un cri rageur - pas dans son habitude de faire ça, mais bon, il a un public surprit à impressionner, alors il donne de la voix le bougre !
Dans un râle où se mêle spasme et son d’une gorge tranché, le dominant s’écroule devant le dragonnier qui se détourne de lui sans attendre pour hurler face au reste du groupe dans une esquisse de provocation sauvage, tout en adoptant une garde aussi convaincante que peut le permettre une cheville qui flanche.

A voir comment les choses tournent, mais le voilà dans la fosse et face à son destin.

Concentrée, la Grise n'en regarda pas moins son camarade faire avec des yeux ronds. Des baumes, un dragon, et maintenant... Un p'tit guerrier légendaire, sait-on jamais ? Qu'il vacille un instant la fit déchanter, mais si peu : il en avait eu un... ! Se retrouvant cernés par le reste de la troupe de créatures, semblait-il ahuri devant l'apparition soudaine d'un ennemi, et le décès tout aussi brusque de leur... Chef ? Dominant ? Plus gros machin ? Choisir mon moment hein... Ayant une brusque idée, la Grise descendit à son tour, mais de l'autre côté. Un mauvais placement de pied transforma son ébauche de plan subtil en chute bruyante, où elle eut la bonne idée de tomber sur le flanc... Et l'épaule. La douleur fusa telle une comète, faisant s'égosiller la drow dans un beuglement de douleur, mais surtout de rage.

"BEUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !"

Épaule de bordel de p-... Se redressant presque aussitôt, le coeur au bord des lèvres, ayant mal derechef d'avoir bougé, la demi-sang jugea tout à fait dans le ton que de se défouler en donnant de brutaux coup de pieds dans les créatures les plus proches, tout en continuant de faire des vocalises.

"FILSDEGOBELINAQUEUEMOLLE ! J'VAISVOUSARRACHERLESBOYAUXETM'EN FAIREUNECORDEPOURVOUSPENDRE* !" brailla-t-elle.

Cela eut comme effet positif d'atténuer légèrement la douleur, tandis que les créatures, tétanisées par la première attaque, cédèrent tout bonnement à la panique face à la petite géante braillarde qui distribuait des coups de bottes comme une boulangère son pain un jour de famine. Sans trop se poser de questions, tout au plaisir de ce défouloir après une chute, beaucoup trop d'obscurité, et une épaule qui ne semblait plus avoir pour but que de lui compliquer la vie, la demi-sang se jeta à la poursuite des fuyards, qui se faufilèrent précipitamment dans de multiples petits conduits où un enfant n'aurait pas apprécié passer... Ainsi qu'un autre, plus grand. Un nouveau braillement, un coup de pied qui rata sa cible... Et la Grise retomba mal, trébuchant sur un os, s'effondrant comme un sac de viande avec un grognement sourd. Là, elle roula sur elle-même en gémissant, rendant sa grimace à un crâne de bovin, avant de se retrouver sur le dos.

"Épaule de merde... Je... Ils sont partis ?" souffla-t-elle.

Redressant la tête, la Grise balaya l'espace obscur de son regard encore plus sombre, constatant que, si ce n'est les créatures qui s'étaient assommées toutes seules - ou avec l'aide d'un pied - dans la cohue, ne restaient qu'eux deux, le cadavres et des ossements.

"Je... Bon... Laisse-moi deux secondes..."

Avec un grognement, la demi-sang frissonnante laissa retomber sa tête sur la pierre.

Pour les yeux fatigués:

Quel bordel ! Pendant quelques instants, il ne comprit pas vraiment ce qui se produisit juste sous son nez, son entrée en scène en elle-même n’avait pas eu pleinement l’effet escompté, les kobolds n’avaient pas pris la poudre d’escampette, pas plus qu’ils n’avaient attaqué, l’information n’avait probablement pas dû faire son chemin au moment où dégringolait la Grise avec la subtilité et la grâce d’un païm dans la boutique d’un potier, accompagné de sa flopée de jurons – et d’une volée de coups de botte qu’il ne vit pas. Dès lors, ce fut la débandade, la fuite désorganisée et irréfléchie vers les issues les plus proches au cours de laquelle certains s’assommèrent avant d’être copieusement piétiné par leurs compères… Un sacré boxon qui ne manqua pas d’arracher un sourire au dragonnier.
Alors oui, la méthode est discutable, il est même possible qu’un éternuement depuis les hauteurs ait pu produire le même effet, mais le résultat est là : Ils sont vivants, relativement indemne et les kobolds sont en fuite.

Il ne prend pas la peine de répondre  à une question qu’il considère purement rhétorique, s’accorde lui aussi quelques instants pour réfléchir tout en revenant au dominant agonisant sans bruit, éprouvant sa cheville sur quelques pas : plus de peur que de mal à condition de ne pas faire de folie, c’est pas gagné, mais il lui faut s’en contenter. Il prend quelques instants, récitant une courte prière dans la langue d’Anaëh avant d’achever sa “proie”. Il aurait pu faire sans, probablement, mais la situation ne s’y prête guère. Il en profite pour examiner la curieuse créature, espèce de reptile humanoïde sans probable rapport avec les dragons mais dont il était convaincu qu’un naturaliste pentien, un jour, soucieux d’ajouter à la terrible représentation des dragons voleurs de Souffles et des cultistes qui les élevaient aux rangs des dieux, tombant sur eux décréta qu’il s’agissait là du devenir de ces hérétiques, changés et abrutis par les malveillantes créatures.
Il profite de ce moment auprès du dominant pour commencer à penser la suite et s’en détourne pour alimenter ce qui commence à poindre, car il n’a pas précipité cette situation sans idée, et la fuite des autres lui apprend des choses, tout comme ce qui se trouve dans cette cavité… Mais une priorité après l’autre, et il devait récupérer son sac, ce qu’il fait, manipulant son épée par la lame pour se saisir d’une des bretelles et l’attirer vers lui. Il le dépose non loin du cadavre avant de se mettre prudemment et doucement - c’est pas le moment de glisser sur un os, n’est-ce pas - à parcourir le reste de la “fosse”, examinant certains ossements - particulièrement les crânes - au toucher pour essayer de déterminer ce qu’il trouve, et ce qu’il saisit lui donna le sourire.

“Y a moyen de sortir de là.” Incapable de dire où, il en avait acquis la certitude parce qu’il y a là les ossements venant d’animaux de l’extérieur qu’il avait bien fallu amener ici. “Faut pas qu’on s’attarde trop… On les a surprit, faut pas qu’ils aient l’opportunité de se reprendre et d’inverser les rôles.” Mais le ton ne suggère pas un départ immédiat, il ne faut pas négliger les organismes et ménager les forces. Bon, certes, c’est peut-être leur prêter une capacité de réflexion et d’organisation qu’ils n’ont pas, mais la Nature à la dérangeante habitude de rendre les faibles particulièrement vicieux, pour compenser et assurer leurs survies sans doute. Les gobelins en étaient un parfait exemple. Alors pour l’heure, ils sont en fuite et sans chef, mais qu’on leur laisse suffisamment de temps et qui sait, ils seraient capable de tendre des pièges dans les galeries, plus loin, et avec une visibilité inexistante, aucune chance qu’ils s’en préservent.

Il prit tout de même le temps de s’asseoir et de souffler, car le pire pouvait venir, à présent… Les galeries et les cavités qu’ils parcourent à l’aveugle, ils les partageraient désormais avec d’autres potentiellement rancuniers. Alors y avait de l’espoir, certes, mais y avait aussi des perspectives bien moins réjouissantes en vue.

“J'sais pas depuis combien de temps t'étais dans s'trou, mais t'as p't'être faim, non ?”

A présent que les créatures s'étaient enfuies, allongée, la demi-sombre se laissa aller à écouter la pluie, gouttant à travers la fente du plafond, ainsi que le grondement étouffé du tonnerre, encore présent. Que fichait sa maudite monture... Que Casse-Crâne s'enfuit et la demi-sang serait emmerdée comme jamais, avec seulement ce qu'elle avait sur le dos pour survivre, et ses pieds pour marcher jusqu'à Thaar. Aux environs de Sol'Dorn, en slalomant entre les terres des despotes sombres... Quelle bonne idée. Y a p'tète mon père dans l'tas. Si je me présente à une porte en disant 'Je suis ta fille', est-ce que j'aurais une chance de me faire offrir une monture et de nouveaux vêtements ? Frissonnant sur la pierre froide, la Grise pouffa. Voilà qui était un merveilleux plans pour mourir prématurément. Qui s'ajoutait à la longue liste de ceux qui lui venaient, quand elle se laissait aller à réfléchir à ses sornettes. Elle avait pas de père, et c'était très bien. Enfin, tant que ça ne lui coutait rien de poser la question par-ci par-là... Elle tourna brusquement la tête.

"T'as à grailler ?!" s'exclama-t-elle, soudain plus vive, revenant au moment présent, à la grotte humide, et à son étrange compagnon de galère.

C'est qu'en plus du dragon, elle l'avait entendu chuchoté elfique... Et voilà qu'il sortait de la nourriture de ses narines ! Enfin, de son sac, mais si elle l'avait su plus tôt... P'tète qu'il aurait été moins enclin à partager. C'était toujours mieux que l'autre propose avant qu'elle ne se jette sur ses affaires sans permission. Enfin, elle laisse ses réflexions derrière elle, vautrant à moitié en se relevant pour rejoindre Drystan, et le cadavre plus gros que les autres qui refroidissait. Son empressement valait toutes les réponses. Quand il lui présenta quelques maigres fruits et baies, la demi-sang manqua afficher une moue de dépit... Puis son ventre lui rappela les priorités. Avec un sourire de ravissement, elle s'empara de quelques-uns - ne pas abuser, ils étaient encore coincés sous terre - et croqua à pleine dent, se faisant surprendre par la douceur de certains, et la dureté d'autres. Dans tous les cas, ce maigre en-cas fut apprécié comme jamais.

"P'tète pach longtemch... baragouina-t-elle sur les dernières bouchées. Mais tout çach *Cronch* m'a donnée faimch... Pis l'bestioles du coin c'chachent mal. Ou j'ai pas eu d'chanche, ch'est chelon."

Son épaule pulsait gaiement après qu'elle se soit agitée comme cela sans la moindre retenue mais, tout à son bonheur, la demi-sang n'en avait pas grand chose à faire, se crispant juste quand un geste le lui rappelait un peu trop. Se léchant ensuite les doigts avec application, elle observa un temps la bête morte... Puis les ossements alentours. Avant de poser son regard noir sur la silhouette pâle, dans la semi-pénombre.

"'Vec les os pis les hardes d'ces machins, j'crois qu'on a d'quoi s'bricoler des torches. fit-elle, songeuse, avant d'ajouter. Mais je me demande : t'as une tête de demi-sang, mais tu parles elfique. Tu viens d'où en fait ? Avant qu'il puisse répondre, elle leva les mains pour le devancer, l'air amusé et curieux. Moi, de Thaar. Et toi ?"

Il faut croire que ça faisait un moment qu’elle y était, dans son trou, pour fondre de la sorte sur l’opportunité qui s’offre à elle ! Un tel empressement l’incite à y aller doucement sur les quantités proposées, non parce qu’il veut pas trop partager mais pour s’épargner une collègue indisposée et le désagrément d’une diarrhée dans un espace confiné. C’est qu’il sait pas encore combien de temps ils seront dans cette galère, alors si il peut éviter d’ajouter l’odeur à la liste des malus qui rendent cette petite virée particulièrement déplaisante, il le fait sans hésiter. Alors il partage, oui, mais avec modération ! Pour sa part, il pioche à peine dans ses réserves et préfère profiter de la pause pour s’emparer de sa gourde et y prendre quelques gorgées mesurées avant de la proposer à la Grise. “Quelques gorgées, pas plus.” Avec le ton, on se trouve à mi-chemin entre la recommandation et l’ordre. C’est qu’il faut pas mal de temps pour mourir de faim, en réalité, mais beaucoup moins sans eau, alors forcément, il est plus regardant sur le rationnement.

Il rebouche la gourde et range le tout, se lève pour faire quelques pas, éprouver sa cheville qui continue de lui envoyer de vives alertes sans toutefois se défausser. Là-dessus, elle fait une suggestion pas si bête à laquelle il répond avec une boutade déguisée. “Ca s’pourrait bien qu’on puisse, ouais… T’as un briquet ?” C’est méchant de se moquer, certes, mais ça l’empêche pas de sourire dans l’obscurité et d’imaginer la tête qu’elle tire quand son idée brillante - c’est le cas de le dire - se casse la figure. “Dans l'sac d’la monture…” qu’elle répond, alors il en rajoute une couche, le vilain. “Ah… Plus qu’à sortir de là pour la r’trouver et on pourra s’faire des torches, ‘ffectivement.” Mais elle perd pas le nord, et c’est avec un certain dépit qu’elle se retourne vers ses ressources. "T'en a pas dans ta sacoche magique ?" Et le voilà dans le rôle du magicien et de son mystique Sac-Sur-Demande qui livre baume, nourriture, eau et autres bricoles en un éclair ! Si seulement, il en aurait sorti une échelle dès le départ ! Mais il veut se montrer joueur, alors parce qu’elle insista précédemment tant sur ses airs d’elfe ou de Soleil, il continue. “Nan, fallait que j’fasse un choix entre la brosse à ch’veu et l’briquet, et bon… tu comprends, l’sens des priorités…” Bon, à partir de là, elle paraît saisir. "C'sur qu'avec un tignasse pareille... Pas trop usant d'la garder blanche comme ça ?" Ils sont toujours sous terre et sans solution pour s’en sortir, il faut le rappeler, mais ça l’empêche pas de continuer. “Pas trop, les elfes m’ont donné des p’tites astuces millénaires et la brosse est enchantée afin qu’ils restent blancs, lisses et soyeux ! C’est important.”

Il rebrousse chemin, et se penche sur son sac, à nouveau, y cherchant en faisant traîner les choses, en énonçant une liste de plus en plus farfelue d’objets tous plus inutiles les uns que les autres avant de se saisir d’une petite boîte métallique dans laquelle se trouve son briquet à silex en acier, un peu d’amadou et un petit silex. Il lui tend le tout, accompagné d’un “J’ai bien ça, mais j’sais pas si ça nous sera très utile…” Quitte à jouer à l’abruti, le faire jusqu’au bout, non ?
Là-dessus, en lui laissant le temps, avec les mains, d’identifier ce qu’il lui a confié, il répond à la question qu’elle a posé… Et c’est dans ce genre d’occasion que le personnage qu’il est devenu prend corps. Il n’a plus la notion d’origine ou d’appartenance à une terre, à une cité : il est la part humaine d’un esprit dominant le ciel au-dessus des terres et des mers, porté par les vents qu’il commande. “J’viens d’Anaëh au fait, j’suppose.” Il semble ne plus être certain du sens, alors il précise. “J’y suis né, grandi, revenu…” En se disant d’Anaëh, il s’épargne l’inconfort de ne pouvoir tromper ceux qui ont toujours connu la Principauté, Thaar et ses méandres. “De partout, de nulle part. J’ai vécu parmi les Hommes, construit, perdu, fuit… J’ai vécu parmi les souvenirs perdus de la grandeur, abandonnée de ses dieux, desséchée… Un esprit m’a donné des ailes, arraché à la terre et offert aux vents.” Les mots lui vinrent spontanément, un brin songeur alors qu’il s’est réinstallé aux côtés de la Grise. Des années plus tôt, il renonça à se créer une histoire complexe… Ses origines changent, le reste pas tellement.

"Si tu pouvais être encore moins clair, ça m'arrang'rait, j'ai peur d'presque comprendre que'que chose à ton bazar. fit la Grise, mi-figue mi-raisin, tout reconnaissant ce qu'elle avait demandé. Fichtre, elle a une drôle d'forme ta brosse ! T'arrive  à t'brosser 'vec ça ?!"

Sans trop savoir pourquoi, après cet échange des plus coquasses, elle se sentait s'énerver. Un rictus forcé sur son visage gris, à la faveur de la demi-obscurité, la jeune sang-mêlé mit la main sur un os, puis l'un des tissus dont était paré le gros kobold mort. Avec des gestes vifs, elle enroula ce dernier autour du premier, puis s'évertua à allumer la torche improvisée, frappant le briquet sur une pierre adéquate, espérant une lumière franche et chaude... Sans un tissu merveilleusement imbibé d'huile, cela s'annonçait plus laborieux que souhaité.

"Loin d'moi l'idée d'remettre c'que tu dis en doute, mais entre ton histoire mystique, pis ta vivacité d'guerrier, puis tes baumes et ton dragon, j'y comprends pas grand chose... Les étincelles tardaient à prendre, et l'objet précieux ripait plus qu'à son goût non loin de ses doigts... Mais bon, il fallait bien tenir le bouzin. ... Si c'n'es qu't'as pas envie d'causer, qu't'sais pas où t'en es ou qu't'aimes bien raconter des histoires, sauf la tienne. Et qu't'es mauvais conteur, aussi, pour ménager ton public." Elle lui adressa un sourire crispé, dans la lumière grise, avant de s'y remettre.

Brusquement, l'éphémère éclat prit racine sur le tissu sale, et la demi-sang s'évertua à souffler doucement dessus, l'avivant, lui souhaitant plein de marmailles flammèches, tout en le pressant contre un morceau plus grand. Modérant son excitation, elle regarda juste avec une satisfaction extatique le feu mordre à pleine dents dans la torche, offrant un peu plus de lumière... Et une odeur guère agréable, mais ce n'était pas important. Avec un petit rire ravi, elle éclaira le visage pâlichon de son compagnon, manquant lui griller une mèche, avant de se reculer, avec un sourire chafouin.

"Enfin ! M'sire qui suppose, on sort d'là ?" fit-elle, amusée, avec une pointe d'agacement rodant encore dans ses mots.

Après quoi elle se redressa avec un petit élan, grimaça quand cela tira sur son épaule, avant de lui tendre une mimine. Elle lui eut bien botté le derrière une bonne fois, à faire des manières alors qu'ils étaient dans une situation suffisamment inconfortable comme ça !

Pour le coup, elle le surprend à montrer des signes d’agacement… Elle tient tant que cela à une vérité en laquelle elle refuse de croire ? Bon, dans l’absolu, il aurait pu s’en moquer, sauf qu’ils ne sont pas tirés d’affaire et qu’il faut préserver la coopération qui les a conduit jusque là. Alors oui, il s’est montré flou, mais à l’exception du point de départ, il n’avait pas menti. Mais ça ne plait pas à sa camarade de galère, qui malgré un langage fleuri n’est pas beaucoup plus causante… Mais c’est pas en rejetant sur elle qu’il va faire retomber la tension et chasser l’agacement qui la mine.

“T’y tiens tant, à la vérité ?” Question rhétorique alors qu’il pouvait pour la première fois la détailler à la lumière plus régulière que les éclairs qu’offre la torche. “Ca r’mettra pas en cause c’que j’ai dis, c’que j’possède hein ? Qu’j’ai pu être maître-espion dans les contrées humaines, qu’j’y sois presque mort… Qu’je sois dev’nu chevalier et même baron plusieurs années avant qu’le roi meurt et qu’j’sois contraint d’m’exiler avec mon épouse.” Il fit une pause, et continua. “Qu’elle ait été liée à un dragon et qu’j’décide de faire des recherches et d’filer dans les terres stériles et pis l’ancien empire pour la chercher ou pour crever, vas savoir.” Il offre suffisamment pour qu’elle puisse à loisir raccorder les mots qui lui ont échappé plus tôt. “Qu’après des années, et face au double échec d’avoir pas pu la r’trouver ni d’avoir su crever là-bas, j’sois rev’nu dans les contrées humaines pour tomber sur un d’ces dragons puis d’une Gardienne qui finit par m’confier un oeuf… Qu’celui qui en sorti me contraint à d’venir vagabond, à m’débrouiller seul, et à apprendre des choses utiles comme de préparer des baumes pour pas claquer dans la nature. Qu’au bout de tout ça, j’sois rev’nu en Anaëh pour qu’il y grandisse sans crainte, et qu’là-bas, il m’a changé, physiquement mais pas que… Parce qu’un Blanc, ma chère, c’est un esprit libre tu vois, pas territorial pour un sous, alors quand il a pu m’porter, il m’a donné des ailes, et pas qu’à ma chair…” Puis, rebondissant sur le nouveau surnom qu’elle lui donne cette fois encore, il conclut. “Alors ouais, j’suppose, parce qu’j’ai plus rien qu’y m’retient ou m’rattache où qu’ce soit… T’imagine pas c’que le monde peut être petit d’là-haut, combien il d’vient futile de s’contenter d’un p’tit coin.”

Là-dessus, il se leva à son tour, pour la rejoindre, et de finir. “J’t’ai offert la version abrégée, mais l’savoir ou non, ça r’met pas en cause qu’c’est la vérité. Mais ça change pas non plus l’fait qu’ces histoires, c’est un autre qui les a connu… Qu’ce type, j’le retrouve plus dans mon reflet, j’le retrouve même plus en me souv’nant.” Il y a de la gravité dans ses mots, contrastant avec des traits qu’il s’emploie à garder léger. Tout ça, c’est du passé, il ne veut pas regretter ce qu’il a perdu en chemin pour en arriver là.

“Et toi alors, tant qu’on en ait à s’présenter autrement qu’avec nos noms, à part v’nir de Thaar, d’te présenter avec un surnom et d’faire des p’tits boulots plus ou moins réglo à droite à gauche pour gagner ta croute, tu racontes quoi d’beau ?” Il ne voulait pas uniquement détourner la conversation, mais bon, quand on déballe son sac, on est en droit d’attendre de l’autre qu’il en fasse autant. Et tant pis si c’est du temps de lumière perdu, y a d’autres choses à brûler à présent qu’ils ont de quoi supporter le linge enflammé.

Autant dire que le sourire de satisfaction de la Grise, en réalisant qu'il se mettait à table, ne fit pas long feu. Passant de la stupeur à l'interrogation, puis à la confusion et enfin une certaine gêne, la jeune demi-sang déglutit face à l'étranger dont l'existence ressemblait au délire d'un saltimbanque en faisant des caisses pour tirer la larmichette à son public... Au détail près que c'était dit avec trop de verve, trop d'émotion, et trop de lassitude aux relents de désespoir pour être une jolie pièce. Et puis, aussi abracadabrandesque que cela puisse paraître, cela sonnait pour elle bien plus concret "J'suis né, grandi, revenu, partout et nul part, etc etc etc...". Bon, et à vrai dire, la petite lumière émanant de sa torche des plus pittoresques n'arrangeait pas la gueule de son vis-à-vis. Il semblait garder son calme, mais les flammèches avaient le chic pour faire danser des ombres guère rassurantes.

"Eh beh... T'en as fait du ch'min. souffla-t-elle en se tirant le bout d'une oreille, avant d'ajouter, non sans une ébauche de rire gêné, face à l'étranger qui se levait pour s'approcher. Et j'suppose qu'c'est à moi d'me mettre à table ? Tu m'as coupée la chique, ça, y a pas à dire."

Affichant une moue pensive, le temps de s'y retrouver, la demi-sang observait non sans une certaine perplexité Drystan, avant de se perdre définitivement dans ses souvenirs, une main tenant la torche puante, l'autre fermée à demi, lui frottant la joue, alors que ses lacs noirs regardaient... Ailleurs.

"Par où qu'j'commence ? Rien d'bien rocambolesque, j'en ai peur. J'suis née dans un bordel d'Thaar, d'père inconnu, comme bien d'autres. Enfin, inconnu, j'sais au moins qu'c'était un noirelfe. Pis c'que m'en a dit ma mère. M'enfin, c'pas l'sujet. Elle lorgna du côté de son auditoire, guettant les réactions, avant de poursuivre. J'me suis barrée d'là quand y fut question d'vendre mon cul, qu'avait pris son temps pour murir. Dans la rue, j'ai volé, truandé, l'nécessaire pour survivre,avant d'me dire qu'si j'voulais vivre vieille, c'tait un bon moyen d'raccourcir mon existence, alors j'me suis rangée. Fin', j'ai tapé dans les jobs réglo' quoi. Elle haussa les épaules, s'attardant guère dans l'émotion, si ce n'est les formulations. Une mage elfe a pris l'temps d'm'enseigner deux trois bricoles et que'ques manières, m'hébergeant qu'ques années, avant qu'ses ennuis la rattrapent et qu'elle se taille je n'sais où. J'suis r'tournée dehors, mais j'en avais marre d'Thaar, du coup j'suis partie avec la première caravane qu'a bien voulu m'engager pour des broutilles. Puis l'reste... T'as bien saisi, j'ai bougé au gré des occasions et d'la monnaie qu'j'avais. Ou pas."

Sur cette conclusion sans gloire, elle lui fit un rictus chafouin, quoiqu'un peu crispé.

"Comme dirait ma mère, c'est moi d'bout en bout. Les mêmes galères d'puis vingt ans, j'connais juste plus d'visages et d'planques, et j'ai plus d'cicatrices. Pis, pour l'surnom, c'mon nom, pas c'lui qu'm'a donnée ma mère, Mleshka s'tu veux savoir, mais c'lui par l'quels les gens m'reconnaissent l'mieux. Va savoir pourquoi. Un bout de langue amusé fit son apparition, avant de disparaître, puis elle rigola, faisant un signe de tête vers la gueule blanche qui lui faisait face. J'sais pas quel nom tu portais, mais maint'nant tu t'f'rais appeler l'Ecailleux, dans l'genre, qu'ça m'étonnerait pas. Ça t'irait bien. Ça vend bien, tout cas."

A la lueur de la torche, la demi-drow détaillait plus aisément la gueule de son vis-à-vis. Vraiment, il y avait bien là des écailles... Comme gueule curieuse, il se posait-là, c'était le cas de le dire ! Comme c'était étrange que de découvrir pareil détail... La crinière noire, encombrée de poussière, bouts de caillasses et de boue séchée, oscillait au fil de son inspection à la franche curiosité, et du frémissement de ses oreilles, tout en levant la tête parfois avec une stupeur admirative.

"Alors y a un dragon là haut qui t'cherche... Et... Dis voir, si j'peux te d'mander... Ca t'manque, l'avant ? L'ancien toi ? demanda-t-elle, ne faisant plus guère sa bravache, ayant désormais plus l'air d'une jeunette un peu perdue devant quelqu'un ayant bien vécu. Puis, elle ajouta, plus doucement. Pis... Désolée pour ta dame. C'pas très plaisant dire c'genre d'chose comme ça. J't'aurais payé une pinte si y avait une taverne proche, tiens."

« T’en fais donc pas pour ça, ça r’monte et j’ai eu l’temps d’faire mon deuil. » Quelques années plus tôt, l’Avatar de Tyra l’avait soulagé de ce poids pour de bon en lui confirmant qu’elle avait rejoint Son Royaume, qu’il ne l’avait pas abandonné en renonçant. « Mais j’te prends aux mots, et la prochaine fois, tu m’devras une pinte, qu’on dédiera à nos vies vagabondes, va ! » Une remarque amusée pour détendre l’atmosphère appesantie par leurs récits. « Pour c’qui est du dragon, il m’cherche pas… pas encore. Il est loin mais en route. » Conscient que la chose peut apparaître curieuse – même si dès lors qu’est admis l’existence d’un dragon, c’est peu de chose -, il décide d’improviser une explication. « On est lié, euh… Nos esprits communiquent… Bon, en l’état, ça r’vient à pincer une ficelle tendue et à constater la vibration à l’aut’ bout, mais j’sais qu’il approche. » C’est simplifié mais ça donne une bonne idée de ce qui n’a aucune consistance.

« Pour c’qui est d’avant… C’pas simple. On va dire qu’je regrette des gens, mais pas tant l’reste que j’faisais par devoir. Y a tant d’choses que j’ai vu, faite, apprise et vécu d’puis qu’j’traîne en liberté, qu’aurait pas été possible qu’il n’y a pas lieu d’regretter. » Pour s’élever, il s’était investi et épuisé au point de développer un regard critique du monde dans lequel il baignait, sa presque-mort et la révélation qui l’accompagna ne furent qu’un coup de pouce pour basculer… Quant à la chevalerie, à son temps comme seigneur… Que dire sinon qu’il avait poursuivi loin sa quête et sa réflexion, qu’il s’y était noyé avant de saisir qu’il s’agissait d’une impasse, d’un authentique idéal inatteignable, qu’on devait poursuivre mais dont tant se parait comme d’un riche costume en société sans se soucier du sens véritable des mots, du serment. Il regrette les hommes et les femmes, ce que leurs présences et leurs conversations apportèrent et dont il est privé.

Mais il ne perd pas totalement son temps à parler, en même temps qu’il répond, il examine les corps inconscients des quelques créatures qui se sont assommés quand ils ont débarqué, récupérant les haillons sales et gras qui servent de vêtements pour alimenter la torche tout en examinant avec la lumière leurs curieux hôtes… Voilà un sujet de recherche quand il sortira de là.
Il a évidemment écouté le récit de la Grise, qui, s’il n’est effectivement pas rocambolesque n’est pas sans mérite malgré tout. Pas une vie simple, la plupart s’en serait pas si bien sorti, endetté jusqu’au cou ou mêlé à des histoires crasses qui menacent d’exploser à tout instant, prostitué, esclave pour les plus débrouillards des perdants, mort en cours de route pour les autres. Qu’elle s’en soit sortie en évitant tous ces pièges, ça montre qu’elle est maligne et plutôt débrouillarde question survie et conservation.

« Y en a un joli paquet qui se s’rait perdu en ch’min. Alors ouais, ça va pas intéresser le barde d’autant que tu pourras pas allonger la monnaie, mais t’en as pas moins d’mérite. » Et ce n’est pas des mots en l’air, oh que non. Tôt ou tard, il lui faudrait revenir dans ce monde-là, dans lequel il sait qu’il est d’autant plus difficile d’être exigeant et de rester soi-même quand on nait avec peu, qu’il reconnait la valeur de ceux qui y parviennent. « En tout cas, j’garde dans un coin d’la tête l’Ecailleux, qui sait, il m’servira plus tard. »

Là-dessus, considérant qu’il n’aura loisir de se présenter sous ce surnom qu’à la condition de se sortr de ce trou, il reprit son sac sur ses épaules. « Bon… J’te propose qu’on s’remette en route, on se sort de là et on r’discutera avec l’ciel au-dessus d’nos têtes, ça te va ? »

Fichtre, une aut' dette. Une contractée de bon coeur cela dit, se dit-elle en observant Drystan faire son curieux. Drôle d'endroit, drôle de discussion. Les propos du lié draconnique font mouche, assombrissant davantage la figure de la demi-drow... Avant qu'elle ne réalise qu'il y a là aussi un compliment. Oh... Ce qui pare d'un peu de rose sa figure grise. De la part de quelqu'un qui semble avoir fait un bon tour du monde, c'est plutôt appréciable. Tu lui accordes beaucoup d'crédit mine de rien... Il a des écailles, tudieu ! Ce qui lui fit se demander si elle aurait jamais l'occasion de le voir, ce dragon responsable de ce fait. Pour cela, il leur fallait sortir.

"Ouai, j'crois qu'on a assez trainé. J'sais pas toi, mais l'sous-sol ça m'rend nerveuse. s'amusa-t-elle, avant de se tourner vers leur potentielle sortie, un boyau plus grand que les autres. Verra bien où ça nous mène. Allez, on a d'la lumière en plus !"

Ce qui ne l'empêcha pas de faire des torches supplémentaires, au cas où. Il y avait assez d'ossements et de tissu putride pour ça. 'Vec un peu d'chance, l'odeur d'leur truc cramé va les faire fuir. Espéra la demi-sang, tout en délaissant derrière elle le rayon blafard tombant du plafond, pour s'enfoncer à nouveau sous la terre, Drystan derrière elle. Avançant dans le tunnel frais, la Grise redouta à plusieurs reprises qu'il ne se révèle un cul de sac. Cela s'averra vrai pour plusieurs jonctions où ils se risquèrent, débusquant par-ci par -là d'autres kobold, qui détallèrent vivement à leur vue, ce qui ne manqua pas d'amuser la Grise, qui en rajouta gaiement une couche en beuglant de nouveau tout en agitant sa torche puante.

Ce petit plaisir mis à part, ils durent parfois avancer de profil, se rapant le dos où le torse contre la roche irrégulière - la demi-drow y trouvant une autre raison d'apprécier de ne pas avoir hérité de la morphologie généreuse des drows -, durent avancer penchés pendant une petite éternitée, firent moult détours... Jusqu'à ce que l'air se fasse plus agité. Un courant d'air ! Autant dire que les deux égarés remontèrent la piste avec un regain d'énergie fébrile, quand bien même ils se retrouvèrent à barboter dans un maigre ruisseau, dont la présence renforça cette espoir.

Brusquement, la Grise fit halte, manquant dévaler la descente rocheuse devant elle, où serpentait sans heurt le liquide clair. Après tant de boyaux, ils retrouvaient une cavité adapté à leur taille... Avec, à son extrémité, comme une ouverture lumineuse. Sans autre précaution que cette halte, la demi-drow prit les devant avec enthousiasme, manquant perdre l'équilibre dans la descente, galopa comme un capris jusqu'à l'ouverture et... Jaillit avec un cri de joie sous un ciel gris et toujours pluvieux. L'exclamation ne prit fin que quand, après avoir tourné follement sur elle-même, elle se laissa tomber par terre, sa torche mourrante achevant sa puante existence dans la boue. La drow n'y prétait pas attention, elle respirait seulement à plein poumon l'air du dehors, ses vêtements poussièreux finissant détrempés par la pluie, après avoir commencé à sécher dans les souterrains.

"On est... Sorti..." souffla-t-elle avec un air idiot sur la figure.