Et sinon, ils sont tous aussi flippant dans la famille ? | Mac & Zaz

Au plus chaud de l'été - 1ere ennéade de Karfias
17e année du XIe Cycle
Début d'après-midi

Le soleil brûlant de l'Ithri'Vaan avait été une nouvelle épreuve... Et en même temps une victoire dont Elghinn savourait le goût exquis. Après quatre ennéade de chevauchée en solitaire à travers les plaines de sel, les dunes de sable et les terres craquelées, il était enfin arrivé aux faubourgs de Thaar. En sueur, sa veste noire bridée d'or devenue crasseuse de la poussière du voyage, mais entier. Et surtout, il avait réussi à s'orienter et à ne déclencher aucune bataille d'aucune sorte avec les bipèdes qu'il avait croisé. Et il avait fait tout ça seul, sans la moindre aide.

Cela faisait plus de deux ans qu'il avait quitter ces terres de peur, de beauté, de combats et d'étrangetés. Il y revenait aujourd'hui fier comme un prince... Et le premier constat était que les gens étaient nettement plus aimables quand on était petit et fragile. Il avait bien failli se faire couper la main par un vendeur dont il avait taxé l’échoppe d'une poignée de baies, comme il le faisait parfois dans ses souvenirs. Et pour éviter de perdre cette part fort utile de son anatomie, il avait du payé en piécettes de métal. Il avait détesté le ton condescendant du marchand... mais il en avait profité pour prendre également une énorme mangue parfaitement mûre, qu'il faisait a présent sauter dans sa grande main, l'autre tenant la bride de son destrier palomino.

En vérité, la matinée était à peine entamée lorsqu'il avait commencer à chercher dans les rues et dans ses souvenir, la porte à laquelle il voulait aboutir aujourd'hui... et cela faisait plusieurs heures qu'il y était, dans les rues vidées par le cagnard. Mais il était près à s'obstiner le bougre. Il avait fait tout le trajet seul et sans aide, ce n'était pas pour aller s'écrouler sur les divans de sa mère à la dernière étape ! Après s'être vivement débarbouillé grâce à l'eau froide d'une fontaine publique où les habitants du cru avaient lorgnés sur ses vêtements avec un air désapprobateur, il avait reconnu une façade... Puis une deuxième... Et bientôt, il se trouvait enfin devant la demeure qu'il cherchait avec tant d'assiduité. Son sourire lui faisait deux fois le tour du visage.

Il attacha son cheval dans la rue, jeta son sac sur son épaule, passa une main dans les cheveux qui lui arrivaient maintenant un peu en dessous des épaules, et frappa à la porte avec entrain.

Sur le seuil, dans le soleil brûlant de l'été, un jeune homme à la peau immaculée et aux cheveux tout aussi blanc offrait d'avance son sourire le plus rayonnant à celui qui viendrait ouvrir le battant. Pantalon de cuir noir, bottes arrivants aux genoux, chemise ample largement ouverte sur son torse et veste de corsaire noire brodée d'or. A sa ceinture pendaient seulement deux longues dagues en plus d'une lourde sacoche.

S'il avait été humain, il aurait eu quinze ou seize ans. Bien que visiblement jeune, il mesurait un bon mètre quatre-vingt-cinq et sa musculature longiligne finement entrainée lui donnait déjà une silhouette des plus agréables. Son visage harmonieux et indéniablement mâle, commençait à s'affiner et à se durcir, mais n'avait pas encore perdu toutes les rondeurs de l'enfance. Même ses yeux rouge sang brillaient d'une joie puéril, éclairant sa bouche ourlée d'un sourire que bien des gens auraient pu qualifié de ravageur. Et c'est en toute candeur qu'il tenait toujours son énorme mangue, la boule au ventre.

Quelle chaleur! Zaahrian n’était pas de ceux qui se plaignaient de la température, mais à un moment, ça devenait insupportable même pour lui. C’était cette période de l’année où même une brève exposition au soleil vous brûlait la peau. Ça ne l’avait cependant pas empêché de sortir pour régler quelques affaires de son côté. Avec la guilde qui se mettait en place, il avait beaucoup à faire, mais là, il pressait le pas pour retrouver la fraîcheur toute relative de sa maison ainsi que sa parente laissée derrière. Il n’aimait pas laisser Ciriyë seule trop longtemps. Elle se débrouillait bien sans lui, mais par souci de sécurité, il ne voulait pas s’éloigner trop longtemps. Elle avait fait pas mal de progrès et bientôt elle pourrait rentrer chez elle, mais en attendant, elle était encore sous ses soins.

En tournant le coin de la rue qui menait jusqu’à chez lui, il aperçut quelqu’un qui attendait sur le portique de sa demeure. Un homme de haute taille, à la silhouette élégante et à la chevelure immaculée… Un ancien amant peut-être? Zaahrian repassa ses dernières conquêtes en mémoire. Depuis qu’il hébergeait Ciriyë, il n’avait que très peu d’occasions de rencontrer de nouvelles têtes. Ce n’est pas qu’il ne pouvait plus sortir, mais c’était certainement plus compliqué de ramener un pur étranger pour une nuit. Du coup, il fit aisément le tour de ses dernières rencontres et aucun ne concordait avec l’homme devant sa maison. Bon, il ne restait plus qu’à aller se présenter.

« Est-ce que je peux vous aider? Ah! Elghinn! Bon sang, je ne t’avais pas reconnu! J’ai cru que tu étais… bon, peu importe! Regarde-toi! »

Zaahrian se planta à côté de lui, un large sourire sur les lèvres. Le gamin avait drôlement grandi depuis leur dernière rencontre. Il était presque un homme maintenant!

« Tu vas bientôt me dépasser! » S’exclama-t-il comme si c’était la chose la plus merveilleuse du monde. L’assassin passa son bras autour de ses épaules pour le ramener contre lui dans une accolade bien virile. « Et beau garçon en plus, mais ça, ce n’est pas étonnant. Tous les hommes dans la famille sont séduisants. Allez, suis-moi! »

Zaahrian l’invita à entrer dans la maison où ils seraient à l’abri des rayons brûlants du soleil. Il ne savait pas encore pourquoi son frère était ici, mais il était heureux de le revoir. Leur dernière conversation remontait à quelques années déjà. Qu’avait-il fait depuis? Comment se portait Krish? Toujours de ce monde? Sans doute, sa mère allait sûrement survivre à la fin du monde.

« Ça c’est une surprise! Je suis content que tu sois là! Tu as fait un sacré bout de chemin à ce que je vois. Il y a un problème? »

Il doutait fortement que son frère ait fait tout ce chemin simplement pour lui dire bonjour, mais ça pouvait aussi être le cas.

- Zaahrian ! " Le sourire déjà rayonnant du jeune homme n'en fut que plus éblouissant. Le grand homme blond lui semblait si différent à présent... Beaucoup moins grand pour commencer, et ses narines moins proéminentes... Une question de point de vue sans doute. Mais mis à part ça, il le retrouvait égal à lui-même. Aussi dynamique, aussi ouvert, aussi jovial. Et lorsque les bras de son frère auto-proclamé lui donnèrent l'accolade, il se rendit compte à quel point cette légèreté lui avait manqué. Il était l'exacte opposé de ce qui le hantait... Mais l'instant était trop beau pour le gâcher avec sa prolifique mémoire. Il rit de bon cœur à l'idée de dépasser un jour le blondinet. " Hey, c'est toi le grand frère ! Je ne voudrais pas te piquer la place ! " Impossible. Déjà il n'en revenait pas lui-même de sa taille actuelle alors s'il fallait encore qu'il grandisse ! Naaaan...

Mais lorsque Zaahrian recula d'un pas pour l'inviter à entrer, il put découvrir une bouille partagée entre une adoration totale et une reconnaissance absolue. Si sa tête avait pu réellement gonflée, elle n'aurait pas réussit à franchir le seuil. Contrairement à Driz'na, il ne le regardait pas bizarrement parce qu'il avait encore un peu grandi, lui. Il appréciait le résultat, lui. " C'est vrai, tu me trouves séduisant ? " demanda-t-il incrédule, des étoiles pleins les yeux. Son regard rouge passait toujours aussi facilement d'une concentration dérangeante à des émotions si évidentes et entières qu'elles en semblaient immanquablement naïves. Leurs deux ans de séparation et un nouveau corps n'avaient pas changé ça.

A l'intérieur, la fraicheur le fit frisonner. La température... en voilà un autre concept perturbant. Il aurait eu tendance à dire qu'il préférait le froid, mais il était encore près à faire preuve d'ouverture d'esprit. Il suivit son frère pas à pas, le détaillant tout en parlant comme s'il voulait s'en souvenir avec suffisamment de précision pour pouvoir en faire des croquis et des tables anatomiques... ça non plus ça n'avait pas changé. De toute façon, avec les compliments auxquels il avait eu le droit sur le pas de la porte, il ne touchait plus terre.

- Aucun problème. C'est même le contraire ! Je voulais t'annoncer une super nouvelle ! " Il rajusta la lanière de son sac sur son épaule. Sa voix plus grave qu'auparavant portait naturellement loin. " J'ai encaissé tous les rituels de Natha ! C'est fini ! ça y est ! " Laissa-t-il tombé en écartant un bras, ravis. " Le séduisant résultat que tu as devant les yeux est mon corps définitif ! " Il s'arrêta une seconde et tordi le nez en se rappelant d'un détail " ... 'fin les prêtresses m'ont dit qu'il allait encore un peu changé mais qu'il le ferait à un rythme normal. Donc de toute façon... enfin je te passe les détails. J'ai survécu et sans aucune séquelle grave ! Bon... par contre j'ai perdu en réflexe et en vitesse, c'est une horreur. Je pensais pas qu'être plus fort faisait autant perdre en souplesse ! Tes conseils pour travailler mon corps ont été très utiles, mais j'ai quand même mis six ennéades avant de pouvoir de nouveau mettre mon pied derrière ma tête après la dernière poussée de croissance. Les P'leiks, je te raconte pas. " râla-t-il pensivement avant que son visage ne s'éclaire à nouveau. " J'avais trop hâte de te l'annoncer de vive voix, donc je suis venu. Je suis même pas passé à Sol'Dorn pour montrer le résultat à ma mère, tu sais. Mais et toi ? Comment tu vas ? Toujours aussi connu dans le coin ? "

Zaahrian ne connaissait rien à tous ces rites. Elghinn lui a sans doute expliqué en quoi ça consistait lors de leur dernière rencontre, mais avec tout ce qui était arrivé ces derniers temps, ça lui était sorti de la tête. Ça ne signifiait pas pour autant qu’il n’était pas content pour son frère. Comment ne pas l’être? Le jeune homme rayonnait de pur bonheur. Zaahrian était fier de lui, fier de tous ses accomplissements et il savait que ce n’était que le début pour lui. « Tu es splendide et je le pense sincèrement. Tu as travaillé très fort et ça se voit. Tout le mérite est pour toi et je suis certain que ta mère sera aussi très contente de l’apprendre. Je te promets qu’on va célébrer ça. Pour ce qui est de la souplesse, on peut travailler ça ensemble si tu veux. Tu sais que tu es le bienvenu ici aussi longtemps que tu le souhaites et je ne vais pas te mentir, je serai très content d’avoir un partenaire d’entraînement qui sait rendre les coups. On va bien s’amuser. » Il lui donna une autre tape affectueuse sur le bras. En ayant pris en taille, Zaahrian n’avait plus aucune raison de se retenir face à lui. Il savait son frère très doué et ça risquait d’être très intéressant.

« Cela dit, si tu décides de rester, y’a quelques trucs que je dois te dire avant. D’abord oui, ça va très bien, mais les derniers temps ont été intéressants et c’est le moins que je puisse dire. Par où commencer? Heu… Bon, quelque part en l’an 14, y’a un type qui s’est présenté à ma porte pour me demander d’éliminer quelqu’un. J’y suis allé, pour découvrir qu’on m’avait pris de vitesse. En fait, je suis arrivé juste après les faits et l’assassin était encore sur place. Ça aurait pu très mal tourner, mais je la connaissais. Du moins, on s’était croisé alors que je tentais de rejoindre l’Anaëh et Halandarin quelques années avant. Pas tellement bavarde à l’époque… Elle l’est toujours pas, d’ailleurs. Bref, on a eu une petite conversation et juste avant qu’on se sépare, elle a révélé notre lien de parenté. » Zaahrian haussa les épaules. « La famille pour moi c’est très important. Elle ne m’a pas demandé de l’aider, mais je savais qu’elle avait des ennuis, du coup j’ai tout fait pour la retrouver. Ça m’a pris deux ans pour la retracer. Elle était sous l’emprise d’un certain Don’dar. J’ai croisé des esprits tordus dans ma vie, mais ce gars dépasse largement tous ceux que j’ai connus. C’est lui qui m’a trouvé en premier. Il m’a capturé, amené dans son repère, je me suis retrouvé avec une dague plantée dans la poitrine par celle que je tentais de sauver. Si elle n’avait pas tourné la lame au dernier moment, je serais mort. Bref, elle a réussi à me faire sortir et à m’amener à un endroit où me faire soigner. Quand j’y suis retourné, j’ai plus ou moins tuer tout le monde parce que j’étais en rogne. Je l’ai ramené ici et depuis je la soigne. » Zaahrian débitait son histoire à toute vitesse. Chaque fois qu’il le faisait, il s’étonnait toujours du fait qu’il soit encore en vie pour la raconter. « Et là, je te raconte tout ça… Il faut que tu saches qu’elle est la sœur d’Halandarin, donc potentiellement ta tante. » Potentiellement… Zaahrian avait été très clair depuis le début, il reconnaissait Elghinn comme son frère pour le meilleure et pour le pire, même s’il y avait un doute quant à l’identité du père. Pour lui, la famille n’est pas uniquement une question de sang, c’est bien plus que ça. Même si un jour il était prouvé hors de tout doute qu’Elghinn n’était pas le fils d’Halan, ça ne changerait rien à sa relation avec le jeune homme. Zaahrian sera toujours là pour l’appuyer, l’aider et même lui botter le cul si nécessaire. « Si tu restes ici, tu vas la croiser. C’est à toi de voir comment tu prends tout ça. Tu sais que je considère comme mon frère et ça ne changera pas, peu importe ce que tu décideras. Je me souviens très bien du moment où je t’ai offert ce couteau. C’est fou comme tu as grandi depuis! »

En entendant le grand blond parler de sa tentative de retour en Anaëh et de Halandarin, le visage du jeune homme s'était fait plus sérieux. Sa bonne humeur ne le quittait pas, mais les priorités changeaient. Cet homme, dont il n'avait connu que le cadavre inerte était toujours un mystère pour lui, et s'il n'avait toujours aucune certitude sur sa filiation, il était curieux de ce père potentiel à travers l'affection profonde qu'il portait à Zaahrian mais n'avait aucune notion de lien du sang, des limites et des devoirs qu'il imposait aux yeux du commun des vivants. Il n'imaginait pas un instant que la certitude de l'identité de son père pouvait changer quoi que ce soit à la relation tendre de confiance absolue et de respect total qui s'était établie avec le demi-elfe. On lui avait présenté tout un tas de gens et on leur avait donné des titres : oncle, tante, cousine. C'étaient des relations étranges, mais il aimait bien l'idée. Il se sentait davantage encrer dans le monde par ces détails alors pourquoi la famille d'un de ses pères potentiels aurait moins le droit de porter ces titres que d'autres ? Les frères et sœurs c'était encore autre chose cela dit. Pourtant, au lieu de parler de leur père directement, Zaahrian commença une histoire d'assassin, d’oppresseur et de sauvetage rocambolesque comme seul lui en avait le secret. Elghinn fronça le nez, mais il n'avait rien à y redire, l'écoutant pour savoir où il voulait en venir.

Il ne fut pas déçu.

Après avoir cligné deux fois des yeux sous l'effet de la surprise, le jeune homme blafard chercha le regard du moulin à parole qui venait de lui débiter toute l'histoire.

- Ouais... J'étais pas de ce monde depuis longtemps. " sourit-il un peu plus calme. Sa main libre vint naturellement serrer l'une des deux  Les mauvais souvenirs avaient cédés leur place à l'inconnu à peu près à l'époque de leur rencontre. Zaahrian n'était pas seulement son frère, mais également le premier ami qu'il s'était fait à la lumière du soleil, et il incarnait si bien les étrangetés de ce nouveau monde que s'en était comique. " Tu sais, je serais heureux de la rencontrer. Je sais pas si elle voudra bien être ma tante ou si elle m'en voudra comme ma tante Kel'Zora, mais c'est la famille non ? Elle s'appelle comment ? "

« Elle s’appelle Ciryië, mais j’ai quelques petites choses à te dire avant que tu ne la rencontres. Don’dar ne l’a pas manqué, le bâtard. Il a joué avec ses souvenirs et physiquement, elle porte de nombreuses cicatrices. Je ne sais pas si la tête de ce connard est encore sur son bureau, mais c’est là que je l’ai laissé. Bref, elle n’aime pas qu’on la touche, donc garde une certaine distance et laisse-là venir à toi par elle-même. Sinon, soit toi-même et je suis certaine qu’elle va t’adorer. Ça ne va peut-être pas se voir, car elle n’est pas du tout expressive et c’est un peu déstabilisant, mais on s’y fait. Je garde bon espoir qu’un jour elle puisse sourire. Elle ne parle pas beaucoup et a du mal à bien comprendre notre langue. Toi, je crois qu’elle va te comprendre. Il me semble l’avoir entendu parler en drow… »

Zaahrian fit signe à son frère de le suivre à l’étage où se trouvaient les chambres. À vrai dire, il était un peu nerveux. Il espérait tellement que ça se passe bien, car Ciriyë et Elghinn étaient deux des trois personnes en ce monde qui comptaient le plus à ses yeux, des gens pour qui il donnerait sa vie sans hésitation pour sauver la leur. Zaahrian s’arrêta devant une porte et y toqua doucement.

« Ciryië, c’est moi. J’ai quelqu’un de spécial à te présenter. Tu permets qu’on entre ? »

Ciryië avait bien changée depuis que Zaahrian l'avait extirpée de chez son maître. Yasmine avait effacé toutes ses cicatrices et réparé l'ensemble de son squelette. Pour les blessures dont la gravité était hors de son champ de compétences, elle avait fait appel à l'un de ses amis, un mage de la vie bien plus compétent qu'elle. Il avait achevé ce qu'elle avait commencé, lui restituant sa peau arrachée, lissant les restes de plaies trop profondes et reconstituant parfaitement les os qui avaient été brisés à plusieurs reprises. Elle était une elfe comme neuve. Du moins en apparence.
Si elle n'avait jamais aimé qu'on la touche, c'était pire à présent. Enfin, pas pour tout le monde. En réalité, même si elle refusait qu'un inconnu l'approche de trop près, il n'y avait que son neveu qui avait interdiction formelle d'entrer en contact avec elle. Elle n'avait pas peur de lui mais ne pouvait se départir de sa crainte incontrôlable de lui faire du mal. Elle n'en avait pourtant aucune envie... Elle n'avait jamais voulu faire de mal à personne... Mais elle l'avait fait et avait si peur que cela se reproduise... Cela paraissait incompréhensible : avoir peur de blesser quelqu'un sans en avoir la volonté. Elle n'arrivait pas à expliquer pourquoi. Les mots lui manquaient et la capacité de s'exprimer aussi. Zaahrian croyait que c'était un problème de langue mais elle n'aurait pas été plus claire en eldéen. Elle n'avait tout simplement jamais appris à ordonner sa pensée et à la formuler de manière claire. Elle avait fait des progrès lors de ces douze années qu'elle avait passé chez les elfes mais elle était partie de rien.

Comme souvent, Ciryië se trouvait dans sa chambre. Il lui arrivait parfois d'aller dans le salon pour s'installer par terre ou sur le canapé. Ce qu'elle faisait de son temps ? Lorsque son neveu sortait, elle lisait. Miresgal la sollicitait parfois pour essayer d'avoir une interaction sociale avec elle. Elles parvenaient à discuter un peu plus maintenant que la Noss parlait quelques mots des deux langues de sa voisine de chambre. Elle apprenait à connaître celle qui l'avait empêchée de sombrer sous les manipulations de Don'dar. Elle était même parvenue à la remercier avec ses propres mots. Si elle n'avait jamais été dans l'état de la petite elfe, elle était la mieux placée pour la comprendre et appréhender son comportement au quotidien.

La mage des ombres se trouvait assise en tailleur par terre près de la fenêtre. Zaahrian avait tout essayé pour qu'elle ne reste pas à même le sol, installant successivement différents type d'assises mais elle n'en avait adopté aucun. Elle acceptait désormais de dormir dans son lit mais, pour lire, elle n'aimait par s'asseoir à une table ou sur un fauteuil. Alors il avait fini par y disposer simplement un amoncellement de coussins pour rendre son coin un peu plus douillet... Et elle appréciait assez finalement.
Ses mains tenant ses coudes, ses avant-bras étaient posés sur son ventre tandis qu'elle était penchée sur son livre du jour. Celui-ci venait de Calel mais Zaahrian lui en avait dégoté quelques uns aussi et Yasmine et Jonas lui en avaient prêté à plusieurs occasions.
Entendant frapper à sa porte, elle releva la tête et tendit l'oreille en entendant la voix de son neveu. Il avait quelqu'un à lui présenter ? C'était bien la première fois que cela arrivait... Un simple oui leur autorisa l'accès à sa chambre. Le demi-elfe entra le premier mais le regard de Ciryië se porta bien vite sur le nouveau venu. Elle le fixa, semblant le détailler ou voir à travers lui. Elle l'avait croisé étant enfant mais elle ne le reconnut pas une seconde. Elle avait trop peu côtoyé d'enfants pour parvenir à imaginer ce qu'ils devenaient une fois adultes. Elle-même ne se souvenait pas avoir été enfant alors que sa mémoire remontait à suffisamment loin pour cela... Elle ne prononça pas un mot pour l'accueillir et ne le quitta pas des yeux alors qu'elle se demandait pourquoi son neveu avait ramené un drow -certes au physique atypique- chez lui et, plus encore, dans sa chambre. Ce n'était pas comme si elle appréciait particulièrement cette race... Et à raison au vu de son histoire.

Elghinn acquiesça, comprenant l'ordre bien qu'il n'ai pas conscience de la dureté psychologique que cela sous entendait, ou des risques qu'il encourait s'il ne respectait pas cette règle simple. Malgré le récit de son frère, il se l'imaginait déjà comme une grande femme à la peau hâlée et aux cheveux de miel, le visage et le corps élégamment couturé de cicatrices prouvant son passé difficile. Farouche comme une créature sauvage. Un assassin capable de prendre Zaahrian à son propre jeu avait de quoi être craint et respecté...

Et il se figea sur le pas de la porte. La surprise et l'incrédulité firent fondre le vernis de joie impatiente sur sa mine d'adulte juvénile. Le regard vide de la jeune fille le frappa de plein fouet. Elle le regardait sans le voir. Ou le fouillait jusqu'au fond de la Flamme ? En tout cas, son visage neutre et son regard défiant lui remuait curieusement les tripes et lui serait la gorge. Elle n'était pas grande. Elle n'avait pas l'allure solaire de son frère. Mais surtout, elle n'était pas inconnue.

Il ne parvint pas à détourner es yeux de ces billes au bleu pâle aussi froid que distant. Elle était là... Juste devant lui, assise dans un coin au milieu de coussins... C'était bien elle... Entièrement tétanisé, il la détailla avidement. Elle avait quelque chose de différent mais restait à la fois si semblable à ce qu'elle était dans son souvenir. Le grain de sa peau. Les couleurs que son corps portait dans ce monde-ci. La finesse de sa silhouette aux membres graciles, maigres auraient dit les médisants. Tout entier à sa contemplation, il ne pensait plus... Ou il pensait trop ? Pas un mot ne lui vint aux lèvres.

En se rendant compte qu'il n'avait pas bougé, une grande respiration et un éclat de rire nerveux vinrent briser l'immobilité du jeune homme. Il ouvrit la bouche, baragouina quelques syllabes incompréhensibles en tendant la main, se racla la gorge et parvint enfin à articuler... rien. Il referma la bouche après un simple et bref " Bonjour ? "

Aïe… Zaahrian n’avait pas tellement réfléchi avant de présenter son frère à sa tante. Elghinn est un drow. Pour lui, ça n’avait aucune importance, mais pour Ciriyë qui a grandement souffert aux mains des sombres, ce n’était peut-être pas l’idée la plus brillante que de lui présenter Elghinn. Tous les drows ne sont pas de sales sadiques… Enfin oui, peut-être, mais pas son frère. Elghinn lui faisait penser à un chien qui est juste trop content de nous voir. Impossible qu’il fasse du mal à qui que ce soit juste pour le plaisir. Zaahrian ne pouvait tout simplement pas envisager que ce soit possible.

« Ne t’inquiète pas, Elghinn ne te fera aucun mal. Je ne te l’aurai jamais présenté sinon. »

Pour la première fois depuis qu’il le connaissait, Zaahrian crut déceler dans le regard de son frère de l’étonnement, voir même du doute. L’avait-il déjà vu quelque part? Peut-être… En tout cas, il restait là à la regarder fixement au point où Zaz fut tenté de lui dire : ne regarde pas ma tante de cette façon! Bon, il devait trouver un moyen de détendre l’atmosphère.

« Toute la famille enfin réunie ensemble dans la même pièce! »

Zaahrian sourit. Oui bon, l’effort y était. Il espérait maintenant que Ciriyë ne décide pas de disparaître soudainement dans les ombres en les laissant derrière. Il voulait tellement que ça fonctionne, mais elle devait lui faire confiance. Pour la première fois de sa vie, il allait peut-être avoir un semblant de vrai famille. Il en rêvait depuis tellement longtemps.

Ciryië pencha la tête sur le côté au simple "Bonjour" du sombre. Même elle trouvait cette situation bien étrange. Pourtant, les silences ne la gênaient pas. Ignorant toujours pourquoi cet étranger se trouvait dans sa chambre, les deux hommes ne devaient sa présence maintenue parmi eux que parce que Zaahrian était là. Elle lui faisait confiance et savait qu'il y avait une explication à tout ceci... Elle tourna son regard vers lui lorsqu'il prit enfin la parole, conservant malgré tout son attention sur le drow.

Ses quelques mots lui apportèrent surtout des interrogations.
Elghinn ? Elle avait déjà entendu ce nom. Elle se souvenait où et quand. Elle se souvenait de la femme dans les ombres et du bambin qui l'accompagnait. Mais cela ne pouvait être lui. Il n'y avait pas qu'un seul Elghinn sur cette terre.
Puis Zaahrian parla de famille et elle pencha à nouveau la tête sur le côté. Il n'y avait qu'une seule personne qui correspondait à tous ces critères. Mais c'était impossible.

Elle se tourna à nouveau vers le nouveau venu. Forte de ces dernières informations, elle l'étudia différemment, cherchant des réponses qu'elle ne trouverait pas de toute manière. Elle avait du mal à croire à l'idée que cette personne soit le garçon piégé dans les ombres.

-Elghinn est un enfant.

Certes, les enfants grandissent. Mais les sombres ne grandissaient pas aussi vite. Elle avait quitté un enfant à peine sept ans plus tôt. C'était un homme qui se tenait là. Non, ce n'était pas celui qu'elle connaissait.

Elle se souvenait...

Il n'avait pas réussit à la quitter des yeux lorsque Zaahrian avait parlé. Il n'avait pas non plus réussit à faire taire la fascination de son regard vrillé sur elle. La concentration avec laquelle il la détaillait sans pudeur avait été à peine ébranlée par la remarque de son frère... Mais il avait suffit de trois mots de la part de cette jeune fille pour faire battre son cœur plus fort.

Il aurait pu se sentir bête d'être aussi fébrile, mais il n'y pensa même pas. Il resta planté là, bras ballant et sourire admiratif sur le visage.

Elle se souvenait de lui.

- Jerh... " Il s'éclaircit la gorge. Pourquoi était-elle aussi tendue ? Il avait l'impression de devoir avaler un gros galet à chaque fois qu'il déglutissait... Mais il se sentait aussi étrangement bien. " Je l'étais... " sourit-il encore hésitant. Il regarda soudain alentour et recula pour posa ses affaire à l'extérieur du chambranle. Il ne voulait pas empiéter de trop sur son territoire alors qu'elle avait l'air de ne pas le vouloir, mais une fois alléger, il avança de nouveau. Sa main vint se poser sur le bras de Zaahrian pour lui promettre que ça irait. Un seul pas. Et il s'immobilisa. Il se sentait bizarre. Mal à l'aise ? Mais pourquoi. Timidement, son visage dévoilant malgré lui une affection émue, il se passa une main dans les cheveux avant que ses doigts n'en viennent à se torturer les uns les autres.

- C'est moi... Je veux dire... C'était bien moi. " Un rire nerveux ponctua sa phrase. " ça doit paraître fou, je sais...  Mais... Tu sais, dans cette cabane de ton pays, je t'ai demandé si tu étais comme moi, si tu avais été empêchée de grandir et tu as eu la gentillesse de me dire oui. Bah... J'ai rattrapé le retard en un sens ? " Il se tourna un bref instant vers Zaahrian, cherchant son regard pour luter contre la gêne avant de se retourner vers la jeune fille. " Il y a trois ans, j'avais encore l'air d'un enfant. Mais tu dois savoir que votre guérisseur, Anornedellon, m'a rendu un corps normal. Les prêtresses de Natha m'ont aidé à aller plus loin pour que mon corps aille avec mon esprit... Pour que l'esprit que tu as sauvé ne devienne pas fou. " sa voix vibra d'émotion. " Tu me crois ? "

Ciryië fronça légèrement les sourcils devant l'histoire du sombre. Ce que cet enfant lui avait demandé et ce qu'elle lui avait répondu, il ne pouvait pas l'inventer. Et comment aurait-il pu le savoir autrement ? Elle le voyait mal dire aux autres sombres qu'elle était identifié à une elfe... Même elle savait que c'était difficile à imaginer. Bien plus que ce qui suivit, étrangement.
La petite elfe était bien placée pour connaître les capacités d'Anorn. A lui seul, il avait achevé de réparer son corps, rendant à ses os leur solidité d'origine là où les autres n'avaient pu que soigner les fractures apparentes, ne pouvant rien faire pour leur fragilité. Il ne lui avait fallu qu'une paire d'heures pour y parvenir et elle s'était trouvée méconnaissable ensuite. Alors, aider un corps à grandir, cela ne lui semblait pas si incongru que cela.

-Je te crois. Répondit-elle simplement.

Elle le regarda à nouveau, non plus intriguée ou suspicieuse mais plutôt curieuse... Pour peu qu'il se révèle capable de déceler une différence dans son regard inexpressif.

-Moi, je n'ai pas rattrapé mon retard.

Elle était apparemment toujours la même. Ce qu'elle avait enduré n'était plus visible et les traits de son visage semblaient aussi lisses qu'auparavant. Même assise, on voyait qu'elle était très petite pour une elfe alors qu'elle frôlait tout juste le mètre soixante. A bien des égards, elle ressemblait à une enfant, bien que ses maigres formes nées pendant son premier séjour en Anaëh la plaçaient désormais dans la catégorie des adolescents. S'il avait ignoré ce qu'elle avait traversé, il aurait pu se dire qu'elle n'avait pas changée et qu'elle était restée la même, quoi que vêtue comme une vaanie et non comme une elfe. Son corps était ainsi et elle ne lui portait que peu d'intérêts.

Elle le croyait...

- Inutile. Tu es parfaite. " répondit-il du tac au tac à la dernière remarque de la jeune femme. Ses mots avaient jaillis sans qu'il n'y réfléchisse, appuyés par un sourire aussi rayonnant que fasciné.

De son frère, Elghinn il n'avait reçu qu'une totale, parfaite et définitive incompréhension. Alors que l'adolescent souriait de plus belle devant le trait d'humour de cette apparition du passé, le Thaari se résolu enfin à manifesté sa surprise incrédule. "Vous vous connaissez!?"

La voix de son grand frère remua le jeune drow, le poussant à abandonner son air niais et l'intensité de ses observations. Elghinn passa une main dans ses cheveux soigneusement entretenus avec un sourire toujours à mis chemin entre une gêne timide et une grande émotion. Les yeux dans les pupilles glaciales de la jeune femme, il hocha la tête. " On peut dire ça... " Puis il se tourna vers Zaahrian sans cesser de se gratter la nuque.

- Elle m'a sauvé la vie un peu avant notre rencontre. Sans elle, je serais sûrement mort à l'heure qu'il est... Et personne d'autre n'aurait put faire ce qu'elle a fait. " Cette fois, un voile de souvenir désagréables vint ternir un peu l'éclat de ses yeux sanglants. Il ne voulait pas en dire plus. Le reste n'appartenait qu'à lui... Et peut-être un peu à elle. Il se tourna à nouveau vers elle d'ailleurs. " A l'époque tu n'avais pas voulu me dire ton nom... Je ne pensais jamais te revoir... ça doit être le destin. "

Pour ça non, Zaahrian ne comprenait pas. C’était un sacré hasard que ces deux-là se soient déjà rencontrés avant. Le plus drôle dans cette histoire, c’est que Ciriyë avait sauvé la vie d’Elghinn, preuve qu’ils avaient tous un talent naturel pour se mettre dans les emmerdes dans cette famille. Zaahrian rit doucement. « Bon sang, c’est parfait. Ciriyë m’a sauvé quand j’ai tenté de la sauver une première fois et toi, elle t’est déjà venue en aide. Je suis désolé, ma chère, mais si les choses restent comme ça, tu vas en avoir plein les bras avec nous. » Aucune chance qu’elle comprenne ce qu’il voulait dire par là ou que ça l’amuse, mais Zaahrian se trouvait vraiment drôle. En fait, valait mieux en rire que d’en pleurer. « C’est vrai que tu as grandi d’un coup. Moi qui suis seulement un demi-elfe, je suis devenu adulte seulement vers l’âge de 45 ans. Maintenant que c’est un homme, j’ai bien l’intention de l’initier à tout ce que la ville de Thaar a à offrir. » C’est certain qu’avec des idées comme ça, pas étonnant qu’il lui arrive régulièrement des bricoles. « Et puis… tu vas grandir aussi, non ? Je ne comprends pas grand-chose à la magie et à tout ça, mais c’est peut-être possible de faire la même chose pour toi, je sais pas. » Il haussa les épaules. Honnêtement, tout ça lui échappait, mais si ça avait été possible pour l’un, pourquoi pas pour l’autre.

La réponse d’Elghinn concernant son apparence laissa la petite elfe songeuse ou… tout du moins, silencieuse. Parfaite ? Elle ? Vraiment ? C’était assez inattendu et même surprenant. Une elfe adulte qui ressemblait à une enfant et qui n’affichait jamais la moindre expression, elle en déstabilisait plus d’un. Elle l’avait compris depuis longtemps. Alors, voir quelqu’un lui dire qu’elle était parfaite, cela la rendait quelque peu interdite et elle ne sut quoi lui répondre.
Zaahrian sortit enfin de sa torpeur, se trouvant surpris de voir qu’ils se connaissaient tous les deux. Le drow n’entra pas dans les détails des circonstances de leur rencontre, n’évoquant rien du monde des ombres. Elle ne chercha pas à comprendre pourquoi et respecta son silence. Cependant, si le demi-elfe lui posait des questions, elle ne verrait pas de raisons de se taire, même si cela serait sans doute difficile pour lui d’intégrer ce qu’il s’était passé. Mais il n’en fit rien et passa à autre chose. Ciryië ne comprit pas vraiment de quoi il voulait parler par “en avoir plein les bras d’eux” et pencha la tête sur le côté. Maintenant que Don’dar n’était plus là, c’était si facile pour elle de protéger les siens… Et elle préférait largement utiliser ses talents de cette manière…

Elghinn évoqua un élément de leur rencontre et la petite elfe se replongea dans ce souvenir inviolé pour essayer de comprendre ce qu’il voulait dire. Il était vrai qu’à l’époque, elle n’utilisait pas encore son prénom… Et elle se rappelait pourquoi.

-On m’a dit que je m’appelais Ciryië mais je ne me souviens pas avoir déjà porté ce nom. Je l’ai fait mien depuis…

Il n’y avait eu aucune volonté de sa part de lui cacher cette information à l’époque. Elle avait eu ses raisons de ne pas lui dire comment elle s’appelait et elle lui avait répondu la vérité finalement. Ou ce qui était la vérité à l’époque en tous cas.
Zaahrian s’inquiéta que la petite elfe n’ait pas fini sa croissance, au même titre que le sombre. Est-ce que la magie pouvait l’aider ? Bonne question. Leur situation était différente.

-Je ne pense pas que nos corps soient les mêmes. Les mages ont déjà fait beaucoup pour que le mien soit… viable.

Le fils de Krish s’était retrouvé coincé dans un monde où le temps était différent. A la fois terriblement plus long que le leur et suspendu d’une certaine manière… Ciryië avait évolué sur cette terre et sa croissance n’avait été pertubée que par les mauvais traitements dont elle avait été victime. La magie pouvait être l’aider plus qu’elle ne l’avait déjà fait mais son corps correspondait à ce qu’elle était finalement...

Ciryië pencha la tête, Elghinn rit de bon cœur. " C'est vrai qu'en fin de compte, l'héroïne, c'est toi. " surenchéri-il en imaginant la jeune femme essayer désespérément de les garder lui et son frère en un morceau. Il échangea un regard avec Zaahrian, aussi amusé qu'impatient. Ah, il voulait lui faire découvrir Thaar sous toutes ses coutures, et bien il n'attendait que ça ! Enfin, presque que ça.

Aujourd'hui, il allait de surprise merveilleuse en magnifique découverte. Si bien que lorsqu'ils en vinrent un peu plus sérieusement au sujet particulièrement épineux de sa croissance et de son âge, il ne s'en formalisa pas le moins du monde. Pourquoi l'aurait-il fait alors qu'il avait l'impression de connaitre ces deux hôtes depuis toujours ?

- Le mien aussi a demandé beaucoup de travail, mais il n'a pas eu à être recassé pour grandir. Après tout, chez vous j'ai sept ans. " ajouta-t-il doctement sans se rendre compte de la bombe que cela pouvait représenter pour quelqu'un de normalement constitué. " Si tu y tiens, Ciryië, je pourrais demandé à la Haute-Mère, mais vraiment, je ne trouve pas que tu en aies besoin. " Il s'était plut à articuler le nom elfique aussi fluidement que possible en se basant sur la prononciation de la jeune femme, mais s'il parlait couramment le sylvain, certaines tournures de phrases restaient aussi eldéennes que son accent.

Et toujours ce même regard, cette même fascination. A croire que si personne ne le sortait de là, il passerait la journée à la regarder en souriant, échangeant les quelques mots qu'elle voudrait bien lui offrir.

Pourtant, une pensée lui percuta le cerveau droit avec enthousiasme...

- Oh fait, tu aimes les mangues ? Moi, j'en ai jamais mangé, mais j'en ai achetée une énorme en venant par le marché. Je suis sûr que t'en a jamais vu d'aussi grosse. hein, Zaahrian ! "

Finalement, les choses se déroulaient rondement. Zaahrian avait eu une petite inquiétude au début devant la réaction de Ciriyë, mais elle n’avait pas essayé de disparaître dans les ombres. C’était donc une bonne nouvelle. Soulagé, Zaahrian alla s’assoir au pied du lit et étira ses longues jambes dans un soupir de soulagement. « Je crois que la décision te revient, Ciriyë, mais il a raison en disant que tu es parfaite comme tu es. Et tu es très jolie aussi. Le premier qui viendra dire le contraire, je lui mets mon poing à la figure. » Il était bien capable de le faire et avec le sourire en plus. « Dans la famille, nous sommes tous l’incarnation de la perfection physique. » L’humilité de faisait guère parti du vocabulaire de Zaahrian. « Cela dit, moi contrairement à vous, je vais finir par vieillir. Un jour, je vais avoir des cheveux blancs, des douleurs aux genoux et être désagréable avec tout le monde. Elghinn, le jour où ça arrivera, je te donne la permission de me tordre le cou. » Sachant qu’il avait déjà des douleurs aux jambes à l’occasion, ce jour était peut-être plus près qu’il ne le pensait.

« Oh, une mangue? Oui, j’adore ça! Il y a une vieille dame que j’aime bien qui en vend au marché. C’est sans doute d’elle que tu l’as acheté. Donne-là moi. Il est temps que je vous initie à ce fruit délicieux. » Le fruit était effectivement énorme. Souriant, il le huma, heureux de sentir le délicieux parfum sucré des fruits bien mûrs. « Parfait! » Il prit un couteau à sa ceinture et en trancha un bout. « Pour toi Elghinn. » Il en coupa un autre morceau qu’il donna à Ciriyë. « Tiens. » Finalement, il s’en prit un peu aussi. « Quand il fait chaud comme aujourd’hui, il n’y a rien de meilleur. » En disant cela, son regard se posa sur son frère. « Tu sais, je ne veux pas te vexer, mais tu as désespérément besoin d’un bain. Si tu as besoin de vêtements, maintenant qu’on a presque la même taille, certains trucs devraient te faire. »

Aux compliments de ses deux neveux, Ciryië baissa la tête, relevant légèrement les épaules. Ils la trouvaient parfaite… On ne lui avait encore jamais dit cela. Ni même qu’elle était belle. Elle ne faisait pas vraiment partie des standards de beauté des elfes adultes… Certes, ils avaient peu de formes, tout comme elle, mais ils étaient bien plus grands et elle avait les traits enfantins à encore bien des égards. Et puis, son visage affichait la même expression en permanence. Elle n’effrayait certes pas Elghinn et Zaahrian mais elle ne comptait plus le nombre de regards qui s’étaient posés sur elle et qui étaient différents des leurs.

Est-ce que Neraën la trouvait belle ?...

Le sombre la sortit de ses pensées, lui proposant une mangue, et Ciryië releva un regard interdit vers lui. Elle ne connaissait pas cet aliment, ignorant si c’était un légume, un fruit ou encore un gâteau… Elle regarda le mêt sortir du sac pour changer de mains puis le demi-elfe sortir son couteau pour le découper. Elle les observa tous deux. Leurs sourires permanents, leur attitude légère, presque insouciante. Comme si c’était la première fois qu’elle assistait à ce genre de scène. Ou, plutôt, qu’elle en faisait partie… Car elle n’était pas cachée dans une ombre et n’était pas simplement assise à côté de gens qui parlaient, essayant parfois de la mêler à leur discussion sans qu’elle n’y comprenne rien. Elle était là… Elle était vraiment là, avec eux.

Zaahrian lui tendit un morceau de mangue et elle le prit des deux mains. Elle le sentit d’abord pour se faire un idée. C’était sucré… C’était donc un fruit. Elle en croqua un morceau et en découvrit le goût. C’était doux… Et rafraîchissant, comme il l’avait dit.

Le jeune homme mordit de suite dans le morceau que lui tendit Zaahrian... Pour ne pas dire qu'il l'engloutit aux trois quart avant que Ciryië n'ai planter une petite dent dans le sien. Ses gargouillements de contentement vorace ne laissaient aucune place au doute. Il aime visiblement les mangue... Mais bon, Zaahrian avait déjà pu constater qu'il y avait très peu de nourriture que le jeune drow n'aimait pas. Ou plus exactement, qu'il se refusait à manger. " Ça a vraiment un goût bizarre ! " s'exclama-t-il avec emphase en rattrapant un peu du jus qui coulait sur son menton d'un coup de langue alerte. Il en engouffra une bouchée de plus pendant que Zaahrian goûtait sa propre tranche. " Puis la peau est super dure. " ajouta-t-il entre deux mastications bien peu élégantes. " C'est frais, c'est chouette. Je préfère les noix de coco. Là on dirait du savon, l'arrière goût. " sourit-il sans perdre une once de son enthousiasme. Il engouffra le dernier morceau et se pencha sur la mangue pour s'en couper un second morceau avant de s’asseoir en tailleur sur le planche, près de la jeune femme sans oser trop s'en approcher par peur de l'indisposer. " Et toi, Ciryië ? Tu aimes ? C'est vraiment frais, hein ? "
- Quand il fait chaud comme aujourd’hui, il n’y a rien de meilleur " ajouta le grand elfe toujours aussi détendu avant de s'adresser à son cher voyageur de frère.

- Hey ! " s'offusqua-t-il " Fait gaffe ou je pourrais bien te tordre le cou plus tôt que tu crois, vieux ronchon. Je suis musqué, c'est tout. Grandir, ça fait ça. " Il engouffra la fin de son deuxième morceau de mangue avec une noblesse outragée et prit le temps de déglutir avant d'ajouter. " Par contre je dirais pas non à un bain en fait. J'ai le dos en compote à force de passer mes journées à cheval. " Tout en se levant, il avisa le livre posé près des coussins de Ciryië et ajouta, aussi innocent que ravageur pour le commun des mortels. " Tu me liras un passage de ton livre après ? "

« Noix de coco… Honnêtement, l’effort qu’il faut mettre pour pouvoir la manger ne compense pas suffisamment le goût. Cela dit, elles font de bons projectiles. J’en ai lancé une à la tête d’un voleur une fois. Il s’est effondré comme une masse. J’étais convaincu de l’avoir tuer, mais non, il était simplement assommé. Eh bien, la noix de coco ne s’était même pas fendue, c’est pour dire... » Il y avait-il quelque chose qui ne lui était jamais arrivé? En vrai, quand tu as vécu plus de 100 ans et que tu as le tempérament de Zaahrian, c’est normal d’avoir tout un tas d’histoire à raconter.

« Oh, pardon, monsieur est devenu un homme maintenant. Il ne faudrait pas le vexer! » Un sourire malicieux sur le visage, il ajouta. « J’ai bien hâte de voir ça. » Il ponctua sa phrase d’un clin d’œil. Zaahrian avait déjà hâte de se frotter à son frère. Il le savait talentueux et il avait trop peu d’occasions d’avoir des adversaires à sa taille. En plus, Elghinn était sans doute l’un des rares qui pourraient botter le cul de Zaahrian sans qu’il s’en vexe. La fierté du grand-frère était bien plus grande que tout le reste. « Je te ferai préparer ça. Je peux aussi essayer de te trouver une ou deux jolies masseuses pour ce dos endolori. J’ai bien quelqu’un ici pour ça, mais il ne sera peut-être pas dans tes goûts. » Son frère ne partageait probablement pas les mêmes goûts que lui pour la gent masculine et apprécierait sûrement davantage les doigts agiles et caressants d’une femme à la poigne ferme d’un homme.

« Elle adore les livres. Ça n’étonnera personne si je dis que, personnellement, je n’ai jamais été capable de me concentrer plus de cinq minutes en essayant d’en lire un. Je me souviens, quand j’étais enfant et que je devais apprendre à lire cet énorme recueil avec tous ces mots et ces lettres qui ne faisaient aucun sens… » Il secoua lentement la tête à l’évocation de ce souvenir. « À choisir, je crois que je préfère assister à une pièce de théâtre. J’aime voir l’histoire prendre vie. En fait, pour qu’un livre puisse m’intéresser, il faudrait qu’il y ait beaucoup d’images et peu ou pas de texte… Je me demande si ça existe. » Il n’y avait bien que lui pour s’interroger sur ce genre de chose. « Bon, si ça ne vous dérange pas, je vais vous laisser en tête à tête. Je dois faire préparer un bain pour Elghinn et sans doute pour moi aussi. Avez-vous besoin de quelque chose? »

Ciryië était nettement moins vorace que le sombre et mangeait par petites bouchées. Elle n’avait jamais vraiment eu l’occasion d’apprendre ce qu’était le plaisir de la dégustation. Un cuisinier de Tethien avait commencé à l’initier mais il n’avait pas pu aller bien loin. Elle avait simplement appris à reconnaître quelques goûts mais elle était bien incapable de dire ce qu’elle aimait ou non et encore moins ce qu’elle préférait. C’était un peu normal vu ce que Don’dar lui avait donné à manger durant plus d’un siècle… Aussi, lorsqu’Elghinn se tourna vers elle, elle ne sut pas vraiment quoi lui répondre et garda le silence.

La petite elfe observa ensuite les deux hommes se chamailler gentiment. Elle pencha la tête sur le côté, essayant d’analyser l’objet de leur dispute. Elle n’était pas sûre de comprendre.

-Il sent mauvais ? Demanda-t-elle le plus sincèrement du monde.

Elle avait un nez, c’était vrai, et en état de marche. Mais, si elle ne savait pas reconnaître un bon aliment d’un mauvais, elle ne savait pas davantage apprécier une odeur.

Ciryië suivi du regard le geste du sombre et comprit qu’il lui désignait le livre qu’elle avait écarté pour ne pas risquer de le salir avec la mangue dont elle n’avait encore mangé que la moitié. Elle revint ensuite vers le jeune homme alors qu’il venait de lui exprimer le souhait de l’entendre lui lire un passage.

-Je ne lis pas très bien. Puis, elle se tourna vers Zaahrian qui venait de signaler que la lecture n’était pas son passe-temps préféré… Ca parle de magie, tu n’aimes pas non plus.

Elle n’avait jamais compris l’aversion de son neveu pour les Arts. Car sa méfiance ne se limitait pas à son domaine à elle qui inspirait souvent la crainte mais à tous.
Finalement, l’assassin leur demanda s’il avait besoin de quelque chose avant de s’en aller. Elle répondit d’un simple signe de tête négatif.

- Et comment je peux savoir s'il est dans mes goûts ou non vu que je le connais pas et qu'il m'a jamais massé, gros bêta ? " lança le jeune homme à son frère ainé, faussement lassé par la soit disant bêtise de son frère. Visiblement hermétique autant au sous entendu qu'au côté alléchant qu'aurait du avoir l'évocation des jolies masseuses plutôt que du "quelqu'un" en question.

La remarque de la jeune femme, par contre, lui cloua le bec un instant. Heureusement qu'elle était faite sous forme de question, sinon il en aurait été miné pour des siècles. Là, il bégaya seulement un moment avant de lancer un " Non ! " outragé. " Moi j'aime bien. " En même temps, contrairement aux gens normaux, il avait passé des mois à collectionner les odeurs, les sensations, les bruits, les ambiances, avant de catégoriser ceux qu'il aimait ou non. Cette phase était d'ailleurs tout juste entamée.

Puis il laissa partir son frère sur une parodie de salut militaire " Pas pour moi, Chef. ". Le soleil disparut par la porte et Elghinn se rendit soudain compte qu'il était donc seul avec Elle et se retrouva un peu moins grandiloquent. La main qu'il avait levée passa sur sa nuque tandis qu'il se retournait vers Ciryië pour revenir s'asseoir près d'elle... Mais pas trop pour éviter de l'indisposer, juste au cas où son frère n'ai pas entièrement tort.

- Tu sais, j'y connais pas grand chose à la magie. Enfin je l'ai vu à l’œuvre. " réfléchit-il à voix haute. " Mais je ne l'ai jamais étudiée. Ni celle qui fait du mal, ni celle qui aide. Mais j'aime beaucoup les livres et les histoires. " Un sourire étrangement nostalgique pour un si jeune homme  flotta sur ses traits. " Tu sais, quand j'étais... et bien... là-bas. C'est avec des histoire que j'ai appris à connaitre ce monde et c'est avec elles que j'ai appris a vivre et pas seulement survivre. Alors pour moi, même les plus farfelues ont leur part de vérité et puis tu... Enfin... Je voulais juste dire que c'est pas grave si tu lis pas très bien. Si tu veux bien je serais heureux que tu partage ce que tu lis avec moi. " Loin de la simplicité de son frère, il retombait dans l'hésitation de son arrivée, un sourire timide sur les lèvres.

Ciryië répondit à Zaahrian d'un simple non de la tête et ce dernier quitta la pièce. Elghinn s'approcha alors et prit place près d'elle, conservant une certaine distance qu'elle apprécia. Elle n'avait rien contre lui mais il était un inconnu à ses yeux. Elle ne le voyait pas comme une menace mais elle ne pouvait cependant s'empêcher d'être vigilante malgré tout. Néanmoins, de ses appréhensions, le sombre ne pouvait rien en voir. Seul un mage de l'esprit aurait pu lire en elle, et encore... Elle craignait tellement cette magie qu'elle se fermait à elle, si bien qu'il était presque impossible d'entrer dans sa tête à son insu et sans lui faire mal qui plus est.
La jeune fille l'écouta parler et il lui sembla qu'il était un peu comme elle, comme si ses pensées s'emmêlaient alors qu'il t'entait de les exprimer. Cela donnait un discours assez hésitant et décousu dont la conclusion semblait sans rapport avec l'introduction. C'était un peu différent d'elle qui utilisait au contraire bien trop peu de mots pour dire ce qu'elle pensait, sautant l'étape de l'argumentation...

Dans les deux cas, ce qu'il disait n'était pas totalement clair...

Lorsqu'il eut terminé, Ciryië marqua un temps de silence, réfléchissant à ce qu'il venait de lui dire et à ce qu'elle pourrait bien répondre. Finalement, elle essaya de reprendre, une idée après l'autre.

-Ce ne sont pas des histoires. C'est de la magie théorique. Olorin n'aime pas me faire la lecture des livres écrits en elfique. Une fois, il m'a demandé si je comprenais ce qu'il me lisait.

La petite elfe se souvenait avoir été surprise par cette question à l'époque. Tout était si évident pour elle... Mais, si Olorin n'aimait pas cela, peut-être n'était-il pas le seul ? Et si Elghinn aimait les histoires, les livres qui entouraient Ciryië n'en contenaient aucune. Les seules qu'elle-même ait jamais lue étaient évidemment des biographies de mages...

Ciryië pencha la tête sur le côté.

-J'ai lu les écrits qui contiennent les informations que ta mère a donné sur le plan des ombres. Il ressemble à l'entre-deux mondes, et en même temps pas. Et il n'a rien à voir avec ici. Je préfère l'entre-deux mondes.